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Dix ans après sa découverte, la leptine nous révèle encore de nouvelles surprises. Cette hormone codée par le gène ob, produite par les adipocytes, a été identifiée par sa fonction dans la diminution de la prise alimentaire via son action opposée sur deux populations neuronales localisées dans le noyau arqué hypothalamique (Figure 1) : si elle stimule les neurones à pro-opiomélanocortine (POMC) anorexigènes, elle inhibe les neurones producteurs de neuropeptide Y (NPY) orexigènes [1] (Figure 2). Deux équipes indépendantes viennent de montrer qu’outre ce rôle chez l’adulte, la leptine est impliquée dans le développement et la plasticité synaptique de ces populations neuronales.

Figure 1

Localisation du noyau arqué hypothalamique.

Localisation du noyau arqué hypothalamique.

(d’après [6])

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Figure 2

Actions centrales de la leptine.

Actions centrales de la leptine.

La leptine agit sur les circuits hypothalamiques de trois façons différentes : à l’âge adulte, elle agit directement sur les neurones du noyau arqué (ARH) pour induire des modifications de la synthèse et de la libération de neuropeptide Y (NPY) et d’α-melanocyte stimulating hormone (α-MSH), un peptide dérivé de la pro-opiomélanocortine (POMC). En parallèle, cette hormone induit des remodelages de la connectivité synaptique de ces mêmes populations neuronales, l’ensemble de ces événements conduisant à une diminution de la prise alimentaire. Durant les premières semaines de vie postnatale, la leptine promeut la mise en place des projections du noyau arqué vers les régions hypothalamiques réglant la prise alimentaire: noyaux dorsomédian (DMH), paraventriculaire (PVH) et aire hypothalamique latérale (LHA), projections qui lui serviront à véhiculer son effet anorexigène à l’âge adulte.

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Chacune de ces études a porté sur des souris génétiquement déficientes en leptine (souris ob/ob). Nous rapportons un rôle essentiel de la leptine dans le développement des projections « métaboliques » du noyau arqué [2]. L’absence de leptine durant les premières semaines de vie postnatale altère de façon permanente la formation des projections entre le noyau arqué et les noyaux dorsomédian, paraventriculaire et l’aire hypothalamique latérale, projections qui, chez l’adulte, véhiculeront le signal anorexigène de la leptine [3] (Figure 2). L’injection périphérique de leptine permet de restaurer une densité normale de ces projections, mais uniquement si l’hormone adipocytaire est injectée durant les premières semaines de vie postnatale, c’est-à-dire au moment où survient physiologiquement un « pic » de leptine circulante chez l’animal normal [4]. Si elle est administrée en dehors de cette période (par exemple à l’âge adulte), elle n’a qu’un effet très partiel. De plus, ces effets neurotrophiques de la leptine s’exercent, au moins en partie, directement au niveau du noyau arqué puisque, in vitro, l’ajout de leptine à des explants organotypiques de noyau arqué induit la croissance neuritique par ces derniers.

L’équipe de S. Pinto [5] a étudié un effet rapide de la leptine sur la plasti-cité synaptique chez l’animal adulte (Figure 2). L’analyse de l’activité électrique des neurones du noyau arqué d’animaux ob/ob a révélé qu’un défaut de leptine induisait une augmentation d’influx stimulateurs sur les neurones NPY, parallèlement à une augmentation d’influx inhibiteurs sur les neurones POMC. Cette variation d’activité électrique est accompagnée de remaniements morphologiques : on observe une augmentation des contacts synaptiques excitateurs (vraisemblablement glutamatergiques) des neurones NPY des souris ob/ob, alors que c’est une diminution de contacts excitateurs que reçoivent les neurones POMC. L’injection d’une simple dose de leptine permet de retrouver, en quelques heures, une configuration synaptique semblable à celle d’une souris normale.

L’ensemble de ces travaux démasque de nouvelles fonctions pour la leptine dans le développement cérébral et la plasticité synaptique. Ces études montrent que, peu après la naissance, la leptine orchestrerait la mise en place des circuits qui lui permettront de transmettre son action au niveau central puis, à l’âge adulte, elle induirait des remodelages synaptiques lui permettant d’exercer de façon optimale son effet anorexigène. L’altération de chacun de ces événements pourrait ainsi avoir des conséquences à moyen et à long terme sur le poids corporel de l’individu.