Les facteurs d’échange nucléotidiques (GEF) sont des composants obligatoires des cascades de signalisation contrôlées par les petites protéines G de la famille de l’oncogène p21Ras (appelées protéines G ci-dessous) (pour revue, voir [1]). Ces protéines régulatrices ont pour fonction biochimique de stimuler la dissociation du nucléotide GDP qui est fortement associé à la protéine G inactive ; cela favorise l’association à la protéine G du nucléotide GTP et la formation de la conformation active de la protéine G (Figure 1, gauche). Dans les cellules, ce sont les facteurs d’échange qui collectent les signaux qui déclenchent l’activation des protéines G. Pour cela, les GEF ont en général une structure modulaire dans laquelle le domaine catalytique responsable de la fonction d’échange est associé « en tandem » avec des domaines régulateurs qui déterminent les conditions à réunir pour la mise en place de la cascade. De nombreux indices s’accumulent en faveur d’un rôle des GEF en aval dans la sélection des effecteurs qui sont recrutés par la protéine G activée, une même protéine G induisant des réponses distinctes selon le GEF qui l’active (pour revue, voir [2]). Ces caractéristiques font des GEF des cibles thérapeutiques potentielles pour interrompre spécifiquement des mécanismes moléculaires impliquant une (sur)activation des protéines G dans des maladies humaines. En effet, une participation des protéines G, défectueuses ou non, à de nombreux contextes pathologiques est reconnue depuis longtemps. Le ciblage thérapeutique de ces protéines se heurte cependant à la polyvalence de leurs interactions, puisqu’elles peuvent être activées par de multiples GEF, et activer à leur tour plusieurs effecteurs. Cette caractéristique s’applique aussi à leurs régulateurs et effecteurs, qui peuvent être très spécifiques d’une protéine G donnée ou, au contraire, interagir avec plusieurs protéines G. Les stratégies d’inhibition compétitive - dans lesquelles une molécule pharmacologique empêche la protéine d’intérêt d’interagir avec ses partenaires cellulaires - interrompent ainsi l’ensemble de ses fonctions, entraînant des effets potentiellement indésirables et dangereux. Nous avons décrit récemment les bases structurales d’un nouveau mécanisme d’inhibition qui pourrait être exploité comme alternative à la stratégie d’inhibition compétitive [3]. Ce mécanisme est illustré par la bréfeldine A (BFA), une toxine naturelle qui inhibe l’activation d’Arf, une protéine G impliquée dans le couplage entre le trafic et la morphologie cellulaires (pour revue, voir [4]). La BFA n’empêche pas l’interaction d’Arf avec son GEF, mais au contraire les piège dans une interaction non fonctionnelle [5]. Le mécanisme d’action de la BFA exploite les caractéristiques biochimiques de l’échange nucléotidique catalysé par les GEF qui sont communes à l’ensemble des protéines G et leurs GEF. La protéine G associée au GDP est d’abord reconnue dans un complexe de faible affinité par son GEF, puis des changements de conformation de grande amplitude conduisent à un complexe dépourvu de nucléotide et d’affinité élevée, auquel se fixe finalement le GTP qui dissocie le complexe (Figure 1, centre). La spécificité de l’interaction protéine G/GEF se joue avant la dissociation du GDP, car, dans le contexte cellulaire où le GTP est plus abondant que le GDP, la réaction d’échange ne peut plus faire marche arrière une fois que le GDP est dissocié. De façon remarquable, c’est à ce complexe ternaire de faible affinité que se fixe la BFA, piégeant un complexe Arf-GDP-BFA-GEF abortif incapable d’évoluer vers le complexe sans nucléotide (Figure 1, droite). Nous avons étudié le mécanisme d’action de la BFA par cristallographie aux rayons X dans un complexe de protéines humaines comprenant la protéine G Arf1 et le domaine catalytique (appelé domaine Sec7) du facteur d’échange ARNO, ce dernier portant des mutations qui le rendent hypersensible à la toxine [3]. La structure …
Appendices
Références
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