On cite souvent la fameuse phrase d’André Malraux :« Le xxie siècle sera spirituel ou ne sera pas » ; peut-être faut-il envisager de la paraphraser en disant que le xxie siècle humain sera anti-infectieux, ou ne sera pas… humain. Les pandémies virales émergentes font évidemment la une de l’actualité, avec les exemples récents du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) ou de la grippe aviaire. Ce serait un peu vite oublier les bonnes vieilles bactéries. En effet, on assiste simultanément à une croissance rapide des résistances bactériennes aux antibiotiques et à la raréfaction de la découverte de nouvelles molécules capables de les combattre, sans parler des vaccins sans cesse promis et retardés : ainsi, 60 % des infections nosocomiales caractérisées dans les hôpitaux américains sont résistantes à la méticilline, apparue en 1980, et 25 % à la vancomycine, apparue en 1988. Sur un peu plus de 500 produits proches de recevoir une autorisation de mise sur le marché par la Food and Drug Administration (FDA) américaine, 6 seulement concernent les maladies infectieuses, tous dérivés de molécules existantes [1]. Plus inquiétant encore, seules deux nouvelles classes d’antibiotiques, l’oxazolidinone et la daptomycine, ont reçu une autorisation de délivrance au cours des 20 dernières années. C’est peu pour la deuxième cause de mortalité tous pays confondus, et troisième cause de mortalité dans les pays développés. La convergence de problèmes économiques et scientifiques explique ce phénomène mondialisé. Le domaine des médicaments anti-infectieux illustre à merveille les limites du marché lorsqu’il s’agit de répondre à une demande qui, si elle est essentielle, est peu profitable, surtout pour une industrie habituée aux forts rendements. Le modèle actuellement dominant des blockbusters, ces produits qui fournissent un chiffre d’affaires (CA) annuel supérieur à 1 milliard de dollars, oriente les grands groupes pharmaceutiques vers les maladies chroniques des pays développés : arthrose et maladies rhumatismales, obésité et maladies du métabolisme… En comparaison, les infections présentent tous les défauts dont le pire, versant CA, est que le traitement les guérit ! Pour compenser la faible durée de prescription, la compagnie cherchera une molécule à spectre d’activité large, susceptible de couvrir une population plus importante. Cependant, revers de la médaille, plus le spectre est large, plus la résistance apparaît rapidement, diminuant d’autant la durée de vie du médicament. De plus, et nous l’avons expérimenté en France avec la campagne de la Caisse nationale d’assurance-maladie « Les antibiotiques, c’est pas automatique », les médecins du monde entier sont incités à limiter l’usage des antibiotiques pour tenter de contenir les résistances, et donc à limiter la taille du marché. Une limitation qui ne concerne, hélas, que l’homme, car on constate en parallèle une croissance du marché vétérinaire qui représente à présent la moitié du CA du secteur : porcs, volailles ou poissons reçoivent désormais une quantité importante d’antibiotiques dans leur alimentation. Pour maintenir la rentabilité des élevages, les coûts de traitement doivent rester faibles, ce qui crée un nouveau cercle vicieux d’inflation de leur usage, et crée en conséquence un nouveau secteur d’émergence des résistances. Comme s’il n’y suffisait déjà pas, un autre effet pervers s’ajoute au tableau : l’inadaptation de la réglementation des essais cliniques aux problèmes spécifiques des résistances. De façon générale, un nouveau médicament doit toujours être comparé aux médicaments existants, et, dans le cas spécifique des anti-infectieux, prouver qu’il est d’efficacité au moins égale. Si les caractéristiques générales de résistance in vitro suffisent à inclure un patient dans un essai, les exigences des Agences en terme de méthodologie constituent un frein non négligeable. Il existe pourtant des niches étroites de prescription dans lesquelles la réalisation d’essais …
Appendices
Références
- 1. Spellberg B, Powers JH, Brass EP, et al. Trends in antimicrobial drug development : implications for the future. Clin Infect Dis 2004 ; 38 : 1279-86.
- 2. http://www.dndi.org/