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La génétique quantitative fait ses premiers pas chez l’homme. La variabilité individuelle d’un trait humain mesurable (taille, poids, concentration circulante d’un substrat ou d’une hormone…) comporte une part plus ou moins importante de génétique. La variabilité génétique qui différencie les individus repose sur le polymorphisme de leur ADN. Le génome humain comporte environ 14 millions de polymorphismes de « simple nucléotide » (SNP, single nucleotide polymorphism) ainsi que des polymorphismes variés (délétions, microsatellites, minisatellites…). Certains de ces polymorphismes - les uns codants non synonymes, les autres modifiant l’épissage, d’autres encore « régulateurs » - ont des effets fonctionnels. On commence à découvrir le rôle de ces polymorphismes. Certaines variations génomiques jouent un rôle de QTL (quantitative trait locus) : celui-ci reste souvent encore une vaste région chromosomique de plusieurs centimorgans [1].
L’action des médicaments offre un vaste champ d’application de la génétique quantitative. La « pharmacogénomique » est à la mode [2]. Mais les études dans ce domaine restent rares. Les médicaments ont des effets mesurables. Certains de ces effets reflètent les propriétés thérapeutiques du médicament, d’autres des conséquences indésirables liées à son emploi : par exemple, la croissance en réponse à l’hormone de croissance (GH, growth hormone), et l’insulinorésistance, facteur de diabète, provoquée par la même hormone. Un même variant génomique peut affecter plusieurs traits (pléiotropie). Les effets quantitatifs des variants génomiques peuvent aujourd’hui être évalués in vivo, directement, chez les sujets d’une cohorte de patients traités par le médicament (épidémiogénétique, études d’association). Les effets des variants suspectés induire des différences de réponse individuelle doivent être testés in vitro (génomique fonctionnelle). Comment trouver les variants génomiques à tester ? Pour l’action des médicaments, on peut difficilement recourir à des études de liaison génétique familiales, capables d’identifier des régions (QTL) jusque-là inconnues. En tout cas, c’est impossible pour des médicaments très spécifiques, à indications orphelines du type de l’hormone de croissance, qui ne sont administrés qu’à un membre de la famille. Pour rechercher des relations génotype-phénotype, il vaut donc mieux se tourner d’emblée vers des études d’association, directes, entre un variant éventuellement causal et le trait mesurable. Dans le cas qui nous intéresse, le trait quantitatif mesurable est la vitesse de croissance sous traitement par l’hormone de croissance. Quel variant nucléotidique tester ? Le premier gène intéressant s’imposait de lui-même. En effet, il ne fallait pas être un grand devin pour imaginer que le récepteur de la GH, porteur d’un polymorphisme fréquent chez les Européens, pouvait moduler les effets physiologiques de la GH. Une étude récente réalisée dans le service d’Endocrinologie de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul (Paris, France) montre que les enfants porteurs hétérozygotes ou homozygotes d’une délétion de l’exon 3 du récepteur de la GH répondent mieux à l’hormone (Figure 1) [3]. Ils grandissent plus vite lorsqu’on leur administre de la GH afin de corriger leur petite taille. Les porteurs de la délétion représentent la moitié de la population européenne : c’est dire que l’effet est important à connaître. Il concerne un enfant traité sur deux. L’accélération de la croissance est à peu près le double de celle des homozygotes pour la forme longue du récepteur de la GH, qui composent l’autre moitié de la population. La différence fonctionnelle est nette in vitro, lorsqu’on teste la transduction du signal GH dans un système de cellules transfectées avec des plasmides porteurs des ADNc des différentes formes du gène GHR. Le gène codant pour le récepteur de la GH est un QTL important pour la croissance humaine. Le polymorphisme impliquant l’exon 3 s’est répandu dans la population européenne, indiquant probablement un avantage sélectif qu’il n’est pas évident d’imaginer [4]. On ne connaît pas précisément sa prévalence en Afrique, continent où il a vu le jour avant la transition hominidés-Homo sapiens, comme le montrent d’élégantes observations du groupe de S. Amselem (Créteil, France). Ce polymorphisme influence fortement la réponse individuelle des patients à l’hormone de croissance. Ces résultats inaugurent d’autres études, dans d’autres domaines thérapeutiques où les réponses sont mesurables et peuvent conduire à l’analyse génétique quantitative.
Appendices
Références
- 1. Korstanje R, Paigen B. From QTL to gene : the harvest begins. Nat Genet 2002 ; 31 : 235-6.
- 2. Barton NH, Keightley PD. Understanding quantitative genetic variation. Nat Rev Genet 2002 ; 3 : 11-21
- 3. Dos Santos C, Essioux L, Teinturier C, et al. A common polymorphism of the growth hormone receptor is associated with increased responsiveness to growth hormone. Nat Genet 2004 ; 36 : 720-4.
- 4. Pantel J, Machinis K, Sobrier ML, et al, Species-specific alternative splice mimicry at the growth hormone receptor locus revealed by the lineage of retroelements during primate evolution. J Biol Chem 2000 ; 275 : 18664-9.