McGill Law Journal
Revue de droit de McGill
Volume 60, Number 3, March 2015
Table of contents (5 articles)
Articles
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Propriété intellectuelle, Cour suprême du Canada et droit civil
Maxence Rivoire and E. Richard Gold
pp. 381–430
AbstractFR:
La Cour suprême du Canada est un laboratoire de droit comparé. Symbole de l’hybridation entre le droit civil et la common law, elle est composée de juges provenant du Québec et du reste du Canada. Chaque mariage connaît son lot de difficultés : il arrive que la Cour doive interpréter le droit fédéral alors que les deux systèmes se contredisent. En l’absence de règles supplétives communes ayant vocation à s’appliquer à l’ensemble du pays, les juges doivent alors opter pour l’une ou l’autre des traditions. Les auteurs se servent de l’exemple de la propriété intellectuelle pour examiner le traitement du droit civil par la Cour suprême dans le domaine du droit d’auteur, du droit des brevets et du droit des marques de commerce.
L’article part du constat de l’impopularité des arguments civilistes pour en expliquer les raisons profondes, d’ordre philosophique. D’un côté, la common law, qui voit dans la propriété intellectuelle un instrument au service de l’innovation, de la création ou du commerce. De l’autre, le droit civil, pour lequel la protection de la personne du titulaire du droit est une fin en soi. Au milieu, la Cour suprême, qui fait le choix délibéré de la common law. Les auteurs, formés dans la richesse des deux traditions, offrent un regard particulier eu égard à leurs parcours. Une mixité à l’image du transsystémisme qui leur permet d’aboutir à une rare neutralité scientifique. Leur texte s’adresse aux juristes canadiens mais aussi, à l’heure où s’élaborent des projets d’intégration et d’harmonisation du droit dans le Vieux Continent, à la communauté juridique internationale.
EN:
The Supreme Court of Canada is a testing ground for comparative law. Embodying the hybridization of civil and common law, it is composed of three justices from Quebec and six from the rest of Canada. Yet every marriage has its trials. The Court must sometimes interpret federal law where the two traditions dictate contradictory results. In the absence of uniform rules applicable throughout the country, the Court must choose between the two traditions. This article examines the Supreme Court of Canada’s treatment of the civil law in copyright, patent, and trademark law.
The authors suggest that the philosophical underpinnings of civilian approaches to intellectual property hold little sway on the Supreme Court. This is because, on the one hand, the common law sees intellectual property as a utilitarian tool to promote innovation, creativity and economic growth. The civil law, on the other hand, seeks to protect rightholders’ interests and personality as ends in themselves. Caught in the middle, the Supreme Court has deliberately favoured the common law over the civil law. The authors of this article, who are trained in both traditions, unravel the Supreme Court’s decisions in order to identify their common and civil law strands. This diversity, which mirrors Canada’s mixed legal system, provides deeper insight into the métissage of common and civil law in Canada. This article is directed not only at Canadian jurists but also at the international community, as integration and harmonization initiatives continue to develop in Europe.
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Private International Law Implications in Conflicts of Interest for Lawyers Licensed in Multiple Countries
Barrett Schitka
pp. 431–474
AbstractEN:
Conflicts of interest issues are one of the most complicated areas of the law that lawyers and law firms face on a day-to-day basis. These issues are further complicated when lawyers are licensed in more than one jurisdiction and become subject to multiple ethical regimes. This article investigates what rules and duties are applicable to lawyers licensed in multiple jurisdictions, and what solutions are available to the lawyer when the law governing lawyers from different jurisdictions diverges or conflicts. Through a discussion of the Canadian and United States rules on conflicts of interest, this article advocates for a two-step “proper law” approach to determine which jurisdiction’s ethical rules should be applied.
FR:
La question des conflits d’intérêts est l’un des enjeux juridiques les plus compliqués auxquels les avocats et les cabinets sont confrontés au quotidien. Or, cette question se complexifie davantage lorsqu’un avocat est membre de plus d’un barreau, puisqu’il devient concurremment assujetti à plusieurs régimes déontologiques. Cet article examine quels sont les devoirs et règles applicables aux juristes membres de plusieurs barreaux et quelles solutions s’offrent à eux lorsque les différents codes déontologiques auxquels ils sont assujettis divergent ou sont en conflit. En s’appuyant sur une étude des règles ayant trait aux conflits d’intérêts au Canada et aux États-Unis, l’auteur préconise un test de « droit approprié » en deux étapes afin de déterminer quel code de déontologie devrait s’appliquer dans une situation donnée.
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Le Tribunal des droits de la personne devant la Cour d’appel du Québec : appel à plus de déférence
Sébastien Senécal and Christian Brunelle
pp. 475–525
AbstractFR:
À titre de tribunal spécialisé, le Tribunal des droits de la personne du Québec est protégé par une clause privative qui le met, en principe, à l’abri de l’exercice du contrôle judiciaire par la Cour supérieure du Québec. Toutefois, les décisions finales du Tribunal peuvent être l’objet d’un appel, sur permission, devant la Cour d’appel du Québec. Dans l’exercice de cette compétence d’appel, la Cour tend à faire preuve de très peu de déférence envers le Tribunal, n’hésitant pas à remettre en cause non seulement ses conclusions de droit, mais aussi, assez fréquemment, son appréciation des faits. Les auteurs soutiennent que cet interventionnisme bat en brèche le principe de la spécialisation des fonctions, observé dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, et compromet ainsi la capacité du Tribunal à appliquer et imposer un raisonnement propre aux droits et libertés de la personne, conformément au mandat qui lui échoit en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.
EN:
As a specialized court, the Québec Human Rights Tribunal is protected by an ouster clause that is intended to keep it free from the exercise of judicial review by the Superior Court of Québec. However, any final decision of the Tribunal may be appealed, with leave, to the Court of Appeal. In exercising this appellate jurisdiction, the Court tends to show very little deference to the Tribunal, questioning not only its conclusions of law, but also, quite frequently, its assessment of facts. The authors argue that this form of interference defies the principle of specialization of duties observed in Supreme Court of Canada jurisprudence, which in turn undermines the Tribunal’s ability to implement and enforce a reasoning based on human rights and freedoms in accordance with its mandate under the Québec Charter of Human Rights and Freedoms.
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Challenges to Assessing Same-Sex Relationships under Refugee Law in Canada
Nicholas Hersh
pp. 527–571
AbstractEN:
This article suggests that there are reasons to be concerned about the way relationship history impacts credibility assessments for refugee claims based on sexual orientation. Decision makers’ written assessments often reveal insufficient consideration of the psychosocial barriers that may impinge on sexual minority refugees’ ability to testify on their relationships. The multinational and multicultural setting of refugee-status proceedings poses unique challenges for sexual minority refugee claimants in having their membership in a particular social group established. Understanding and expressing sexual identity spans cultural divides, and therefore, a claimant’s expressed identity may not match the decision maker’s expectations. Notions of love and intimacy may also be culturally construed, and therefore expectations of how these notions manifest in long-term relationships may be inappropriate in the context of refugee status determination.
This article emphasizes that implausibility findings concerning claimants’ relationships should be made cautiously. Decision makers should not assume that sexual minorities in countries in which homosexuality is stigmatized or criminalized are devoid of the volition to have same-sex partners. Nor should they assume that sexual minority refugees are necessarily willing to embrace same-sex relationships soon after arriving in Canada. Evaluating same-sex relationships according to the Cass Staged-Identity model can lead to persistent doubts about claimants’ credibility.
In sum, this article attempts to canvass the potential pitfalls of Canadian adjudication methods in cases of sexual minority refugee claimants, and to propose recommendations for evaluating testimony and evidence of these relationships.
FR:
Cet article fait valoir qu’il y a des raisons de questionner la façon dont l’historique des relations affecte l’évaluation de crédibilité pour les demandes d’asile fondées sur l’orientation sexuelle. Les évaluations écrites démontrent souvent une prise en considération insuffisante des obstacles psychosociaux susceptibles de porter atteinte à la capacité des réfugiés membres de minorités sexuelles à témoigner sur leurs relations. L’environne-ment multinational et multiculturel des procédures pour la désignation du statut de réfugié pose des défis uniques pour les demandeurs d’asile de faire reconnaître leur appartenance à un groupe social particulier. Comprendre et exprimer une identité sexuelle transcendent les divisions culturelles : l’identité exprimée par un demandeur pourrait donc ne pas correspondre aux attentes du décideur. Les notions d’amour et d’intimité peuvent aussi s’exprimer de façon culturelle. Les attentes en ce qui a trait à la manifestation de ces notions peuvent donc être inappropriées dans le contexte de la détermination du statut de réfugié.
Cet article souligne que les déterminations d’invrai-semblance concernant les relations des demandeurs doivent se faire avec prudence. Les décideurs ne doivent pas présumer que les minorités sexuelles dans les pays où l’homosexualité est criminalisée ou stigmatisée sont dépourvues de la volonté d’avoir des partenaires du même sexe. Ils ne doivent pas non plus présumer que les réfugiés membres de minorités sexuelles sont nécessairement prêts à adopter des relations homosexuelles peu après leur arrivée au Canada. Évaluer les relations homosexuelles selon le modèle d’identité Cass peut conduire à des doutes persistants quant à la crédibilité des demandeurs d’asile.
En somme, cet article tente de prospecter les pièges potentiels des méthodes canadiennes de décisions en matière de demandes d’asile par des réfugiés membres de minorités sexuelles et de proposer des recommandations pour l’évaluation de témoignages concernant ces relations et de preuves à leur effet.
Case Comment / Chronique de jurisprudence
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Bedford and the Structure of Section 7
Hamish Stewart
pp. 575–594
AbstractEN:
In Canada (A.G.) v. Bedford, the Supreme Court of Canada invalidated three prostitution-related provisions of the Criminal Code on grounds of overbreadth and gross disproportionality. The implications of Bedford go well beyond the particular context of sex work and even of criminal law. First, the Court held that the three constitutional norms against overbreadth, arbitrariness, and gross disproportionality are distinct from each other rather than aspects of a single norm against overbreadth. Second, the Court held that a Charter applicant could establish a violation of section 7 by showing that a law is overbroad, arbitrary, or grossly disproportionate in its impact on the life, liberty, or security of only one person and that the effectiveness of the law in achieving its policy objectives was not relevant to these norms. There are some difficulties in understanding this highly individualistic approach to section 7, and those difficulties lead to the third implication. By deferring any consideration of the effectiveness of the law to the question of whether it is a proportional limit on a section 7 right, the Court may be indicating a willingness to do something it has never done before: recognize an infringement of a section 7 right as a justified limit under section 1. The Court’s clarification of the relationship between the norms against overbreadth, arbitrariness, and gross disproportionality is welcome, but its individualistic articulation of those norms is difficult to understand and its suggestion that section 7 violations may now be easier to save under section 1 is troubling.
FR:
Dans l’affaire Canada (P.G.) c. Bedford, la Cour suprême du Canada a invalidé trois dispositions du Code criminel liées à la prostitution, statuant qu’elles avaient une portée excessive et un effet préjudiciable totalement disproportionné. Les répercussions de Bedford se ressentent bien au-delà du seul contexte du travail du sexe ou même du droit criminel. Premièrement, la Cour a statué que la portée excessive, l’arbitraire, et la disproportion totale sont trois notions distinctes. Elles ne découlent donc pas toutes d’une norme unique s’opposant à ce qu’une loi ait une portée excessive. Deuxièmement, la Cour a statué qu’un demandeur pouvait établir une atteinte aux droits garantis par l’article 7 de la Charte en démontrant qu’une loi a un effet excessif, arbitraire, ou totalement disproportionné sur la vie, la liberté ou la sécurité d’une seule personne. La Cour a également affirmé que l’efficacité de la loi dans la réalisation de ses objectifs n’est pas pertinente à l’évaluation de sa conformité avec ces trois normes constitutionnelles. Cette approche hautement individualiste à l’analyse de l’article 7 soulève certaines difficultés qui mènent à la troisième conséquence majeure de l’arrêt Bedford. En déplaçant toute considération de l’efficacité de la loi sous l’analyse de la proportionnalité de la limite des droits protégés par l’article 7, la Cour semble indiquer une volonté de faire quelque chose qu’elle n’a jusqu’ici jamais fait, c’est-à-dire reconnaître qu’une atteinte de ces droits puisse être justifiée sous l’article premier de la Charte. La clarification de la Cour concernant la relation entre les normes de la portée excessive, de l’arbitraire et de la disproportion totale est bienvenue, mais son articulation individualiste de ces normes est difficile à comprendre. Par ailleurs, sa suggestion qu’une atteinte aux droits garantis par l’article 7 serait maintenant plus facile à justifier sous l’article premier est troublante.