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Le sepsis constitue un syndrome traduisant la réponse inflammatoire systémique à une infection. Lorsqu’il s’accompagne d’une défaillance cardiocirculatoire, il devient « choc septique » et la mortalité croît de 20 % à 40-70 %. Ces chiffres ont peu varié au cours des dernières années, malgré d’importantes avancées dans les domaines de l’antibiothérapie et des techniques de réanimation [1].

Le tableau hémodynamique observé au cours du choc septique est typiquement caractérisé, après expansion volémique, par un état hyperdynamique avec effondrement des résistances vasculaires périphériques, associé à un débit cardiaque normal ou élevé et à une pression artérielle abaissée. Néanmoins, il existe de nombreux arguments démontrant l’existence d’un dysfonctionnement myocardique intrinsèque dès la phase aiguë du sepsis.

Difficulté d’évaluation de la fonction cardiaque dans le sepsis

Quels indices pour évaluer la fonction systolique ventriculaire gauche ?

Les anomalies circulatoires constatées au cours du choc septique rendent difficile la mise en évidence d’un dysfonctionnement myocardique autonome, indépendant des conditions de charge : le débit cardiaque n’est pas un bon indice de contractilité ventriculaire, et sa normalité n’exclut en rien l’existence d’une altération des performances systoliques ventriculaires [2]. La fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) n’est pas non plus un reflet parfait de la contractilité myocardique : elle dépend certes de la contractilité myocardique, mais aussi de la compliance myocardique, de la précharge et de la postcharge [3].

L’utilisation d’indices indépendants des conditions de charge a permis de démontrer l’existence d’une altération des propriétés contractiles ventriculaires au cours du sepsis [2, 4]. Sur les boucles pression-volume ventriculaire tracées pour différents niveaux de postcharge, les points télésystoliques forment une droite traduisant la relation pression-volume télésystolique du ventricule gauche. La pente de cette droite, appelée élastance maximale (Emax), est un bon indice de contractilité ventriculaire, indépendant des conditions de charge. Il a été démontré, dans les modèles animaux de choc septique [6], mais aussi chez l’homme, que la pente de cette relation pression-volume télésystolique est déplacée en bas et à droite (diminution de Emax), témoignant d’une contractilité diminuée. Cette méthode d’évaluation nécessite plusieurs adaptations pour pouvoir être utilisée en pratique clinique : le volume télésystolique ventriculaire gauche peut être apprécié par la surface télésystolique en échographie et la pression ventriculaire gauche par la pression aortique centrale ou fémorale (Figure 1). En utilisant cette technique, A. Cariou et al. [5] ont présenté l’évolution de l’élastance du ventricule gauche chez des patients en choc septique traités par dobutamine (Figure 2).

Figure 1

Reconstruction off-line des boucles pression-surface du ventricule gauche.

Reconstruction off-line des boucles pression-surface du ventricule gauche.

Deux signaux doivent être enregistrés simultanément (A) : la pression artérielle aortique, à l’aide d’un cathéter artériel inséré par voie fémorale, et la surface ventriculaire gauche, à l’aide d’un capteur transoesophagien (ETO) et d’un appareil d’échocardiographie doté d’un logiciel de détection automatique des contours (DAC). Après acquisition et correction du décalage temporel d’acquisition, les deux signaux obtenus (B) sont interfacés et vont permettre la reconstruction off-line de boucles pression-surface nécessaires au calcul de l’élastance télésystolique.

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Figure 2

Exemple de boucles pression-surface obtenues chez un patient.

Exemple de boucles pression-surface obtenues chez un patient.

Lors d’une manoeuvre thérapeutique susceptible de faire varier rapidement, mais très transitoirement, le niveau de pré- et/ou de postcharge, le déplacement des points télésystoliques des boucles pression-surface s’effectue le long d’une droite dont la pente caractérise à un temps donné la valeur de l’élastance télésystolique du ventricule étudié (end-systolic elastance ou E’es).

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La survenue d’une dilatation ventriculaire gauche au cours du choc septique reste source de controverse. Cette dilatation expliquerait pour certains le caractère « adapté » de la réponse en débit observée au cours du choc septique : elle correspondrait alors à un mécanisme compensateur susceptible d’offrir aux ventricules la capacité de maintenir un débit cardiaque adapté grâce à la loi de Franck-Starling (Figure 3) [2, 6]. La réalité de cette dilatation ventriculaire est toutefois incomplètement démontrée [6].

Figure 3

Évolution de la contractilité myocardique au cours du sepsis.

Évolution de la contractilité myocardique au cours du sepsis.

L’élastance ventriculaire gauche constitue l’indice de contractilité le plus indépendant des conditions de charge. L’exemple montré correspond à trois enregistrement successifs réalisés chez un même patient souffrant d’un choc septique en rapport avec une infection à pneumocoque. Comme on peut le voir, l’élastance E’es s’améliore très nettement entre la phase aiguë (J1) et la phase de récupération (J5, puis J8).

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Le ventricule droit est-il également en cause ?

La plupart des études de la fonction ventriculaire droite au cours du sepsis ont été réalisées en utilisant la fraction d’éjection du ventricule droit (FEVD) comme indice de contractilité ventriculaire droite en thermodilution. Cette technique a permis de démontrer l’existence d’un dysfonctionnement ventriculaire droit corrélé à celui du ventricule gauche, et d’évolution parallèle [7].

Mécanismes du dysfonctionnement myocardique du sepsis

Anomalies structurelles

C.J. Fernandes et al. [8] ont mis en évidence plusieurs anomalies structurelles dans une étude autopsique de 71 patients décédés de choc septique. Par ailleurs, une augmentation fréquente des concentrations circulantes de troponine I (TnI) a été mise en évidence au cours du choc septique [9] : ces concentrations étaient corrélées à l’importance du dysfonctionnement myocardique et à la mortalité. L’oedème du tissu cardiaque lié à l’hyperperméabilité capillaire peut également altérer l’élastance ventriculaire [10].

Apoptose

L’apoptose, ou mort cellulaire programmée, joue un rôle important dans la régulation physiologique de la maturation et de la prolifération des cellules immunitaires, mais participe également du dysfonctionnement d’organe. Le TNF-α (tumor necrosis factor-α) ou l’endotoxine peuvent induire l’apoptose de cardiomyocytes de rats en culture [11]. L’inhibition pharmacologique de l’activation des caspases prévient l’apoptose et le dysfonctionnement cardiaques en cas de sepsis [11].

Facteurs humoraux

L’injection d’endotoxine bactérienne chez le volontaire sain reproduit toutes les caractéristiques hémodynamiques du choc septique, incluant une altération de la fonction systolique appréciée sur la FEVG [12]. Quant aux cytokines inflammatoires (TNF-α, interleukines 1, 2 et 6, MIF, macrophage migration inhibitory factor), leur injection chez l’animal et le volontaire sain peut reproduire ou contribuer à reproduire les effets cliniques du choc septique [13, 14].

Rôle du monoxyde d’azote (NO)

L’induction de l’enzyme NOS-2 (nitric oxide synthase) au cours du choc septique est responsable de la production importante de NO qui explique une partie des manifestations vasculaires périphériques (vasodilatation et hypotension). Sur le myocarde lui-même, les effets du NO sont cependant moins clairs : physiologiquement, le NO est produit en petites quantités au niveau du myocarde sous l’effet de NOS-3, présente de manière constitutive au niveau de l’endothélium coronarien. Le NO exercerait des effets paracrines facilitant la relaxation active et la compliance myocardique, mais aurait peu d’effets sur les caractéristiques contractiles [15]. La plupart des effets myocardiques du NO sont liés à l’activation de la guanylate-cyclase soluble, responsable de la production de GMP cyclique (GMPc) qui diminue les effets du calcium cytosolique sur la contraction filamentaire. Le GMPc est ainsi capable de stimuler certaines phosphodiestérases responsables de la dégradation de l’AMP cyclique (AMPc). La diminution du taux d’AMPc intracellulaire expliquerait la capacité du NO à atténuer les effets de la stimulation β-adrénergique. Pourtant, l’hypocontractilité de cardiomyocytes issus d’animaux endotoxinémiques n’est pas réversible ex vivo par l’administration d’inhibiteurs de la NOS [16].

Homéostasie calcique intracellulaire et couplage excitation-contraction

Dans des modèles d’animaux endotoxinémiques, une diminution du nombre de canaux calciques sarcolemmiques et de l’intensité du courant calcique lent a été notée [17]. L’évolution de cette diminution de courant calcique est corrélée à l’intensité du dysfonctionnement myocardique in vivo [17].

Concernant les altérations de la réponse myocardique à la stimulation α-adrénergique, les données sont très discordantes : des anomalies en termes de densité d’expression de surface, de fonctionnalité, ou des deux ont été rapportées [17, 18]. L’existence de ces anomalies renforce l’intérêt de l’utilisation d’agents inotropes n’empruntant pas la voie d’action des récepteurs β et notamment les agents capables de renforcer la sensibilité des myofilaments au Ca2+ tels que le lévosimendan [19].

Thérapeutique

Les objectifs cliniques usuels du traitement du sepsis peuvent, dans un premier temps, être atteints par l’administration d’un remplissage vasculaire adéquat. La correction de la vasodilatation excessive nécessite souvent l’utilisation d’amines vasopressives. Néanmoins, ces catécholamines pourraient induire une nécrose myocardique localisée avec inflammation périvasculaire. La vasopressine semble être une alternative séduisante [20, 21].

Conclusions

L’existence d’un dysfonctionnement myocardique transitoire au cours du sepsis est désormais un fait établi. Cette altération des performances myocardiques peut être mise en évidence à l’aide d’indices indépendants des conditions de charge. Les mécanismes concourant à sa survenue font intervenir des éléments de la réponse inflammatoire systémique nombreux et largement intriqués. Si le dysfonctionnement purement myocardique est rarement la cause directe du décès, il peut grandement y participer.