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Lorsque son niveau de pression sonore dépasse 80 ou 85 décibels (dB), le bruit peut endommager, de façon irréversible, les structures de l’oreille interne ((→) m/s 2005, n° 5, p. 546).

Pour des niveaux sonores extrêmes, tels qu’on les observe dans les explosions, l’énergie mécanique peut provoquer des dégâts de l’oreille moyenne (déchirure du tympan, luxation des osselets), mais également de l’oreille interne. Pour comprendre l’impact de l’énergie sonore sur l’oreille, il faut en décrire très schématiquement le fonctionnement (pour plus d’information, voirwww.iurc.montp.inserm.fr/ cric/audition).

Comment fonctionne l’oreille ?

La partie visible de l’oreille (Figure 1), le pavillon, a pour rôle de concentrer les sons vers le conduit auditif externe tout en évitant, par exemple, le bruit provoqué par les turbulences de l’air. Au fond du conduit auditif externe, dont la longueur est de l’ordre de 2,5 cm[1], le tympan transforme les vibrations de l’air en vibrations mécaniques. Soudé au tympan, le manche du marteau transmet ses vibrations à l’enclume, puis à l’étrier. Ces trois osselets ont une fonction d’amplificateur ou d’atténuateur (par la contraction des muscles qui y sont attachés) des vibrations qui aboutissent à la platine de l’étrier. Celle-ci agit comme un piston qui transmet, à travers la fenêtre ovale, les vibrations mécaniques de l’oreille moyenne en vibrations liquidiennes qui seront perçues par les cellules de la cochlée. La cochlée, ou limaçon, est l’élément sensoriel auditif proprement dit. Avec le vestibule, organe participant à l’équilibre, la cochlée constitue l’oreille interne, organe fragile enfoui dans l’os le plus dur du corps humain : le rocher.

Figure 1

Coupe schématique de l’oreille.

Coupe schématique de l’oreille.

1 : marteau ; 2 : enclume ; 3 : étrier.

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La cochlée, enroulée sur deux tours et demi de spire, est séparée longitudinalement, par l’intremédiaire de deux membranes (la membrane basilaire, qui supporte l’organe de Corti, et la membrane de Reissner) en trois compartiments remplis de liquide, l’endolymphe, riche en K+ et dépourvue de Na+, dans le canal cochléaire, et la périlymphe, dans les rampes tympanique et vestibulaire. L’organe de Corti comporte, outre les cellules de soutien, environ 16 000 cellules sensorielles réparties sur quatre rangées : trois rangées de cellules ciliées externes et une rangée de cellules ciliées internes. Les cellules ciliées internes sont les véritables cellules sensorielles : elles possèdent à leur pôle basal des synapses avec les premiers neurones, rassemblés dans le nerf auditif qui, par des voies de conduction plus ou moins croisées, aboutit au cortex temporal. Les cellules ciliées externes ont une activité contractile régulée par des fibres centripètes (voies efférentes). Lorsque la vibration sonore est transmise à la membrane basilaire, les canaux ioniques localisés sur les cils des cellules ciliées s’ouvrent, produisant une dépolarisation membranaire, responsable à son tour de la stimulation synaptique à l’origine de l’influx nerveux. Comme la membrane basilaire possède, dans le sens de sa longueur, une capacité à résonner différente selon la fréquence des vibrations, l’ensemble se comporte en analyseur de fréquences : les sons aigus étant perçus par la base de la cochlée, les graves par son apex. Les cellules ciliées externes, de par leur fonction motrice, ont la capacité d’amplifier les sons de très faible intensité ; elles réalisent un filtrage fréquentiel dont la largeur de bande peut atteindre 1/200e d’octave.

À cette extrême sensibilité des structures de l’oreille interne correspond une certaine fragilité, notamment des cils qui, soumis à des forces sonores de l’ordre de 120 dB, répondent par des battements dont l’amplitude atteint le tiers de leur longueur. Aussi, les traumatismes sonores peuvent-ils casser les cils des cellules, aboutissant, si les intensités sonores sont suffisantes ou si la contrainte correspondante dure trop longtemps, à la destruction cellulaire. Il n’existe pas, chez l’homme, de régénération naturelle des cellules ciliées détruites : l’atteinte est irréversible.

Le « risque bruit » en chiffres

D’après les données de l’enquête Sumer (surveillance médicale des risques professionnels) 2003, dont les résultats ont été publiés en décembre 2004, près de 7 % des salariés sont exposés à des niveaux de bruit dépassant le seuil de 85 dBA pendant au moins 20 heures par semaine, ou à de nombreuses impulsions ou chocs sonores [1]. Ces bruits, qualifiés de nocifs, sont susceptibles de provoquer une atteinte auditive. Dans l’industrie, 18 % des salariés sont exposés à des bruits nocifs, répartis inégalement selon les secteurs : 37 % dans le secteur du bois-papier, 12 % dans l’agriculture et le bâtiment, et moins de 3 % dans le secteur tertiaire. Ce sont les intérimaires qui sont les plus exposés (20 %), mais il faut dire que les 2/3 d’entre eux travaillent dans l’industrie ou le bâtiment. Les hommes sont cinq fois plus souvent exposés à des bruits nocifs que les femmes (Tableau 1).

Tableau I

Pourcentages de salariés exposés à des bruits nocifs (bruits de niveaux supérieurs à 85 dBA ou soumis à des chocs acoustiques pendant plus de 20 heures par semaine) selon les secteurs d’activité découpés en 36 classes (INSEE/NAF 36).

Pourcentages de salariés exposés à des bruits nocifs (bruits de niveaux supérieurs à 85 dBA ou soumis à des chocs acoustiques pendant plus de 20 heures par semaine) selon les secteurs d’activité découpés en 36 classes (INSEE/NAF 36).

La colonne « Sans EPI » (équipement de protection individuelle) donne le pourcentage, parmi les salariés exposés à des bruits nocifs, de ceux auxquels aucun protecteur auditif n’est proposé. *Secteur d’activité partiellement couvert par SUMER ; ns : non significatif. (source : enquête SUMER 2003 [DRT - DARES]).

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À côté de l’exposition professionnelle, les fréquences et niveaux d’exposition au bruit des loisirs sont assez mal connus. Pour ce qui est des bruits potentiellement traumatisants, citons le bricolage (outils électriques), le tir, la moto à grande vitesse, le sport automobile, la pratique de la musique… et, bien sûr, l’écoute ou la pratique de la musique amplifiée. D’après le Medical research council, 600 000 personnes sont, en Grande-Bretagne, exposées à un risque auditif lié à la musique amplifiée. Par ordre d’importance décroissante, ces risques proviennent des concerts de rock/variétés, de l’écoute intensive du baladeur et de la fréquentation régulière des discothèques [2]. En France, d’après une enquête réalisée pour la Journée nationale de l’audition, 5 millions de Français sont concernés par la malentendance, dont 2 millions ont moins de 55 ans.

Comment mettre ce risque en évidence ?

Nous avons vu dans un précédent article que la sonométrie permet d’évaluer un risque auditif a priori, mais l’examen de la fonction auditive des sujets exposés est nécessaire dès qu’un doute apparaît. Le dépistage des atteintes s’effectue par audiométrie tonale, qui consiste à mesurer la sensibilité de l’oreille à différents sons purs. L’audiométrie de haute résolution (Békésy ou Audioscan), qui permet de repérer précocement des atteintes limitées à une plage de cellules ciliées, constitue une aide précieuse pour prévenir leur aggravation [3]. Les atteintes audiométriques liées aux traumatismes sonores se manifestent généralement par une encoche centrée sur 3, 4 ou 6 kHz. Plus les traumatismes sonores sont intenses ou répétés, plus ces encoches augmentent en largeur et en profondeur, indiquant une plus grande destruction de cellules ciliées dans cette zone fréquentielle, la plus fragile de l’oreille (Figure 2).

Figure 2

Encoche audiométrique étroite.

Encoche audiométrique étroite.

L’encoche audiométrique nettement visible sur l’oreille gauche (OG) est le premier signe d’une atteinte discrète limitée à cette oreille chez une violoniste de 26 ans. La courbe continue (Audioscan) apporte ici une quantité d’information intéressante en dépistage. En grisé : zone d’audition normale.

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Actuellement, les salariés exposés à des bruits nocifs (à partir de 85 dBA, Leq de 8h) sont soumis à une surveillance médicale renforcée par la médecine du travail, qui doit effectuer des audiogrammes selon une fréquence dépendant du niveau sonore[2].

Pour les autres sujets, non salariés, exposés au bruit, il n’existe pas de système de surveillance auditive systématique et il est utile de connaître les signes de souffrance auditive ou d’alerte : fatigue auditive, acouphènes et difficultés de compréhension en milieu bruyant. La fatigue auditive (en anglais : TTS[3]) est une impression d’oreille cotonneuse qui disparaît normalement en quelques heures ou jours. Elle témoigne d’une difficulté des premières synapses à régénérer leur potentiel enzymatique. Si ce phénomène dure plus d’une semaine, une atteinte définitive des cellules ciliées est probable. Les acouphènes sont, dans ce contexte, des sifflements d’oreilles de bande étroite, de tonalité aiguë, qui eux aussi doivent disparaître en quelques heures ou jours. Leur origine se situe dans l’oreille interne et ils ont la même signification que la fatigue auditive. Dans ces situations, il est prudent de consulter un spécialiste et d’effectuer un audiogramme.

L’atteinte des cellules ciliées ne se limite pas à une diminution de la sensibilité mais, puisqu’elles participent à la discrimination des sons et notamment des différentes fréquences (filtrage), se manifeste souvent par une diminution de la compréhension de la parole. Cette fonction est évaluée par l’audiométrie vocale qui consiste à mesurer le pourcentage de mots reconnus à différents niveaux d’émission sonore. Cet examen n’est pas (ou très rarement) effectué en dépistage, malgré son grand intérêt, notamment s’il est effectué en milieu bruyant.

Le point sur un facteur de confusion : l’âge

Comme toutes les fonctions de l’organisme, l’audition est soumise à l’effet du vieillissement, la presbyacousie. La norme ISO 7029, récemment révisée, donne des équations (modèles quadratiques) permettant de calculer la perte auditive en fonction de l’âge et du sexe, pour une certaine fréquence et un percentile donné. Ces données, insuffisamment connues en France, proviennent d’une trentaine d’études, dont deux françaises, effectuées sur des populations otologiquement normales[4]. Les courbes audiométriques qui en résultent devraient servir de références pour l’interprétation des anomalies audiométriques observées chez un patient d’âge et de sexe donnés (Figure 3). Ainsi, l’effet de traumatismes sonores peut-il parfois se manifester sous la forme d’un vieillissement accéléré de l’audition, notamment dans les hautes fréquences (Figure 4).

Figure 3

Audiogrammes de référence chez l’homme.

Audiogrammes de référence chez l’homme.

Ces audiogrammes ont été tracés à partir des équations données dans la norme ISO 7029. Les courbes bleues correspondent aux tracés médians. Les courbes rouges correspondent aux audiogrammes des 10 % les plus sourds de la population de référence otologiquement normale. Les audiogrammes de la population féminine (non tracés ici) montrent que les femmes résistent mieux à la presbyacousie. Schématiquement, leurs courbes audiométriques correspondent à celles des hommes ayant dix ans de plus.

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Figure 4

Presbyacousie et traumatismes sonores.

Presbyacousie et traumatismes sonores.

La courbe A (oreille droite) est celle d’un compositeur de 67 ans comparée aux valeurs de référence pour cet âge (en grisé). S’il avait eu 20 ans de moins (courbe B), sa courbe audiométrique aurait été nettement anormale. La courbe C est celle d’une danseuse de modern-jazz de 46 ans. Le calcul de l’indicateur de surdité professionnelle n’a pas permis de déclarer une surdité professionnelle (26 dB sur la meilleure oreille) alors qu’il atteint 36 dB selon la nouvelle formule de calcul.

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Évolution récente de la prévention et ses conséquences

La prévention contre le « risque bruit » prend trois formes : la prévention primaire (limitation des niveaux sonores), la prévention médicale et l’effet dissuasif, conséquence de la compensation des surdités professionnelles.

Nous avons déjà évoqué la réglementation française destinée à protéger les salariés. Une directive européenne de 2003, non encore transposée en droit français, doit entrer en application le 15 février 2006[5]. Cette directive abaisse le niveau déclenchant l’action à 80 dBA (Leq 8h), c’est-à-dire que des mesures de prévention technique devront être planifiées et que les salariés « pourront bénéficier d’une surveillance audiométrique » jusqu’ici seulement obligatoire à partir de 85 dBA. Par ailleurs, le niveau limite de 90 dBA sera abaissé à 87 dBA, ce qui signifie que l’énergie acoustique devra être divisée par deux. Enfin, ces dispositions devront explicitement être appliquées au monde des loisirs, y compris aux professionnels du spectacle, à partir de février 2008 ; cela ne devrait pas être simple à obtenir.

Les modalités de reconnaissance des surdités professionnelles sont décrites dans le Tableau n° 42[6] des maladies professionnelles, révisé fin 2003[7]. Avant cette date, le critère de gravité de l’atteinte auditive reposait sur un indice « calculé en divisant par 10 la somme des déficits mesurés sur les fréquences 0,5, 1, 2 et 4 kHz, pondérés respectivement par les coefficients 2, 4, 3 et 1 », cet indice devant « faire apparaître au minimum sur la meilleure oreille un déficit moyen de 35 dB ». Cet indicateur, donnant plus de poids aux fréquences conversationnelles, était représentatif du handicap, de la « socio-acousie ». Un peu moins de 1 000 surdités professionnelles sont reconnues en France chaque année, ce qui représente un budget d’indemnisation de l’ordre de 100 millions d’Ð, intégralement couvert par les cotisations sociales des employeurs, qui sont calculées selon un système équivalent au bonus-malus.

Depuis fin 2003, l’« atteinte auditive provoquée par les bruits lésionnels » repose sur la concordance d’examens audiométriques tonaux et vocaux devant être « réalisés en cabine insonorisée, avec un audiomètre calibré ». Mais la modification la plus importante concerne le mode de calcul de l’indicateur qui devient la simple moyenne arithmétique des seuils tonaux à 0,5, 1, 2 et 4 kHz. Cette suppression des coefficients revient à multiplier par 2,5 le poids du déficit à 4 kHz qui, nous l’avons vu, est très sensible aux effets du vieillissement, même en dehors de toute exposition au bruit. La Figure 5 montre clairement les conséquences de ce nouveau mode de calcul qui, ajouté à l’allongement de la durée d’activité, risque d’entraîner une augmentation considérable du nombre des surdités professionnelles indemnisées. Aucune statistique n’est encore disponible, mais il est prévisible que ce nombre atteindra 4 000 cas par an, ce qui posera un nouveau problème en termes d’économie de la santé.

Figure 5

Effet du nouveau mode de calcul de l’indicateur de surdité professionnelle.

Effet du nouveau mode de calcul de l’indicateur de surdité professionnelle.

En utilisant les modèles de la norme ISO 7029, on peut tracer les courbes prévisibles d’évolution de la surdité uniquement liée à l’âge (presbyacousie). Ces courbes sont des arcs de paraboles puisque l’âge intervient au carré. Les courbes grises correspondent à celles de l’indicateur de surdité professionnelle calculé selon l’ancienne formule pondérée ; les courbes bleues sont celles du nouvel indicateur dans lequel le seuil à 4 kHz prend une importance relative plus grande. Or, la presbyacousie se manifeste par une atteinte plus marquée des fréquences aiguës. Les deux courbes inférieures représentent l’évolution médiane ; on voit immédiatement que l’indicateur, quel que soit son mode de calcul, restera inférieur à 25 dB. En revanche, sur les deux courbes du dessus, qui représentent l’évolution de l’audition des 10 % les plus sourds d’une population otologiquement normale (sujets non exposés au bruit), l’indicateur calculé selon la nouvelle formule atteint 35 dB chez les hommes aux alentours de 64 ans (selon l’ancienne formule, il n’aurait atteint ce seuil qu’au-delà de 70 ans). Ceci signifie que 10 % de la population masculine non exposée au bruit pourra atteindre le seuil de reconnaissance d’une surdité professionnelle à partir de 64 ans. Pour peu qu’ils soient porteurs d’une encoche auditive centrée sur 4 kHz (comme sur la courbe A de la Figure 4) et qu’ils travaillent en milieu bruyant, ils pourront prétendre à la compensation de leur hypoacousie.

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Conclusions

Que ce soit dans la vie professionnelle ou dans le monde des loisirs, les niveaux de bruit excessifs sont susceptibles de provoquer des lésions irréversibles de l’oreille conduisant à une surdité partielle. Les réglementations européennes et nationales évoluent vers une meilleure prévention de ce risque ; elles doivent cependant rester réalistes face à des contraintes techniques et économiques qui conduisent à des compromis parfois difficiles à accepter quand ils concernent la santé.