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Les virus sont-ils des êtres vivants ? Cette question a longtemps agité les milieux scientifiques, car elle soulevait celle de la définition même de la vie. Seuls, les virus ne sont rien et ne peuvent se reproduire. Mais leur utilisation du matériel et du métabolisme de la cellule hôte permet leur multiplication et, partant, leur propagation. Deux virus font aujourd’hui la « une » de l’actualité, le virus H5N1, responsable de la grippe aviaire, et le virus Chikungunya, qui sévit à la Réunion et dans d’autres îles de l’océan indien. Ils éclipseraient presque dans les médias le virus du sida ou celui de la grippe « ordinaire », pourtant responsables d’une morbimortalité incommensurablement plus lourde aujourd’hui. Tous deux néanmoins, H5N1 et Chikungunya, mobilisent les autorités et structures sanitaires à des titres divers et selon des modalités spécifiques. Enrayer la dissémination et contrôler les cas atteints sont les objectifs à atteindre.
Le virus H5N1, mutant pathogène responsable d’une épizootie quasi exclusivement aviaire à ce stade, engendre la panique car il rappelle des épisodes tragiques dus à son « ancêtre » H1N1, de la pandémie de grippe espagnole responsable de plus de 20 millions de morts dans le monde au sortir de la grande guerre jusqu’à la pandémie plus récente de 1977. Si, à ce stade, la transmission directe des oiseaux à l’homme est restée limitée (une centaine de cas environ) et que sa transmission à quelques chats est avérée mais, semble-t-il, pas toujours mortelle, le virus est un double sujet de préoccupation ((→) m/s 2005, n° 12, p. 1011).
Économique et social d’abord, dès aujourd’hui ; sanitaire ensuite, demain peut-être. La crainte, légitime, de la survenue d’une pandémie humaine qui serait la conséquence de nouvelles mutations ou de recombinaisons du virus, par exemple avec celui de la grippe banale, permettant une transmission interhumaine est dans l’esprit de tous ; elle justifie que des mesures adéquates soient prises pour, le cas échéant, y faire face le plus efficacement possible. Il va de soi que tous les pays ne seront pas égaux devant la mise en place de ces mesures, qui requièrent une logistique rigoureuse pour limiter la transmission et procéder à l’administration d’antiviraux. Si une telle pandémie survenait, les pays aux structures sanitaires précaires paieraient, encore plus que d’autres, un lourd tribut.
La réalité d’aujourd’hui est que les conséquences économiques de l’épizootie aviaire sont, d’ores et déjà, considérables : des milliers de petites exploitations rurales ont été laminées dans le sud-est asiatique, la filière aviaire des pays européens est alarmée par la chute de la consommation et l’effondrement des exportations.
La situation est radicalement différente pour l’épidémie d’infections dues au virus Chikungunya ((→) m/s 2006, n° 4, p. 444).
Cet arbovirus de la famille des Togaviridie a pour vecteur les moustiques du genre Aedes, en particulier ae. Albopictus, dont les larves pullulent dans les eaux stagnantes. Le virus circule surtout en Afrique de l’Est, en Asie du Sud-Est et dans le sous-continent indien. Environ 4 à 7 jours après la piqûre de moustique infectante, une fièvre élevée apparaît brutalement. S’y associent alors typiquement d’importantes douleurs articulaires et musculaires touchant les extrémités des membres (poignets, chevilles, phalanges) et responsables d’une impotence fonctionnelle (Chikungunya signifie « marcher courbé » en swahili), des oedèmes, des céphalées et, parfois, une éruption cutanée. Des hémorragies bénignes à type d’épistaxis et de gingivorragies peuvent survenir, surtout chez l’enfant. Si l’évolution spontanée de la maladie est le plus souvent favorable, des formes chroniques existent, caractérisées par des arthralgies persistantes, récidivantes et parfois invalidantes. Aucun cas mortel avéré d’infection à Chikungunya n’a été rapporté lors des épidémies précédentes. La prise en charge thérapeutique repose essentiellement sur la prescription d’anti-inflammatoires non stéroïdiens afin de soulager les douleurs. Le virus a également été isolé chez d’autres mammifères vertébrés, qui jouent le rôle d’hôte naturel ou de réservoir (rongeurs, primates…).
Connue depuis plus de cinquante ans, cette maladie a évolué par épidémies survenant très généralement dans des pays à l’infrastructure médicale modeste. Sa survenue aux Comores au début de l’année 2005, puis à l’île Maurice, aux Seychelles, à Mayotte et à la Réunion au printemps 2005 change la donne. Avec la Réunion, c’est la première fois qu’un pays tropical de haut niveau de développement, jusque-là semble-t-il indemne du virus, est touché. L’histoire naturelle de la maladie est donc en train de s’écrire. À ce jour, on estime à près de deux cent mille le nombre de cas, dont une centaine mortels, sur la seule île de la Réunion. Les Comores et Madagascar semblent indemnes de nouveaux cas depuis le début 2006. L’absence de vaccin ou de traitement préventif fait reposer les mesures de contrôle sur la lutte antivectorielle et la lutte communautaire destinée à éliminer les gîtes de larves. Les mesures de prévention individuelle contre les piqûres de moustique sont essentielles et se heurtent, semble-t-il, à des difficultés économiques, pulvérisations et crèmes répulsives étant onéreuses pour la population.
Dans ces deux cas d’infection virale, si dissemblables dans leurs modalités et leurs enjeux, les autorités sanitaires sont donc sur la brèche. Fournir les moyens matériels nécessaires, organiser la prévention et la veille, coordonner les recherches et l’information, prévoir la dispensation de médicaments sont des actions indispensables pour faire face à ces maladies émergentes. Dans cette lutte aussi, le défaut de réactivité est souvent le maillon faible.