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«Est grand fou qui veut se charger / D’un fardeau qu’il ne peut porter, / Et croit mener tout seul à bien / La tâche où à trois on échoue.»
Sebastian Brant, La nef des fous, 1497
Bien avant d’être canal et de charrier globules et plasma, lymphe, sang, sève et autres liquides organiques, le vaisseau fut récipient, constituant la vaisselle. Destiné à contenir des liquides, il donna le vase et pour les occasions de fête, le vaisselet, petit tonneau. Vaisseau des vaisseaux, vaisseau de la Cène ou saint vaisseau, coeur de la transsubstantiation, le Graal n’en finit pas d’être quêté.
Plus réceptacle que récipient, reliquaire à l’occasion, le vaisseau s’humanisa - ou l’homme devint vaisseau - lorsque l’Esprit y trouva gîte. Le vaisseau fut alors d’élection. Investi par le mal, il fut d’ire ou d’iniquité, désignant réprouvés et méchants. Pauvres vaisseaux, malheureux, bons à rien, humanité à la dérive, la métaphore maritime y faisait irruption.
Les vaisseaux de la Royale, des hanses et des guildes, de bas ou de haut-bord, sillonnaient mers et océans. Grâce à eux, la terre s’arrondit et les mondes devinrent le monde. Les brûler signera un engagement irréversible, un voyage sans retour.
Icare aidant, c’est spatial qu’il devint et qu’il est encore. Marquant bien la part d’aventure que comportent les voyages hors de l’atmosphère terrestre, l’embarquement dans un vaisseau pour les planètes et les étoiles confère aux passagers l’aura des premiers explorateurs. Organiser le passage d’un vaisseau à un autre vaisseau, le transbordement d’âmes destinées à s’élever, au propre comme au figuré, c’est l’idée inouïe du père Jésuite Bartolomeu de Gusmao, personnage du Dieu Manchot de José Saramago, qui inventa une machine capable de s’élever dans le ciel et de voler « sans autre combustible que la volonté de l’homme, celle qui selon ce que l’on dit peut tout mais n’a pas pu ou n’a pas su ou pas voulu, jusqu’à aujourd’hui être le soleil et la lune de bonté simple ou encore plus simple, du respect ». Le projet fou du père Bartolomeu est de capturer les âmes des mourants au moment où elles quittent le vaisseau corporel et d’en faire des ballons ascensionnels qui permettront à son vaisseau de bois et de fer, la Passarole, de prendre son envol.
Puis les vaisseaux s’allongèrent, s’étirèrent, se ramifièrent et devinrent canaux. Larges comme des troncs ou fins comme des cheveux, ils sont source d’énergie et vecteurs d’échanges. De leur organisation et de leur densité dépendent fonctions et croissance. Tant les conditions d’écoulement du liquide qu’ils contiennent que les informations issues des cellules circulantes sont capables d’en modeler et remodeler les parois. Contenu et contenant, dans une communication permanente, s’influencent mutuellement. Les maintenir perméables, leur garder souplesse et tonus, en contrôler le nombre et l’agencement sont les quêtes d’aujourd’hui. Multiples, celles-ci s’étendent du développement à la sénescence, de la rhéologie à l’immuno-infectiologie, de l’ischémie aux tumeurs. Le cycle des temps aventureux est loin d’être achevé.