L’infection par le virus Chikungunya est une arbovirose évoluant sur un mode épidémique, dans les continents africain et asiatique, mais aussi dans les îles de l’Océan Indien, comme le souligne l’épidémie de grande ampleur actuellement en cours à l’île de la Réunion, après avoir touché les Comores, Mayotte et l’île Maurice, depuis le début de l’année 2005 [1]. Le virus Chikungunya est un arbovirus de la famille des Togaviridae, du genre Alphavirus, appartenant au complexe antigénique Semliki Forest [2]. La première description, qui remonte à 1952 en Tanzanie, lui a valu son nom qui signifie, en swahili, « qui marche courbé en avant » [3]. Il est responsable d’un tableau clinique articulaire similaire à celui observé dans d’autres alphaviroses, comme celles dues aux virus Ross River (VRR), Barmah Forest, O’Nyong-Nyong, Sindbis et Mayaro [4]. L’analyse phylogénétique des souches de Chikungunya permet d’identifier des clusters différents pour les souches d’Afrique de l’Est, de l’Ouest ou d’Asie, et de souligner la proximité importante avec le virus O’Nyong-Nyong [2]. Il s’agit d’un virus enveloppé à ARN simple brin, qui contient 3 protéines de structure, les glycoprotéines de surface E1 à activité hémagglutinante, et E2, et une protéine de capside C non glycosylée [5]. Il est transmis par des moustiques du genre Aedes, d’espèces différentes selon les zones considérées [6]. Les cycles de transmission diffèrent selon le continent : en Afrique, la transmission se maintient par un cycle sylvatique, rural, impliquant principalement Aedes furcifer et Aedes africanus, vecteurs par ailleurs de la fièvre jaune en cycle sylvatique, alors qu’en Asie, le cycle est plutôt urbain, impliquant Aedes aegypti et Aedes albopictus (Figure 1), moustiques anthropophiles et péridomestiques, impliqués aussi dans le cycle de transmission de la dengue [2, 7]. En Afrique, le réservoir du virus est animal, constitué par les primates, certains rongeurs et oiseaux, qui entretiennent le cycle sylvatique [4]. La présence de virus a pu être retrouvée chez le bétail, sans que son rôle dans la transmission n’apparaisse important. Aucun réservoir animal n’a été formellement documenté en Asie [2]. La large répartition géographique des vecteurs rend possible l’émergence du virus dans de nombreuses régions [6, 8], comme cela a pu être constaté pour d’autres arbovirus, comme le virus West Nile, introduit puis installé sur le continent nord-américain depuis 1999. La transmission trans-ovarienne du virus n’a été mise en évidence que dans des conditions expérimentales [9], et il n’est pas certain qu’elle ait lieu dans des conditions naturelles. Au plan épidémiologique, depuis la description initiale en Tanzanie, ce virus a été régulièrement à l’origine de petites poussées épidémiques cycliques en milieu rural, principalement en Afrique australe et de l’Est, de l’Ouganda à l’Afrique du Sud, en Afrique Centrale, la dernière épidémie du Congo ayant eu la particularité d’être urbaine, comme les épidémies asiatiques [10], plus rarement en Afrique de l’Ouest, en particulier au Sénégal [11]. Il est considéré comme endémique en milieu rural en Afrique, responsable de nombreux cas probablement non diagnostiqués, et associé à une séroprévalence pouvant être supérieure à 50 % [11]. Parallèlement, des poussées épidémiques ont été observées en Inde, au Sri Lanka, en Asie du Sud-Est (Thaïlande, Myanmar, Vietnam, Laos, Cambodge, Indonésie, plus récemment Malaisie), aux Philippines [12, 13]. La fréquence plus importante des épidémies en Asie peut être reliée au caractère anthropophile des moustiques vecteurs en cause [2]. Jusqu’à l’épidémie actuelle, sa présence dans les îles de l’Océan Indien n’avait été révélée que par des enquêtes de séroprévalence, sans notification d’épidémies [6]. Des descriptions cliniques ont aussi été faites chez des voyageurs, la dernière au retour de Côte d’Ivoire [8]. Dans la majorité …
Appendices
Références
- 1. Infection par le virus Chikungunya à l’Ile de la Réunion. BEH 2006 (hors série) : 1-4.
- 2. Powers AM, Brault AC, Tesh RB, et al. Re-emergence of Chikungunya and O’Nyong-Nyong viruses : evidence for distinct geographical lineages and distant evolutionary relationships. J Gen Virol 2000 ; 81 : 471-9.
- 3. Robinson MC. An epidemic of virus disease in Southern Province, Tanganyika Territory, in 1952-53. Clinical features. Trans R Soc Trop Med Hyg 1955 ; 49 : 28.
- 4. Jeandel P, Rosse R, Durand JP. Arthrites virales exotiques : place des alphaviroses. Med Trop 2004 ; 64 : 81-8.
- 5. Simizu B, Yamamoto K, Hashimoto K, et al. Structural proteins of Chikungunya virus. J Virol 1984 ; 51 : 254-8.
- 6. Zeller H. Dengue, arbovirus et migrations dans l’Océan Indien. Bull Soc Pathol Exot 1998 ; 91 : 56-60.
- 7. Diallo M, Thonnon J, Traore-Lamizana M, Fontenille D. Vectors of Chikungunya virus in Senegal: current data and transmission cycles. Am J Trop Med Hyg 1999 ; 60 : 281-6.
- 8. Pile JC, Henchal EA, Christopher GW, et al. Chikungunya in a north american traveler. J Travel Med 1999 ; 6 : 137-9.
- 9. Zytoon EM, El-Belbasi HI, Matsumura T. Transovarial transmission of Chikungunya virus by Aedes albopictus mosquitoes ingesting microfilariae of Dirofilaria immitis under laboratory conditions. Microbiol Immunol 1993 ; 37 : 419-21.
- 10. Pastorino B, Muyembe-Tamfum JJ, Bessaud M, et al. Epidemic resurgence of Chikungunya virus in Democratic Republic of the Congo : identification of a new central african strain. J Med Virol 2004 ; 74 : 277-82.
- 11. Thonnon J, Speigel A, Diallo M, et al. Epidémies à virus Chikungunya en 1996 et 1997 au Sénégal. Bull Soc Pathol Exot 1999 ; 92 : 79-82.
- 12. Mackenzie JS, Chua KB, Daniels PW, et al. Emerging viral diseases of Southeast Asia and the Western Pacific. Emerg Infect Dis 2001 ; 7 : 497-504.
- 13. Laras K, Sukri NC, Larasati RP, et al. Tracking the re-emergence of epidemic Chikungunya virus in Indonesia. Trans R Soc Trop Med Hyg 2005 ; 99 : 128-41.
- 14. Brighton SW, Prozesky OW, De la Harpe AL. Chikungunya virus infection : a retrospective study of 107 cases. South Afr Med J 1983 ; 63 : 313-5.
- 15. Observatoire Régional de la Santé de la Réunion. Épidémie de Chikungunya à la Réunion. Point au 2 mars 2006 pour la semaine 8 allant du 20 février au 26 février 2006. http://www.orsrun.net/PEHChik020306.pdf
- 16. Morrison TE, Whitmore AC, Shabman RS, et al. Characterization of Ross River Virus tropism and virus-induced inflammation in a mouse model of viral arthritis ans myositis. J Virol 2006 ; 80 : 737-49.
- 17. Pastorino B, Bessaud M, Grandadam M, et al. Development of a TaqMan® RT-PCR assay without RNA extraction step for the detection and quantification of African Chikungunya viruses. J Virol Methods 2005 ; 124 : 65-71.
- 18. Briolant S, Garin D, Scaramozzino N, et al. In vitro inhibition of Chikungunya and Semliki Forest viruses replication by antiviral compounds : synergistic effect of interferon-α and ribavirin combination. Antiviral Res 2004 ; 61 : 111-7.
- 19. Edelman R, Tacket CO, Wasserman SS, et al. Phase II safety and immunogenicity study of live Chikungunya virus vaccine TSI-GSD-218. Am J Trop Med Hyg 2000 ; 62 : 681-5.
- 20. Institut National de Veille Sanitaire. Épidémie de Chikungunya à la Réunion/Océan Indien. Point de situation au 24 février 2006. http://www.invs.sante.fr/presse/2006/ le_point_sur/chikungunya_240206/index.html