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Un très grand nombre d’ARN non traduits en protéines, généralement désignés sous le terme d’ARN non codants (ou ARNnc), ont récemment été identifiés aussi bien chez les eucaryotes que chez les procaryotes. Alors que la fonction de la majorité d’entre eux reste énigmatique, certains sont impliqués dans des mécanismes moléculaires fondamentaux tels que l’organisation et la stabilité des génomes, le contrôle transcriptionnel et post-transcriptionnel de l’expression des gènes, la régulation de la traduction et l’activité des protéines [1]. Leur implication dans des pathologies humaines commence aussi à émerger, avec notamment les ARN de la télomérase et de l’endonucléase MRP impliqués respectivement dans la dyskératose congénitale et la chondrodysplasie métaphysaire récessive ou les microARN dans les processus d’oncogenèse…
Les ARN C/D représentent une grande famille d’ARNnc comprenant environ une centaine de membres identifiés à ce jour chez les mammifères. La plupart des ARN C/D interagissent avec d’autres ARN cellulaires et dirigent l’ajout d’une méthylation en 2’-O-ribose sur certaines positions nucléotidiques. La reconnaissance de l’ARN cible se fait grâce à de longs segments antisens situés en amont d’un motif consensus retrouvé chez tous les ARN C/D, appelé boîte D (ou D’). La formation des appariements ARN C/D-ARN cible exerce un rôle de guides en spécifiant de manière très précise le nucléotide à modifier. En effet, le nucléotide modifié sur l’ARN cible est toujours apparié au 5e nucléotide en amont de la boîte D/D’ (Figure 1A). Chez les eucaryotes, ces petits ARN s’accumulent dans deux compartiments distincts du noyau : d’une part, dans le nucléole au sein duquel ils modifient l’ARN ribosomique (ARNr) et le snARN U6 du splicéosome (on parle de small nucleolar ARN, snoARN) ; d’autre part, dans les corps de Cajal au sein duquel ils modifient les snARN U1, U2, U4, U5 du splicéosome (on parle de small cajal specific ARN, scaARN). La fonction des groupements méthyles reste encore mal comprise mais de telles modifications chimiques, en modulant la structure de l’ARN cible, pourraient réguler la fonction des ribosomes et du splicéosome [2, 3].
Chez l’homme, le locus 15q11-q13 est soumis à l’empreinte génomique parentale, un phénomène épigénétique qui se traduit par une expression mono-allélique de certains gènes en fonction de l’origine parentale du chromosome qui les porte [4]. Cette portion du chromosome 15 héberge le gène UBE3A actif sur l’allèle maternel ainsi que MKRN3, Magel2, NDN, SNURF-SNRPN, les gènes des ARN C/D (notamment HBII-85 et HBII-52 répétés en tandem) qui, eux, ne sont exprimés uniquement qu’à partir de l’allèle paternel (Figure 1B). Les gènes des ARN C/D affichent un profil d’expression spécifique de certains tissus avec une forte expression dans le cerveau. Par ailleurs, ces ARN C/D ne présentent pas de complémentarités évidentes avec les ARNr ou les snARN du splicéosome. Ce sont des « ARN C/D orphelins » dont les ARN cibles restent à identifier [5].
La portion chromosomique 15q11-q13 est associée à une maladie orpheline : le syndrome de Prader-Willi (PWS) qui se caractérise par de multiples phénotypes complexes dont, notamment, une hypotonie néonatale, des difficultés d’apprentissage et de graves troubles du comportement comme la recherche permanente de nourriture, qui conduit dans la plupart des cas à une obésité sévère [6]. La majorité des patients PWS (75-80 %) présente une large délétion paternelle de la portion 15q11q13 indiquant que la perte de l’expression d’un (ou de plusieurs) gène(s) exprimés à partir de l’allèle paternel joue un rôle majeur dans l’apparition de cette maladie. À ce jour, l’identité formelle de ce (ces) gène(s) est inconnue. L’étude de patients PWS présentant de rares réarrangements chromosomiques ainsi que celle de modèles murins de cette pathologie ont néanmoins permis la caractérisation d’une région génomique minimale susceptible de contenir un (des) gène(s) candidat(s). À ce jour, dans l’intervalle incriminé qui est situé entre le gène SNRPN et ceux de l’ARN HBII-52, les seuls gènes identifiés sont les gènes des ARN C/D HBII-85 (Figure 2B). En conséquence, bien que la fonction de HBII-85 reste à élucider, la perte de l’expression de cet ARN C/D pourrait être à l’origine de l’apparition du syndrome de Prader-Willi [4, 7-9].
De manière remarquable, l’ARN C/D HBII-52 possède une longue complémentarité conservée de 18 nt avec un ARN messager spécifique du cerveau codant pour un récepteur de la sérotonine : le variant 5-HT2c [5]. Ce récepteur transmembranaire – couplé à la protéine G – est impliqué notamment dans le contrôle de l’appétit et de l’humeur. Le pré-ARNm 5-HT2c subit 5 événements d’édition de type « A vers I » qui transforment de manière sélective 5 adénosines en inosines (Figure 2). Au cours de la traduction, les inosines sont reconnues par le ribosome comme des guanosines. Par conséquent, l’information génétique contenue dans l’ARNm édité diffère de celle d’un ARNm non édité. Ces événements d’édition ne sont pas neutres mais permettent la production à partir d’un même gène de divers isoformes protéiques présentant différentes affinités de couplage avec la protéine G (pour revue, voir [10]). Étonnamment, le nucléotide potentiellement 2’-O-methylé par HBII-52 est précisément l’un des sites d’édition - le site C - qui joue un rôle crucial dans la transduction du signal par la sérotonine [11] (Figure 2A). Bien qu’une preuve formelle in vivo de la fonction de HBII-52 reste à établir, nous avons récemment montré que l’expression de ce petit ARN inhibe spécifiquement la désamination de l’adénosine au site C [12]. Ainsi, nous proposons que HBII-52 réduit l’efficacité de l’édition à ce site et module ainsi les propriétés de couplage du récepteur (Figure 2B). L’ARN C/D HBII-52 n’apparaît pas jouer un rôle majeur dans l’étiologie du syndrome PW puisque des individus portant une délétion paternelle couvrant la totalité des gènes HBII-52 ne présentent aucun symptôme clinique évident [13] En revanche, il n’est pas formellement exclu que la perte de sa fonction, associée à celle d’un autre gène du locus 15q11q13 (HBII-85, par exemple), contribue aussi à certains aspects du syndrome de PW.
Appendices
Références
- 1. Huttenhofer A, Schattner P, Polacek N. Non-coding RNAs: hope or hype? Trends Genet 2005 ; 21 : 289-97.
- 2. Kiss T. Small nucleolar RNAs: an abundant group of noncoding RNAs with diverse cellular functions. Cell 2002 ; 109 : 145-8.
- 3. Kiss T. Biogenesis of small nuclear RNPs. J Cell Sci 2004 ; 117 : 5949-51.
- 4. Reik W, Walter J. Genomic imprinting: parental influence on the genome. Nat Rev Genet 2001 ; 2 : 21-32.
- 5. Cavaille J, Buiting K, Kiefmann M, et al. Identification of brain-specific and imprinted small nucleolar RNA genes exhibiting an unusual genomic organization. Proc Natl Acad Sci USA 2000 ; 97 : 14311-6.
- 6. Nicholls RD, Knepper JL. Genome organization, function, and imprinting in Prader-Willi and Angelman syndromes. Annu Rev Genomics Hum Genet 2001 ; 2 : 153-75.
- 7. Ding FY, Prints MS, Dhar DK, et al. Lack of Pwcr1/MBII-85 snoRNA is critical for neonatal lethality in Prader-Willi syndrome mouse models. Mamm Genome 2005 ; 16 : 424-31.
- 8. Gallagher RC, Pils B, Albalwi M, et al. Evidence for the role of PWCR1/HBII-85 C/D box small nucleolar RNAs in Prader-Willi syndrome. Am J Hum Genet 2002 ; 71 : 669-78.
- 9. Schule BM, Albalwi E, Northrop DI, et al. Molecular breakpoint cloning and gene expression studies of a novel translocation t(4;15)(q27;q11.2) associated with Prader-Willi syndrome. BMC Med Genet 2005 ; 6 : 18.
- 10. Bass BL. RNA editing by adenosine deaminases that act on RNA. Annu Rev Biochem 2002 ; 71 : 817-46.
- 11. Burns CM, Chu H, Rueter SM, et al. Regulation of serotonin-2C receptor G-protein coupling by RNA editing. Nature 1997 ; 387 : 303-8.
- 12. Vitali P, Basyuk E, Le Meur E, et al. ADAR2-mediated editing of RNA substrates in the nucleolus is inhibited by C/D small nucleolar RNAs. J Cell Biol 2005 ; 169 : 745-53.
- 13. Runte MR, Varon D, Horn B, et al. Exclusion of the C/D box snoRNA gene cluster HBII-52 from a major role in Prader-Willi syndrome. Hum Genet 2005 ; 116 : 228-30.