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L’ensemble de la musculature du corps et des membres dérive des somites, structures embryonnaires segmentées émanant du mésoderme présomitique [1]. Chaque somite se compose d’un sclérotome ventral, à l’origine du squelette axial, et d’un dermomyotome épithélial dorsal à l’origine du derme (peau) et des muscles. Les premières cellules myogéniques (caractérisées par l’expression des facteurs de détermination myogéniques Myf5, MyoD et/ou Mrf4) apparaissent aux bordures de ce dermomyotome. Elles migrent ensuite entre le dermomyotome et le sclérotome pour former le myotome primaire, premier muscle squelettique du corps [2, 3], essentiellement formé de cellules post-mitotiques : myoblastes en cours de différenciation et fibres musculaires différenciées.
La formation des muscles au cours du développement des vertébrés est un processus progressif avec la mise en place de plusieurs vagues successives de cellules musculaires (dites embryonnaires, foetales et adultes) dont l’origine cellulaire était restée obscure. Nous avons maintenant identifié une population de cellules progénitrices à l’origine de ces différents lignages [4], ce qui nous permet de proposer un modèle unifié du développement musculaire (Figure 1).
Nous avons tout d’abord observé l’existence d’une population de cellules au sein du myotome des embryons de souris n’exprimant ni les facteurs myogéniques, ni les marqueurs de différenciation. En revanche ces cellules expriment Pax3 (Figures 2B et 2C), et son paralogue Pax7, deux facteurs de transcription à homéodomaine, importants au cours de l’organogenèse chez la souris et impliqués chez l’homme dans des cancers (rhabdomyosarcomes) et dans une maladie génétique rare (syndrome de Waardenburg) [5]). Cette nouvelle population de cellules est présente tout au long du développement embryonnaire et foetal dans un état prolifératif (contrairement aux myoblastes) au sein même des masses musculaires du tronc et des membres.
Grâce aux stabilités différentielles de gènes rapporteurs insérés aux locus Pax3 (Pax3GFP/+) et Pax7 (Pax7LacZ/+), nous avons pu étudier la contribution de cette population de progéniteurs à la croissance musculaire. En effet, la protéine GFP (green fluorescent protein) étant très stable, il est possible de suivre le devenir des cellules qui ont exprimé Pax3 à un moment donné (Pax3+, GFP+), et ce même dans les cellules où Pax3 est éteint (Pax3-, GFP+). En revanche, la stabilité du rapporteur β-Gal (Pax7LacZ/+) est similaire à celle de la protéine endogène Pax7, reflétant l’expression endogène de ce gène (Figure 2A). La comparaison de l’expression de ces deux rapporteurs (GFP et β-gal) dans des embryons Pax3GFP/+ : Pax7LacZ/+ nous a permis de montrer que ces cellules contribuent à la croissance musculaire (les fibres sont GFP+ mais β-gal-), tout en restant en prolifération dans les masses musculaires. Elles ont donc des caractéristiques de cellules souches. Ainsi, cette population de cellules Pax3+/Pax7+ constitue un nouveau compartiment de cellules progénitrices/souches musculaires résidentes capables de contribuer à la croissance musculaire tout au long du développement (Figures 2D et 2E).
Chez l’adulte, on rencontre des cellules mononucléées, appelées cellules satellites, en périphérie de chaque fibre musculaire multinucléée. Ces cellules souches musculaires fournissent l’essentiel du réservoir de croissance et de régénération chez l’adulte et sont capables de prolifération et de différenciation après activation. La localisation le long des fibres, le fort potentiel myogénique ainsi que l’expression des facteurs de transcription Pax3 et/ou Pax7 suggèrent que les progéniteurs musculaires résidents identifiés chez le foetus sont à l’origine des cellules satellites de l’adulte : nous avons montré que ces cellules adoptent progressivement une position de cellule satellite, c’est-à-dire le long des fibres différenciées sous la lame basale, chez le foetus juste avant la naissance [4]. Des études complémentaires de lignage réalisées chez le poulet ont confirmé ce résultat [6].
Les mutants de souris pour le gène Pax7 n’ont pas de phénotype musculaire pendant l’embryogenèse et meurent dans les premières semaines après la naissance [7]. Les embryons portant l’allèle perte de fonction pour Pax3 présentent des défauts majeurs de développement du système nerveux central et périphérique ainsi qu’un phénotype musculaire important. En effet, la musculature des membres est absente et les somites sont réduits. Ces phénotypes sont, entre autres, causés par une perte cellulaire consécutive à l’apoptose en l’absence de Pax3 [8]. Cependant, chez le mutant Pax3, une partie de la musculature du tronc se forme, et ce malgré les défauts d’organisation des somites [9]. Cela est vraisemblablement dû à une redondance fonctionnelle avec son paralogue Pax7, puisque le remplacement du gène Pax3 par Pax7 chez la souris est capable d’assurer la plupart des fonctions de Pax3 dans le tronc [10].
Les cellules progénitrices musculaires nouvellement identifiées co-expriment Pax3 et Pax7, deux gènes fonctionnellement redondants. Afin de comprendre les rôles de Pax3 et de Pax7 au sein de cette population, nous avons donc analysé le phénotype des embryons double mutants Pax3GFP/GFP: Pax7LacZ/LacZ.
Le phénotype musculaire est bien plus grave que celui des embryons simple mutants : alors que l’apoptose des mutants Pax3-/- n’est plus détectable au stade E11.5, les double mutants pour Pax3 et Pax7 continuent à subir une importante mort cellulaire. Parmi les cellules GFP+ qui restent chez ces double mutants, aucune cellule s’engageant vers la myogenèse n’est observable après E10.5. Autrement dit, le peu de fibres différenciées présentes chez les double mutants sont des fibres formées à partir du myotome primaire précoce indépendamment de Pax3 et Pax7.
Par ailleurs, en l'absence de Pax3 et de Pax7, les cellules progénitrices musculaires ne sont pas spécifiées vers un destin musculaire squelettique. En revanche, ces cellules adoptent d’autres destins chez les doubles mutants. Ainsi, nous avons pu observer la présence de cellules GFP+ au sein de masses osseuses co-exprimant des marqueurs du cartilage (collagen 2a).
Cette étude a permis l’identification d’un pool de cellules progénitrices musculaires résidentes exprimant les facteurs Pax3/Pax7 tout au long du développement embryonnaire et à l’origine des cellules satellites adultes. Cette population de cellules souches musculaires embryonnaires est potentiellement exploitable dans le cadre de thérapies cellulaires pour les maladies musculaires [4].
Appendices
Références
- 1. Pourquie O. Vertebrate somitogenesis. Annu Rev Cell Dev Biol 2001 ; 17 : 311-50.
- 2. Tajbakhsh S, Buckingham M. The birth of muscle progenitor cells in the mouse: spatiotemporal considerations. Curr Top Dev Biol 2000 ; 48 : 225-68.
- 3. Pownall ME, Gustafsson MK., Emerson CP. Myogenic regulatory factors and the specification of muscle progenitors in vertebrate embryos. Annu Rev Cell Dev Biol 2002 ; 18 : 747-83.
- 4. Relaix F, Rocancourt D, Mansouri A, Buckingham MA. Pax3/Pax7-dependent population of skeletal muscle progenitor cells. Nature 2005 ; 435 : 948-53.
- 5. Chi N, Epstein JA. Getting your Pax straight: Pax proteins in development and disease. Trends Genet 2002 ; 18 : 41-7.
- 6. Gros J, Manceau M, Thome V, Marcelle C. A common somitic origin for embryonic muscle progenitors and satellite cells. Nature 2005 ; 435 : 954-8.
- 7. Mansouri A, Stoykova A, Torres M, Gruss P. Dysgenesis of cephalic neural crest derivatives in Pax7-/- mutant mice. Development 1996 ; 122 : 831-8.
- 8. Borycki AG, Li J, Jin F, et al. Pax3 functions in cell survival and in pax7 regulation. Development 1999 ; 126 : 1665-74.
- 9. Tremblay P, Dietrich S, Mericskay M, et al. A crucial role for Pax3 in the development of the hypaxial musculature and the long-range migration of muscle precursors. Dev Biol 1998 ; 203 : 49-61.
- 10. Relaix F, Rocancourt D, Mansouri A, Buckingham M. Divergent functions of murine Pax3 and Pax7 in limb muscle development. Genes Dev 2004 ; 18 : 1088-105.