Article body
Chez les mammifères, la rythmicité circadienne de la physiologie et du comportement est assurée par un système d’oscillateurs moléculaires que l’on a identifié d’abord dans les noyaux suprachiasmatiques (NSC) de l’hypothalamus puis dans la plupart des organes périphériques [1]. À l’heure actuelle, il est communément admis que le système circadien des mammifères est organisé selon un modèle hiérarchisé dans lequel une horloge centrale située dans les NSC qui est composée d’une voie de synchronisation lumineuse via l’axe rétino-hypothalamique et d’un oscillateur moléculaire auto-entrenu, commande et synchronise, via des signaux probablement de nature neurohormonale, une multitude d’horloges périphériques [2]. Ce modèle s’appuie notamment sur le fait que la lésion des NSC entraîne une perte des rythmes périphériques, que l’activité rythmique des neurones des NSC s’amortit très peu en comparaison de celle de cellules ou tissus périphériques en culture, ou encore que la phase des oscillateurs périphériques est retardée par rapport à celle des oscillateurs des NSC.
En utilisant une approche génétique originale, une étude récente vient de remettre en cause ce concept de subordination des oscillateurs périphériques aux NSC, qui était progressivement devenu un dogme en chronobiologie [3]. Pour déterminer si la persistance de la rythmicité circadienne diffère fondamentalement entre les tissus périphériques et les NSC, l’équipe de J.S. Takahashi (USA) a produit des souris transgéniques dites « knock-in », en intégrant dans la région 3’ du gène clé de l’horloge circadienne Period2, la séquence codante de la luciférase de manière à obtenir des animaux exprimant une protéine de fusion PERIOD2::LUCIFERASE dont l’expression rythmique permet de suivre l’activité de l’horloge par mesure de la luminescence en temps réel [4]. Les auteurs montrent que non seulement les NSC isolés à partir de ces souris, mais également des explants de tissus périphériques en culture, présentent une expression rythmique du gène rapporteur luciférase qui persiste pendant plus de 20 jours. Ces expériences ont de plus révélé des différences de période dans les tissus allant de 22 h pour la cornée à 25 h pour l’hypophyse, ainsi qu’une spécificité tissulaire de la phase. Les horloges périphériques seraient donc beaucoup plus autonomes qu’on ne le pensait. Afin de tester la possibilité de la persistance d’un signal émis par les NSC agissant sur les tissus mis en culture, les mêmes mesures ont été effectuées sur des tissus isolés à partir de souris ayant subi une lésion des NSC puis maintenues en obscurité constante pendant plusieurs semaines afin de supprimer toute perception de la rythmicité circadienne. L’équipe de J.S. Takahashi a ainsi fait une découverte surprenante en observant une rythmicité de la bioluminescence dans des organes cultivés ex vivo persistant pendant près de deux semaines aussi bien chez les souris lésées que chez les souris témoins. Dans les deux groupes, l’oscillation peut être stimulée après 14 jours par un simple changement de milieu. Cependant un phénomène de désynchronisation a été observé, entre les différents organes d’un même animal lésé ainsi qu’entre les cultures d’un même organe provenant de différents individus lésés. La contradiction entre ces résultats et ceux ayant montré la perte d’expression rythmique dans des conditions expérimentales similaires [5, 6] n’est probablement qu’apparente et peut en grande partie s’expliquer par le fait que, dans cette étude, la stratégie utilisée permet une mesure longitudinale en temps réel, avec une très haute résolution temporelle, tandis que dans les travaux classiques, l’expression génique est mesurée de manière transversale chez des souris différentes sacrifiées toutes les quatre heures. Les auteurs postulent donc que les organes périphériques possèdent des oscillateurs auto-entretenus synchronisés de manière spécifique et que les NSC auraient finalement pour principal rôle de coordonner les oscillateurs des différents tissus périphériques plutôt que de les commander.
Appendices
Références
- 1. Delaunay F, Laudet V. Rythme circadien : des horloges périphériques dans les organes périphériques et dans des fibroblastes en culture. Med Sci 1998 ; 14 :1114-7.
- 2. Hastings MH, Reddy AB, Maywood ES. A clockwork web : circadian timing in brain and periphery, in health and disease. Nat Rev Neurosc 2003 ; 4 : 649-61.
- 3. Reppert SM, Weaver DR. Coordination of circadian timing in mammals. Nature 2002 ; 418 :935-41.
- 4. Yoo SH, Yamazaki S, Lowrey P, et al. PERIOD2::LUCIFERASE real-time reporting of circadian dynamics reveals persistent circadian oscillations in mouse peripheral tissues. Proc Natl Acad Sci USA 2004 ; 101 : 5339-46.
- 5. Akhtar RA, Reddy AB, Maywood ES, et al. Circadian cycling of the mouse liver transcriptome, as revealed by cDNA microarray, is driven by the suprachiasmatic nucleus. Cur Biol 2002 ; 12 : 540-50.
- 6. Terazono H, Mutoh T, Yamaguchi S, et al. Adrenergic regulation of clock gene expression in mouse liver. Proc Natl Acad Sci USA 2003 ; 100 : 6795-800.