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Pourquoi surveiller la grippe?

Quelle que soit la pathologie étudiée, la mise en place d’un système de surveillance épidémiologique fait souvent appel à une logistique lourde. La mise en route d’un projet de surveillance doit donc préalablement faire l’objet d’un processus de réflexion visant à justifier l’intérêt de cette surveillance.

À ce titre, il existe des arguments forts pour développer la surveillance de la grippe.

  • La grippe est une préoccupation de santé publique. Maladie fréquente et à fort potentiel épidémique (voire pandémique), la grippe est à l’origine d’une morbidité importante et une épidémie de grippe peut toucher plusieurs millions de personnes en France. La grippe est grave pour les personnes à risque, non vaccinées, pour lesquelles la mortalité par grippe est loin d’être négligeable.

  • La connaissance précoce d’une alerte épidémique peut permettre de limiter son retentissement sur le système de soin (désorganisation de la prise en charge en ville et à l’hôpital liée à l’afflux des patients, ruptures de stock médicamenteux…).

  • La connaissance des souches de virus grippal en circulation permet d’assurer l’adéquation de la composition des vaccins, évaluée annuellement.

  • L’absence de tableau clinique spécifique de la grippe et le développement récent de molécules antivirales spécifiques de la grippe rendent particulièrement utile la diffusion de l’information épidémiologique vers les soignants, leur permettant de limiter l’utilisation à large échelle de ces produits aux périodes épidémiques.

Organisation de la surveillance de la grippe en France par les GROG

Si l’analyse précise des virus grippaux fait appel à des biologistes spécialisés, la grippe est une maladie fréquente dont les meilleurs acteurs de surveillance se trouvent en première ligne des soins. À partir des années 1970, et surtout des années 1980, les virologues des Centres nationaux de référence pour l’Influenzae (CNRI) se sont efforcés de ne pas se limiter aux prélèvements hospitaliers et de développer des groupes de préleveurs extra-hospitaliers. Le réseau national des Groupes régionaux d’observation de la grippe (GROG) est né en février 1984 de la rencontre de médecins libéraux, conscients de leur rôle en santé publique, et de virologistes spécialistes de la grippe à la recherche de médecins préleveurs en ville. Le premier GROG a été expérimenté en Ile-de-France par une association de soignants (Pluriels), l’Institut Pasteur de Paris et l’Observatoire régional de santé d’Ile-de-France, sur financement de la Direction générale de la santé. Il a été étendu à toute la France en 1987 avec un triple objectif: l’isolement des virus grippaux en circulation, la détection précoce des épidémies de grippe et la mise en alerte du système de soins.

La « méthode GROG » repose sur une idée simple: la grippe est le seul phénomène capable de provoquer une augmentation brutale à la fois de l’activité de l’ensemble du système de soins et de la circulation de virus grippaux dans la population.

Les GROG utilisent les définitions de cas suivantes.

  • Cas suspect: infection respiratoire aiguë (IRA)

    Tout patient porteur, depuis quelques heures ou quelques jours, de signes respiratoires et de signes généraux (fatigue, courbatures, céphalées), dans un contexte fébrile.

  • Cas probable 

    Tout patient présentant une IRA, chez qui la présence d’un virus de grippe est rendue probable par un prélèvement rhino-pharyngé positif avec un test rapide de surveillance (TRS).

  • Cas confirmé (grippe virologiquement confirmée)

    Tout patient présentant une IRA, chez qui la présence d’un virus de grippe est confirmée par un prélèvement rhino-pharyngé positif pour la grippe après analyse virologique dans un des CNRI ou dans un laboratoire de virologie agréé par les CNRI.

  • Épidémie de grippe

    Co-existence de cas confirmés (virologiquement) et d’une augmentation de l’activité sanitaire pendant 2 semaines consécutives dans une même région INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques).

Les GROG sont constitués de « vigies », nombreuses et diversifiées (Tableau I), réparties sur l’ensemble du territoire, qui ont pour mission de décrire l’intensité de leur activité et de faire des prélèvements rhino-pharyngés chez les patients présentant une IRA évoluant depuis moins de 2 jours. Chaque prélèvement est accompagné d’une fiche clinique décrivant le statut vaccinal du patient et les symptômes qu’il présente. Ces prélèvements sont soit envoyés à l’un des laboratoires membres des GROG (CNRI ou laboratoire agréé), soit analysés sur place par le médecin vigie (TRS) [1-4]. Cette façon de surveiller l’activité des virus grippaux en confrontant des données virologiques et cliniques est devenue le standard européen à partir des années 1990 [5].

Tableau I

GROG 2001-2002.

GROG 2001-2002.

Quelles vigies? Quelles données? Quels prélèvements?

Source: coordination nationale des GROG

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Pendant la période de surveillance intensive, du 1er octobre au 15 avril, les GROG diffusent chaque mercredi un bulletin d’alerte hebdomadaire mis en ligne sur le site http://www.grog.org. Dès le début de l’épidémie de grippe, l’analyse des premières fiches cliniques jointes aux prélèvements permet de décrire les particularités cliniques des virus en circulation [6, 7]. À la fin de chaque hiver, un échantillon de malades ayant eu une grippe confirmée fait l’objet d’une enquête rétrospective qui décrit tous les soins reçus par le patient à l’occasion de cette grippe. Il est ainsi possible d’évaluer le coût direct d’un cas de grippe, en tenant compte de l’âge du patient et de l’intensité clinique des cas [8].

Évaluation des coûts

Le coût direct moyen d’un cas de grippe traité en ambulatoire comprend les honoraires médicaux, les dépenses pharmaceutiques, les examens complémentaires et les dépenses d’auxiliaires médicaux (Tableau II). Pendant l’hiver 2001-2002, ce coût a varié de 28 à 65 euros selon l’âge de survenue et l’existence ou non de complications, les cas les plus coûteux concernant les enfants présentant des complications (otites, etc.)

Tableau II

Estimation du coût direct ambulatoire moyen d’un cas de grippe selon l’âge et la sévérité, en France, pendant l’hiver 2001-2002.

Estimation du coût direct ambulatoire moyen d’un cas de grippe selon l’âge et la sévérité, en France, pendant l’hiver 2001-2002.

Analyse de 558 cas de grippe confirmée par les GROG

Source: GROG, Open Rome, GEIG

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L’impact de la grippe sur les pertes de production est plus délicat à analyser. Pendant l’hiver 2001-2002, dans l’échantillon de cas analysés par les GROG, 78 % des adultes actifs ayant un emploi et touchés par la grippe ont bénéficié d’un arrêt de travail. La durée des arrêts de travail pour grippe confirmée a varié de 1 à 17 jours, avec une moyenne de 4,7 jours et la répartition suivante:

  • 1 à 3 jours: 34 %;

  • 4 à 7 jours: 57 %;

  • 8 jours et plus: 9 %.

Il est tentant d’évaluer les coûts indirects de la grippe en estimant le nombre des arrêts de travail liés à la grippe, en valorisant ces arrêts au prorata du nombre de jours et en adoptant comme valeur unitaire soit le coût des indemnités journalières, soit la perte de production liée à une journée de travail. En fait, ce type d’estimation est critiquable. En effet, la diversité des couvertures sociales et des conventions collectives rend l’utilisation des indemnités journalières aléatoire. Par ailleurs, le niveau de la perte de production liée aux absences des travailleurs dépend de la situation économique et de l’organisation du travail. En période de mévente, les stocks sont pleins et la chute de production offre à l’entreprise une possibilité de déstockage financé par l’Assurance-Maladie. En revanche, dans les très petites entreprises, une seule absence peut paralyser la production. À l’inverse, dans les grandes entreprises (secteur automobile, par exemple), il est prévu un volant d’absentéisme. Tant que le taux d’absence n’a pas franchi un certain seuil, les chaînes continuent de fonctionner au même rythme. En raison de ces paradoxes, les entreprises membres des GROG (Armée, EDF, PSA, Hewlett-Packard, Hôpitaux, Caisses d’Assurance-Maladie…) ont intensifié leur effort de recherche dans ce domaine, en créant un « GROG entreprises » et en lançant plusieurs études préliminaires sur le terrain [9].

Apport des GROG à la santé publique

Le réseau national des GROG couvre aujourd’hui 19 des 22 régions INSEE: Alsace, Aquitaine, Basse et Haute-Normandie, Bourgogne, Bretagne, Franche-Comté, Ile-de-France, Centre, Languedoc-Roussillon, Limousin, Lorraine, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Pays-de-la-Loire, Picardie, Poitou-Charentes, Provence-Alpes-Côte d, Rhône-Alpes.

Depuis le début du fonctionnement des GROG, l’alerte grippale a toujours été fiable et précoce (3 à 6 semaines avant le pic épidémique). Les GROG ont donné un essor considérable à l’analyse virologique en démultipliant le nombre des virus grippaux isolés (plus de 2000 au cours de la dernière saison). Dans le même temps, les GROG ont développé l’utilisation d’indicateurs de surveillance des infections à virus respiratoire syncytial, virus responsable, chaque hiver, d’épidémies d’infections pseudo-grippales pouvant compliquer la détection des épidémies de grippe.

Les données recueillies par les GROG depuis 16 saisons réalisent une base considérable de données permettant de développer des modèles, d’affiner les critères d’alerte et d’effectuer des estimations d’impact sanitaire et économique des différentes épidémies.