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Le fer est un élément paradoxal, indispensable à toute forme de vie, essentiellement pour assurer le transport d’oxygène et catalyser des réactions de transfert d’électrons, de fixation d’azote ou de synthèse d’ADN, mais également toxique, en raison de sa capacité à réagir avec l’oxygène et à catalyser la production de formes radicalaires.

Les organismes vivants ont développé un grand nombre de protéines permettant de véhiculer le fer dans les fluides biologiques ou à travers les membranes cellulaires et de le mettre en réserve sous une forme facilement disponible, mais non toxique. À l’inverse de la ferritine, protéine de stockage du fer très conservée, les systèmes d’acquisition du fer ont considérablement évolué entre les espèces et se sont adaptés à la forme chimique sous laquelle le fer se trouve dans l’environnement [1].

Chez les mammifères, le fer circulant plasmatique est lié à la transferrine. L’internalisation du complexe fer-transferrine par l’intermédiaire de récepteurs spécifiques, présents en grand nombre à la surface des cellules, a longtemps été considérée comme la voie principale d’acquisition du fer par les cellules [2]. Cependant, l’étude d’animaux génétiquement modifiés ou porteurs de mutations spontanées a permis d’identifier de nouvelles protéines impliquées dans le transport du fer à travers les membranes biologiques, en particulier des transporteurs du Fe ferreux (II). De plus, une deuxième forme du récepteur de la transferrine, principalement exprimé dans le foie, a récemment été mise en évidence [3], de même qu’une autre voie d’internalisation de la transferrine à partir du complexe mégaline-cubiline [4] ((→) m/s 2003, n°5, p.337).

Les systèmes d’acquisition du fer contrôlent la charge en fer de l’organisme

Il n’existe pas de moyen pour l’organisme d’éliminer le fer absorbé en excès, et la constitution d’une surcharge en fer de l’organisme ne peut être évitée que par un contrôle fin de l’absorption intestinale (Figure 1A) et du recyclage macrophagique (Figure 1B). Les mécanismes de régulation de l’absorption intestinale du fer sont restés longtemps méconnus, mais des progrès notables ont été accomplis par l’identification du gène responsable de l’hémochromatose génétique, codant pour la protéine HFE, et dernièrement par la découverte de l’hepcidine, un peptide circulant jouant un rôle majeur dans l’homéostasie du fer.

Figure 1

Acquisition du fer par l’entérocyte duodénal et le macrophage.

Acquisition du fer par l’entérocyte duodénal et le macrophage.

A. Les entérocytes matures, au sommet de la villosité duodénale, absorbent le fer à partir des aliments et assurent son transfert vers le plasma. Au pôle apical, Dcytb, une réductase membranaire, réduit le Fe (III) en Fe (II) [5], celui-ci étant par la suite transporté à travers la membrane par Nramp2/DMT1 [6-8]. Un transport vectoriel du fer cytoplasmique, par un mécanisme encore inconnu, permet au fer d’être ciblé vers le pôle basolatéral et exporté vers le plasma par la ferroportine. Le fer est ensuite réoxydé par l’héphaestine [12] et pris en charge par la transferrine plasmatique (Apo Tf). Le fer non transféré au plasma est stocké par la ferritine, puis éliminé par désquamation des entérocytes matures. Le fer héminique absorbé au pôle apical sera libéré par l’hème oxygénase et exporté de la même façon que le fer non héminique. B. L’organisme d’un être humain adulte contient environ 4 g de fer, dont plus de la moitié est associée à l’hémoglobine des érythrocytes circulants. La phagocytose des globules rouges sénescents par les macrophages assure un recyclage efficace des atomes de fer vers le plasma [13]: environ 25 mg de fer pourraient ainsi être recyclés quotidiennement pour participer à l’érythropoïèse. Ce mécanisme concerne principalement les macrophages de la rate et de la moelle osseuse et, dans une moindre mesure, les cellules de Kupffer. Le fer libéré par le catabolisme de l’hème assuré par l’hème oxygénase peut être stocké par la molécule de ferritine ou recyclé vers le plasma. Les mécanismes de recyclage sont encore mal connus, mais la protéine ferroportine/IREG1/MTP1, une protéine transmembranaire qui exporte le Fe (II), semble jouer un rôle important dans ce processus [9-11, 14, 15]. Le fer ferreux est ensuite oxydé par la céruloplasmine sérique [16] et fixé par la transferrine. Il est probable que la céruloplasmine est également impliquée dans les échanges de fer entre plusieurs tissus, des malades porteurs d’une acéruloplasminémie héréditaire développant progressivement une surcharge en fer qui s’accompagne d’un diabète, d’une dégénérescence rétinienne ou de symptômes neurologiques [17].

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Un modèle de régulation de l’absorption intestinale a été proposé, qui suggère que les cellules indifférenciées de la crypte reçoivent des signaux émis par l’organisme, leur permettant d’exprimer, au cours de leur différenciation et de leur migration le long de la villosité intestinale, les protéines nécessaires à l’absorption du fer, à un niveau adapté aux besoins de l’organisme. Ces signaux, de deux types, permettraient de moduler l’absorption en fonction du niveau des réserves en fer (store regulator) ou de l’activité érythropoïétique de la moelle osseuse (erythroid regulator) [18]. La nature moléculaire de ces signaux est encore incomplètement élucidée, mais il est sûr que les protéines HFE et hepcidine jouent un rôle majeur dans cette signalisation.

Intervention de la protéine HFE

La protéine HFE, dont une mutation est responsable de l’hémochromatose génétique, est une molécule HLA de classe I non classique [19]. Des expériences de cocristallisation et de co-immunoprécipitation ont clairement démontré que la protéine HFE s’associe avec le récepteur de la transferrine [20], facilitant ainsi l’endocytose du complexe fer-transferrine et modulant la quantité de fer reçue par les cellules. La mutation Cys282Tyr de la protéine HFE, retrouvée chez la majorité des patients atteints d’hémochromatose héréditaire, empêche son ciblage à la membrane et conduit à sa dégradation rapide. L’absence d’HFE fonctionnelle diminuerait la quantité de fer reçue par les cellules, en particulier par les cellules indifférenciées de la crypte duodénale, qui percevraient cette situation comme un signal de carence en fer et continueraient à exprimer les protéines de transport du fer, malgré des réserves en fer tissulaires supérieures à la normale (Figure 2). Ce modèle a cependant été remis en question par la découverte récente de l’hepcidine, un régulateur majeur de l’homéostasie du fer, et par la mise en évidence du rôle de la protéine HFE dans l’expression de l’hepcidine.

Figure 2

Régulation de l’homéostasie du fer.

Régulation de l’homéostasie du fer.

Au cours de leur migration le long la villosité duodénale, les cellules de la crypte se différencient et expriment les protéines de capture et de transfert du fer, à un niveau variable selon les besoins en fer de l’organisme. Cette programmation dépend de signaux, émis par l’organisme, dont la nature moléculaire est encore imprécise. La molécule HFE, exprimée au pôle basolatéral des cellules de la crypte, interagit avec les récepteurs de la transferrine (ovales verts) et contrôle la quantité de fer internalisé. Lorsque la protéine est mutée, comme c’est le cas dans l’hémochromatose génétique, le duodénum perçoit un signal de carence en fer et continue à exprimer les protéines de l’absorption malgré des réserves en fer élevées. Un autre modèle propose qu’en l’absence d’HFE fonctionnelle, l’activation de la synthèse d’hepcidine après l’augmentation des réserves en fer ne se fasse plus normalement, entraînant le développement d’une surcharge. En effet, l’hepcidine, synthétisée par le foie et sécrétée dans le plasma, contrôle négativement aussi bien l’absorption intestinale du fer que le recyclage macrophagique du fer héminique, libéré par la phagocytose des globules rouges sénescents et le catabolisme de l’hème.

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Rôle de l’hepcidine

L’hepcidine est synthétisée par le foie sous forme d’un précurseur de 80 acides aminés, puis sécrétée dans le plasma sous forme d’un peptide mature de 20-25 acides aminés, très structuré par la présence de 8 cystéines formant 4 ponts disulfure [21]. L’hepcidine, isolée des urines comme peptide antimicrobien, a ensuite été identifiée comme une protéine hépatique dont la synthèse est fortement inductible, in vivo comme in vitro, par une surcharge en fer et par les lipopolysaccharides bactériens [22]. La confirmation de son rôle dans le contrôle de l’homéostasie du fer est venue de l’étude de souris recombinantes pour le gène codant pour le facteur de transcription USF2 (upstream stimulatory factor), qui présentaient accidentellement une inactivation du gène codant pour l’hepcidine [23]. Le défaut d’expression d’hepcidine entraîne chez les animaux une surcharge en fer progressive du foie et du pancréas, ainsi qu’une déplétion des réserves en fer des macrophages tissulaires. L’hepcidine circulante pourrait être le store regulator recherché depuis plusieurs années, contrôlant la sortie du fer des entérocytes duodénaux et des macrophages.

Le mode d’action de l’hepcidine est encore inconnu, mais la protéine pourrait avoir un effet direct, sur l’activité d’exportation du fer, ou indirect, en modulant le niveau d’expression des protéines de transport. L’importance de l’hepcidine chez l’homme a été démontrée par la mise en évidence de mutations inactivatrices de ce peptide chez deux familles atteintes d’hémochromatose juvénile [24]. Par ailleurs, le passage transplacentaire du fer semble pouvoir être inhibé par l’hepcidine, puisque des souris transgéniques surexprimant l’hepcidine présentent une anémie néonatale sévère et meurent quelques heures après la naissance [25].

La similarité phénotypique (surcharge hépatique en fer et diminution du contenu en fer des macrophages) des souris déficientes en protéine HFE ou déficientes en hepcidine a dès le début suggéré que les deux protéines intervenaient sur une même voie de transduction du signal entre le fer tissulaire et l’entérocyte. Cette hypothèse a été renforcée par la mise en évidence, chez la souris [26] comme chez l’homme [27], d’un défaut d’activation de la synthèse d’hepcidine en réponse à une surcharge en fer lorsque la protéine HFE est mutée ou inactivée. De plus, l’introduction d’un transgène hepcidine chez des souris déficientes en HFE permet d’empêcher l’apparition d’une surcharge en fer [26]. L’ensemble de ces résultats suggère que la protéine HFE participe à la régulation de l’expression de l’hepcidine, en fonction de la charge en fer de l’organisme.

Des modèles murins, ainsi que des dosages d’hepcidine urinaire chez l’homme, ont montré que les états inflammatoires ou infectieux stimulent très fortement l’expression de l’hepcidine [28, 29], suggérant que ce médiateur soluble pourrait également contribuer aux anémies fréquemment associées à ces situations pathologiques. Enfin, la répression de l’hepcidine observée au cours d’une anémie hémolytique expérimentale ou en situation d’hypoxie [28] est probablement une condition nécessaire, mais pas nécessairement suffisante, à la stimulation de l’absorption intestinale du fer après activation de l’érythropoïèse. Il est intéressant de noter que les érythropoïèses inefficaces avec hémolyse intramédullaire stimulent très fortement l’absorption intestinale du fer, contrairement aux hémolyses périphériques [18], par un mécanisme qui demeure inconnu.

Ces différents résultats ouvrent des perspectives intéressantes pour l’utilisation de l’hepcidine comme agent thérapeutique dans le traitement des surcharges en fer acquises, secondaires à des anomalies de l’érythropoïèse comme celles observées dans les thalassémies, et peut être aussi dans certaines formes héréditaires d’hémochromatose.

Conclusions

La connaissance du métabolisme du fer a considérablement évolué au cours de cette dernière décennie. D’une vision simplifiée, fondée sur un mode unique aussi bien d’acquisition du fer par les cellules via les récepteurs de la transferrine que de stockage lié à la ferritine, elle est passée à une vision complexe, faisant apparaître une spécialisation importante des différents types cellulaires dans les mécanismes d’acquisition du fer comme dans les régulations coordonnées des différents gènes impliqués. L’identification de nouveaux éléments majeurs de régulation de l’homéostasie du fer, en particulier d’une molécule HLA de classe I - la protéine HFE - et d’un peptide à activité antimicrobienne - l’hepcidine -, ainsi que la découverte d’enzymes à activité ferroxydase ou ferriréductase et de transporteurs membranaires du fer ferreux, ont marqué ces dernières années et fait de l’étude du métabolisme du fer un domaine passionnant. De nouvelles maladies génétiques ont été découvertes, liées à des mutations de l’un ou l’autre des gènes impliqués, et le fer s’est révélé jouer un rôle aggravant dans des situations pathologiques diverses - états inflammatoires, infections, pathologies cardiovasculaires, diabète ou encore insuffisance rénale. De nouvelles perspectives thérapeutiques s’ouvrent, notamment avec l’hepcidine, permettant d’espérer une amélioration des traitements supplétifs en fer, toujours très imparfaits, et des traitements des surcharges en fer, actuellement fondés sur l’utilisation de chélateurs, d’un maniement souvent contraignant pour le malade et non toujours dénués d’effets secondaires.