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Sous les paupières closes du syndrome de Fraser
Parmi les nombreuses malformations qui caractérisent le syndrome décrit par Fraser en 1962, la cryptophtalmie, cette apparente absence d’yeux dans un visage sans fentes palpébrales, est sans doute l’élément le plus consternant de cette grave maladie récessive autosomique. Dans 43% des cas, les enfants atteints sont mort-nés, ou décèdent dans la première année de vie. On retrouve les anomalies du syndrome de Fraser (SF) dans le phénotype blebbed chez la souris, présenté comme un modèle murin de SF [1]. Effectivement, des travaux présentés récemment [2, 3] identifient le gène en cause, et montrent qu’un des phénotypes blebbed est bien dû à une mutation homozygote avec perte de fonction de l’orthologue murin. Le locus a été d’abord localisé en 4q21 dans un segment incluant le gène ANXA3 (codant pour l’annexine 3). Dans la région proximale d’ANXA3, quatre gènes avaient été prédits qui se sont révélés n’être en réalité qu’un seul grand gène, FRAS1. Chez tous les malades atteints de SF et appartenant à des familles dont le locus se situe en 4q21, des mutations homozygotes de FRAS1 ont été identifiées. FRAS1 code pour une protéine qui ressemble à la protéine ECM3 de l’oursin, un composant des fibres de la matrice extracellulaire (ECM) jouant un rôle important dans la réorganisation au cours de la gastrulation. Chez les souris bl/bl, l’orthologue murin Fras1 est muté et il n’y a pas de protéine Fras1. L’analyse des embryons de souris Fras1-/- montre qu’au cours du développement embryonnaire (à partir de E 12,5), des dissociations dermo-épidermiques se produisent, avec décollements hémorragiques à des points de friction mécanique entre la tête, ou les pattes, et la paroi utérine. Toutefois, si ces lésions évoquent un peu celles survenant par contact dans l’épidermolyse bulleuse, elles s’en distinguent par leur survenue pendant une période limitée du développement embryonnaire, et leur présence dans les reins et le coeur. Une analyse ultrastructurale montre que l’absence de Fras1 affecte la jonction dermo-épidermique sous la lamina densa avec rupture plus profonde dans le derme et lésions vasculaires hémorragiques. L’étude par anticorps spécifiques des protéines sous-épithéliales montre une absence de dépôts de collagène VI. Il est possible que parmi les nombreux domaines qui constituent la protéine Fras1, celui qui présente une similitude de séquence avec NG2 – un protéoglycane à chondroïtine sulfate – soit important, puisque NG2 interagit avec FGF3 et les collagènes de type V et VI. La compréhension complète du syndrome de Fraser ne saurait tarder. Il restera ensuite à trouver chez l’homme d’autres gènes voisins de FRAS1 car, chez la souris, le phénotype blebbed est causé par au moins quatre gènes différents.
Comment chantent les oiseaux dans le tumulte des villes
Le bruit envahit les villes, mais n’en chasse pas les oiseaux. Deux chercheurs de l’université de Leiden, aux Pays-Bas, ont constaté que les mésanges «des villes» chantaient sur une fréquence plus élevée que celle du chant des mésanges «des champs», ce qui évitait à leur chant d’être masqué par le bruit ambiant [4]. Ils ont alors recherché quel type de sélection avait pu s’exercer sur l’espèce sauvage, dont on sait qu’au moment de l’accouplement elle use de signaux sonores: choix entre deux groupes, ou processus d’adaptation. Pour cela, les auteurs ont procédé à divers enregistrements dans des zones urbaines plus ou moins bruyantes, l’amplitude sonore variant de 42 à 63 décibels. Le chant des oiseaux était enregistré sur un micro orienté, le bruit ambiant sur un micro multidirectionnel à 5 mètres du sol. Une corrélation entre l’amplitude du bruit et la distribution spectrale de l’énergie sonore des chants a été constatée: dans les zones bruyantes, on trouve des oiseaux dont le chant a une fréquence minimale élevée, alors qu’une fréquence plus basse est observée dans les zones tranquilles. Il n’est pas totalement exclu qu’il y ait eu sélection des oiseaux. On sait, cependant, que les mésanges apprennent à chanter en interaction avec leurs voisins, et le plus probable est que les oiseaux aient appris à sélectionner une tranche de leur capacité spectrale en réponse à l’interférence de conditions sonores locales, leur chant s’adaptant à un territoire donné. On constaterait là pour la première fois qu’un environnement humain a pu modifier les conditions de communication d’une espèce aviaire par un mécanisme permettant à des oiseaux de se reproduire malgré le bruit. Les espèces qui n’auraient pas cette possibilité adaptative tendraient-elles à diminuer ou disparaître ?
L’axe du fuseau dicte l’immortalité
Les cellules souches germinales (CSG) de la drosophile offrent un modèle exceptionnel d’étude de la régulation des cellules souches, parce qu’on peut analyser directement leur nombre et leur devenir dans les multiples mutants génétiques. Dans le testicule, neuf CSG entourent des cellules somatiques «stromales» (Csom) constituant une niche. Cette interaction CSG-Csom est essentielle au maintien du nombre des CSG. Lors de la division asymétrique des cellules souches, une cellule fille reste au contact des Csom et l’autre s’en éloigne. La première reste «souche», la seconde se différencie en gonioblaste. C’est par la transmission d’un signal provenant des Csom et relayé dans la CSG par une voie de signalisation de type JAK-STAT que le caractère souche est conservé. L’équipe de Margaret Fuller démontre que l’éloignement d’une des deux cellules filles est dicté par l’orientation du fuseau mitotique [5]. Ainsi, dans le noyau des CSG en interphase, le centrosome unique est au contact direct de la zone d’interaction CSG-Csom. Lors de la duplication du centrosome, un centrosome migre au pôle opposé de la cellule, mais l’autre reste au contact de la cellule somatique, et le fuseau s’oriente perpendiculairement, sans rotation ultérieure, ce qui explique qu’une cellule fille soit éloignée des Csom, et ne reçoive donc aucun signal «d’autorenouvellement». L’importance de cette polarité initiale est attestée par l’effet de mutants pour une protéine du centrosome, la centrosomine.
Chez ces mutants, l’orientation du fuseau est anormale, souvent parallèle aux Csom et le nombre de CSG y est très augmenté, toutes les cellules filles contactant les Csom. Quelle structure est donc responsable de l’ancrage du centrosome dans la CSG au contact de la Csom ? les auteurs de ce très beau papier de Science [5] démontrent que c’est un complexe associant la DE-cadhérine et Armadillo, qui est sélectivement localisé au point de contact CSG/Csom, et qui permet l’ancrage et la concentration d’Apc2, un homologue du gène suppresseur de tumeur APC (adenomatous polyposis colitis). De fait, comme les mutants centrosomin, les mutants Apc2 ont aussi un nombre de CSG augmenté, comme l’est la taille de la niche. Ce complexe cadhérine-Armadillo-Apc2 capturerait les microtubules astraux du centrosome et les ancrerait au niveau du cortex des CSG, imposant l’axe du fuseau et donc l’asymétrie de la division. Peut-être ce mécanisme assurant un équilibre correct entre autorenouvellement et différenciation est-il opérationnel dans d’autres cellules souches somatiques? Il serait passionnant de pouvoir faire la même étude dans les cellules souches de mammifères, que l’on ne sait, hélas, même pas purifier !
AID et UNG: un couple idéal
La maturation terminale des lymphocytes B est caracterisée par deux événements majeurs: (1) la commutation isotypique (CSR, class switch recombination) modifie la partie constante des immunoglobulines (Ig) sans modifier leur spécificité pour l’antigène, permettant la production d’Ig de différents isotypes ayant des propriétés effectrices distinctes; (2) la création des mutations somatiques (SHM, somatic hypermutation), quant à elle, consiste en l’introduction de mutations dans les gènes codant pour les parties variables des Ig: elles permettent d’augmenter l’affinité pour l’antigène des Ig produites. Les étapes précises nécessaires aux CSR et SHM ne sont pas encore précisément connues. La description d’un déficit immunitaire (HIGM2) caractérisé par un défaut de CSR et de SHM secondaire à des mutations du gène codant une nouvelle molécule, l’activation induced cytidine deaminase (AID) ((→) m/s 2000, n°10, p.1142 et 2003, n°2, p. 139), a démontré le rôle crucial d’AID dans la maturation terminale des lymphocytes B [6]. AID est une cytidine désaminase transformant des résidus cytosine en résidus uracile. Du fait d’une certaine similitude de séquence avec une enzyme ayant la même activité sur l’ARN (APOBEC-1), il a été proposé qu’AID modifiait un ARN codant pour une endonucléase. Cependant, des travaux récents indiquent que AID agirait directement sur l’ADN. [7, 8]. Ces données, obtenues dans des modèles non physiologiques, ne permettent pas de conclure. La description par notre laboratoire d’un nouveau déficit immunitaire caractérisé par un défaut de CSR et un changement de nature des SHM dû à un défaut en uracil DNA-glycosylase (UNG) [9] consolide grandement le modèle d’édition de l’ADN par AID: AID introduit dans l’ADN des résidus uraciles qui sont modifiés et retirés par UNG. Le site abasique ainsi créé est la cible d’une activité endonucléase à l’origine des cassures de l’ADN nécessaires au CSR et au SHM. La présence de SHM, dont le profil est cependant anormal, pourrait résulter de l’activité d’autres molécules (vraisemblablement des molécules de la famille des mismatch repair). Outre la description d’un nouveau déficit immunitaire, cette observation apporte des éléments primordiaux pour la compréhension des mécanismes de la maturation des lymphocytes B.
Le peptide YY3-36, une hormone contre l’obésité
Le peptide YY3-36 (PYY3-36) est sécrété pendant la période post-prandiale par les cellules endocrines tapissant l’intestin grêle et le côlon, proportionnellement à la quantité de calories ingérées. L’équipe de Bloom a précédemment montré que la perfusion de PYY3-36 chez l’homme non obèse induit une sensation de satiété pendant 12 heures et que son administration chronique chez le rat provoque une baisse significative du poids corporel [10]. À l’instar de la leptine, le PYY3-36 réduit l’appétit en agissant sur les circuits neuronaux hypothalamiques contrôlant la prise alimentaire. Comme la majorité des sujets obèses présentent une résistance à l’action de la leptine, on pouvait donc s’interroger sur l’efficacité du PYY3-36 dans le traitement de l’obésité humaine. Récemment, l’équipe londonienne a comparé les effets du PYY3-36 sur l’appétit et la prise alimentaire d’un groupe de sujets obèses (six hommes, six femmes) et d’un groupe de volontaires non obèses [11]. L’effet satiétogène du peptide est aussi efficace chez les patients obèses que chez les sujets sains (–30% de calories ingérées) et persiste pendant 12 heures dans les deux groupes. Les concentrations plasmatiques du PYY3-36 sont inférieures chez les patients obèses et sont inversement corrélées à l’indice de masse corporelle. De plus, la libération post-prandiale de PYY3-36 est plus faible chez les patients obèses, alors même qu’ils ont consommé plus de calories pendant le repas. Un défaut de production de PYY3-36 dans le sang pourrait contribuer à la pathogénie de l’obésité. Dans les deux groupes de patients, l’administration de PYY3-36 diminue les concentrations plasmatiques de ghréline, un peptide sécrété par les cellules endocrines de la paroi gastrique et qui stimule la prise alimentaire. Cette inhibition de la production de ghréline pourrait donc accroître l’action satiétogène du PYY3-36. L’efficacité du PYY3-36 chez les patients obèses ouvre de nouvelles perspectives dans le traitement pharmacologique de l’obésité.
Variations d’épissage et hétérogénéité clinique
La gravité des symptômes de certaines maladies génétiques peut varier considérablement d’un individu à l’autre en fonction du «fond génétique». Dans certains cas, la variabilité des symptômes pourrait être attribuée à des variations d’épissage du transcrit du gène muté, comme le montrent D.A. Buchner et al. dans le modèle murin medJ [12]. Le gène Scn8a code pour un canal sodique localisé sur les axones et les dendrites des neurones. Dans les souris medJ, une mutation du site donneur d’épissage de l’intron 3 du gène Scn8a réduit l’expression de ce gène. Selon les souches, les souris medJ présentent des symptômes dystoniques s’échelonnant de désordres moteurs chroniques à la létalité juvénile. Cette variabilité des symptômes a été associée au gène codant pour SCNM1 (sodium channel modifier 1). D.A.Buchner et al. démontrent que Scnm1, qui code potentiellement pour un facteur d’épissage, est muté chez les souris qui présentent les symptômes les plus sévères, issues des souches C57 et C58. L’expression par transgenèse de la forme non mutée de SCNM1 diminue la sévérité des symptômes de dystrophie des souris medJ. L’amélioration du phénotype s’accompagne d’une augmentation de la quantité de transcrits de Scn8a correctement épissés chez les souris transgéniques. SCNM1, dont l’orthologue existe chez les mammifères, appartient à une famille de protéines impliquées dans la reconnaissance du site donneur d’épissage. Exprimée dans une grande variété de tissus embryonnaires et adultes de la souris, cette protéine pourrait être plus généralement impliquée dans les processus d’épissage, et la survenue de mutations pourrait expliquer l’expressivité variable d’autres maladies génétiques murines. Cette hypothèse peut être testée chez la souris par l’expression transgénique de SCNM1 dans des souris co-isogéniques, affectées de maladies dont l’expressivité varie avec le fond génétique. Chez l’homme, le gène SCN8A ayant été caractérisé [13], son implication dans certaines maladies génétiques autosomiques dominantes à expressivité variable pourrait donc être recherchée.
Les bonbons anti-apoptotiques
L’apoptose, ou mort cellulaire programmée, est un processus biologique complexe dans lequel plusieurs voies de signalisation, dont une voie mitochondriale, sont impliquées. L’activation – ou l’inactivation – des membres de la famille Bcl-2 provoque le largage par la mitochondrie de cytochrome c; celui-ci active des caspases qui déclenchent l’apoptose proprement dite en provoquant la dégradation de centaines de protéines de régulation et l’activation d’endonucléases et de protéases. Les membres de la famille Bcl-2 peuvent soit favoriser (Bax, Bad…), soit s’opposer (Bcl-2, Bcl-xl…) au processus apoptotique. Pour identifier avec quelles protéines Bad s’associait, N.N. Danial et al. ont entrepris une analyse protéomique à partir de mitochondries purifiées d’une lignée cellulaire de foie de souris [14]. Ils ont trouvé que Bad était présente dans un complexe protéique de 232 kDa dont ils ont analysé les constituants. Les premiers éléments ne sont pas inattendus et participent probablement à la régulation de l’activité de Bad en contrôlant sa phosphorylation. Il s’agit de la protéine kinase A (PKA), de la protéine phosphatase 1 (PP1), et de Wave-1, une protéine d’ancrage de la PKA. Le dernier composant de ce complexe est nettement plus surprenant, car il s’agit d’une glucokinase (hexokinase IV). Les hexokinases sont responsables de la phosphorylation du glucose, produisant du glucose-6 phosphate, première étape de la glycolyse et du stockage du glucose en excès sous forme de glycogène dans le foie. Des cellules Bad-/-ne contiennent pas le complexe de 232kDa et ont une activité glucokinase réduite. Dans les cellules normales, le déficit en glucose entraîne une déphosphorylation de Bad et une apoptose dépendante de Bad (c’est en effet sous sa forme déphosphorylée que Bad est pro-apoptotique). Bad se situe donc à la croisée de deux voies métaboliques importantes dans les mitochondries, et pourrait jouer un rôle de sentinelle déclenchant l’apoptose en réponse à un défaut de métabolisme du glucose.
Requiem pour la transdifférenciation
Le groupe d’Arturo Alvarez-Buylla tord le cou dans un article de Nature [15] aux révélations fracassantes sur la «transdifférenciation» des cellules souches hématopoïétiques. A.Alvarez-Buylla observe, comme beaucoup d’autres avant lui, que chez un rongeur greffé avec des cellules de moelle osseuse syngénique, des neurones de Purkinje, des hépatocytes et des cardiomyocytes expriment les marqueurs associés aux cellules du donneur. Mais il démontre qu’il s’agit, non pas d’une «transdifférenciation», mais d’une fusion de cellules hématopoïétiques du donneur, probablement de la lignée monocytaire, avec les cellules différenciées spécifiques de ces tissus. La démonstration expérimentale se fonde sur l’utilisation du système de recombinaison Cre-Lox : in vivo, la moelle osseuse de souris transgéniques pour Cre et GFP a été transplantée à un receveur de type Rosa26R, dans lequel le gène lacz n’est exprimé qu’après excision d’une cassette «stop» flanquée de sites LoxP; l’excision ne peut se produire que s’il y a fusion avec une cellule exprimant Cre. Une transdifférenciation sera appréciée, elle, par l’analyse de marqueurs tissulaires dans les cellules n’exprimant que la GFP. La détection dans le foie des receveurs d’hépatocytes «bleus», résultat d’une fusion avec des cellules d’origine médullaire, confirme les données publiées [16, 17] ((→) m/s 2003, n°6-7, p.683); plus inattendu, de rares neurones de Purkinje sont aussi «bleus». Un article publié simultanément dans Nature Cell Biology par le groupe de H.Blau [18] aboutit à la même conclusion, ce qui clôt une longue et agressive controverse, qui avait eu le mérite de nous faire admirer de superbes cellules de Purkinje [15, 18, 19] ((→) m/s 2003, n°5, p. 552 et n° 6-7, p.671). Enfin, A. Alvarez-Buylla décrit aussi des images de fusion entre cellules mononucléées du donneur et cardiomyocytes matures dans le coeur du receveur. L’utilisation de moelle osseuse provenant d’animaux dont le transgène Cre est sous contrôle du promoteur CD45 démontre que la fusion s’opère avec des cellules hématopoïétiques CD45+, ce qui n’exclut pas une possible participation de cellules mésenchymateuses, présentes aussi dans la moelle osseuse. Mais de transdifférenciation, point! Il est étrange cependant qu’aucune cellule «bleue» n’ait été détectée dans le muscle, l’intestin, et le rein; moindre expression des transgènes dans ces tissus, ou absence de fusion? nul doute que nous aurons bientôt la réponse ((→) m/s 2003, n°12, p. 1285). À bas la transdifférenciation, vive la fusion ! En effet, des questions passionnantes s’offrent à la sagacité des chercheurs : cette fusion engendre-t-elle un hétérocaryon avec deux noyaux, ou y a-t-il fusion des noyaux ? Ces cellules fusionnées peuvent-elles se diviser et engendrer de nouvelles cellules différenciées «corrigées», comme dans le foie des souris tyrosinémiques ? Quels risques y aurait-il à exploiter cette stratégie en thérapeutique ? Surtout, il y a à l’évidence un processus de reprogrammation des noyaux adultes issus de cellules matures hématopoïétiques, dans les neurones de Purkinje comme dans les hépatocytes, un champ d’investigation passionnant! Nos politiques vons s’arracher les cheveux.
Nos gènes doivent-ils guider les choix thérapeutiques ?
Un polymorphisme commun du gène codant pour l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA) est défini par l’insertion (I) ou la délétion (D) d’une séquence d’ADN dans l’intron 16, conduisant à 3génotypes (DD, ID, II). L’allèle D est associé à une activité élevée d’ECA chez les sujets de race blanche et les Asiatiques, et pourrait conduire à une plus grande fréquence d’accidents vasculaires. Les inhibiteurs de l’ECA sont-ils particulièrement actifs chez les sujets DD ? S.B. Harrap et al.[20] répondent par la négative à cette question, à partir des résultats de l’étude PROGRESS qui inclut 6105 patients ayant des antécédents d’accident vasculaire cérébral ou d’ischémie cérébrale transitoire. Le génotypage ID de l’ECA fut effectué chez 5688 d’entre eux, séparés en deux groupes d’importance égale selon qu’ils ont ou non été traités par un inhibiteur de l’ECA, le perindopril. Le génotype DD a été observé plus fréquemment chez les sujets de race blanche (32%) que chez les Asiatiques (14,7%). Tenant compte de cette disparité, aucune relation n’a été trouvée entre le génotype ID et l’efficacité du traitement par le perindopril sur la diminution de la pression artérielle. Au cours de la période d’observation, en moyenne 3,9 ans, l’incidence des accidents vasculaires n’a pas varié avec le génotype. De plus, si le perindopril diminue efficacement la fréquence des accidents vasculaires, cet effet bénéfique n’était pas plus marqué chez les sujets DD. Ainsi, le génotype ID de l’ACE, que l’on pouvait penser utilisable dans le cadre d’une médecine prédictive et d’une thérapeutique individualisée, ne semble pas répondre à ces espoirs. Cela ne veut pas dire, pour autant, que d’autres gènes ne seront pas plus utiles.
Sérieuse remise en cause du rôle de l’âge paternel
Dès 1955, Penrose attirait l’attention sur le rôle de l’âge paternel dans la survenue de néomutations concernant des maladies génétiques autosomiques dominantes, comme l’achon- droplasie, ou liées à l’X, comme les hémophilies. Cet effet de l’âge paternel était expliqué par le mécanisme de production des spermatozoïdes, qui implique en effet un processus continu de divisions méiotiques débutant à la puberté. L’accumulation d’erreurs au cours de cette réplication permanente de l’ADN était donc invoquée pour expliquer la plus grande fréquence de néomutations dans la descendance des hommes plus âgés. Du reste, l’origine paternelle de ces néomutations avait été confirmée par analyse moléculaire. Mais cet effet concernait surtout des maladies dans lesquelles les néomutations surviennent dans des points chauds très localisés (un ou deux nucléotides), comme on l’observe dans les gènes FGFR3 (achondroplasie), FGFR2 (syndrome d’Apert ou acrocéphalosyndactylie), et RET (néoplasies endocriniennes multiples). Pour mieux comprendre cet effet de l’âge paternel, deux études ont analysé les mutations directement dans les spermatozoïdes, et les résultats sont pour le moins inattendus. Une première étude sur des spermatozoïdes d’hommes de classes d’âge différent ne montre qu’une faible augmentation du nombre des mutations avec l’âge des sujets [21]. Une nouvelle étude réalisée par un groupe anglais vient de fournir une toute autre explication. La recherche a porté sur les mutations par substitution C-G, C-T et C-A au nucléotide 755 du gène FGFR2 dans des spermatozoïdes d’hommes sans histoire familiale de maladie génétique et chez des pères d’enfant atteint de syndrome d’Apert [22]. L’analyse de ces mutations démontre qu’il ne s’agit pas d’une accumulation d’erreurs de réplication, ou d’un processus de réparation insuffisante, mais bien d’une sélection positive des spermatozoïdes porteurs de la mutation (qui, du reste, confère un gain de fonction). La mutation donnerait un avantage sélectif aux spermatogonies mutantes, avant même que débute la méiose. Il faudra confirmer ce mécanisme non seulement sur le gène FGFR2, mais aussi sur les gènes du même groupe FGFR3 et RET. Si un tel avantage sélectif se confirme, il rendra caduque une théorie depuis longtemps admise et inscrite dans tous les manuels de génétique.
De l’importance de STAT5b dans la stature et l’immunité
Le syndrome de résistance à l’hormone de croissance (GH) ou syndrome de Laron est généralement dû à des mutations dans la partie extracellulaire du récepteur de la GH, dont la séquence est identique à celle de sa protéine de liaison circulante, la GHBP. E. Kofoed et al. [23] viennent d’identifier une nouvelle cause de résistance à la GH chez une adolescente de 16,5 ans dont la taille correspond à celle d’une enfant de 6,5 ans. Il s’agit d’une mutation faux sens dans le quinzième exon du gène codant pour une protéine impliquée dans la voie de transduction du récepteur de la GH: STAT5b (signal transducer and activator of transduction 5b). Le rôle crucial de cette protéine dans la transduction du signal GH avait déjà été démontré chez des souris invalidées pour ce gène. En effet, les souris STAT5b-/- ne présentent plus de dimorphisme sexuel en ce qui concerne leur croissance et l’expression des enzymes hépatiques [24]. STAT5b joue également un rôle important dans la transduction du signal de plusieurs cytokines et le système immunitaire de la patiente de E. Kofoed et al. est d’ailleurs très altéré, en accord avec les déficiences de l’immunité cellulaire observées chez les souris STAT5b-/-. Il reste maintenant à déterminer la prévalence du phénotype combiné de résistance à la GH et d’immunodéficience dans le syndrome de Laron, et à rechercher des mutations dans les autres protéines intervenant dans la voie JAK-STAT5b impliquée dans la cascade de transduction de la GH. Mais, d’ores et déjà, cette étude confirme que le contrôle de la croissance diffère chez la souris et chez l’homme. Chez les souris STAT5b-/-, seuls les mâles sont nains.
Jumeaux dizygotes monochoriaux: la fin d’un dogme ?
Du point de vue génétique, la distinction entre jumeaux monozygotes (MZ) et jumeaux dizygotes (DZ) est parfaitement claire, puisque les premiers procèdent d’un seul oeuf alors que les seconds sont des frères et soeurs simultanés provenant de gamètes différents. Mais, en ce qui concerne les annexes, les données sont plus complexes et ont déjà suscité de nombreuses discussions. Concernant les jumeaux MZ, la date de séparation en deux de l’unique zygote est déterminante: tardive, les jumeaux seront monochoriaux monoamniotiques; plus précoce, les jumeaux auront un seul placenta, mais deux amnios; plus précoce encore (avant le stade blastocyste), les jumeaux seront dichoriaux, diamniotiques. Quant aux jumeaux DZ, il est communément admis qu’ils ne sont jamais monochoriaux. Pourtant, une observation récente vient de démontrer le contraire [25]. L’analyse de l’ADN de jumeaux (un garçon et une fille) a prouvé qu’ils étaient dizygotes, alors que l’étude histologique du placenta a confirmé la présence d’un placenta unique avec deux amnios. Comme on pouvait s’y attendre, il existait une chimère sanguine chez les deux enfants par mélange des populations hématopoïétiques. Il faut noter que cette chimère s’est effectuée au profit des cellules masculines, chez la fille comme chez le garçon, phénomène déjà rapporté chez des jumeaux DZ dans certains cas de chimères par fusion des placentas et anastomoses. Cet éventuel avantage sélectif en faveur des cellules masculines reste à expliquer. Pour élucider ce cas exceptionnel de jumeaux DZ monochoriaux, de nombreuses hypothèses sont proposées par les auteurs, dqu’il s’agissait d’une grossesse médicalement assistée. En effet, celle-ci avait été réalisée chez une femme de 48 ans, par réimplantation de trois embryons fécondés in vitro (par injection intracytoplasmique, ICSI, dans des ovocytes provenant de donneuses). Une fusion des deux embryons aurait pu se produire avant l’implantation dans l’utérus. Certaines expériences ont montré en effet que des embryons de mammifères pouvaient fusionner in vitro [26]. Mais faut-il mettre en cause les techniques de procréation assistée [27]? D’autres explications sont possibles, d’autant que, bien qu’exceptionnels, des cas de placentas «fusionnés», ressemblant fort à un placenta unique, ont été rapportés par le passé chez des jumeaux DZ.
Instabilité chromosomique et réponse à la chimiothérapie
Il est admis qu’il existe deux formes distinctes et exclusives de cancers colorectaux: le type LOH (loss of heterozygosity) et le type MSI (microsatellite instability), montrant respectivement une instabilité chromosomique et nucléotidique. Le type LOH également appelé CIN est caractérisé par de nombreuses pertes alléliques, une hyperploïdie des cellules et des mutations fréquentes sur les gènes P53 et APC. Les tumeurs de type MSI (ou MIN) sont diploïdes, et les gènes P53 et APC rarement mutés. Le type MSI est caractéristique des formes héréditaires sans polypose (HNPCC) et représente environ 15 % des cancers colorectaux sporadiques. Il est dû à des altérations des gènes intervenant dans la réparation des erreurs de réplication de l’ADN (m/s 2003, synthèse Duval/Hamelin).
S’il est admis que les tumeurs du côlon de type MSI sont de meilleur pronostic que les tumeurs LOH, en revanche, il n’y a pas de consensus quant à la réponse de ces deux formes vis-à-vis d’une chimiothérapie adjuvante à base de 5-fluoro-uracile (5-FU). Une première étude rétrospective portant sur 656 patients de stade III, dont 272 avaient reçu une chimiothérapie adjuvante, concluait à un bénéfice supérieur pour les patients ayant des tumeurs MSI [28], ce que confirmait l’analyse d’une autre série de 95 patients [29]. L’étude de C.M. Ribic et al. [30] qui portait sur 570 patients aux stades II ou III, dont 283 traités, conclut le contraire: le traitement adjuvant bénéficiait aux patients avec des tumeurs non MSI, alors qu’il pouvait même raccourcir la survie des patients ayant des tumeurs de type MSI. D’où la nécessité d’études supplémentaires pour déterminer si l’on doit traiter différemment ces deux types de cancers. En tout état de cause, la détermination systématique du statut MSI des tumeurs colorectales est sûrement à envisager.
Les différents états d’un très vieil arbre
Le Ginkgo biloba, cet arbre d’origine asiatique dont les jolies feuilles en forme d’éventail deviennent jaunes d’or à l’automne, a été exporté à travers le monde et l’on en trouve des spécimens dans les parcs et les jardins de nombreux pays. Son succès est d’autant plus grand qu’il aurait des vertus bienfaisantes. En extrait concentré, les feuilles de l’arbre aux cheveux de filles, comme l’appellent les Chinois, auraient une action vasodilatatrice, du fait de la présence de flavonoïdes, et aurait un effet thérapeutique sur les déficits pathologiques cognitifs et neurosensoriels chroniques du sujet âgé. Si son efficacité reste à présent douteuse, l’histoire de cet unique représentant vivant des ginkgoacées est en revanche intéressante. Les ovules des arbres femelles, dont les branches sont horizontales, sont fécondés par des anthérozoïdes ciliés des arbres mâles (à branches dressées) qui nagent dans la chambre pollinique vers les oosphères. L’enveloppe des fruits se putréfie quand la graine tombe de l’arbre. L’existence de ginkgos fossiles de la période jurassique (datant de 170 millions d’années) et surtout le mode de reproduction archaïque de Ginkgo biloba font de celui-ci une sorte de fossile vivant. Mais pour comprendre l’évolution survenue entre Ginkgo yimaensis, type primitif du jurassique, et Ginkgo adiantoïdes, un fossile de l’ère tertiaire (d’environ 56 millions d’années) assez proche de l’espèce actuelle, il manquait un chaînon intermédiaire. Il vient d’être découvert sur les pentes de la montagne Yinwo Shan, dans la province du Liaoning [31]. Ce nouveau fossile remonte à environ 121 millions d’années et se situe donc entre l’espèce fossile du jurassique et celle du tertiaire. Il permet de bien suivre l’évolution des feuilles et des organes reproducteurs. Les feuilles initialement petites et divisées plusieurs fois par dichotomie chez Ginkgo yimaensis deviennent de plus en plus larges, tandis que le limbe devient unique, arrondi, avec une nervation qui converge vers l’apex. Les organes ovulatoires, portant initialement des groupes de plusieurs ovules reliés à des pédicelles portés par des pédoncules, évoluent vers des ovules uniques plus gros, reliés à un pédoncule plus court. Cette diminution du nombre des ovules est probablement due à un décalage de maturation (hétérochronie), qui progressivement n’en a laissé subsister qu’un seul. Désormais, nous sommes en mesure de suivre l’évolution à travers les millénaires de cet arbre unique en son genre dans la classe des gymnospermes.
Un pont relie les deux rives de la synapse
La synapse est une structure très particulière, aux facettes multiples: elle est un site privilégié de communication entre la terminaison d’une cellule neuronale pré-synaptique et une cellule post-synaptique, et constitue aussi une zone de contact et d’adhérence entre ces deux cellules. Beaucoup de travaux se sont intéressés à la libération de neurotransmetteurs par les terminaisons pré-synaptiques, fonction contrôlée par la stimulation nerveuse, l’influx de calcium par les canaux calciques dépendants du voltage, et la fusion des vésicules synaptiques avec la membrane pré-synaptique; beaucoup ont aussi exploré les réponses et les voies de signalisation dans les dendrites des cellules post-synaptiques. En revanche, notre connaissance de la synapse en tant que zone de contact cellulaire spécialisé reste pauvre. Les neurexines constituent une large famille de protéines (>1000 membres), codées par trois gènes chez la souris. Ces protéines sont présentes dans la membrane des terminaisons nerveuses et lient les molécules d’adhérence dystroglycane et neuroligine localisées dans la membrane post-synaptique. Les neurexines organisent un échafaudage moléculaire intracellulaire qui inclut notamment des protéines à domaine PDZ comme CASK (membre de la famille membrane-associated guanylate kinase, MAGUK) et Mints. L’équipe de T. Südhof vient de réaliser l’invalidation des trois gènes codant pour les neurexines (triple knock-out qui dit mieux?!). Ces souris ont un phénotype très intéressant: leurs synapses ont une structure apparemment normale, mais la libération de neurotransmetteurs est fortement altérée par un défaut de réponse des canaux calciques dépendant du voltage de type N [32]. Selon les auteurs, les neurexines joueraient un rôle organisateur dans la terminaison pré-synaptique en couplant l’adhérence cellulaire synaptique et l’entrée de calcium, assurant ainsi une coordination dans le temps et l’espace entre le site pré-synaptique de libération des neurotransmetteurs et le site de leur réception post-synaptique.
L’escorte du VIH
Les virus à ARN ou rétrovirus comme le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), ou le virus de la leucémie murine (VLM), possèdent une enveloppe composée d’une bicouche lipidique, ressemblant de ce fait à une vésicule de cellule eucaryote. Dans deux articles de Cell, deux équipes américaines, celle de H.G. Göttlinger et celle de W.I. Sundquist, montrent que le VIH détourne à son profit des complexes protéiques que les cellules utilisent normalement pour former les vésicules internes des endosomes multi-vésiculaires. Ces vésicules internes correspondent aux exosomes lorsqu’elles sont sécrétées par les lysosomes sécrétoires, notamment par les cellules présentatrices d’antigènes. La protéine Gag du VIH est capable de recruter une protéine cellulaire appelée Alix, impliquée dans l’apoptose et dans la formation des vésicules internes des endosomes; elle fait de même pour Tsg101, un composant du complexe ESCRT-I (endosomal sorting complex required for transport, nom qui rappelle le mot escorte, car ces complexes escortent les protéines dans les endosomes multi-vésiculaires), déclenchant la formation d’un échafaudage moléculaire comprenant également les complexes ESCRT-II et ESCRT-III [33,34]. Le complexe ESCRT-I avait initialement été décrit chez la levure pour son implication dans le ciblage des protéines cargos ubiquitinylées vers les vésicules internes des endosomes multi-vésiculaires. Les articles de Cell montrent que les complexes ESCRT I, II et III jouent un rôle important dans le bourgeonnement des rétrovirus et contrôlent ainsi l’infectivité, de la même manière qu’ils sont impliqués dans la formation des petites vésicules internes des endosomes multivésiculaires, l’ubiquitinylation de Gag étant stimulée par Tsg101. Les particules rétrovirales seraient produites selon un processus identique à celui qui produit les exosomes, comme cela avait été suggéré précédemment par G. Raposo (Institut Curie, Paris) [35]. Par ailleurs, l’équipe d’E. Bertrand (IGM, Montpellier) a récemment montré que l’assemblage des particules virales du VLM se fait sur la membrane des endosomes, avec lesquels elles sont ensuite transportées [36]. L’ensemble de ces données établit un nouveau lien très fort entre le système endosomal des cellules hôtes et la biogenèse des rétrovirus. Les «escortes» des rétrovirus, qui les accompagnent dans la phase tardive de leur biogenèse, pourraient de ce fait devenir de nouvelles cibles thérapeutiques afin de bloquer la formation de nouvelles particules virales chez les patients infectés.
Les inhibiteurs du protéasome sont efficaces
Le protéasome est un complexe multienzymatique responsable de la dégradation de nombreuses protéines cellulaires polyubiquitinylées; la structure de la partie 26S est très propice à un ciblage pharmacologique par des molécules, dont le Bortezomid (PS341), affines et extrêmement spécifiques de l’activité catalytique du protéasome. S’il peut paraître à première vue illogique d’espérer détruire sélectivement les cellules tumorales avec ces produits, les études initiales réalisées in vitro avec le Bortezomid démontraient son efficacité vis-à-vis des cellules tumorales, surtout issues d’hémopathies lymphoïdes (myélome, lymphomes), dont il induit l’apoptose, seul ou en association avec les substances cytotoxiques ou une irradiation, auxquelles il sensibilise les cellules. Cette action est surtout due au blocage de l’activation de NF-κB très souvent impliqué dans la survie et la prolifération des cellules cancéreuses. En présence de Bortezomid, I-κB, le partenaire inhibiteur de NF-κB, n’est plus dégradé après phosphorylation, et ne libère donc pas NF-κB, bloquant ainsi sa translocation nucléaire, et l’activation transcriptionnelle de ses gènes cibles impliqués dans les voies anti-apoptotiques. Le Bortezomid peut aussi agir via l’augmentation de p53 et de l’inhibiteur du cycle cellulaire p27, et via la diminution d’activité de la voie MAPK. Après plusieurs essais de phase I très encourageants, le Bortezomid vient d’être testé dans un essai de phase II chez 200 patients atteints de myélome réfractaire [37]. Le produit est administré en cycles de 21 jours (2 semaines d’administration, une semaine de repos) répétés 7 fois. Le taux de réponses était de 35%, jugé sur la présence et l’importance de la protéine monoclonale, et, dans 10% des cas, la protéine devenait indétectable. Les effets secondaires ne sont pas négligeables, troubles digestifs peu graves, toxicité hématologique, mais surtout neurologique avec une neuropathie périphérique dans 12 % des cas. Cette étude est enthousiasmante, et suggère que les inhibiteurs du protéasome seraient de bons adjuvants pour sensibiliser les cellules à des substances cytotoxiques plus conventionnelles. Un essai international de phase III est en cours dans le myélome. Espérons que ses résultats ne nous ne décevront pas, compte tenu du sombre pronostic associé au diagnostic de myélome.
Plaquettes sanguines et réfrigération: la fin du problème ?
Nous avons récemment rapporté dans ces colonnes le mécanisme de clairance accélérée des plaquettes sanguines conservées au froid, problème majeur de santé publique qui oblige les centres de transfusion à garder les plaquettes à température ambiante, réduisant ainsi fortement leur durée de conservation ((→) m/s 2003, n°3, p.296). Une équipe de la Harvard Medical School a démontré que le froid entraîne une redistribution et un regroupement de la glycoprotéine (GP)Ibα à la surface des plaquettes, ce qui, lors de leur réintroduction dans l’organisme, provoque leur reconnaissance et leur phagocytose par les cellules de Kupffer [38]. Cette même équipe nous donne aujourd’hui dans Science une solution très simple pour prévenir ce phénomène [39]. Après avoir identifié les résidus β-N-acétylglucosamine comme étant les sucres de la GPIbα reconnus par le domaine lectine des récepteurs Mac-1 (CD11cCD18), les auteurs ont tenté de masquer ces résidus par galactosylation enzymatique. Les plaquettes présentant elles-mêmes une activité galactosytransférase, il suffit d’ajouter le substrat, de l’uridine phosphate galactose (UDP-gal), aux plaquettes, avant ou après leur réfrigération, afin d’empêcher leur reconnaissance par Mac-1. Pari gagné puisque des plaquettes traitées par addition d’UDP-gal et conservées au froid pendant 12 jours survivent après leur injection à des souris, et même mieux que des plaquettes conservées dans les conditions habituelles (5 jours à température ambiante). De plus, ce traitement n’affecte en rien les fonctions plaquettaires mesurées par des tests d’agrégation en réponse à différents agonistes, ou par l’interaction avec le facteur Willebrand, principal ligand de la GPIbα. Les tests réalisés in vitro avec des plaquettes humaines refroidies montrent qu’un traitement similaire empêche également leur phagocytose par des macrophages. L’UDP-gal étant retrouvé de façon constitutive dans les cellules humaines et fluides corporels, ceci suggère qu’un traitement des plaquettes par ce composé ne devrait pas a priori poser de problèmes de toxicité, et représente d’ores et déjà un espoir certain à l’heure où les déficits en concentrés plaquettaires sont chroniques dans les centres de transfusion.
Cartographie moléculaire du cerveau
Les auteurs ont analysé les transcriptomes de différentes régions du cerveau de souris pour identifier les transcrits présents dans chaque région et découvrir les combinaisons de gènes qui y sont exprimées spécifiquement. Une miniaturisation de la méthode SAGE (serial analysis of gene expression), antérieurement mise au point sur le tissu rénal à Saclay [40], a été utilisée pour quantifier l’ensemble des gènes exprimés dans chacun des tissus. Deux équipes du CEA (Saclay et Orsay) et une du Cnrs (Montpellier) ont étudié le cortex somesthésique, où aboutissent les informations sensorielles en provenance de l’organisme, le striatum, qui participe à l’exécution des mouvements volontaires et le noyau accumbens, impliqué dans les phénomènes de dépendance aux substances psychoactives [41]. Parmi les gènes dont l’expression était différente (au total 135), plusieurs étaient déjà connus comme «marqueurs» de ces régions, ce qui valide la démarche. La majorité d’entre eux (78) sont de nouveaux marqueurs. Certains (48) n’ont aucune fonction connue. Des expériences complémentaires s’adressant à d’autres régions du cerveau et à différents territoires de l’organisme montrent que la plupart des candidats «marqueurs» sont exprimés préférentiellement dans quelques zones bien définies du cerveau. Ces marqueurs régionaux pourront par exemple servir à identifier des populations de cellules ou à les purifier, permettront de développer de nouveaux marqueurs d’imagerie médicale ou encore de diriger l’expression d’un gène d’intérêt dans une région donnée.
Le puma est à l’affût
p53 est un garde-fou essentiel contre le développement tumoral, par l’induction du processus apoptotique et de l’arrêt du cycle cellulaire. Si p21CIP est le bras armé de p53 pour arrêter le cycle en fin de G1, en revanche, aucun parmi les 16 gènes intervenant dans le processus apoptotique et que cible p53 n’émergeait. Trois équipes, japonaise [42], australienne [43], et américaine [44], viennent indépendamment de démontrer que Puma (p53 upregulated modulator of apoptosis) et à un moindre degré Noxa, deux protéines à BH3 (BH3 only proteins), sont les exécutantes de l’ordre d’apoptose induit par p53. C’est l’analyse des souris dont le gène codant soit pour Puma [43, 44], soit pour Noxa [42], a été invalidé, qui a conduit à ces observations importantes. L’absence de Noxa ou de Puma n’a aucun retentissement sur la survie ou le phénotype des animaux mutants, suggérant que ces protéines n’interviennent qu’en cas de stress cellulaire. L’absence de Noxa [42, 43] diminue la sensibilité des MEF (fibroblastes embryonnaires) au stimulus apoptotique, mais ne modifie pas celle des thymocytes. En revanche, celle de Puma [43, 44] rend toutes les cellules réfractaires à tout stimulus apoptotique contrôlé par p53, et en particulier les thymocytes et les cellules du système nerveux embryonnaire, qui y sont particulièrement sensibles. Ce comportement rappelle celui des cellules p53-/-. Les progéniteurs myéloïdes PUMA-/- résistent également à l’apoptose induite in vitro par l’expression inductible d’un oncogène (MYC-ER) [44], et l’extinction de PUMA par ARN interférence dans des lignées tumorales humaines (carcinome colique) inhibe totalement l’apoptose induite par p53 [43]. Mais le rôle de Puma ne se limite pas à l’apoptose contrôlée par la voie p53, puisque les cellules hématopoïétiques PUMA-/- survivent au sevrage de cytokines [43, 44], qui normalement entraîne leur mort rapide mais par une voie indépendante de p53. D’un point de vue mécanistique, p53 active la transcription de PUMA, et Puma, comme Noxa, contribue dans la mitochondrie à la formation des complexes Bak/Bax pro-apoptotiques; soit elle stimule directement l’oligomérisation des deux partenaires, soit elle piège Bcl-2 et l’empêche de constituer avec Bax un complexe pro-apoptotique. Un mystère demeure: pourquoi les souris PUMA-/- n’ont-elles pas encore développé de tumeurs après plus de 6 mois ?
L’angiopoïétine est responsable du caractère invasif du gliome humain
Le gliome est une tumeur maligne du cerveau dont le pronostic est très sombre en raison de son caractère invasif local. Ce dernier implique, d’une part la formation de néovaisseaux, d’autre part l’attachement des cellules malignes à la matrice extracellulaire. La rupture des composants de la matrice est le fait de métalloprotéases matricielles (MMP) sécrétées par la tumeur, en particulier la MMP2. B. Hu et al. [45] viennent de montrer qu’un peptide favorisant l’angiogenèse, l’angiopoïétine, était responsable de cette évolution comme c’est le cas dans d’autres tumeurs malignes. L’analyse par immunohistochimie de coupes réalisées sur 79 prélèvements de gliome humain révèle une forte coexpression du peptide et de la protéase en périphérie de la tumeur à la limite des zones saines, et leur absence au centre de la tumeur. Les néovaisseaux sont également riches en ces deux substances. L’implantation intracérébrale chez la souris nude de cellules de gliome humain (U87MG) préalablement transfectées avec l’ADNc codant pour l’angiopoïétine 1 ou 2 a entraîné le développement rapide chez ces souris de tumeurs agressives, alors que les souris ayant reçu des cellules transfectées avec un gène rapporteur ont présenté des tumeurs localisées. Une angiogenèse accrue et une forte expression de la MMP2 étaient observées en périphérie des tumeurs envahissantes, répartition caractéristique des tumeurs humaines. Le lien entre ces deux molécules a été établi in vitro, puisque l’angiopoïétine 2 recombinante entraînait dans des cellules de gliome l’activation de la MMP2, et conférait à ces cellules un caractère invasif. À l’inverse, les inhibiteurs de la MMP2 supprimaient le pouvoir invasif de l’angiopoïétine 2. Curieusement, les cellules utilisées dans ces expériences n’exprimaient pas Tie, le récepteur endothélial de l’angiopoïétine. Cela démontre que l’angiopoïétine favorise la dissémination tumorale par deux mécanismes distincts, l’un dépendant de Tie et aboutissant à la formation de néovaisseaux, l’autre indépendant de Tie et passant par l’activation des MMP et la rupture de la matrice.
Appendices
Références
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