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Les cellules germinales embryonnaires (EGC) sont capables de se différencier en une grande variété de types cellulaires in vitro comme in vivo [1-5]. De ce fait, certains auteurs considèrent qu’elles ont un potentiel en thérapie de remplacement aussi important que celui des cellules souches embryonnaires (ESC) [6]. Cependant, si cette pluripotence semble bien établie pour les lignées murines [2, 3], elle doit être étudiée plus en détail chez l’homme. Nous nous proposons dans cet article de présenter l’ontogenèse des cellules germinales primordiales, en particulier dans le modèle murin.

L’ontogenèse des PGC, un phénomène conservé ?

La détermination des PGC fait intervenir des mécanismes très différents selon les espèces [7]. Chez la drosophile, le nématode et le xénope, des déterminants cytoplasmiques d’origine maternelle, déjà présents dans l’ovocyte (granules polaires chez la drosophile ou granules P chez le nématode), ont un rôle essentiel. Chez les mammifères, la présence de précurseurs communs aux PGC et aux cellules somatiques n’est pas en faveur de l’existence de déterminants cytoplasmiques.

Cependant, certaines caractéristiques sont conservées dans toutes les espèces étudiées. Ainsi, on observe toujours une séparation spatiotemporelle de la différenciation des PGC et des gonades, et une nécessité pour les PGC de migrer jusqu’aux ébauches gonadiques [8] : chez les mammifères, les PGC sont déterminées au moment de la gastrulation (7,2 jours de développement chez la souris et 22-24 jours de développement chez l’homme), tandis que les ébauches gonadiques apparaissent plus tardivement (10,5 jours chez la souris et 42-44 jours chez l’homme). Dans pratiquement toutes les espèces, les PGC vont devoir migrer pour coloniser les gonades [8] : cette migration s’effectue selon deux modes, une migration passive contemporaine des mouvements morphogénétiques à l’origine de la forme du corps, et une migration active. Si la détermination des PGC chez les insectes et les mammifères fait intervenir des mécanismes très différents, les phénomènes de migration et de prolifération pourraient, en revanche, partager certains mécanismes moléculaires [9].

Origine des PGC

K.A. Lawson et W.J. Hage ont démontré, chez la souris, que les précurseurs des PGC provenaient de l’épiblaste, et plus précisément de l’épiblaste proximal proche de l’ectoderme extra-embryonnaire (Figure 1). À 6,0 jours de développement, ces précurseurs, qui donnent aussi naissance à des dérivés du mésoderme extra-embryonnaire [10], sont présents sur tout le pourtour de cet épiblaste proximal. Au cours de la gastrulation (à partir de 6,5 jours), ils vont être exclus de la future région antérieure de cet épiblaste et migrer hors de l’épiblaste par la partie postérieure de la ligne primitive pour se localiser dans une région extra-embryonnaire à la base de l’allantoïde. C’est à partir de cette étape du développement - 7,2 jours - que le potentiel de ces progéniteurs se restreint à la lignée des PGC, une fois leur localisation extra-embryonnaire réalisée. À ce stade, et durant toute leur migration, les PGC sont identifiées par l’expression de certains gènes tels que celui codant pour la phosphatase alcaline, SSEA-1, F9, EMA-1, Oct4 et Stella [11, 14], marqueurs également caractéristiques des cellules souches embryonnaires.

Figure 1

Localisation des PGC chez l’embryon de souris à 6,0 jours de développement.

Localisation des PGC chez l’embryon de souris à 6,0 jours de développement.

A. Les précurseurs des cellules germinales primordiales (PGC) (en vert) sont retrouvés dans la région proximale de l’épiblaste, juste à la limite épiblaste/ectoderme extra-embryonnaire. B. La transplantation de ces cellules dans une région distale de l’épiblaste aboutit à la formation de l’ectoderme neuronal (en rouge), prouvant ainsi l’absence de déterminisme de ces cellules à ce stade du développement. C. Inversement, la transplantation de cellules provenant de la région distale de l’épiblaste (en rouge) en région proximale permet l’obtention de PGC (en vert), prouvant ainsi l’importance de l’environnement dans la différenciation des PGC.

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Des expériences de transplantation d’épiblaste de 6,5 jours ont confirmé ces résultats et démontré la plasticité de l’épiblaste à ce stade du développement embryonnaire. Ainsi, une transplantation d’un épiblaste proximal en position distale ne donnera pas de PGC, alors que la greffe d’un épiblaste distal en position proximale permet d’obtenir des PGC (Figure 1). Cette étude suggère l’importance des signaux provenant de l’environnement dans le déterminisme des PGC [15], et en particulier de l’importance de la proximité de l’ectoderme extra-embryonnaire. De même, la mise en culture d’un épiblaste proximal de 6,0 jours donne naissance à des PGC, alors qu’un épiblaste distal ne donne jamais naissance à des PGC, sauf s’il est placé en présence d’ectoderme extra-embryonnaire. Ces résultats établissent clairement le rôle inducteur de l’ectoderme extra-embryonnaire dans l’émergence des PGC [16].

Déterminisme et différenciation des PGC

Parmi les voies de signalisation contrôlant le déterminisme et la différenciation des PGC, il semble que celle des membres de la famille TGFβ joue un rôle primordial. Les membres de cette grande famille contiennent d’une part le TGFβ, l’activine et Nodal et, d’autre part, les BMP (bone morphogenic proteins), tous facteurs connus pour être sécrétés et impliqués dans nombre de phénomènes de différenciation au cours de l’embryogenèse. Concernant les PGC, trois membres de la sous-famille des BMP semblent impliqués dans leur spécification et leur différenciation. L’étude des souris mutantes pour Bmp4, Bmp2, Bpm8b et pour deux de leurs effecteurs intracellulaires, Smad1 et Smad5, a conduit à l’élaboration d’un modèle impliquant séquentiellement ces trois signaux (Figure 2) : une première exposition à Bmp4, synthétisée par l’ectoderme extra-embryonnaire, confèrerait à l’épiblaste proximal une compétence à se différencier soit en PGC, soit en allantoïde. La restriction dans la lignée des PGC serait contrôlée par un deuxième signal provenant conjointement de l’ectoderme extra-embryonnaire via Bmp4 et Bmp8b et de l’endoderme extra-embryonnaire via Bmp2. Par la suite, la survie et la localisation des PGC seraient sous le contrôle de Bmp4 synthétisée par le mésoderme extra-embryonnaire [17].

Figure 2

Modèle à trois signaux expliquant l’émergence des PGC à partir de l’épiblaste proximal.

Modèle à trois signaux expliquant l’émergence des PGC à partir de l’épiblaste proximal.

À 6,0 jours de développement, le facteur Bmp4 (bone morphogenic protein) synthétisé par l’ectoderme extra-embryonnaire confèrerait une compétence à l’épiblaste à se différencier en PGC. Ce signal ferait intervenir au niveau de l’épiblaste proximal Smad5. Un deuxième signal plus tardif, à 6,5 jours, via Bmp4, Bmp8b et Bmp2, serait responsable de la différenciation des PGC. L’expression de Smad1 à 6,5 jours, au niveau de l’endoderme viscéral et, dans une moindre mesure, au niveau de l’épiblaste, suggère qu’il serait impliqué dans la prolifération et la survie des PGC. Smad5, exprimé à 6,5 jours dans l’épiblaste, serait effecteur cytoplasmique de Bmp4, et éventuellement de Bmp8b. Au cours de la gastrulation, les précurseurs des PGC présents sur le pourtour de l’épiblaste proximal migrent hors de l’épiblaste pour rejoindre une région extra-embryonnaire à la base de la future allantoïde (flèches noires pointillées).

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L’expression de Bmp4 est limitée à l’ectoderme extra-embryonnaire proximal de 6,0 jours à 6,5 jours de développement, puis s’étend lors de la gastrulation au mésoderme extra-embryonnaire. Les embryons porteurs d’une invalidation homozygote du gène bmp4 sont totalement dépourvus de PGC, et une réduction de 50 % de leur nombre est observée chez les hétérozygotes [18]. La protéine Bmp4, exprimée par l’ectoderme extra-embryonnaire, induirait la spécification des PGC, tandis que la protéine Bmp4 du mésoderme extra-embryonnaire assurerait leur localisation et leur survie [18, 19].

L’expression de Bmp8b est limitée, entre 6,0 jours et 7,5 jours, à l’ectoderme extra-embryonnaire, et l’absence de Bmp8b entraîne une diminution du nombre, voire une absence totale des PGC. Bmp8b interviendrait, comme Bmp4, dans la détermination des PGC, mais pas dans leur prolifération ni dans leur survie. En effet, chez certains embryons homozygotes dépourvus de Bmp8b, lorsque des PGC sont retrouvées, elles migrent et prolifèrent de façon comparable à ce qui est observé chez les embryons hétérozygotes [20, 21].

Des expériences de culture d’épiblastes distaux ont établi que Bmp4 induirait, très tôt au cours du développement (6,0 jours), une compétence au niveau de cet épiblaste à donner des PGC [22]. De plus, Bmp4 et Bmp8b agiraient, sous forme d’homodimères et non d’hétérodimères, directement sur l’épiblaste par une action synergique via deux voies de signalisation différentes qui demeurent inconnues [22].

L’étude de souris mutantes pour Bmp2, qui est exprimée dans la région postérieure de l’endoderme viscéral, a montré une réduction du nombre de PGC. Tout comme pour Bmp4, cette réduction est dépendante de la dose puisqu’une réduction est déjà observée chez les embryons hétérozygotes. Bmp2 interviendrait seulement dans la différenciation des PGC.

L’étude d’embryons double hétérozygotes, soit pour Bmp2 et Bmp4, soit pour Bmp2 et Bmp8b, a permis d’établir que Bmp4 et Bmp2 agissaient de façon additive sur la différenciation des PGC, alors que ce n’est pas le cas pour Bmp2 et Bmp8b [23]. Les auteurs de cette étude proposent, au vu de la forte similitude entre Bmp2 et Bmp4, que ces deux facteurs interviendraient via la même voie de signalisation.

Actuellement, les récepteurs exprimés par les PGC et impliqués dans ces voies de signalisation ne sont pas connus. En revanche, les facteurs intracytoplasmiques commencent à êtres identifiés. Ainsi, les souris mutantes pour Smad1 ou Smad5 présentent une forte réduction, voir une absence totale de PGC. Il reste à définir à quel niveau exact Smad1 et Smad 5 interviennent. Le profil d’expression de Smad1, exprimé à 6,5 jours au niveau de l’endoderme viscéral et dans une moindre mesure au niveau de l’épiblaste, suggère qu’il serait impliqué dans la prolifération/survie des PGC [24]. En revanche, Smad5, exprimé à 6,5 jours par l’épiblaste, serait l’effecteur cytoplasmique de Bmp4 et éventuellement de Bmp8b (Figure 2). En effet, les mutants Smad5 présentent une réduction du nombre de PGC et une localisation anormale, ce qui est aussi observé chez les mutants Bmp8b [25].

Des travaux récents ont démontré la possibilité de différencier des cellules souches embryonnaires (ES) en PGC, et ultérieurement en ovocytes ou spermatocytes [26-28]. Les conditions expérimentales semblent déterminantes pour favoriser l’une ou l’autre gamétogenèse. Notamment, le rôle de différents facteurs trophiques ajoutés dans le milieu de culture ou synthétisés par les cellules souches en voie de différenciation a été clairement spécifié. Le rôle du microenvironnement dans lequel baignent les cellules souches embryonnaires est capital pour une orientation sélective vers l’ovogenèse ou la spermatogenèse. Notons que la différenciation ovocytaire observée dans la culture de cellules ES se poursuit jusqu’à la formation de follicules matures producteurs d’hormones oestrogéniques. De plus, probablement par un phénomène parthénogénétique, l’apparition de structures blastocytaires a pu être observée [26].

Migration des PGC

Les précurseurs des PGC migrent à la base de l’allantoïde en traversant la partie postérieure de la ligne primitive. De là, les PGC se dispersent pour rejoindre les structures adjacentes, comme l’allantoïde, l’endoderme primitif ou l’endoderme définitif. Actuellement, peu de marqueurs spécifiques sont connus. Aucun marqueur spécifique des différentes phases de migration des PGC n’a encore été décrit.

Deux modes de migration, l’un passif, l’autre actif, vont permettre aux PGC de rejoindre les crêtes génitales (Figure 3). La formation de l’endoderme de la paroi de l’intestin postérieur à partir de l’endoderme viscéral conduit, de façon passive, à l’intégration des PGC dans ce tissu [29]. Elles vont ensuite activement migrer pour quitter l’intestin, traverser le mésentère dorsal et rejoindre les ébauches gonadiques. Celles-ci se forment de chaque côté de la ligne médiane, entre le mésonéphros et le mésentère dorsal, du fait de la prolifération de l’épithélium coelomique et d’une condensation du mésenchyme sous-jacent. Il semble que les deux modes de migration se fassent simultanément. En effet, les PGC possèdent une morphologie de cellules migratrices (présence de pseudopodes) dès 7,5 jours de développement [29].

Figure 3

Migration des PGC au cours du développement embryonnaire chez la souris.

Migration des PGC au cours du développement embryonnaire chez la souris.

À 7,5 jours, les PGC sont retrouvées à la base de l’allantoïde, dans l’endoderme définitif. Entre les 8e et 9e jours, du fait de mouvements morphogénétiques, elles vont être incorporées dans l’endoderme intestinal. De là, elles vont migrer activement pour rejoindre les ébauches gonadiques via le mésentère dorsal.

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Les premières cellules arrivent dès 9,5 jours sur le lieu des futures gonades. Ces résultats permettent d’émettre l’hypothèse selon laquelle les premières cellules « pionnières » guideraient les PGC suivantes vers leur destination grâce aux contacts qu’elles conservent entre elles via leurs pseudopodes [30]. Cette migration serait favorisée par un effet chimio-attractant des gonades à 10,5 jours [31].

L’étude in vitro des propriétés d’adhérence des PGC à la β-caténine, au collagène IV et à la laminine a montré que l’affinité des PGC à ces trois molécules de la matrice extracellulaire variait au cours de leur migration. Une fois dans les gonades, les PGC présentent notamment une augmentation de leurs propriétés d’adhérence à la laminine, qui y est fortement exprimée [32]. Différentes molécules d’adhérence sont exprimées par les PGC (E-cadhérine, N-cadhérine, P-cadhérine, β-caténine, Ep-CAM et les intégrines α3, α6, αV, β1 et β3) [33, 34] ou par les cellules somatiques avec lesquelles elles interagissent (collagène IV, fibronectine et laminine) [32]. Cependant il n’a pu être attribué un rôle, dans cette migration, qu’à la sous-unité β1 des intégrines, sans que l’on connaisse la sous-unité α avec laquelle elle s’hétérodimérise [33].

D’autres facteurs sont impliqués dans la survie, la prolifération et la migration des PGC. C’est le cas, par exemple, des mutations dominant white spoting (W) et le locus Steel [12]. Ces locus codent, respectivement, pour c-kit et son ligand le facteur Steel (SF) [35], mais leur rôle n’est pas encore élucidé.

Conclusions

Le déterminisme des PGC fait intervenir des mécanismes très différents selon les espèces. Ainsi, chez la drosophile, le xénope ou le nématode, ce déterminisme dépend de facteurs cytoplasmiques déjà présents dans l’ovocyte et donc d’origine maternelle. Les cellules héritant de ces facteurs donneront des PGC et uniquement des PGC. Chez les mammifères, aucun facteur cytoplasmique d’origine maternelle n’a été mis en évidence. Au contraire, il a été clairement établi que les précurseurs des PGC pouvaient aussi contribuer à la formation d’autres tissus. En revanche, une fois déterminées - et quelles que soient les espèces étudiées - leur ontogenèse suit un schéma très proche. Ainsi, il est toujours observé une séparation spatiotemporelle de la formation des PGC et des ébauches gonadiques. De plus, le premier site où elles sont observées, en tant que population cellulaire déterminée, est toujours extra-embryonnaire ou à la marge de l’embryon, puis il y a une migration de ces cellules vers les ébauches gonadiques. Il semble que les PGC soient temporairement exclues de l’embryon à un moment où se met en place la différenciation somatique. Certains auteurs [7, 36] pensent que cela leur permet d’échapper au processus de spécification des tissus somatiques. C’est aussi l’hypothèse avancée pour expliquer l’inhibition de la transcription observée dans les PGC de drosophile et de nématode, rendant ces cellules incapables de répondre aux différents signaux responsables des phénomènes de différenciation. Les travaux décrits ici, ne représentent que les quelques données que nous possédons de la biologie des PGC chez les mammifères. Des études plus approfondies sont donc nécessaires, cela afin de mieux appréhender les problèmes d’infertilité chez l’homme. De plus, les PGC ont potentiellement un avenir en thérapie de remplacement, dans la mesure où il semble qu’elles peuvent être à l’origine de lignées cellulaires pluripotentes, au même titre que les ESC.