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L’histoire du 26RFa débute il y a plus de 500 millions d’années avec l’apparition des cnidaires dont le système nerveux rudimentaire exprime déjà des neuropeptides présentant le motif Arg-Phe-NH2 à l’extrémité carboxy-terminale de leur séquence, désignés sous le terme générique de peptides RFamide [1]. Chez divers groupes d’invertébrés, les peptides RFamide exercent des fonctions multiples notamment dans la régulation de l’activité cardiaque, le maintien de l’équilibre hydrique ou encore la neurotransmission. Il est maintenant bien établi que les peptides RFamide sont largement représentés chez tous les invertébrés ; à titre d’exemple, chez le ver C. elegans, 22 gènes codant pour 59 peptides RFamide distincts ont été identifiés [2]. En 1985, la purification du neuropeptide FF (NPFF), à partir d’un extrait de cerveau de boeuf, a montré pour la première fois que les peptides RFamide sont également présents chez des vertébrés et qu’ils y exercent des fonctions importantes [3]. Toutefois, 20 ans après la découverte du NPFF, seulement 3 gènes codant pour des précurseurs de peptides RFamide ont été identifiés chez les mammifères. Un laboratoire public (Inserm U.413, Rouen, France) et deux compagnies pharmaceutiques (Schering-Plough à Kenilworth, USA et Takeda Chemical Industries à Ibaraki, Japon) viennent simultanément de caractériser, chez l’homme, l’ADNc codant pour le précurseur d’un peptide RFamide totalement nouveau, le 26RFa. Ces équipes montrent que le 26RFa est le ligand endogène du récepteur orphelin GPR103 et qu’il exerce des activités remarquables chez les rongeurs [4-6], suggérant que la famille des peptides RFamide est peut-être beaucoup plus diversifiée chez les mammifères qu’on ne le supposait. L’identification d’un nouveau neuropeptide chez l’homme constitue toujours un événement majeur qui mérite que l’on s’y attarde. De plus, dans le cas présent, les chercheurs de l’Inserm, de Schering-Plough et de Takeda ont utilisé des approches distinctes pour identifier le 26RFa (Figure 1), lesquelles constituent une bonne illustration des différentes stratégies actuellement mises en oeuvre pour découvrir de nouveaux neuropeptides.
Le 26RFa, un même neuropeptide chez la grenouille et chez l’homme
Pour isoler le 26RFa, les chercheurs de l’Inserm U.413 ont appliqué une stratégie maintenant bien rodée qui consiste à purifier à partir du cerveau d’un vertébré poïkilotherme - la grenouille - des neuropeptides jusqu’alors inconnus, puis à rechercher les orthologues de ces nouveaux neuropeptides d’amphibiens chez les mammifères par clonage moléculaire assisté d’une analyse bio-informatique (Figure 1). La pertinence de cette approche comparative avait déjà été validée avec la découverte de la sécrétoneurine [7], de la cortistatine [8] et de l’urotensine II [9] chez l’homme, trois neuropeptides initialement isolés à partir du cerveau de la grenouille [10-12]. Afin de rechercher de nouveaux membres de la famille des peptides RFamide chez les vertébrés, les chercheurs rouennais ont criblé des fractions pré-purifiées d’un extrait de cerveaux de grenouille à l’aide d’un anticorps dirigé contre le motif Arg-Phe-NH2. Ils ont ainsi pu isoler deux peptides possédant la signature RFamide, l’un de 12 acides aminés qui a été nommé Rana RFamide (R-RFa) [13] et le second de 26 acides aminés qui a été désigné par le sigle 26RFa [4]. La comparaison de la séquence du R-RFa avec celles des autres peptides RFamide connus chez les mammifères a révélé que le peptide de grenouille est l’orthologue du RFRP-1 des mammifères, un peptide RFamide identifié in silico, qui se lie avec une forte affinité au récepteur orphelin OT7TO22 [14]. En revanche, l’analyse structurale a montré que le 26RFa ne présente que très peu d’identité de séquence avec les autres peptides RFamide de vertébrés, mis à part la signature RFamide commune à tous les peptides de cette grande famille (Figure 2) : le 26RFa est donc un neuropeptide totalement nouveau. La recherche, dans les banques de données protéiques et nucléotidiques, de peptides apparentés au 26RFa a permis d’identifier, dans le génome humain et dans les EST de rat, deux séquences nucléotidiques codant pour un peptide RFamide fortement apparenté au 26RFa, indiquant donc que ce nouveau neuropeptide n’était pas une particularité des amphibiens mais qu’il était vraisemblablement présent aussi chez les mammifères. Les ADNc codant pour le précurseur du 26RFa ont alors pu être aisément isolés chez le rat et chez l’homme. Chez les deux espèces, le peptide 26RFa occupe la région carboxy-terminale du précurseur (Figure 3), une localisation classique pour de nombreux neuropeptides régulateurs tels que la somatostatine, l’urotensine II, le CRF (corticotropin-releasing factor), la β-endorphine, la MCH (melanin-concentrating hormone), etc. Les chercheurs de l’Inserm U.413 ont ensuite localisé, chez le rat, les ARNm du prépro-26RFa dans deux noyaux du diencéphale - le noyau hypothalamique ventromédian et l’aire hypothalamique latérale - qui sont tous deux connus pour être impliqués dans le contrôle de la prise alimentaire. En accord avec cette distribution neuroanatomique, les chercheurs de l’UMR Cnrs 6036 à Rouen (France) ont pu montrer que le 26RFa, injecté par voie intracérébroventriculaire, provoque une augmentation importante de la consommation de nourriture chez la souris. La découverte, à partir du cerveau de grenouille, d’un neuropeptide orexigène chez les mammifères souligne une nouvelle fois que nos lointains ancêtres amphibies sont de précieux alliés pour les biologistes en quête de nouveaux peptides bioactifs [15].
Le 26RFa, ligand endogène du GPR103
La démarche qui a permis aux chercheurs de Schering-Plough d’identifier l’ADNc du 26RFa humain [6] associe une approche de pharmacologie inverse, qui a déjà été à plusieurs reprises décrite dans les colonnes de médecine/sciences [16-19], à l’analyse bio-informatique (Figure 1). La compagnie Schering-Plough, comme beaucoup d’autres groupes pharmaceutiques, s’est lancée dans un programme de « désorphanisation » de récepteurs couplés aux protéines G. Les chercheurs de cette compagnie se sont notamment interessés à un récepteur orphelin, le GPR103 (aussi nommé AQ27 ou SP9155) qui présente une importante identité de séquence (49 %) avec les récepteurs de types 1 et 2 du NPFF. Cette forte parenté structurale suggérait que le ligand naturel du GPR103 pouvait être un peptide de la famille RFamide. Ils ont donc recherché dans le génome humain des séquences contenant le motif Arg-Phe-Gly suivi d’un doublet basique, site potentiel de clivage pour les prohormones convertases. Toutes les séquences ainsi identifiées ont été analysées et celles présentant un peptide signal présomptif, mais exemptes de domaine transmembranaire, ont été sélectionnées pour servir de base à la synthèse de peptides virtuels de type RFamide. En évaluant la capacité de ces peptides à mobiliser le calcium intracellulaire dans des cellules transfectées avec le GPR103, il est apparu que seule la réplique synthétique correspondant à la séquence humaine du 26RFa présentait une forte affinité pour le GPR103. Les chercheurs ont alors cloné le précurseur du 26RFa chez l’homme et chez la souris, et ont étudié la distribution du prépro-26RFa et du GPR103 dans le cerveau et dans divers organes périphériques. Ils ont observé que, dans le cerveau de la souris, les ARNm du prépro-26RFa sont majoritairement exprimés dans l’hypothalamus, confirmant ainsi les données obtenues par les chercheurs rouennais dans le cerveau du rat. Les ARNm du GPR103 sont, eux aussi, fortement exprimés dans l’hypothalamus, ce qui valide l’idée selon laquelle le 26RFa a pour cible certains noyaux hypothalamiques. Les résultats complémentaires obtenus par les chercheurs de Rouen et ceux de Kenilworth montrent que le 26RFa est produit dans le cerveau, que ce neuropeptide est le ligand endogène du GPR103 et que l’administration de 26RFa provoque une forte stimulation de la prise alimentaire.
Le 43RFa, ligand sélectif du GPR103
L’identification du 43RFa (encore désigné QRFP), forme étendue du 26RFa, par les chercheurs de Takeda comme ligand sélectif du GPR103 [5] est le résultat d’une démarche intermédiaire entre celles mises en oeuvre par l’Inserm U.413 et Schering-Plough (Figure 1). Comme les chercheurs rouennais, l’équipe d’Ibaraki a émis l’hypothèse que des peptides RFamide restaient à découvrir chez les mammifères. Leur stratégie a consisté à rechercher dans le génome humain l’existence de peptides RFamide présomptifs en utilisant les mêmes critères de sélection que les chercheurs de Kenilworth, à savoir la présence du motif Arg-Phe-Gly suivi d’un résidu basique, site potentiel de clivage, dans les protéines hypothétiques arborant un peptide signal. Par cette approche, les chercheurs d’Ibaraki ont identifié la même séquence que leurs compétiteurs de Rouen et de Kenilworth et ont ensuite cloné l’ADNc codant pour le précurseur du 26RFa chez l’homme, le boeuf, le rat et la souris. Ils ont alors postulé que le peptide RFamide contenu dans ce précurseur pouvait être le ligand d’un récepteur orphelin et ils ont misé sur le GPR103 en raison de sa forte identité structurale avec les récepteurs connus de peptides RFamide. Les chercheurs de Takeda ont tout d’abord synthétisé un peptide de 7 acides aminés, le 7RFa, correspondant au domaine carboxy-terminal du 26RFa (région totalement conservée chez toutes les espèces et précédée d’un triplet basique) (Figure 3) et ils ont observé que ce peptide présentait une faible affinité pour le GPR103. Ils ont alors émis l’hypothèse selon laquelle une forme allongée de cet heptapeptide pourrait être un meilleur ligand du GPR103. Afin de déterminer quels peptides RFamide pouvaient être engendrés à partir du précurseur du 26RFa, ils ont transfecté des cellules HEK avec l’ADNc du 26RFa et ils ont isolé une forme allongée du 26RFa, possédant 43 acides aminés, le 43RFa. Les chercheurs de Takeda ont ensuite montré que le 43RFa est légèrement plus affin que le 26RFa vis-à-vis du GPR103. De plus, ils ont observé que le GPR103 est fortement exprimé dans le cortex surrénalien, notamment dans les zones glomérulée et fasciculée, suggérant que le ligand de ce récepteur pouvait être impliqué dans le contrôle de la sécrétion des corticostéroïdes. De fait, l’injection par voie intraveineuse de 43RFa, stimule la sécrétion d’aldostérone chez le rat sans modifier les taux de testostérone ou de corticostérone. Une fois de plus, les résultats obtenus par l’équipe de Takeda sont complémentaires de ceux publiés par les chercheurs de l’Inserm et de Schering-Plough dans la mesure où ils révèlent que le précurseur du 26RFa peut engendrer, en plus du 26RFa lui-même, une forme allongée du neuropeptide qui possède une forte activité biologique.
Conclusions
L’identification du 26RFa constitue sans aucun doute une avancée importante tant sur le plan conceptuel que pour ses applications physiopathologiques potentielles. D’une part, ces travaux montrent que la famille des peptides RFamide est certainement plus diversifiée chez les vertébrés qu’on ne l’imaginait jusqu’à présent. D’autre part, la mise en évidence de l’effet orexigène du 26RFa associée à la connaissance de la structure du peptide et de celle de son récepteur permettent d’envisager le développement d’agonistes ou d’antagonistes spécifiques qui pourraient être utilisés dans le traitement des troubles du comportement alimentaire. Toute-fois, la découverte du 26RFa et de sa forme allongée, le 43RFa, soulève plusieurs questions qui restent pour l’instant sans réponse. Par exemple, alors que le 26RFa et le 43RFa sont tous deux biologiquement actifs, on ignore à l’heure actuelle si un seul des ces neuropeptides ou les deux sont produits chez l’homme et si leur précurseur subit une maturation différentielle en fonction des tissus dans lesquels il est exprimé. De même, on ne sait pas si le 26RFa et le 43RFa possèdent, comme la plupart des neuropeptides, plusieurs sous-types de récepteurs. Il serait notamment interressant de déterminer si, en plus du GPR103, le 26RFa est capable d’activer un autre récepteur qui lui serait spécifique, non reconnu par le 43RFa, pouvant ainsi conférer aux deux neuropeptides des fonctions physiologiques distinctes. Nul doute que les efforts conjugués des laboratoires académiques et des compagnies pharmaceutiques permettront de résoudre plusieurs de ces énigmes.
Appendices
Références
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