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Le stade ultime de l’évolution de l’artériopathie des membres inférieurs est l’ischémie dite critique. Elle est définie par des douleurs ischémiques répétées de repos depuis plus de deux semaines, une ulcération, ou une gangrène du pied ou des orteils, avec une pression artérielle systolique mesurée au niveau de la cheville, inférieure à 50 mm de mercure (Hg), et/ou une pression artérielle systolique mesurée au niveau des orteils, inférieure à 30 mmHg [1]. L’évolution clinique est souvent péjorative. Ainsi, le taux d’amputation est de l’ordre de 25 % après un an d’évolution. Les localisations multifocales de l’athérosclérose et l’âge moyen élevé des patients expliquent aussi l’importante mortalité observée dans cette maladie.
Dans tous les cas, la restauration d’une perfusion par pontage ou angioplastie doit être envisagée en première intention. Elle n’est cependant réalisable que dans 70 % des cas. De plus, la perméabilité des pontages, surtout dans l’ischémie critique, est médiocre avec une perméabilité de 50 à 70 % à trois ans. L’occlusion des pontages est devenu une cause fréquente d’ischémie critique des membres inférieurs. Lorsque la revascularisation est impossible, les prostanoïdes ont été essayés mais sans succès probant [2]. Aucune autre thérapeutique n’a démontré son utilité dans ce contexte (pour revue, voir [1]). Le traitement actuel repose donc sur les soins locaux des troubles trophiques associés éventuellement à une antibiothérapie prescrite par voie générale.
Thérapie génique
C’est dans ce contexte d’impasse thérapeutique que les stratégies de thérapie génique et cellulaire sont actuellement en cours d’évaluation dans l’ischémie critique des membres inférieurs. Une approche de thérapie génique a été initialement développée par l’équipe de Jeffrey Isner, et reprise depuis par plusieurs équipes [3-6]. Seule une dizaine d’essais de thérapie génique ont été réalisés ou sont en cours dans le traitement des artériopathies des membres inférieurs. Ces essais de phase I ou II sont destinés à vérifier l’innocuité de la thérapie génique et le bien-fondé du concept de stimulation de l’angiogenèse dans l’ischémie des membres inférieurs. Les premiers essais cliniques ont été réalisés chez des patients atteints d’artériopathie sévère des membres inférieurs et ne pouvant pas bénéficier d’une revascularisation par pontage ou angioplastie. Actuellement, l’on privilégie une approche utilisant l’injection d’un plasmide nu exprimant un facteur de croissance (par exemple VEGF, vascular endothelial growth factor, ou FGF-1, fibroblast growth factor) directement dans les muscles du mollet et de la cuisse, qui vont intégrer le plasmide et ensuite sécréter le facteur de croissance d’intérêt. Une amélioration locale de la perfusion a été démontrée par une augmentation des index de pression systolique ainsi que par angiographie. Les seuls effets secondaires observés ont été des oedèmes transitoires de la partie inférieure de la jambe. La même stratégie est également en cours d’étude dans la maladie coronaire, utilisant les mêmes gènes ou d’autres approches (pour revue, voir [7-12]). La seule étude effectuée en double aveugle contre placebo, une étude de phase II multicentrique européenne, dont le promoteur est le laboratoire Aventis (étude TALISMAN), a inclus 122 patients ayant une ischémie critique avec troubles trophiques. Elle utilise un plasmide nu, injecté par voie intramusculaire, codant pour le FGF-1. Ses résultats devraient être disponibles l’année prochaine.
Thérapie cellulaire
Dès 1997, le groupe de T. Asahara et J. Isner a mis en évidence dans la circulation des progéniteurs endothéliaux, qui, après isolement et amplification ex vivo, sont capables de participer à l’angiogenèse dans des modèles animaux d’ischémie [13]. Les progéniteurs des cellules endothéliales, exprimant l’antigène CD34 et d’origine médullaire, jouent un rôle majeur dans la vasculogenèse dans les conditions physiologiques ou pathologiques. La thérapie cellulaire au moyen de ces progéniteurs endothéliaux permet de stimuler l’angiogenèse dans des modèles animaux [14-17]. Elle présente plusieurs avantages par rapport à la thérapie génique décrite ci-dessus. Tout d’abord, ce sont des cellules autologues qui sont utilisées, prévenant ainsi tout risque de rejet. Elle élimine également le risque théorique de maladies induites par la thérapie génique, liées soit directement à l’action du facteur de croissance codé par le plasmide injecté, soit à une insertion du plasmide dans le génome, malgré toutes les précautions prises. Mais, comme la thérapie génique, la stimulation de l’angiogenèse par les progéniteurs endothéliaux peut induire des effets secondaires comme l’activation du développement de cancers latents, une accélération de l’athérosclérose ou d’une rétinopathie (notamment chez le diabétique). Jusqu’ici plus de 900 patients ayant une pathologie ischémique ont été traités par thérapie génique ou cellulaire sans effets secondaires authentifiés (pour revue, voir [18]).
Forte des résultats très prometteurs obtenus dans un modèle d’ischémie de la patte postérieure de rat nude après injection de progéniteurs endothéliaux isolés de sang de cordon [19], une équipe japonaise a réalisé une étude pilote chez l’homme [20]. La source de progéniteurs était une préparation autologue de cellules mononucléées issues de la moelle et la pathologie ciblée était l’ischémie critique des membres inférieurs. Un prélèvement de 500 ml de moelle a été réalisé sous anesthésie générale, puis les cellules mononucléées ont été isolées et concentrées dans un volume final de 30 ml. Le nombre total de cellules injectées était compris entre 0,7 et 2,8 x 109. Au cours de l’étude pilote réalisée chez 25 patients ayant une ischémie d’un membre inférieur (groupe A), les cellules ont été administrées dans les trois heures suivant le prélèvement en 40 injections intramusculaires locales au niveau du membre ischémié, du sérum physiologique étant injecté dans l’autre membre. Compte tenu des résultats très positifs obtenus à l’issue de cette étude ouverte, un second groupe de patients a été inclus afin de réaliser une étude randomisée. Ce groupe (groupe B) était composé de 22 patients ayant une ischémie bilatérale des membres inférieurs. Les 44 membres inférieurs de ces 22 patients ont été randomisés et ont reçu des cellules mononucléées de la moelle osseuse ou des cellules mononucléées issues du sang périphérique (ne contenant pas de progéniteurs endothéliaux). Après inclusion, les patients ont été suivis pendant quatre semaines après greffe puis tous les quatre mois. Après quatre et 24 semaines, une amélioration significative de tous les critères cliniques ainsi que la formation de vaisseaux collatéraux objectivée par angiographie ont été observées dans tous les membres ayant reçu des cellules médullaires (mais pas dans le membre témoin, traité par cellules mononucléées du sang périphérique). Les ulcères et gangrènes ischémiques ont régressé de manière saisissante. Cette étude a montré pour la première fois l’efficacité et la sûreté de l’implantation de cellules mononucléées de moelle osseuse dans l’artérite des membres inférieurs. Deux autres études récentes, portant sur de plus faibles effectifs et utilisant le même protocole confirment la faisabilité de la thérapie cellulaire par cellules mononucléées isolées de la moelle osseuse [21, 22].
Une approche similaire avec injection intramyocardique ou intracoronaire a été effectuée dans l’ischémie myocardique chronique ou à la phase aiguë d’un infarctus du myocarde [18]. La seule étude randomisée dans l’infarctus du myocarde a été présentée récemment [23]. Dans cette étude de 60 patients, 30 sujets ont subi une intervention de revascularisation après leur infarctus et ont reçu 4 jours plus tard, par voie intracoronaire, des cellules mononucléées médullaires ; 30 autres patients n’ont pas subi cette phase de thérapie cellulaire. Une amélioration significative à 6 mois de la fonction ventriculaire gauche a été observée, sans effet délétère. L’innocuité de l’injection intracoronaire de cellules médullaires a été remise en question récemment dans deux travaux. L’un montre que les cellules peuvent induire un infarctus du myocarde dans un modèle canin [24], et l’autre montre que l’injection de cellules souches prélevées après injection de G-CSF (granulocyte colony-stimulating factor) induit une resténose coronaire fréquente [25].
Cette stratégie d’angiogenèse thérapeutique constitue un espoir thérapeutique important pour de nombreux malades actuellement dans une impasse thérapeutique. Une optimisation du protocole de thérapie cellulaire après isolement et expansion des progéniteurs responsables de cette angiogenèse thérapeutique serait un important progrès, qui permettrait d’alléger la procédure thérapeutique et notamment de s’affranchir d’une anesthésie générale et d’un prélèvement médullaire important. De nombreuses questions restent en suspens concernant cette approche thérapeutique de l’ischémie critique des membres inférieurs non revascularisables.
Quel type cellulaire utiliser ? Cellules mononucléées médullaires totales, progéniteurs endothéliaux circulants CD34+, autres cellules ?
Quelle est la meilleure voie d’administration ? Intramusculaire, intra-artérielle ?
Quel nombre optimal de cellules faut-il administrer ?
Faut-il répéter les injections et si oui avec quelle fréquence ?
Existe-il une toxicité à moyen et à long terme de ce traitement ?
Nécessité d’essais en double aveugle pour prouver l’efficacité de cette stratégie ?
Malgré toutes ces questions, cette approche thérapeutique qui n’en est qu’à ses prémices représente un espoir important pour les patients chez lesquels à l’heure actuelle l’ultime recours est encore trop souvent l’amputation. Elle soulève également de nombreuses questions telles que les mécanismes d’action des cellules injectées : l’efficacité est-elle due à une vasculogenèse ou à un effet paracrine stimulant localement l’angiogenèse ? Quels sont les mécanismes d’adressage ? Peut-on améliorer la vectorisation cellulaire ? Et, enfin, peut-on aussi utiliser ces cellules comme vecteur thérapeutique dans d’autres maladies ?
Appendices
Références
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