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Une de plus…
La liste des espèces animales clonées continue à s’allonger. Début août, voici venu le tour du « meilleur ami de l’homme » avec Snuppy, dont le clonage à partir de cellules d’un lévrier afghan est relaté dans un récent article de Nature [1]. Ce succès arrive après beaucoup d’efforts et d’échecs : le chien a fait l’objet de nombreuses tentatives et s’est révélé singulièrement récalcitrant à la reproduction par transfert nucléaire. On se souvient peut-être du Missiplicity Project, lancé dès 1997 à l’université du Texas : il avait pour but le clonage d’une chienne appelée Missy, était financé par ses maîtres ainsi que par un investisseur, John Sperling, et était mené par le physiologiste Mark Westhusin. C’est de ce projet que devait naître Genetic Savings and Clone[1] qui, comme d’autres start-ups du secteur, a fait du stockage de prélèvements d’ADN animal son activité principale mais a réussi, en 2002, le premier clonage d’un chat [2]. L’entreprise a depuis effectué plusieurs clonages à la demande et a récemment réduit ses tarifs – qui restent élevés : 32 000 $ pour obtenir le jumeau génétique de votre minou préféré…
Le chien résiste
Pour le chien, les efforts de Westhusin et de Genetic Savings and Clone ne devaient pas aboutir : ce clonage s’avérait particulièrement difficile, alors qu’au fil des années apparaissaient des clones de souris, vaches, chèvres, porcs, lapins… Les raisons de ce retard sont multiples. La principale est que l’ovulation, chez la chienne, n’a lieu qu’une ou deux fois par an, et qu’on ne sait pas la provoquer par stimulation hormonale : il faut dès lors entretenir plusieurs centaines d’animaux pour disposer en permanence d’ovules. Il est certes possible d’en obtenir à partir d’ovaires provenant de chiennes castrées, mais ils sont immatures et donc inutilisables car, contrairement à la plupart des autres mammifères, la maturation des ovules canins a lieu dans l’oviducte durant les trois ou quatre jours qui suivent l’ovulation. Il faut aussi être sûr que des femelles soient prêtes à recevoir les embryons obtenus par transfert nucléaire, ce qui renforce la nécessité d’une colonie canine – dont le maintien dans des conditions sanitaires correctes est très coûteux. Difficulté supplémentaire, les ovules sont opaques, chargés de lipides sombres qui rendent les opérations d’énucléation et d’injection très délicates. Enfin, et paradoxalement, la physiologie du chien est relativement mal connue par rapport à celle d’animaux d’élevage comme la vache ou le porc, tandis que son statut d’animal de compagnie accroît la sensibilité du public et rend inacceptables des accidents (comme la naissance de nombreux clones anormaux) plus facilement tolérés pour des souris ou des chèvres. Toujours est-il que Missy devait mourir de vieillesse en 2002 sans que l’équipe de recherche ait réussi à mener un embryon cloné à terme [3]. Le projet Missiplicity est toujours présent sur le site Internet de Genetic Savings and Clone, mais il semble bien être en sommeil.
Les raisons d’un succès
Comme pour le clonage thérapeutique humain, la surprise vient donc de Corée. C’est en fait la même équipe, ou presque : plusieurs des auteurs, dont le chef d’orchestre Woo Sul Hwang (Université nationale de Séoul, Corée du Sud) et le référent américain Gerald Schatten (Université de Pittsburg, Pennsylvanie, États-Unis) étaient déjà signataires de l’article de mai 2005 sur l’obtention de lignées de cellules souche ES à partir d’embryons clonés [4], milestone s’il en est dans ce domaine. La réalité du présent clonage n’est pas discutable : le contrôle de l’identité génétique entre clone et cloné par analyse des microsatellites est impeccable, et les images de Snuppy à côté de son « père » (en fait, son jumeau décalé dans le temps) et de sa mère porteuse sont éloquentes (Figures 1 et 2). Pourquoi donc les Coréens ont-ils réussi là où tous les autres ont échoué ? Comme pour le clonage thérapeutique humain, il semble que leur succès repose sur un travail acharné et à grande échelle ainsi que sur quelques améliorations techniques, et qu’il a peut-être été facilité par des exigences moins sévères sur le plan éthique[2]. L’article indique que les ovules non fécondés ont été obtenus à partir de femelles en chaleur par lavage des oviductes, puis énucléés par micromanipulation ; un fibroblaste cultivé à partir de cellules d’oreille d’un chien afghan âgé de trois ans a été injecté dans chacun d’eux. La fusion de ces deux entités a été provoquée par deux chocs électriques successifs, suivis d’une activation par voie chimique. Le nombre total d’ovules utilisés n’est pas indiqué, mais, par recoupement, il doit se situer entre 1 500 et 2 000, nombre élevé qui suppose une importante colonie de chiennes puisque chacune d’elles ne fournit qu’une douzaine d’ovules. Au total, 1 095 embryons dont la morphologie semblait correcte ont été implantés dans 123 femelles et ont donné lieu à trois gestations seulement : il s’est avéré que seuls les embryons transférés très rapidement après activation arrivaient à se développer in utero. C’est sans doute ici que l’approche massive employée a joué un grand rôle : elle a permis de tester diverses conditions et notamment différents délais entre l’activation et l’implantation. Sur les trois gestations, l’une a rapidement avorté, et les deux autres se sont poursuivies jusqu’à la naissance d’animaux à terme (par césarienne). Snuppy (Seoul National University puppy – c’est bien sûr un pur hasard si ce nom ressemble à celui d’un personnage de bande dessinée…), le premier-né, est en bonne santé ; son « frère » est mort d’une pneumonie une vingtaine de jours après sa naissance. Notons que le rendement global est de l’ordre de un animal vivant pour mille embryons implantés, ce qui est très faible comparé aux valeurs habituelles pour d’autres espèces (1 à 10 %).
Un scoop médiatique
La presse coréenne célèbre cette victoire et insiste sur la motivation des chercheurs. Selon The Korea Times, « Trois années de labeur mené avec abnégation, 24 heures par jour, 365 jours par an, ont permis aux Coréens d’atteindre ce qu’un expert américain a décrit comme Le mont Everest du clonage »[3]. Sans mettre en doute l’ardeur au travail de nos collègues asiatiques, on peut penser que l’importance des moyens mis en oeuvre (tout un institut consacré au clonage), les multiples collaborateurs (onze auteurs pour cet article, vingt-cinq pour celui sur les lignées ES) et peut-être aussi des comités d’éthique moins regardants sur le bien-être animal qu’aux États-Unis[4] ont pu jouer un rôle. Il n’en reste pas moins que ce succès est remarquable et témoigne de la maîtrise des équipes coréennes, qui avaient choisi là de s’attaquer à un sujet très difficile. Je ne serais pas outre mesure étonné d’apprendre que ces chercheurs tentent aussi le clonage du singe, autre manipulation actuellement considérée comme quasiment impossible…
L’intérêt scientifique est discutable
La publication qui présente Snuppy dans le numéro de Nature du 4 août est accompagnée d’un commentaire éditorial assez réservé [5], dont le sous-titre résume bien le message : « La naissance du premier chien cloné a été assez coûteuse, et il n’y a pas de nécessité à ce qu’elle soit suivie de beaucoup d’autres »[5]. On ne voit pas, en effet, de justification scientifique solide à ce travail. Les auteurs avancent trois objectifs : la préservation d’espèces rares, le clonage thérapeutique chez le chien, et les études génétiques. Cela ne me semble pas très sérieux. Le clonage d’animaux en voie de disparition est très médiatique, mais ce n’est pas lui qui sauvera les espèces que la destruction des habitats met en danger, et on ne voit pas l’apport décisif du clonage de chiens à ce niveau. Le clonage thérapeutique chez le chien (pour soigner des chiens malades, ou en tant que modèle pour l’homme ?) suppose la disponibilité de lignées de cellules souche chez cet animal – alors que l’on n’a réussi à en obtenir que chez l’homme et la souris. Enfin, la reproduction à l’identique d’animaux existants a peu de chances d’éclairer de façon décisive des questions de génétique des populations… On pourrait aussi imaginer la production en série de chiens tous identiques en vue d’expériences de recherche médicale, mais est-ce vraiment une perspective réaliste et souhaitable ? Reste la « résurrection » d’animaux de compagnie – mais les auteurs affirment que ce n’est pas leur but. Il me semble en fait que, pour eux, la motivation principale de ce travail est de faire une démonstration éclatante de leur savoir-faire. Cela leur assure une ample couverture médiatique, tout en les ayant forcé à affiner leurs techniques et à se surpasser.
Le second souffle du pet cloning ?
Même si les chercheurs coréens disent ne pas s’intéresser au marché du clonage « de compagnie », d’autres l’ont fait pour eux, et cette réussite va certainement renforcer leur détermination tout en contribuant à élargir le marché. Un petit tour des sites Internet du pet cloning [6] montre que la plupart d’entre eux sont toujours « en ligne ». Outre Genetic Savings and Clone, perPETuate[6] continue d’affirmer son intention de cloner des chiens et, en attendant, propose le stockage de cellules ou d’ADN pour 700 $ (plus 90 $ par an). Canine Cryobank[7], firme qui assure la congélation du sperme de mâles sélectionnés et l’insémination artificielle, indique aussi avoir une activité de clonage et annonce des prix cassés : moins de 400 $ pour le stockage de cellules. En revanche, l’entreprise Lazaron, qui avait un site particulièrement bien fait, semble avoir disparu. Pour le moment (août 2005) aucune de ces firmes ne fait référence au succès coréen : il faut dire que celui-ci, même s’il conforte d’une certaine manière leurs perspectives, illustre aussi l’échec de leurs propres travaux… On peut en tous cas s’attendre à un regain d’activité, au moins médiatique, autour de ce thème. Le très faible rendement est certes un problème, mais on nous promettra des améliorations décisives ; et le fait que la grande majorité des échecs se situe dès l’implantation (et non en cours de gestation avancée) peut contribuer à limiter les oppositions.
Un paradoxe
Le clonage d’animaux d’élevage, après avoir suscité de grands espoirs, marque actuellement le pas. La mise sur le marché de viande ou de lait provenant d’animaux clonés reste interdite, aux États-Unis, par la Food and Drug Agency ; la production de médicaments par des animaux transgéniques et clonés se heurte à des difficultés techniques et n’a plus la faveur du marché[8]. Finalement, la seule application du clonage animal à avoir fait, pour le moment, l’objet d’une commercialisation directe auprès du consommateur est la vente de quelques chats clonés par Genetic Savings and Clone. C’est en quelque sorte l’application la plus futile qui « tire le marché ». Ce n’est sûrement pas ce qu’imaginait Ian Wilmut, quand il s’efforçait, au milieu des années 1990, de réaliser un clonage animal que tous croyaient impossible et qui allait pourtant aboutir à Dolly…
Appendices
Notes
- [1]
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[2]
On se souvient que la réussite de l’équipe pour l’obtention de lignées ES avait reposé en partie sur des femmes fournissant gratuitement un grand nombre d’ovules – et que des interrogations s’étaient fait jour sur le caractère réellement volontaire de ces donations…
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[3]
Three years of self-sacrificing toil, 24 hours a day, 365 days a year, have enabled the Koreans to attain what an Americas expert described as the « Mount Everest of cloning », The Korea Times, 4 août 2005.
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[4]
N’oublions pas qu’en Corée le chien est plus un animal de boucherie qu’un compagnon pour l’homme…
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[5]
The first cloned dog was born at some cost, and there needn’t be many more.
- [6]
- [7]
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[8]
PPL therapeutics, la firme pionnière qui clona Dolly et faisait figure de précurseur, a été vendue fin 2003 moins d’un million de livres (1,5 millions d’euros), une misère…
Référence
- 1. Lee BC, Kim MK, Jang G, et al. Dogs cloned from adult somatic cells. Nature 2005 ; 436 : 641.
- 2. Jordan B. Chroniques génomiques. Clonage : et maintenant, un chat… Med Sci (Paris) 2002 ; 18 : 425-7.
- 3. Westhusin ME, Burghardt RC, Ruglia JN, et al. Potential for cloning dogs. J Reprod Fertil 2001 ; 57 (suppl) : 287-93.
- 4. Hwang WS, Roh SI, Lee BC, et al. Patient-specific embryonic stem cells derived from human SCNT blastocysts. Science 2005 ; 308 : 1777-83.
- 5. Editorial comment. Nature 2005 ; 436 : 604.
- 6. Jordan B. Les marchands de clones. Paris : Seuil, 2003.