Abstracts
Résumé
Une première partie historique sur les origines lointaines des droits anglais et français évoque les raisons institutionnelles et intellectuelles de la lente émergence de l’appel en Angleterre avant 1875. On observe le contraire en France. D’abord conçue comme sanction infligée à des juges fautifs, cette voie de recours s’est transformée en un moyen de corriger des erreurs dans les décisions de justice. Mais cette notion d’erreur évoluera sensiblement à travers le temps. Au Québec, l’appel prend forme entre 1763 et 1849, année de la création d’une véritable cour générale d’appel. La seconde partie du texte aborde certaines difficultés analytiques que soulève l’appel en droit moderne. Une utilisation sensée des ressources judiciaires dans un système de souche anglo-américaine implique que l’appel serve à autre chose que refaire les procès. Aussi le droit positif use-t-il de diverses techniques pour qu’un dosage optimal s’opère entre trop ou trop peu de pourvois. La distinction entre le droit et le fait sert ici de notion régulatrice. Elle a inspiré d’intéressants travaux théoriques que commente l’auteur. Au vingtième siècle, sous l’impulsion du mouvement American Legal Realism, une nouvelle conception de l’appel s’impose et permet de préciser le rôle des cours d’appel dans l’élaboration et l’ordonnancement du droit. Un objectif prospectif de consolidation de la cohérence normative se substitue à l’idée évanescente d’erreurs à réformer. Mais, s’agissant de la technique de l’appel, des différences de taille demeurent entre systèmes de droit occidentaux, comme le démontre par exemple la place faite à l’oralité dans les débats.
Abstract
The first part of this article presents an historical overview of the ancient origins of French and English law, exploring the institutional and intellectual reasons for the slow emergence of the appeal in England before 1875. The contrary may be observed in France. First conceived as a sanction imposed upon erring judges, the recourse was transformed into a mechanism for correcting errors in judicial decisions. However, the notion of an error would slowly evolve over time. In Quebec, the appeal took shape between 1763 and 1849, the year its veritable general court of appeal was created. The second part addresses several analytical difficulties arising from the appeal in modern law. The sound utilization of judicial resources in a system of Anglo-American origin implies that the appeal serves functions other than the retrial of cases. The positive law also employs various techniques to ensure a fine balance between too many and too few appeals. The distinction between law and facts serves as a controlling notion. The notion has further inspired interesting theoretical insights that the author canvasses. In the twentieth century, and contemporaneous to the emergence of the American Legal Realism movement, a novel conception of the appeal appeared, clarifying appellate courts’ role in deploying and systemizing the law. The prospective objective of consolidating the law’s normative coherence substituted itself to the evanescent idea of error correction. However, regarding appellate techniques, considerable differences remain between western legal systems, as demonstrated, for example, by the place of oral argument in appellate proceedings.
Article body
Introduction
J’ai intitulé ma conférence « Aspects historiques et analytiques de l’appel en matière civile ». Elle est donc divisée en deux parties qui, sans être totalement étanches, traitent de questions souvent assez éloignées les unes des autres.
Je voudrais d’abord expliquer brièvement pourquoi je me suis intéressé à ce sujet. C’est, en somme, une banale application du vieux dicton français « l’occasion fait le larron ».
Il y a maintenant une dizaine d’années que j’ai quitté l’université McGill, après y avoir enseigné pendant vingt-cinq ans et y avoir connu de manière continue ou presque de grandes satisfactions intellectuelles et professionnelles. En 2002, je suis devenu juge, et les juges canadiens de nomination fédérale ont l’avantage de pouvoir prendre un congé sabbatique après un certain nombre d’années de service (un peu comme les universitaires). C’est ce qui m’est arrivé en septembre 2011, lorsque j’ai passé huit mois entre la Faculté de droit de l’Université McGill et l’École de droit de Sciences Po à Paris. Il me fallait un programme de lectures et un thème de recherche. Je me suis dit : n’essayons pas d’être original à tout prix. Essayons plutôt de nous renseigner un peu plus en profondeur sur les origines historiques et sur le fonctionnement actuel de l’appel, de réfléchir sur la chose, et puis voyons ce que ça donnera.
Quelques observations préliminaires s’imposent sur les choix que j’ai faits en délimitant le sujet.
Premièrement, j’ai laissé de côté l’appel en matière criminelle ou pénale. Ce n’est pas que le sujet manque d’intérêt, loin de là, mais en traiter convenablement m’aurait entraîné trop loin dans des chemins de traverse, car l’appel régi par le Code criminel soulève aussi, et souvent, des questions techniques (par exemple lorsqu’il vise indirectement un verdict de culpabilité prononcé par un jury en attaquant les directives données par le juge aux jurés). Il faudrait tenir compte de ces particularismes et cela compliquerait inutilement un exposé que je veux garder synthétique et simple. Je ferai quelques fois allusion au droit criminel, mais je laisse à d’autres le soin de donner au sujet l’importance qu’il mérite.
Deuxièmement, je vais m’intéresser surtout, mais pas exclusivement, à l’appel intermédiaire, celui qu’entend une cour d’appel et non celui qu’entend une cour suprême. Ici encore, il y a des ressemblances, auxquelles je ferai quelques fois allusion, mais il y a aussi d’importantes différences, notamment pour ce qui concerne l’accès aux cours suprêmes. L’appel de plein droit demeure largement la règle au niveau intermédiaire, alors que c’est une exception presque infinitésimale au niveau des cours suprêmes, ce qui leur donne une tout autre texture institutionnelle.
Troisièmement, autant pour l’intérêt de la chose que par déformation ancienne acquise à McGill, je vais procéder à de fréquentes comparaisons. Et ici, je veux introduire rapidement une distinction qui risque de sembler prétentieuse, mais qui en réalité est fort simple. Elle m’a bien servi en cours de route. J’ai étudié les questions qui m’intéressaient de manière comparative, c’est-à-dire diachroniquement et synchroniquement. Diachroniquement d’abord : à quand remontent les premières formes de prise de décision judiciaire qu’on peut raisonnablement qualifier d’appel, comment ont-elles évolué dans le temps et en quoi diffèrent-elles notablement de ce qu’on connaît aujourd’hui? Synchroniquement ensuite : aujourd’hui, dans les grands systèmes de droit occidentaux, quelle est la place de l’appel et comment fonctionne-t-il? Le droit comparé m’a occupé pendant toute ma vie professionnelle, ma thèse de doctorat en était une de droit public comparé, j’ai enseigné le droit comparé à McGill pendant plusieurs années; aussi me semblait-il naturel d’emprunter une voie familière de comparatiste pour exploiter le thème qui m’intéressait et pour tenter d’y voir plus clair.
Pour des raisons assez évidentes (linguistiques entre autres), je m’en suis tenu à quelques systèmes de droit : les systèmes canadiens, d’abord — mais qui ressemblent beaucoup au nôtre, y compris sous un angle historique —, les systèmes américains, le système anglais et le système français. Et j’ai découvert, comme on le verra, qu’il y a bien des manières de concevoir et de réglementer l’appel en matière civile.
I. Considérations historiques sur l’appel
A. Quelques repères historiographiques
À ma connaissance, il n’y a pas en langue anglaise d’ouvrage consacré spécifiquement à l’histoire de l’appel[1]. Bien sûr, si l’on prend l’exemple du droit anglais[2], les historiens du droit les plus connus (Maine[3], Maitland[4], Holdsworth[5], Baker[6] et Milsom[7]) abordent tous le sujet. En consultant Holdsworth, le plus encyclopédique, on trouve une description fort détaillée des institutions, de la procédure et de leur évolution, du lendemain de la conquête normande jusqu’au XXème siècle. Il s’en dégage une image à la fois complexe et chaotique, un foisonnement de détails qui, peut-être, font écran à l’essentiel[8]. L’appel, en tant que tel, n’est pas le propos de ces historiens, et il manque à leurs exposés une théorie de l’appel, qui permettrait d’avancer une synthèse du sujet.
En droit français, par contre, il existe un tel ouvrage, fort érudit d’ailleurs : c’est l’Essai sur l’histoire du droit d’appel de Marcel Fournier, publié à Paris en 1881[9]. L’auteur y retrace l’histoire de l’appel en droit romain puis en droit français, depuis la période franque jusqu’à la Révolution française. Fournier donne de l’appel une définition, très simple, qui vaut encore aujourd’hui et qu’on peut utiliser comme point de départ de notre réflexion : « L’appel est une institution qui permet à une partie, qui se croit lésée par un jugement, de s’adresser à une juridiction supérieure pour faire réformer la sentence du premier juge »[10]. Au fond, cette description ressemble d’assez près à la conception que nous avons encore aujourd’hui de l’appel[11].
Par ailleurs, nous devons à deux auteurs américains, fort célèbres l’un et l’autre, des ouvrages d’excellente tenue sur l’appel[12]. Il y est question ici et là de l’évolution de l’appel à travers le temps bien que ces ouvrages ne portent pas à proprement parler sur l’histoire de l’appel. J’aurai l’occasion d’y revenir, surtout dans la deuxième partie de cet exposé, lorsque je m’intéresserai à certains aspects analytiques de l’appel comme nous le concevons de nos jours.
B. Cadre d’émergence de l’appel comme voie de recours
Dès les premières lignes de son Essai, Fournier annonce une thèse : l’appel apparaît lorsqu’il règne un certain ordre dans l’organisation politique, lorsqu’une administration déjà assez perfectionnée fonctionne et lorsqu’une tendance à la centralisation se manifeste[13].
Il poursuit et explique que, fondamentalement, si l’on envisage les choses sous l’angle de l’histoire, et à très long terme, quatre étapes doivent être franchies pour qu’émerge l’institution de l’appel dans les systèmes de droit d’Europe continentale (je paraphrase, et très librement, je dois le reconnaître[14]) :
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Au premier stade, celle des droits primitifs, dans une société traditionnelle régie par l’usage et la coutume — ce que le professeur Glenn appelle a chthonic legal tradition[15] — la justice est administrée au sein même de la famille, ou par la communauté immédiate, le voisinage, la tribu ou le clan. L’idée d’un appel n’existe pas. Fournier écrit : « C’est l’époque où la chose jugée avait toute sa puissance et des peines sévères défendaient de remettre en question ce qui avait été décidé par la tribu »[16].
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Au second stade, les hostilités se déclenchent entre familles, tribus ou collectivités. Cela conduit à l’émergence de chefs de tribu, le plus souvent des chefs guerriers. La monarchie fait alors son apparition, avec une cour, qui est le lieu de certaines délibérations, et dont les membres se voient déléguer certaines responsabilités par le monarque qui ne peut pas tout faire tout seul (c’est le problème de Guillaume le Conquérant). Les premières formes d’appel émergent à ce moment et l’appel, qui à l’origine s’apparente à un recours en grâce, est porté auprès du souverain en personne. C’est le cas à Rome sous Auguste, c’est aussi le cas dans la Gaule franque des premiers carolingiens.
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Le troisième stade survient avec la montée de l’aristocratie, lorsque l’administration royale gagne en envergure et se complique, contraignant le souverain à « se dégager de la charge de juger en personne »[17]. Aussi nomme-t-il des délégués pour connaître des appels qui antérieurement lui étaient adressés personnellement. Cette période est traversée par les derniers carolingiens, Louis IX (Saint Louis) qui meurt en 1270 et Philippe le Bel (1268-1314), fils de Philippe le Hardi et petit-fils de Louis IX. On situe la création du Parlement de Paris, la première véritable cour d’appel en France, « autour de 1250 ». Le recours exceptionnel au souverain demeure cependant possible.
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La quatrième étape est celle des corps intermédiaires spécialement constitués pour juger les appels sans que le souverain ait désormais à assumer cette tâche. Entre 1250 et 1768, année de l’établissement du Parlement de Nancy (le tout dernier créé, qui avait été précédé de treize autres), on perçoit très bien le développement de l’administration royale et la croissance de l’appareil judiciaire, les Parlements étant les cours d’appel qui se répartissent sur le territoire français et se partagent le travail de régularisation du droit prétorien[18].
Si l’on excepte la courte période du régime militaire après 1760 (et qui n’entre dans aucune des phases identifiées par Fournier), on peut avancer l’idée que l’histoire de l’appel au Québec, de 1763 à aujourd’hui, s’insère tout simplement dans la quatrième phase. Il y a des nuances à faire, puisque le Québec a longtemps été une colonie, et j’y reviendrai, mais dès 1763 on parle déjà d’un corps intermédiaire qui exerce au nom du roi une compétence générale de révision des décisions judiciaires de première instance.
Bien entendu, il en va autrement du droit anglais et du droit français dont l’histoire s’échelonne sur une période beaucoup plus longue. Il faudrait probablement remonter avant les rois saxons en Angleterre, et très certainement avant les carolingiens en France, pour atteindre le premier stade de Fournier, celui de la tradition chthonienne. Rassurez-vous, je n’ai pas l’intention de remonter jusque-là. Mais, en considérant rapidement comment les choses ont évolué en Angleterre et en France à partir du second stade, on découvre plusieurs choses intéressantes et dignes de mention. Il y aurait beaucoup à approfondir ici, mais faute de temps et d’espace, je vais me contenter d’un survol rapide, en mettant l’accent sur les convergences et les divergences. Entre ces deux troncs fondamentaux, il y a comme d’habitude des différences marquées et fécondes, bien qu’il y ait aussi quelques forts points de ressemblance, ancrés dans l’idée même du droit, comme on finira par la concevoir en Occident.
C. France et Angleterre : des chronologies très différentes
L’appel comme voie de recours apparaît beaucoup plus tôt dans les systèmes civilistes issus du droit romain, et notamment en France, que dans les systèmes de common law. J’ai déjà souligné que c’est « autour de 1250 » que s’organisa ce qui, fonctionnellement, allait devenir la première cour d’appel en France, le Parlement de Paris, issu de la Curia Regis[19]. Cette transformation s’opère en France entre 1235 et 1344, par un lent processus de professionnalisation de la magistrature[20]. Ce processus présente certaines affinités avec l’évolution d’institutions parallèles en Angleterre[21], même si les raisons profondes de la professionnalisation semblent avoir été assez différentes. Et là s’arrêtent les ressemblances.
Il existait bien à cette époque, et de l’autre côté de la Manche, une Curia Regis, lointain ancêtre de la Court of King’s Bench. Mais, en Angleterre, où presque deux siècles s’étaient alors écoulés depuis la conquête normande, et où les juges mandatés par le Roi exerçaient une juridiction de surveillance[22], on ne peut pas vraiment parler d’une compétence en appel. Common law et equity ayant longtemps été une chose et son contraire dans la tradition anglaise, la compétence d’appel se développa passablement plus tard du côté de la Court of Chancery[23], avec de nombreux inconvénients sur lesquels je reviendrai, mais du côté common law, ce fut beaucoup plus laborieux et tardif.
D. Angleterre : les raisons d’une si lente émergence
D’ailleurs, en Angleterre, plusieurs facteurs semblent avoir convergé pour rendre nettement plus difficile la transition vers une conception moderne de l’appel.
En premier lieu, et c’est probablement la raison la plus fondamentale, l’idée même d’erreur en common law ancienne n’a pratiquement pas de référent et n’a donc que peu de prise sur les jugements de cour. Je sais que cela peut sembler étonnant, mais il faut comprendre que, pendant plusieurs siècles, et peut-être même jusqu’à Blackstone (donc jusqu’à la seconde moitié du XVIIIème siècle), le droit substantiel, en droit anglais, demeure largement le fait du juge[24]. C’est Patrick Glenn, à mon avis, qui a le mieux dépeint la chose. Il écrit d’abord : There were only first-instance judges, no courts of appeal. The judges worked out themselves what was to be allowed. It was better not to suggest they had erred. And the jury, of course, could not[25]. Puis il ajoute en note, dans un passage qui cerne parfaitement cette caractéristique de la tradition de common law, les raisons de cette absence d’appel :
Notably because there were few criteria external to [the judges] to conclude that they had. There were, of course, exceptional possibilities for doing so, notably by alleging error of law on the face of the record (of the trial), such subsequent review (by a group of first-instance judges sitting together — the Court of Exchequer Chamber) was possible. But since there was no written substantive law, there could be no error in its application. The jury, then as now, worked in strange and wondrous ways, doing ‘their own justice’ [...]. In the common law there is no (written) law beyond the judges, so those (even) of first instance have a final say, and along with the jury on the merits. Given the prominence of the judge in the common law, the finality of their judgments came to have fundamental importance in the emergence of common law conceptions of positive law, in spite of the judges’ protest[26].
Deuxièmement, et Glenn fait aussi allusion à ce facteur[27], très tôt dans l’histoire du droit anglais, l’institution du jury va gagner en importance et devenir indissociable des tribunaux de common law. Ce facteur, à lui seul, va retarder de plusieurs siècles l’émergence d’une véritable procédure d’appel — après tout, ce n’est qu’en 1873 que l’institution moderne fera son apparition[28], vingt-quatre ans après la création d’une véritable cour d’appel au Québec.
Troisièmement, le système des forms of action et des brefs de prérogative va lui aussi entraver le mouvement vers une procédure d’appel unifiée. Le writ of error, qui est l’ancêtre du bref de certiorari accordé notamment en cas d’error of law on the face of the record, tiendra longtemps lieu d’appel, mais sous une forme archaïque et extrêmement formaliste qui sera universellement décriée par la suite[29].
Enfin, et quatrièmement, il convient de rappeler le rôle du Parlement, et tout particulièrement de la House of Lords, dans l’appareil judiciaire anglais, un rôle qui est apparu sous les Tudors, soit relativement tôt (fin XVème, début XVIème siècles) dans l’histoire anglaise[30], avec toutes les ambiguïtés que cela comportait. Outre l’entorse apparente au principe de la séparation des pouvoirs, l’existence de cette procédure malgré tout assez fréquentée[31] permettait à des pairs, même sans formation juridique, de prendre part à la décision. Ils ne cessèrent généralement de le faire qu’à partir de 1844[32] et, aussi tard que 1883, l’un d’entre eux tentait encore, mais sans succès, d’ajouter sa voix à celles des juges professionnels[33]. Un peu à la manière de la Curia Regis entre 1200 et 1400, la House of Lords va pourtant parvenir à se transformer, par une sorte de transsubstantiation, et elle aura déjà les caractéristiques d’une cour suprême à la fin du XIXème siècle. Mais la transition sera longue et délicate[34].
Une dernière nuance s’impose, cependant, et elle est de taille. L’appel s’est bel et bien développé assez tôt en Angleterre, quoique de manière empirique et apparemment fort désordonnée, du côté de la Court of Chancery. C’est en partie pourquoi il faudra attendre l’unification des juridictions de common law et d’equity, le 1er novembre 1876, pour qu’une cour d’appel intermédiaire de compétence générale s’intègre à la hiérarchie judiciaire anglaise et exerce des pouvoirs du type de ceux antérieurement confiés à la Cour d’appel du Québec en 1849. Les résistances aux réformes semblent avoir été moins fortes ici qu’en Angleterre.
E. France : la trajectoire singulière des Parlements
Abordons brièvement la tradition civiliste puisqu’elle est la première qui ait métabolisé, en quelque sorte, l’idée de l’appel.
On a vu que la démarcation entre les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif a longtemps été poreuse en droit anglais. En un sens, d’ailleurs, ce qu’en dira Montesquieu dans l’Esprit des lois est autant une vue de l’esprit qu’une réalité. Mais une confusion d’un même genre, quoique bien différente dans ses effets, se retrouve avec les Parlements du droit civil français.
Les Parlements ont en effet compétence pour enregistrer les édits royaux dans leur ressort. On dit en langage moderne que cette formalité « correspond à peu près à ce qu’est actuellement la publication au Journal Officiel »[35]. Mais la formalité n’en demeure pas moins essentielle, car sans elle l’édit royal ne peut recevoir application dans le ressort. Or, et c’est là ce qui est intéressant, les Parlements très tôt ont pris l’habitude de vérifier la compatibilité des édits royaux avec les coutumes locales (coutumes écrites la plupart du temps) avant de les enregistrer. En 1757, le Parlement de Bordeaux, dans ses Arrêtés et remontrances, tient à ce sujet le propos suivant :
Le parlement, sans participer aucunement au pouvoir législatif qui réside d’une manière incommunicable dans la personne du seigneur roi, est néanmoins le conseil légal du souverain en matière de législation; il est tenu par ce devoir et par la religion du serment, de vérifier la loi, de juger l’avantage dont elle peut être pour le monarque et ses sujets, de la comparer aux lois anciennes et fondamentales de l’État; et il ne peut et ne doit l’enregistrer qu’autant qu’elle ne renferme rien de contraire à ces lois primitives d’où dépendent la sûreté du trône et le bonheur des peuples[36].
Bien entendu, cette prérogative invoquée par les Parlements fait rarement l’affaire du monarque lorsqu’elle sert à neutraliser ses édits. Il se développe même avec le temps une sorte de jeu d’escalade en plusieurs étapes. Le roi envoie un édit, le Parlement refuse de l’enregistrer et transmet ses remontrances au Roi, qui répond par des lettres de jussion enjoignant le Parlement d’enregistrer, ce à quoi le Parlement riposte par des itératives remontrances. Le roi doit alors se déplacer, venir lui-même au Parlement et tenir un lit de justice pour que soit enregistré l’édit qui donne effet à ses volontés[37]. Il existe une riche iconographie de ces occasions solennelles, dont certaines tiennent véritablement de l’affrontement symbolique avec le monarque.
Mais on considère également que, lorsque le monarque tient bien le pays, il contrôle les Parlements. Il en fut ainsi de Louis XIV : sa grande Ordonnance Civile d’avril 1667, voulue par Colbert, rédigée par Pussort[38], et promulguée (lire imposée) par Louis XIV, met rudement au pas les Parlements et contient de nombreuses dispositions sur l’appel. Cette ordonnance, qui en est une avant tout de procédure civile, reprend avec insistance un thème récurrent dans les ordonnances royales des XVIème XVIIème siècles : l’injonction faite aux juges de « garder et faire garder » les ordonnances royales, « sans y contrevenir sous quelque prétexte que ce soit, d’équité ou autrement ». Il s’agit, écrit Jacques Krynen, historien du droit, d’une « machine de guerre tournée contre la haute magistrature »[39]. Son but est de « réduire la fonction de jugement à une simple application mécanique de la loi »[40]. En somme, cessez de vous défiler, faites votre travail et appliquez la loi telle qu’elle est écrite.
Ces idées ont la vie dure et elles survivront à la Révolution française lorsque le pouvoir politique changera radicalement de mains. En une série d’expressions-chocs, Krynen parle de la « négation révolutionnaire du pouvoir judiciaire »[41], d’un « complet basculement légicentriste », d’une « loi sacralisée » et d’un « juge mécanisé »; « la loi dans le discours révolutionnaire ambiant se voit célébrée avec une ferveur d’intensité au moins égale à celle qui entourait précédemment la figure du monarque »[42]. Bien que les choses se soient beaucoup nuancées depuis, je crois qu’il demeure dans la culture juridique française un attachement à la loi écrite — parlons de légicentrisme si l’on veut — qui, pour des raisons profondes et très anciennes, ne pouvait apparaître en droit anglais.
F. Les transformations de la finalité de l’appel à travers les âges
Je voudrais mentionner un dernier aspect des choses, qui m’a frappé lors de mes lectures sur l’histoire de l’appel, et qui tient à ceci : l’appel à travers le temps se transforme sous un aspect fondamental qui est celui de sa finalité intime.
Il est évident que, plus l’on remonte dans le temps, plus les institutions qui administrent la justice (je serais tenté de dire « qui administrent l’idée qu’on se fait de la justice à une époque donnée ») s’éloignent des nôtres. Et cela vaut pour l’appel comme pour les autres composantes d’un système de justice. Il devrait aller de soi que, l’appel à l’époque des ordalies et des duels de justice, ce n’est vraiment pas la même chose que l’appel au XVIIIème siècle ou à plus forte raison aujourd’hui.
Et donc, on peut comprendre, par exemple, qu’entre le XIème siècle et la fin du XVème siècle (en gros, l’époque médiévale jusqu’à la fin du bas Moyen Âge), alors que la monarchie est théorisée comme étant de droit divin (en anglais, the divine-right theory of kings), on conçoit l’appel bien différemment d’aujourd’hui. Il faut nuancer, bien sûr. La monarchie de droit divin, chère à Louis XIV qui va régner jusqu’en 1715, avait déjà fait long feu en Angleterre au moment de la Glorieuse Révolution (1688-89) et du Bill of Rights. Mais, ce qui est certain, c’est que tout au long des quatre ou cinq premiers siècles du deuxième millénaire, la monarchie se veut de droit divin, et rendre justice (au temps de Louis IX, par exemple) est une prérogative capitale du monarque, même s’il peut en déléguer la responsabilité. La monarchie féodale se définit comme une institution qui, dans son essence, est dispensatrice de justice pour les sujets du roi[43].
Dans une telle perspective, commettre une injustice alors qu’on rend justice au nom du Roi qui, lui, tient sa prérogative de Dieu, est une forfaiture, un acte en quelque sorte blasphématoire et extrêmement grave. Et on comprend alors pourquoi l’appel, à cette époque, là où il existe, revêt souvent sinon habituellement la forme d’une procédure dirigée contre le juge, contre la personne du juge.
Il y a d’ailleurs un mot pour décrire cette procédure, un substantif, c’est le « faussement », dont vous trouvez la définition encore aujourd’hui dans le Grand Robert. « Faussement » signifie « voie de recours par laquelle un plaideur faussait son jugement »[44]. Et « fausser » signifie « déclarer “faux et menteur” son juge, et le provoquer en duel judiciaire »[45], puisque pendant longtemps au cours de cette période le duel est un mode de preuve privilégié[46]. Montesquieu a décrit par le menu détail les rapports entre le « combat judiciaire » et l’appel[47], et comment Louis IX, dans ses propres domaines, avait aboli le duel dans les procédures de faussement. C’est la multiplication des appels qui en transforma la configuration. Montesquieu, lui-même président à mortier du Parlement de Bordeaux, écrit assez drôlement :
Dans la suite, ce qui n’était que deux cas particuliers [le faussement et l’appel de défaut de droit] étant devenu général pour toutes les affaires, par l’introduction de toutes sortes d’appels, il parut extraordinaire que le seigneur fut obligé de passer sa vie dans d’autres tribunaux que les siens, et pour d’autres affaires que les siennes. [...] Et, quand l’usage des appels devint encore plus fréquent, ce fut aux parties à défendre l’appel; le fait du juge devint le fait de la partie[48].
À quelques variations près, on observe un phénomène semblable en droit anglais. Maitland et Pollock écrivent : The idea of a complaint against a judgment which is not an accusation against the judge is not easily formed[49]. À cette époque, en droit anglais, et sous réserve de certaines nuances[50], l’appel n’existe pas encore en common law, mais les jurys occupent déjà une place importante dans l’administration de la justice et il faut un moyen de contrôler leurs décisions. Aussi les jurés sont-ils ceux que vise la principale voie de recours en révision, le writ of attaint. Et ce n’est pas une mince affaire. Holdsworth en situe l’apparition en 1202[51]; techniquement, son abolition date d’une loi de 1825[52] mais il tomba en désuétude plus d’un siècle auparavant. Les jurés, à l’origine, jouaient un rôle de témoins. Ce n’est que plus tard qu’ils sont appelés à prononcer un verdict sur une preuve faite devant eux. Le writ of attaint se fonde sur la suspicion qu’un premier jury de 12 membres a trahi son serment en rendant un faux verdict; si le jury de 24 membres qui est alors formé conclut à la fausseté du verdict, les premiers jurés sont emprisonnés pour un an et leurs biens meubles (chattels) sont confisqués[53]. On voit que porter un jugement comportait déjà, et là aussi, certains risques…
Mais la morphologie du writ of attaint se modifiera assez rapidement. Déjà vers 1230, Bracton distingue les verdicts parjurés des verdicts fatuous ou mistaken, hypothèse qui selon lui doit atténuer la rigueur de la sanction imposée aux jurés[54]. L’idée d’errare humanum est progresse, lentement mais sûrement. Comme nous sommes en droit anglais, c’est vers la jurisprudence qu’il faut nous tourner, et nous avons sous la main une espèce qui sera lourde de conséquences sur la manière de concevoir, en appel ou autrement, l’erreur révisable par une juridiction supérieure.
Une affaire célèbre, Bushell’s Case[55], va servir de révélateur. En 1670, William Penn, le futur fondateur de la Pennsylvanie, est un Quaker militant de 26 ans. Il a reçu une excellente éducation et il est le fils d’un amiral célèbre. Avec un nommé William Mead, Quaker lui aussi, il est accusé d’avoir pris part à un attroupement illégal (unlawful congregating and assemblies) et il est traduit devant un jury. Le jury l’acquitte, malgré les protestations du juge qui, devant ce résultat, fait emprisonner les jurés pour avoir prononcé un verdict contraire à ses directives. L’un des jurés, Edward Bushell, obtient un bref d’habeas corpus. L’affaire est jugée par la Court of Common Pleas. Le juge en chef Sir John Vaughan prononce un jugement unanime, qui est particulièrement savant et documenté pour l’époque. Il aura plusieurs impacts importants[56] sur la compétence de la Court of Common Pleas, sur la portée du bref d’habeas corpus, sur la notion de jury nullification, sur l’indépendance des jurys et sur l’usage inapproprié de writ of attaint pour les priver de leur autonomie. À compter de cette date, d’ailleurs, le writ of attaint tombe rapidement en désuétude, sauf dans les cas de véritable subornation de jurés[57]. Mais l’affaire est surtout remarquable, à mon avis, parce qu’on y voit sourdre une première distinction entre, d’une part, ce qui ne constitue que des opinions divergentes mais acceptables dans un cadre donné, et d’autre part, ce qui est une opinion erronée par rapport à une opinion correcte. Je cite un extrait, étincelant quand on songe à l’époque, de cet ancien jugement :
I would know whether any thing be more common, than for two men students, barristers, or Judges, to deduce contrary and opposite conclusions out of the same case in law? And is there any difference that the two men should infer distinct conclusions from the same testimony: Is any thing more known than that the same author, and place in that author, is forcibly urged to maintain contrary conclusions, and the decision hard, which is in the right? Is anything more frequent in the controversies of religion, than to press the same text for opposite tenets? How then comes it to pass that two persons may not apprehend with reason and honesty, what a witness, or many, say, to prove in the understanding of one plainly one thing, but in the apprehension of the other, clearly the contrary thing: must therefore one of these merit fine and imprisonment, because he [does] that which he cannot otherwise do, preserving his oath and integrity? And this often is the case of the Judge and jury[58].
C’est étonnamment moderne. Vaughan écrit ceci en 1670; il est un contemporain de Locke, de Spinoza et de Newton, et l’on sent déjà poindre les Lumières à l’horizon, le souffle novateur des idées de demain. Il y a dans ce passage un indice sérieux de ce qui distingue encore de nos jours la conception de l’appel en droit français et en droit anglo-américain. J’y reviendrai, mais avant cela je voudrais nous rapprocher du Québec et faire quelques observations sur l’appel tel qu’il est apparu ici, en droit local. Une histoire somme toute parfaitement honorable.
G. L’appel en droit québécois de 1763 à 1849 : une excursion coloniale
La création de la Cour d’appel du Québec, telle qu’elle existe dans sa forme actuelle, date de 1849. Bien entendu, au cours des 160 dernières années, beaucoup de choses ont changé — le nom de la Cour, le nombre des juges qui y siègent, le contour général de sa compétence, la fréquence et la durée des périodes où elle siège, et bien d’autres choses encore.
De manière plus fondamentale, cependant, la Cour demeure aujourd’hui l’institution qu’elle était au moment de sa création. J’entends par là que sa composition (les membres d’une magistrature indépendante choisis au sein du barreau local) et sa principale fonction (entendre les appels de tous les tribunaux de première instance au Québec) montrent qu’elle descend en droite ligne de la cour créée en 1849 par l’Acte pour établir une cour ayant juridiction en appel et en matières criminelles, pour le Bas-Canada[59]. Et on peut même affirmer que la Cour telle que nous la connaissons aujourd’hui doit son existence à deux figures importantes de l’histoire du Canada, fort probablement John George Lambton, mieux connu comme Lord Durham, et certainement aussi Louis-Hippolyte Lafontaine[60], qui était premier ministre de la Province Unie du Canada au moment de l’adoption de la loi de 1849.
Dès 1663, en Nouvelle-France, Louis XIV avait créé le Conseil souverain, appelé par la suite le Conseil supérieur, et dont cinq des membres exerçaient une compétence générale d’appel pour tous les tribunaux inférieurs (par exemple, la prévôté de Québec). Mais le Conseil était également doté de pouvoirs législatifs et exécutifs, en tant que plus haute autorité de la colonie à une époque où l’idée de séparation des pouvoirs était encore en gestation. Tel était l’état des choses lorsque, en 1760, Pierre de Vaudreuil capitula à Montréal devant Jeffery Amherst, un an après que Jean-Baptiste de Ramezay eut lui-même rendu les armes à Québec devant George Townsend. Commence alors une période de 80 ans au cours de laquelle les institutions judiciaires seront plusieurs fois transformées, parfois de manière à engendrer des résultats imprévisibles et une grande confusion[61].
Sans doute peut-on s’étonner de voir qu’il existe d’importants et très sérieux travaux de recherche, dont certains sont tout récents, sur l’évolution des institutions judiciaires de la Nouvelle-France jusqu’à la Confédération[62]. La question est à la fois complexe et très technique. Je n’ai pas l’intention d’entrer ici dans le vif de ce sujet mais je tiens à m’arrêter brièvement sur les principales étapes historiques qui ont mené à la loi de 1849.
Les membres du Montreal History Group (le professeur Donald Fyson de l’Université Laval et ses coauteurs) ont publié une étude extrêmement précise et détaillée de la structure des tribunaux québécois entre 1764 et 1860. Ils distinguent sept périodes et identifient un véritable labyrinthe de tribunaux de première instance allant de la Cour de plaids communs[63] ou Cour des plaidoyers communs[64] (la Court of Common Pleas) à la Cour des requêtes, la Cour des Commissaires, la Cour de district, la Cour provinciale, la Cour de chancellerie et la Cour d’homologation. Cette énumération de certains tribunaux ayant compétence en matière civile est très incomplète — et ne parlons même pas des juridictions criminelles, qui elles aussi étaient fort nombreuses. Cependant, comme je vais me limiter aux juridictions d’appel en matière civile, il ne m’est pas nécessaire de tenir compte de tous ces détails ni de respecter la périodisation, tout à fait vraisemblable mais trop complexe pour mes fins, qu’adoptent ces derniers auteurs.
Entre 1760 et 1764, période du gouvernement militaire, l’autorité judiciaire d’appel est confiée à des officiers militaires[65]. Par la suite, on peut dire que la structure des juridictions d’appel au Québec traverse quatre phases, dont chacune commence par une circonstance et une date précises : l’Ordonnance du Gouverneur Murray du 17 septembre 1764, l’Acte de Québec entré en vigueur le 1er mai 1775, la réorganisation des tribunaux par Lord Durham en juin 1838 et, finalement, la loi de 1849 que j’ai mentionnée plus tôt.
1. L’Ordonnance du 17 septembre 1764 — un premier système judiciaire
La première période s’annonce avec la Proclamation Royale du 7 octobre 1763. James Murray, le Gouverneur de la Province de Québec, reçoit des directives détaillées qui lui sont adressées de Londres par le Roi. Se conformant à ces directives, il promulgue le 17 septembre 1764, donc presque un an après la proclamation royale, une Ordinance for regulating and establishing Courts of Judicature[66]. Deux cours sont établies à cette occasion, la Cour des plaidoyers communs et la Cour du Banc du Roi, conçues l’une et l’autre comme les institutions du même nom en Angleterre. Mais la ressemblance est loin d’être parfaite. Le Gouverneur nomme les juges de la Cour des plaidoyers communs alors que le juge en chef de la Cour du Banc du Roi — qui est aussi le seul juge de cette cour — reçoit sa commission directement du Roi. On sait assez peu de choses sur le fonctionnement réel de ces deux tribunaux, mais on sait que la Cour du Banc du Roi entend comme tribunal de première instance toutes les affaires criminelles d’importance et qu’elle siège avec un jury. Fyson et ses coauteurs écrivent de la compétence civile de la Cour : Its actual civil jurisdiction is more difficult to gauge, since in theory it overlapped that of the Court of Common Pleas; however, it was probably limited to more important civil cases[67].
Néanmoins, je relève trois choses. Premièrement, dans les affaires où le montant en litige est de 10 £ ou plus, la Cour du Banc du Roi exerce une compétence d’appel sur la Cour des plaidoyers communs. Deuxièmement, dans les affaires où le montant en litige est de 300 £ ou plus, les jugements de la Cour du Banc du Roi peuvent faire l’objet d’un appel au Gouverneur et son conseil. Cette procédure, l’appel au Gouverneur en conseil, est la norme à l’époque dans toutes les colonies britanniques et elle va survivre à l’adoption de l’Acte de Québec de 1774[68]. Troisièmement, lorsque le montant en litige est de 500 £ ou plus, il est possible de porter en appel les décisions du Gouverneur en conseil en s’adressant au Roi, c’est-à-dire au Conseil Privé à Londres[69].
Ce premier système judiciaire souffrait de quelques faiblesses qui le rendaient peu fonctionnel. J’en mentionnerai trois.
D’abord, avant l’entrée en vigueur de l’Acte de Québec, on pouvait légitimement s’interroger sur le droit applicable dans les litiges entre habitants locaux, ceux qu’on appelait les « Canadiens ». Était-ce l’ancien droit français (les coutumes), était-ce le droit anglais, devait-on distinguer entre les affaires nées avant 1760 et celles postérieures à la capitulation[70]?
Ensuite, la Cour des plaidoyers communs instituée par l’Ordonnance de Murray avait pour vocation particulière de statuer sur les litiges entre « Canadiens » et, de fait, elle rendra 352 jugements durant la période initiale qui m’intéresse ici[71]. Mais les juges de la Cour des plaidoyers communs, pour accéder à la fonction, devaient prêter serment d’allégeance, ce qui à l’époque semblait incompatible avec la foi catholique. Placé dans la position délicate d’avoir à choisir des protestants parlant le français, le Gouverneur donne priorité à la langue sur le droit. Il choisit les juges de la Cour des plaidoyers communs non pas en fonction de leurs connaissances juridiques mais parce que, bien que protestants, ils parlent le français. Ils seront donc marchand, militaire ou médecin, Suisse, Huguenot ou simplement bilingue — peu importe —, mais certainement pas des juristes versés en droit français et rompus aux habitudes du prétoire[72]. Cela dit, il semble bien, selon des recherches récentes sur les archives de l’époque, que les juges en question, peut-être parce qu’ils n’étaient pas juristes, se montraient compréhensifs lorsqu’il fallait trancher des litiges entre « Canadiens » et que l’on invoquait devant eux les préceptes du droit français antérieur à 1760[73].
Troisièmement, la plupart des jugements de la Cour des plaidoyers communs pouvaient faire l’objet d’un appel à la Cour du Banc du Roi. Or, selon l’Ordonnance de 1764, la Cour du Banc du Roi devait décider des affaires qui lui étaient soumises in a manner agreeable to the Laws of England and to the Ordinances of the Province. Par conséquent, les mêmes affaires faisaient l’objet de jugements rendus en première instance et en appel en vertu de règles de droit souvent différentes. Cette anomalie ne semble pas avoir préoccupé le premier juge en chef de la Province, William Gregory (dont on s’accorde à dire qu’il était à la fois pusillanime de tempérament et médiocre juriste). Son successeur, William Hey, qui entre en fonctions en février 1766, était mieux qualifié et remédia à cet état de choses en posant comme principe que les mêmes règles recevraient application en première instance comme en appel[74].
2. Les améliorations apportées par l’Acte de Québec
La seconde période, qui en est une de consolidation, commence par l’entrée en vigueur de l’Acte de Québec le 1er mai 1775. Le principal effet de cette loi, on l’a vu, est de rétablir « officiellement » par son article VIII les « loix et coutumes du Canada »[75] pour tout ce qui concerne dans le cas des « sujets Canadiens [...] leurs propriétés et leurs droits des citoëns »[76]. L’Acte de Québec dissipe donc les ambiguïtés qui subsistaient depuis 1760. En outre, il confirme que la plus haute autorité gouvernementale au Québec sera le « Conseil pour les affaires de la Province de Québec », constitué d’au moins dix-sept et d’au plus vingt-trois personnes et présidé par le Gouverneur (article XII). L’Acte de Québec a peu à dire sur les tribunaux (article XVII). Dès son entrée en vigueur, cependant, le Gouverneur, Sir Guy Carleton, reçoit de nouvelles directives royales pour la constitution de tribunaux de compétence civile et criminelle[77]. Elles prévoient que le même Conseil, qui est investi des pouvoirs législatif et exécutif, continuera également d’exercer la compétence d’une cour d’appel[78] pour la Province. Cette cour d’appel est constituée d’un quorum de cinq membres du Conseil, sous la présidence du Gouverneur, ou en son absence du Lieutenant-Gouverneur, ou en leur absence du Juge en chef de la Cour du Banc du Roi (qui est membre d’office du Conseil)[79]. Les choses en resteront là jusqu’en 1794. Cette année-là, dans le sillage de l’Acte constitutionnel de 1791[80] et en raison de la croissance de la colonie, deux Cours du Banc du Roi sont créées, l’une pour le district de Québec et l’autre pour le district de Montréal, chacune ayant son juge en chef (le juge en chef du district de Québec est aussi le juge en chef de la province); un juge de la Cour du Banc du Roi est nommé comme résident aux Trois-Rivières, avec rang de juge puisné. Ce sont ces développements qui engendreront la situation très anormale dénoncée en 1838 par Lord Durham[81].
Avant de m’arrêter sur cette anomalie et sur les mesures qui seront prises pour y remédier, je veux dire quelques mots des personnes qui à l’époque occupent des fonctions judiciaires. Depuis l’Acte de Québec, l’obstacle que constituait le serment d’allégeance est levé et il est possible de nommer à la Cour des plaidoyers communs ou à la Cour du Banc du Roi des juges issus des professions juridiques locales. Ainsi, Jean-Antoine Panet sera le premier francophone nommé successivement à chacune de ces deux cours en janvier puis en décembre 1794, mais il démissionna rapidement de la première et refusa la nomination à la seconde pour se consacrer à la politique[82]. Pierre-Amable de Bonne, personnage influent dans la vie politique de la colonie et juriste de qualité, sera juge à la Cour du Banc du Roi de Québec de 1794 à 1812. Joseph-Rémi Vallières de Saint-Réal sera le premier francophone à présider la Cour du Banc du Roi, en 1842, à Montréal[83]. Ces deux derniers juges eurent l’un et l’autre des carrières judiciaires qu’on peut qualifier de brillantes.
Mais je vais plutôt prendre comme exemple le juge Jonathan Sewell[84], qui fut juge en chef du Québec de 1808 à 1838. Il n’était peut-être pas le plus représentatif, mais il était certainement l’un des plus influents. Né à Cambridge, Massachusetts, en 1766, Sewell était le fils de Jonathan Sewell père, alors Procureur général de cette colonie[85]. En raison des troubles prérévolutionnaires aux États-Unis, la famille de Sewell rentre en Angleterre, où il fait ses études à l’Université d’Oxford. Il devient membre du Barreau à Londres en 1788 puis vient s’établir au Québec l’année suivante dans le but d’y exercer le droit. La pratique du droit lui réussit puisque dès 1793 il est nommé solliciteur général par le Gouverneur, puis Procureur général deux ans plus tard en 1795.
Sewell a rapidement appris le français et s’est mis à l’étude du droit français. C’est un violoniste de talent qui mène une vie sociale très active à Québec. Il aura seize enfants[86] avec sa femme Henrietta Smith, fille de William Smith qui fut lui-même juge en chef du Québec de 1786 à 1793, après avoir été juge en chef de New York à compter de 1780.
Sewell devient juge en chef du Québec le 22 août 1808. En cette qualité, il est membre du Conseil exécutif et du Conseil législatif (il fait incontestablement partie de ce que Louis-Joseph Papineau et quelques autres appellent « la clique du Château St-Louis »). Il préside le Conseil exécutif lorsque celui-ci siège comme cour d’appel et il préside aussi le Conseil législatif. Cela dit, il semble avoir été un excellent juriste, quelqu’un pour qui la coexistence du droit civil français et du droit criminel anglais au Bas-Canada is the triumph of good sense over national prejudice[87]. De passage à Paris, il achète quelque 600 volumes de droit français pour la bibliothèque du Barreau de Québec. Il est membre élu de l’American Philosophical Society (une distinction très prestigieuse à l’époque) et l’Université Harvard lui décerne en 1832 un doctorat honorifique. Au moment de sa mort, sa succession comprenait une bibliothèque de près de 1500 ouvrages, une riche cave à vin et un domaine rural en Auvergne. En d’autres termes, on a manifestement affaire ici à un personnage de grande stature intellectuelle et sociale. Son ancienne demeure, magnifique pour l’époque, existe toujours à Québec. Située rue Saint Louis, elle est la voisine du Cercle de la Garnison, ce qui, on en conviendra, est une adresse respectable...
3. La critique de Lord Durham
Ce qui m’amène à la troisième phase de cette longue évolution vers une cour d’appel moderne. Les membres de la magistrature de l’époque semblent avoir été convenablement qualifiés pour exercer leurs fonctions, là n’est pas le problème qui préoccupera Lord Durham. L’anomalie de principe tient évidemment à ce que le sommet de la hiérarchie judiciaire locale soit un organe à la fois exécutif et judiciaire. Or, un facteur vient aggraver les choses, le fait qu’il existe désormais deux districts d’appel, l’un à Québec et l’autre à Montréal. Lord Durham donnera de la situation qu’il trouve au Bas-Canada une description très peu flatteuse, comme l’avait d’ailleurs fait avant lui Alexis de Tocqueville dans ses carnets de voyage au Bas-Canada lorsqu’il décrivit un procès pour diffamation observé le 27 août 1831[88].
Je crois que la meilleure façon d’évoquer cette question est maintenant de céder la parole à Lord Durham :
I must now turn from the lowest to the highest civil tribunal of the Province. In a country in which the administration of justice is so imperfect in all the inferior stages, and in which two different and often conflicting systems of law are administered by judges whose professional education and origin necessarily cause different leanings in favour of the respective systems in which each is more particularly versed, the existence of a good and available appellate jurisdiction, which may keep the law uniform and certain, is a matter of much greater importance than in those countries in which the law is homogeneous, and its administration by the subordinate tribunals is satisfactory. But the appellate jurisdiction of Lower Canada is vested in the Executive Council, a body established simply for political purposes, and composed of persons in great part having no legal qualifications whatsoever. The Executive Council sits as a court of appeal, four times in the year, and for the space of ten days during each session; on these occasions the two Chief Justices of Quebec and Montreal were, ex officio, presidents, and each in turn presides when appeals from the other’s district were heard. The laymen who were present to make up the necessary quorum of five, as a matter of course, except in some instances, in which party feelings or pecuniary interests are asserted to have induced the unprofessional members to attend in unusual numbers, to disregard the authority of the Chief Justice, and to pervert the law. In the general run of cases, therefore, the decision was left to the President alone, and each Chief Justice became, in consequence, the real Judge of appeal from the whole court of the other district. It is a matter of perfect and undisputed notoriety, that this system has produced the results which ought to have been foreseen as inevitable; and that, for some time before I arrived in the Province, the two Chief Justices had constantly differed in opinion upon some most important points, and had been in the habit of generally reversing each other’s judgments[89]. Not only, therefore, was the law uncertain and different in the two districts, but, owing to the ultimate power of the Court of Appeal[s], that which was the real law of each district, was that which was held not to be the law by the Judges of that district. This is not merely an inference of my own; it is very clear that it was the general opinion of the profession and the public. The Court of Appeal[s], as re-modelled by me, at the only sitting which it held, reversed all but one of the judgments brought before it. This induced a member of the court to remark to one of the Chief Justices, that so general a reversal of the law of a very competent court below, by a tribunal so competent as the Court of Appeals then was, appeared to him utterly inexplicable, inasmuch as it could nowise be attributed, as it was before, to the influence of a single Judge. The reply of the Chief Justice was, that the matter was easily accounted for; that the system previously adopted in the Court of Appeals had rendered the decision of the court below so complete a nullity, that the parties and counsel below often would not take the trouble to enter into the real merits of their case, and that the real bearing and law of the case were, generally, most fully stated before the Court of Appeals.
As the business of the Court of Appeals was thus of great extent and importance, it became necessary that, having, from political considerations, altered the composition of the Executive Council, I should re-organize the Court of Appeals. I determined to do this upon the best principle that I could carry into effect, under the circumstances of the case; for, as the constitution of the Court of Appeals is prescribed by the Constitutional Act, I could not vest the appellate jurisdiction in any other body than the Executive Council. I called, therefore, to the Executive Council the Chief Justice and Puisne Judge from each of the two districts of Quebec and Montreal, and by summoning also the Judge of Three Rivers, I gave the members of the two conflicting tribunals an impartial arbiter in the person of M. Vallière de [Saint-Réal], admitted by universal consent to be the ablest French lawyer in the Province. But the regulations of the Executive Council, which it was supposed I could not alter in this case, required the presence of a quorum of five; and as no Judge could sit on an appeal from his own court, I had now only provided three for every appeal from the two greater districts. In order to make up the quorum, the court was therefore attended by two other executive councillors, one of whom, by his thorough knowledge of commercial law, and his general experience, was commonly admitted to have rendered essential service. I believe I may confidently say that the decisions of this court carried far greater weight than those of any previous court of appeals[90].
Avant même la publication de son rapport et peu de temps après son arrivée au Bas-Canada, Lord Durham avait transmis une note à Lord Glenelg[91] qui contenait l’observation suivante :
The Executive Council is still the Court of Appeals. The only alteration in practice is, in having sworn in as Executive Councillors an additional number of judges, and not having summoned to the Council, when it sat as a Court of Appeals only, such members as had received no legal education[92].
Mais le moyen utilisé par Lord Durham n’était qu’un expédient temporaire auquel il fallait substituer tôt ou tard une solution durable. Entre 1843 et 1849, une formule émergerait finalement pour compléter la longue gestation de la Cour d’appel.
Le passage de Durham au Canada fut somme toute fort bref. Peu de temps après son arrivée, il avait adopté un décret pour exiler aux Bermudes certains des rebelles de 1837 et pour prohiber le retour d’exil de ceux des Patriotes qui avaient fui aux États-Unis. Les adversaires politiques de Durham à Londres mirent en doute la légalité de ces mesures et le gouvernement britannique résolut assez rapidement de répudier le décret controversé. Apprenant cette décision, Durham, qui était arrivé au Canada le 27 mai 1838, démissionna de son poste de Gouverneur le 9 octobre 1838[93]. Il est assez remarquable, dans ces conditions, que son rapport, paru à Londres en février 1839, eût le retentissement que l’on sait et un impact considérable sur la politique coloniale du gouvernement britannique.
L’idée maîtresse de Durham pour redresser la situation politique dans les Canadas était d’y introduire ce qu’on appellera par la suite le principe du « gouvernement responsable »[94], un principe qui entrera progressivement en action à partir de l’Acte d’Union de 1840[95]. Il est clair qu’entre 1840 et 1848, la controverse du « gouvernement responsable » monopolise les esprits dans les milieux politiques. Mais c’est aussi pendant cette période qu’une autre institution considérée par Durham comme essentielle au bon fonctionnement du gouvernement colonial (a good and available appellate jurisdiction, which may keep the law uniform and certain[96]) va prendre forme peu à peu. Sans doute cela n’est-il pas passé complètement inaperçu, mais on ne peut dire pour autant que cet aspect des réformes souleva de grandes passions.
4. L’émergence d’une Cour d’appel moderne, 1843 à 1849
La première série de mesures apparaît en 1843. Thomas Cushing Aylwin, solliciteur général dans l’administration Baldwyn/Lafontaine, joue un rôle important dans leur adoption[97]. Aylwin, qui représenta Portneuf puis la Ville de Québec à l’Assemblée législative entre 1841 et 1848, avait une réputation enviable comme juriste. En 1849, il devint juge à la Cour du Banc de la Reine à Montréal et par la suite, en 1858, il fut un membre influent du tribunal spécial constitué pour mettre fin au régime de tenure seigneuriale de l’ancien Bas-Canada. Trois mesures spécifiques doivent être considérées ici; toutes trois s’inscrivent dans la pensée de Lord Durham et des autres penseurs whigs de l’époque.
Une loi de 1843[98] introduit d’abord une forme relative d’inamovibilité pour les juges. Sauf dans le cas des juges en chef, qui eux sont nommés par Londres (et détiennent leur commission du monarque), les juges du Québec peuvent être révoqués ou destitués par simple décision du Gouverneur. Désormais, ces mêmes juges bénéficieront d’un régime semblable à celui qui s’applique aux juges anglais depuis le Act of Settlement, 1700[99]. Une seconde loi[100] adoptée la même année prévoit que, désormais, les membres de la magistrature ne pourront plus, simultanément à l’exercice de leurs fonctions judiciaires, être membres de l’Assemblée législative ou du Conseil exécutif, et prévoit aussi qu’ils ne pourront plus voter aux élections de l’Assemblée. C’est là l’origine d’une disposition de la Loi sur les tribunaux judiciaires[101] qui ne manque pas de surprendre les lecteurs peu familiers avec l’histoire des tribunaux dans la première moitié du XIXème siècle[102]. Enfin, avec l’Acte pour établir une meilleure cour d’appel au Bas-Canada[103] est constituée une cour d’appel composée des seuls juges de la Cour du Banc de la Reine (ce qui assure pour la première fois que seuls des juristes de formation pourront désormais entendre des appels). En vertu de l’article III de cette loi, la Cour a une compétence semblable à celle des cours supérieures anglaises et elle a une juridiction en appel et « en Erreur ». L’article XV, une règle nouvelle, précise que les jugements devront désormais être motivés[104].
Tout est maintenant en place pour une dernière série de transformations qu’apporte en 1849 l’Acte pour établir une cour ayant juridiction en appel et en matières criminelles, pour le Bas-Canada[105]. Avec cette loi commence l’ère moderne de la Cour d’appel. Il s’agit dans une large mesure d’une consolidation des modifications survenues depuis 1843[106], mais la loi de 1849 contient beaucoup plus de détails sur les sessions de la Cour, sa procédure et son fonctionnement interne. Elle s’appellera désormais la Cour du Banc de la Reine. La principale innovation tient au fait que dorénavant, en matière civile, les juges de la cour d’appel (trois juges puisnés, un juge en chef) ne siégeront plus qu’en appel, ce qui élimine une fois pour toutes les difficultés antérieures découlant de la règle qu’un juge ne peut siéger en appel de son propre jugement.
Il y aura encore bien des changements par la suite mais, comme je le disais au début, rien ne viendra modifier les caractéristiques fondamentales de la Cour. Les règles de la procédure civile, quant à elles, subiront diverses transformations, parfois assez radicales. Ainsi, le Code de procédure civile qui entre en vigueur le 28 juin 1867 prévoit à son article 1118 que le délai pour former un appel est d’un an à compter du jugement attaqué. Ce délai, que l’article 1209 du Code de procédure civile de 1897 avait réduit à six mois, fut ramené à deux mois en 1912 et il est de 30 jours depuis 1922 (voir l’actuel article 494 du Code de procédure civile qui en fait un délai péremptoire). Dans la même veine, la procédure de l’Erreur sera assez rapidement abrogée dans son entièreté — il semble d’ailleurs qu’elle n’a jamais été très prisée des plaideurs[107]. En 1974, la Cour changera de nom une nouvelle fois et deviendra la Cour d’appel, sans « s ». À diverses époques, son fonctionnement interne sera modifié de façon substantielle[108]. Les membres de la Cour seront parfois la cible de graves critiques[109]. Mais la Cour telle qu’elle apparaît en 1849 après la réforme de Lafontaine survivra jusqu’à aujourd’hui et ne donne pas de signe d’une fin prochaine.
II. Certains aspects analytiques et actuels de l’appel
Le système procédural en vigueur au Québec s’inscrit incontestablement dans la tradition anglo-américaine. À mon sens, Lawrence Friedman est celui qui a le mieux exprimé, de la façon à la fois la plus lapidaire et la plus pénétrante, ce qu’on pourrait appeler « la problématique fondamentale de l’appel » telle qu’elle est comprise dans cette tradition. Il écrit dans son ouvrage A History of American Law : The basic problem of review or appeal is how to avoid doing everything over again — which would be a tremendous waste — but at the same time make sure that lower-court mistakes are corrected[110]. Il y a évidemment une tension, on pourrait presque dire quelque chose de contradictoire, dans cette problématique : comment déterminer s’il y a dans un jugement une erreur méritant rectification, sans justement, refaire ce qui s’est fait en première instance ou, à tout le moins, revoir en détail et dans sa teneur même la contestation qui s’est déroulée au procès?
Le régime de l’appel tel qu’on le connaît ici repose sur une série de compromis et de dosages normatifs au moyen desquels on tente de concilier ces deux objectifs en procédant à un filtrage des dossiers traités en appel. On aurait bien tort de croire, cependant, que notre façon de faire les choses s’impose comme allant de soi. Une rapide comparaison avec le droit français démontre combien, en ces matières, tout est relatif, et combien les mêmes mots peuvent avoir des référents tout à fait dissemblables. « Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà » disait Pascal[111], il voyait juste...
En France, comme ici d’ailleurs, la justice civile est administrée par une hiérarchie judiciaire à trois niveaux : première instance, premier niveau d’appel, second niveau d’appel (ou plutôt cassation, pour être rigoureusement exact, mais cette nuance est sans importance ici). Cela dit, une fois notée cette ressemblance de surface, on constate que la dynamique de l’appel et de la cassation en France est fort différente de ce qu’on connaît et de ce qu’on pratique ici.
En effet, l’appel, en France, correspond à ce que l’on nomme ici un « procès de novo ». L’illustration la plus frappante de la chose se trouve probablement en matière pénale. L’article 296 du Code de procédure pénale précise quelle est la composition de la Cour d’assises, celle qui a compétence sur ce qu’on appelle ici les actes criminels. L’article en question prévoit que « [l]e jury de jugement est composé de six jurés lorsque la cour statue en premier ressort et de neuf jurés lorsqu’elle statue en appel »[112]. Autrement dit, le président de la formation de jugement et les deux assesseurs, qui sont des magistrats de carrière, sont secondés par six jurés en première instance et par neuf jurés en appel. Ici, évidemment, il serait inconcevable que des jurés participent à la prise de décision en appel et il serait inconcevable qu’on réentende toute la preuve, y compris les témoignages, en appel, et en ayant même la faculté d’y ajouter des éléments nouveaux.
En droit français, la dynamique de l’appel en matière civile est également celle d’un « procès de novo ». On sait que, dans une procédure mue devant un Tribunal de grande instance, un « juge de la mise en état » contrôle le déroulement de l’instruction[113] qui se termine par une ordonnance de clôture[114] et le renvoi du dossier devant une formation de jugement collégiale composée de trois magistrats (bien que, curieusement, l’audience avec plaidoiries devant cette formation soit de moins en moins la règle[115]). Or, en appel, un conseiller de la Cour d’appel, le conseiller de la mise en état, exerce exactement les mêmes pouvoirs que le juge de la mise en état en première instance[116] : l’article 907 du Code de procédure civile, qui prévoit qu’en appel « l’affaire est instruite sous le contrôle d’un magistrat de la chambre à laquelle elle est distribuée », renvoie purement et simplement aux articles 763 à 787 (qui régissent « [l]’instruction devant le juge de la mise en état » au tribunal de grande instance).
Qui plus est, l’effet dévolutif de l’appel tel que nous le connaissons ici est nettement différent de celui que connaît le régime de l’appel en droit français. On sait qu’ici, la preuve nouvelle en appel n’est permise qu’exceptionnellement et qu’elle doit satisfaire à des conditions rigoureuses fixées par la jurisprudence[117]. Mais on sait aussi, et en revanche, qu’on peut plaider en appel tous les moyens de droit supportés par le dossier, qu’ils aient ou non été plaidés en première instance, à condition bien entendu qu’ils ne nécessitent pas le dépôt au dossier d’une preuve nouvelle inadmissible en appel[118]. En France, grosso modo, c’est presque l’inverse. Je cite un ouvrage classique qui fait depuis longtemps autorité :
Aux termes de l’article 563, CPC, les parties peuvent produire en appel des pièces nouvelles ou proposer des preuves nouvelles pour justifier les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge. Cette règle est liée au sens même de l’effet dévolutif de l’appel : le juge d’appel devant reprendre intégralement le litige, en fait et en droit [...], il est normal que les parties puissent lui apporter tous les éléments susceptibles d’éclairer sa décision et d’appuyer leurs prétentions, par la production de nouvelles pièces ou preuves. Ces deux dernières notions ne soulèvent aucune difficulté [italiques dans l’original][119].
Toute preuve additionnelle est donc permise. Mais, à l’inverse, toute nouvelle prétention est irrecevable[120]. Cela ne veut pas dire, à mon avis, que tout nouveau moyen de droit est irrecevable, mais plutôt qu’on ne peut demander en appel des conclusions ultra petita, qui outrepasseraient les limites de ce que l’on a demandé en première instance; il en va d’ailleurs de même ici. Néanmoins, le droit français semble moins accommodant que le droit québécois pour ce qui concerne la possibilité de soulever en appel des arguments de droit qui n’ont pas été débattus en première instance[121].
J’ajoute que, sous plusieurs autres aspects importants en matière d’appel, le système français se distingue radicalement du droit en vigueur dans les systèmes comme le nôtre, ou ceux (comme celui de l’Ontario, c’est évident) qui lui sont voisins[122]. Il faut donc se méfier des comparaisons, sans toutefois sous-estimer ce en quoi elles peuvent nous donner des pistes intéressantes pour mieux comprendre l’appel. Le droit français met d’ailleurs à contribution beaucoup de règles de procédure qui sont fort ingénieuses.
A. Trois modes différents de révision
Si l’on garde à l’esprit la remarque presciente de Lawrence Friedman[123], il y a trois façons de conceptualiser la marge d’intervention souhaitable d’une cour d’appel : trop, pas assez, juste ce qu’il faut. Évidemment, une fois qu’on a dit cela, toute la difficulté consiste à s’entendre sur le sens de « juste ce qu’il faut ».
On aura compris de ce qui précède que le mot « appel » évoque des réalités bien différentes en France et ici. L’appel en France est ni plus ni moins que la reprise du procès et il n’est pas contesté en droit français que les cours d’appel décident souverainement des faits comme du droit.
Il y a d’ailleurs de bonnes raisons pour lesquelles cette façon de faire peut se justifier dans un contexte comme celui du droit français : le principe du contradictoire y est appliqué en première instance très différemment d’ici, la place faite à l’oralité n’est pas du tout la même qu’ici, le droit de la preuve et surtout les règles d’administration de la preuve sont également très différents de ce que nous connaissons, de sorte que la façon d’appréhender les questions de fait a peu à voir avec nos méthodes (largement inspirées de la common law), et enfin il est je crois beaucoup plus facile en droit français qu’en droit canadien de faire respecter une idée de proportionnalité au procès[124]. En somme, le dossier qui se présente à la formation de jugement en première instance est déjà très compacté, car le procès ne donne pas lieu au vaste étalage de moyens qui caractérisent ici certains procès civils. Aussi, l’expression « reprise du procès » n’a pas non plus le même sens qu’ici. Ce qui mériterait d’être qualifié ici, selon l’expression de Lawrence Friedman, de « tremendous waste »[125] (en somme, tout recommencer et donc avoir une marge d’intervention illimitée) ne me semble pas avoir cet effet en France compte tenu de contraintes procédurales extérieures à l’appel. Voilà pour ce qui serait « trop » ici, sans nécessairement l’être en France. Regardons maintenant du côté de « pas assez ».
J’ai mentionné tout à l’heure le writ of attaint, qui anciennement dans les systèmes de common law servait à faire infirmer un premier verdict — et donc un premier jugement. Mais un autre moyen de procédure se développait sur une voie parallèle. Après que le writ of attaint soit tombé en désuétude, cet autre moyen, le writ of error, se développe à partir du début du XVIIIème siècle, vers 1705[126], et il sera longtemps utilisé par les tribunaux de common law pour corriger un certain type d’erreur. Ce bref, qui est l’ancêtre au Québec du « pourvoi pour erreur » dans le Code de procédure civile de 1867[127], remplissait à peu près la même fonction que le bref de certiorari dans les cas d’erreur manifeste à la lecture du dossier.
Ceux ou celles qui ont mon âge et qui comme moi ont longtemps enseigné le droit administratif connaissent bien cette procédure et lui trouvent beaucoup de pittoresque, un charme suranné et bien anglais. La notion d’« error of law on the face of the record », une erreur révisable par le bref de certiorari, a été ressuscitée en 1952 par Lord Denning dans la fameuse affaire Rex v. Northumberland Compensation Appeal Tribunal, ex parte Shaw[128]. Depuis lors, elle a longtemps servi à réviser certains types d’erreurs commises par des tribunaux administratifs; on a même déjà tenté de codifier la notion, tout en la modifiant légèrement, dans une disposition aujourd’hui abrogée de la Loi sur la Cour fédérale[129]. La caractéristique universellement décriée de cette notion et de la procédure de writ of error tenait à ceci : elles exagéraient au-delà de toute mesure raisonnable l’importance d’irrégularités techniques (ou d’un légalisme obtus) en en permettant la révision au compte-gouttes, mais elles occultaient simultanément de réelles injustices qu’il était impossible de corriger en raison des lacunes matérielles du dossier.[130] C’est en quelque sorte une variante du problème que pose le verdict d’un jury : seule l’erreur qui laisse des traces est révisable. Or, les délibérations du jury sont secrètes et le jury prononce son verdict sans devoir le motiver. En ce sens, le jury est souverain dans son appréciation des faits. Si le dossier attaqué par writ of error ne contient qu’une infime fraction de ce qui fut examiné en première instance, l’appréciation par le premier juge de tout ce qui n’a laissé aucune trace au dossier devient souveraine elle aussi. Autrement dit, la procédure par writ of error va tomber à son tour en désuétude, comme le writ of attaint, parce qu’elle est irrationnelle.
Dans la deuxième moitié du XIXème siècle va donc se poser de façon prééminente en Angleterre la question de l’insuffisance des moyens de se pourvoir contre les jugements. On va y remédier radicalement avec les Judicature Acts[131], en donnant un grand coup de balai, en généralisant aux tribunaux de common law l’appel (qui remplace le writ of error) et en s’inspirant de la procédure d’appel en Chancery, tout en corrigeant les lacunes et les vices les plus évidents dont était affligée cette même procédure d’appel en Chancery[132].
B. Le contrôle des appels en fonction de leur objet
Va se poser alors, avec une acuité grandissante, le problème identifié par Friedman : trouver un équilibre acceptable entre trop et pas assez[133]. Pour ce faire, on va user de divers moyens, dont certains se passent presque de commentaire, alors que d’autres soulèvent de très intéressantes difficultés analytiques.
1. Les notions régulatrices d’application simple
Je vais surtout m’arrêter ici sur le régime de l’appel en droit québécois. Cela dit, les notions dont je vais maintenant dire quelques mots se retrouvent ailleurs sous une forme semblable ou très voisine, et elles ne méritent guère approfondissement car elles posent peu de difficultés d’application. La tendance lourde et constante en droit québécois comme ailleurs au Canada est d’encadrer de plus en plus strictement l’exercice du droit d’appel.
Il y a d’abord, bien sûr, la distinction entre l’appel de plein droit et l’appel avec permission, quelque chose qui relève avant tout d’un choix législatif — par exemple pour ce qui concerne le seuil ad valorem de l’appel de plein droit, qui est actuellement de 50 000 $ en droit québécois. Ce seuil n’a pas cessé d’augmenter en chiffres constants[134].
Qui n’a pas droit d’appeler de plein droit a, presque toujours[135], le droit de demander la permission d’appeler. La partie qui souhaite se pourvoir doit alors démontrer que « la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour d’appel, ce qui est notamment le cas si [le juge saisi de la demande de permission] est d’avis qu’une question de principe, une question nouvelle ou une question de droit faisant l’objet d’une jurisprudence contradictoire est en jeu »[136]. Cette énumération, qui est aussi à mon avis un resserrement des conditions d’obtention d’une permission, est apparue dans le Code de procédure civile le 1er février 2003[137]. Il est difficile de ne pas y voir l’évocation d’une erreur de droit d’une portée suffisante pour dépasser le simple intérêt des parties au litige; la jurisprudence des juges de la Cour d’appel, avant comme après le 1er février 2003, conforte cette interprétation[138].
Il y a ensuite le contrôle exercé sur les demandes de permission d’appeler de jugements interlocutoires[139], jugements qui traditionnellement, dans les systèmes de common law, ne sont pas en principe susceptible d’appel[140]. Les trois cas mentionnés à l’article 29 du Code de procédure civile sont, textuellement, ceux qui apparaissaient en 1867 à l’article 1116 du Code de procédure civile de l’époque. Ils ont donc 145 ans, ce qui a permis de les interpréter sous toutes leurs coutures. Mais les choses ont changé en 1986. Alors qu’autrefois, et pendant assez longtemps, on concevait le rôle du juge saisi d’une demande en vertu de cet article comme se limitant à vérifier si le jugement attaqué se qualifiait au regard de l’un des trois cas de l’article 29, à partir de 1986 l’appel d’un jugement interlocutoire n’est autorisé que lorsque le juge saisi de la demande de permission « estime [...] que les fins de la justice requièrent d’accorder la permission »[141]. L’inclusion dans le Code de procédure civile de l’article 4.2 et du principe de proportionnalité entré en vigueur le 1er janvier 2003[142] a elle aussi eu un impact sur les permissions d’appeler, ce qu’illustre la jurisprudence la plus récente des juges de la Cour[143].
Enfin, la jurisprudence de la Cour penche maintenant assez largement contre les appels, de plein droit ou avec permission, qui visent des jugements « discrétionnaires », ou portant sur des matières où plusieurs issues possibles s’offrent au juge de première instance (par exemple, en matière de peines, de droits d’accès et de garde d’enfant, d’évaluation des dommages — particulièrement moraux ou punitifs, etc.) ou encore concernant des mesures de gestion d’instance avant ou pendant un procès[144].
En somme, et comme je le disais au début, la tendance lourde est de contrôler assez étroitement l’exercice du droit d’appel.
2. Une notion régulatrice complexe : la distinction entre le fait et le droit
J’entre ici sur un terrain beaucoup plus glissant pour offrir quelques observations sur un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre en doctrine, ici comme à l’étranger, et qui selon toute probabilité continuera de le faire longtemps encore.
Replaçons le sujet dans son contexte et abordons-le d’abord sous l’angle de la loi. Je ne surprendrai personne en disant qu’il y a plusieurs dispositions des lois fédérales et provinciales, souvent d’ailleurs en matière pénale ou criminelle, qui font de l’existence d’une question de droit une condition du droit d’appel ou le critère même de l’intervention en appel. J’en donnerai ici comme exemple l’article 291 du Code de procédure pénale en vigueur au Québec :
L’appelant ou l’intimé en Cour supérieure et [...] le procureur général ou le directeur des poursuites criminelles et pénales peuvent, s’ils démontrent un intérêt suffisant pour faire décider d’une question de droit seulement, interjeter appel devant la Cour d’appel, avec la permission d’un juge de cette cour[145].
L’expression « une question de droit seulement » apparaît aussi au paragraphe 839(1) du Code criminel, toujours dans le contexte de l’appel, et à titre d’exemple on la trouve 73 fois dans des lois fédérales.
Par ailleurs, ce n’est pas uniquement l’affaire de la loi, c’est aussi, et de façon prééminente, l’affaire de la jurisprudence. On connaît tous, bien sûr, les arrêts récents de la Cour suprême du Canada, tant en matière civile que criminelle ou pénale[146], arrêts qui réitèrent et renforcent une jurisprudence déjà assez ancienne[147], en accord avec des sources plus anciennes encore[148]. Sur une question de fait, la Cour d’appel ne doit intervenir qu’en présence d’une erreur — c’est l’expression consacrée — « manifeste et dominante », ou encore « manifeste et déterminante », critère que la Cour a plusieurs fois explicité dans ses jugements[149]. La norme d’intervention est différente sur une question de droit : toute erreur est en principe réformable, à condition qu’elle ait été déterminante, c’est-à-dire qu’elle ait eu un impact démontrable sur le dispositif du jugement entrepris.
Mais qu’est-ce qu’une question de fait, qu’est-ce qu’une question de droit, et quand peut-on recourir à l’expédient de la « question mixte de fait et de droit »? Décider si une disposition de la loi est d’application rétroactive, c’est en principe une question de droit. Décider si un individu X se trouvait à un endroit Y à un moment Z, c’est en principe une question de fait. Mais entre ces deux extrêmes — appelons-les des cas clairs — il existe une vaste zone grise.
La question, je l’ai dit, a fait couler beaucoup d’encre, depuis longtemps[150], parfois sous la plume de juristes éminents[151], et elle a plusieurs fois inspiré à des auteurs locaux des travaux de belle facture[152]. Elle revêt une importance considérable en droit français car, dans ce système, les pourvois en dernière instance et à la Cour de cassation portent nécessairement et uniquement sur le droit, de sorte qu’en principe la distinction acquiert une puissance normative qu’elle ne peut avoir ici. C’est ce qui explique que l’ouvrage classique et le plus cité sur la cassation consacre un titre entier de 109 pages à la fois denses et captivantes à la question « Distinction du fait et du droit »[153]. J’y reviendrai.
Mais ici, compte tenu de la configuration institutionnelle des tribunaux d’appel, c’est plutôt du côté du droit anglo-américain qu’il nous faut regarder. Je voudrais m’arrêter sur deux thèses fort différentes, mais fortement argumentées, qui font voir pourquoi cette distinction régulatrice en matière d’appel est en réalité fort complexe et une constante source de difficulté dans la pratique. La première de ces thèses est de deux auteurs américains en poste à l’Université Northwestern de Chicago[154], la deuxième d’un universitaire canadien qui enseigne à l’Université d’Oxford[155].
a. La thèse d’Allen et Pardo
Allen, en passant, est le titulaire de la chaire John Henry Wigmore depuis 1992 et un spécialiste émérite du droit de la preuve, d’où son intérêt pour les rapports entre les faits et le droit. La thèse qu’il développe avec Pardo est bien américaine, et ce, de plusieurs façons. D’abord, et c’est tout à fait normal, elle tient compte d’un ensemble de particularismes propres au droit américain, comme le rôle de premier plan qu’y joue le jury, notamment en matière civile, ou, autre exemple, le VIIème Amendement à la Constitution, qui limite le pouvoir des tribunaux de modifier en appel ou autrement les conclusions de fait d’un jury[156]. La thèse d’Allen et Pardo est aussi bien américaine car, comme on le verra, elle est audacieuse et robuste, ou en tout cas très stimulante intellectuellement. Il est impossible de lui rendre pleinement justice avec les quelques brèves observations qui suivent, mais je tenterai de la présenter sous un jour qui l’avantage.
Réduite à l’essentiel, cette thèse pose qu’il n’existe tout simplement pas de différence ontologique, épistémique ou analytique entre le droit et le fait; il s’agit de la même chose. Je les cite au texte :
The point is fundamental, yet often overlooked: to the extent one can say that “the law is Y” or “rule Y applies” one can also say “it is a fact that the law is Y” or “it is a fact that rule Y applies.” In short, the answers to legal questions are propositional statements with truth value and are therefore, like other propositions with truth value, factual [emphases dans l’original][157].
Partant de ce principe, et après un impressionnant tour d’horizon de la jurisprudence américaine portant plus précisément sur le VIIème Amendement ainsi que sur les attributions respectives des jurys et des juges en matière de responsabilité pour négligence ou de responsabilité contractuelle, de contrefaçon de brevet, de dommages, etc., ces auteurs entendent démontrer que la distinction est essentiellement « fonctionnelle » (c’est le mot qu’ils emploient, functional), c’est-à-dire dénuée de toute substance et utilisée à la seule fin de répartir les tâches entre différents organes ou différentes institutions de décision. Ce serait une distinction totalement instrumentalisée par les institutions de décision en droit.
C’est pour cette raison, concluent-ils, qu’il est impossible d’en rendre compte rationnellement et d’une manière qui ne soit pas contradictoire : there is no algorithm for generating correct conclusions about which is which [fact or law], and so the courts muddle along attempting to rationalize a process whose primary purpose is allocative in terms of the nature of the entities[158]. Cela ne signifie pas que l’on doit se débarrasser de la distinction, ou prétendue distinction, car il est fort possible que cette fiction juridique, comme bien d’autres, joue un rôle utile à l’intérieur du système, mais on aurait tout intérêt à l’aborder visière levée, en l’appréhendant pour ce qu’elle est véritablement, c’est-à-dire rien d’autre qu’une fiction. En d’autres termes, ne dites pas « ceci est une question de fait » et « cela est une question de droit », mais dites plutôt « étant donné sa nature et sa portée, cette question en est une dont la détermination relève du tribunal et non du jury (ou de la Cour d’appel et non du juge de première instance) ».
C’est une thèse à la fois forte et séduisante mais, à mon sens (et pour des raisons que la thèse d’Endicott permet peut-être de mieux expliciter), elle se heurte à un argument insurmontable : celui de la place de l’indétermination en droit, et du rôle créateur du juge. Cette place s’accroît à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie judiciaire; elle est probablement considérable au sommet de la hiérarchie et l’est beaucoup moins en première instance où beaucoup d’affaires ne soulèvent que de purs problèmes de résistance au droit et sanction de règles claires, mais elle demeure certainement perceptible au niveau intermédiaire d’appel[159]. Quand il s’agit d’appliquer une règle claire à des faits peu litigieux, la factualité du droit est indéniable : on cherche la règle, on la trouve, on la comprend et on l’applique. Mais quand il s’agit de créer, par un processus progressif d’accrétion ou de sédimentation prétorienne, une règle qui ne préexiste pas à la décision, traiter la règle à venir comme un fait (c’est-à-dire, pratiquement, comme une chose matérielle et immuable dans sa factualité même) qui, de plus, serait antérieur à la décision non encore rendue, c’est adopter du droit une vision d’un positivisme simpliste; cela ne manque pas de surprendre venant d’un auteur aussi lucide et chevronné qu’Allen.
Richard Posner, que citent Allen et Pardo[160], a écrit quelque part au sujet de l’indétermination qu’en raison d’indices trop contradictoires, il est impossible de décider, en lisant le MacBeth de Shakespeare, combien les époux MacBeth avaient d’enfants. Ce qui lui a valu de se voir répondre par un philosophe britannique réputé, Sir Bernard Williams : this does not mean [...] that [Lady MacBeth] is represented in the play as a woman with no determinate number of children[161].
Certes, aucune règle n’est jamais présentée comme a woman with no determinate number of children. Mais il n’en demeure pas moins que, plus l’on s’élève dans la hiérarchie judiciaire, plus l’on a affaire à des règles qui ne deviennent véritablement determinate dans l’espèce en cours qu’une fois le jugement prononcé, car elles se présentent à l’institution de décision comme la question identifiée par Posner : mises à l’épreuve d’un contexte précis et de faits inattendus, elles n’apportent plus de réponse claire et nécessitent une « interprétation »[162]. Il me semble que les traiter à cet égard comme des « faits » antérieurs à l’affaire n’a guère de sens.
b. La thèse d’Endicott
La thèse d’Endicott, à laquelle j’adhère, me paraît à la fois plus réaliste et plus fonctionnelle. J’en donne les grandes lignes, sans entrer dans les détails.
Voulant illustrer, sans doute un peu narquoisement, comment les juges manipulent parfois la distinction entre question de fait et question de droit, il cite en exergue de son essai[163] une phrase de Lord Denning, alors de la Chambre des Lords, qui avait écrit, dans une affaire de droit fiscal : My Lords, you have indeed here a question of law, if you please to treat it as such[164]. D’un point de vue pragmatique, dit-il, qui semble être le point de vue de Lord Denning dans ce cas-ci, qualifier quelque chose de question de fait ou de question de droit, c’est simplement déterminer que telle ou telle chose relève du jury ou du juge, que telle ou telle chose pourra ou non faire l’objet d’une révision judiciaire ou que sur telle ou telle question une cour d’appel pourra trancher dans le sens qui lui convient, sans trop se soucier de ce qu’on a jugé en première instance.
Il faut faire plus que cela, dit Endicott, il faut chercher une explication non pas simplement pragmatique ou instrumentalisante de la distinction entre droit et fait, mais une explication analytique.
Partant de là, il utilise un exemple, tiré d’un autre arrêt de la Chambre des Lords, Brutus v. Cozens[165]. Brutus, un manifestant antiapartheid, s’était présenté à Wimbledon pendant un tournoi de tennis auquel participait un joueur sud-africain. Il sauta sur le court de tennis, le Court no. 2, donna quelques coups de sifflet et lança des tracts de protestation à la ronde. Une dizaine d’autres protestataires le suivirent en agitant une banderole. L’incident, qui avait duré deux à trois minutes et qui avait interrompu le match en cours, provoqua une certaine hostilité de la part de la foule. Brutus fut escorté manu militari vers la sortie et il fut mis en accusation en vertu du Public Order Act de 1935 qui prévoyait la chose suivante : Any person who in any public place [...] uses [...] insulting behavior to provoke a breach of the peace [...] shall be guilty of an offence[166]. Acquitté en première instance par un tribunal de police constitué de lay magistrates qui jugèrent que sa conduite n’avait pas été insulting, Brutus se retrouva devant la Cour divisionnaire pour l’appel du poursuivant. Cette cour cassa le verdict et déclara Brutus coupable de l’infraction en question. Brutus porta l’affaire devant la Chambre des Lords qui rétablit le verdict d’acquittement.
Endicott explique qu’en réalité il y a trois questions ici : (i) une question de fait (qu’est-ce que Brutus a fait, exactement, sur le Court no. 2?), (ii) une question de droit (quelle est l’infraction potentiellement applicable?) et (iii) une question d’application (le comportement de Brutus était-il insultant)[167]. Ce qu’Endicott appelle « question d’application », poursuit-il, c’est ce qu’on appelle en jurisprudence, selon l’objectif que l’on cherche à atteindre, a question of application of ordinary English words, a mixed question of fact and law, a question of degree ou a question capable of decision either way[168]. Mais aucun de ces labels n’est vraiment utile. Il faut plutôt analyser le problème comme ceci (de nouveau, je résume et je paraphrase, sans entrer dans tous les détails) :
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Une question d’application comme celle-ci, ontologiquement, est une question de fait à certains égards, en raison de sa particularité et en raison du fait que insulting n’est pas un concept juridique; mais c’est aussi en un autre sens une question de droit parce que la réponse qu’on lui apporte a des conséquences juridiques et que c’est une question posée par le droit[169].
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Une question d’application est une question de droit lorsque le droit prescrit une réponse, et une seule, à cette question[170].
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Il y a deux cas de figure où le droit prescrit une réponse à une telle question :
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lorsque les termes de la norme applicable (loi, règlement, règle jurisprudentielle) sont clairs, en ce sens que no tribunal acquainted with the ordinary use of language could reasonably choose another meaning[171];
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lorsque la cour choisit d’exercer sa faculté ou son pouvoir d’interpréter la norme afin de lui conférer un sens non précédemment élucidé et qui prescrit la réponse à la question d’application[172].
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Une façon réductrice, mais à mon sens correcte, de résumer la thèse d’Endicott, serait de dire ceci. Certaines questions sont indiscutablement des questions de droit ou des questions de fait, mais ce n’est jamais à l’égard de ces questions qu’on se demande sérieusement si l’on est en présence d’une question de droit ou d’une question de fait — la chose est évidente. D’autres questions sont des questions d’application du droit (on les appelle aussi des questions de qualification des faits au regard du droit[173]), et il y en a beaucoup puisque, théoriquement, dans un cadre litigieux, elles surviennent presque chaque fois qu’on applique une norme à des faits. Pour déterminer si telle ou telle question d’application A est en dernière analyse une question de droit D ou une question de fait F, il faut considérer la réponse que l’on donne à la question A et déterminer si cette réponse aura, ou devrait avoir, une portée normative au-delà litige en cours. C’est la réponse à donner à la question A qui permet d’être fixé sur sa nature, D ou F.
C’est pourquoi, quand les lay magistrates décident, sans dire plus, que Brutus’s behavior was not insulting, ils tranchent une question de fait. C’est pourquoi les jurys ne décident jamais de question de droit : ce n’est pas la teneur de leur verdict qui en est la cause, mais le fait qu’aucun verdict n’a de portée normative au-delà de l’espèce puisque nul verdict ne s’accompagne de raisons écrites qui tenteraient d’en expliquer le fondement[174]. Si, dans le cas de Brutus, les lay magistrates avaient rendu un jugement écrit indiquant, par exemple, que insulting behaviour connotes the idea of a contemptuous or scornful display liable to offend individuals in their personal dignity, such as racist invective or scurrility, le résultat de l’appel à la Chambre des Lords aurait pu être différent.
Parfois aussi, dernière nuance dans cet exercice de classification a priori, des faits inusités dictent un résultat. Il en est ainsi lorsqu’une question d’application se pose en des termes tels qu’il paraît nécessaire d’y répondre en énonçant une norme pour l’avenir : on tente alors de résoudre par anticipation, et pour une raison rendue explicite par l’énoncé de cette norme, les espèces ultérieures qui poseraient une question d’application dans les mêmes termes. J’en donnerai ici un exemple, emprunté au droit criminel, et qui par son caractère singulier fera peut-être sourire certains. Les exemples de ce genre ne manquent pas, mais rares sont ceux qui présentent un degré de singularité semblable à celui-ci.
Un individu est trouvé coupable en première instance d’une infraction à l’article 253 du Code criminel, qui vise le fait d’avoir eu « la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur » alors qu’il avait consommé une quantité d’alcool telle que « son alcoolémie dépass[ait] quatre-vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang ». Cet individu porte le verdict en appel devant une cour supérieure, qui confirme le jugement initial. La possibilité existe alors pour cet individu de porter ce verdict en appel devant une cour d’appel provinciale, mais il doit se plier à la règle, stricte, de l’article 839 du même code, c’est-à-dire démontrer qu’il entend se pourvoir pour un « motif qui comporte une question de droit seulement ».
Or, que révèle le dossier? Les faits sont fort simples. L’individu en question, après avoir consommé une grande quantité d’alcool au cours d’une même journée, et après avoir pris un repas seul à une terrasse en fin de soirée, a payé son addition et s’est dirigé vers une voiture stationnée face à la terrasse, de l’autre côté de la rue. Des convives attablés au même endroit et inquiets du comportement de cet homme qui leur paraît fort ivre ont prévenu la police au moyen d’un téléphone portable. Une voiture patrouille est apparue quelques minutes plus tard, alors que l’individu en question a traversé la rue en titubant, ouvert la portière d’une voiture, s’est assis à la place du conducteur et cherché la clé de contact dans ses vêtements. Il est appréhendé par les policiers, conduit au poste de police et invité à utiliser l’éthylomètre. Le résultat ne laisse aucune place au doute : son taux d’alcoolémie excédait de beaucoup la limite permise.
Où est la question de droit? Jusqu’ici, il n’y en a aucune, tout est question de fait et rien ne satisfait à la règle de l’article 839 du Code criminel puisque rien ne laisse déceler « un motif [d’appel] qui comporte une question de droit seulement ».
Mais voilà qu’un autre fait est finalement dévoilé. La voiture dans laquelle l’individu avait pris place au moment de son arrestation n’était pas la sienne. Il s’est trompé, il a confondu un véhicule semblable au sien, et que son propriétaire n’avait pas verrouillé, avec le sien, stationné plus loin. L’individu avait-il, dans ces conditions, « la garde ou le contrôle » de sa voiture? Ce n’est pas sûr[175]. Il est acquis qu’il ne pouvait actionner le véhicule en question puisqu’il n’en avait pas la clé. Ces circonstances, reconnaissons-le, assez inusitées, pourraient se reproduire et la question du sens des mots « garde ou contrôle » dans l’article 235 du Code criminel se reposerait alors avec la même acuité. Aussi bien y répondre maintenant, pour déblayer un peu plus un terrain qui de toute manière demeure encombré en permanence de toutes sortes de questions de ce genre, et aussi bien résoudre cette question-ci en précisant que « l’impossibilité de mettre le véhicule en mouvement » constitue une défense à l’infraction de l’article 253. Je précise en passant qu’au moment où la question se pose, pas une seule espèce dans l’ensemble de la jurisprudence relative à cet article ne traite du cas où un automobiliste en état d’ébriété monte par erreur dans un véhicule qui n’est pas le sien. Je précise aussi que l’acte d’accusation reproche à l’individu d’avoir eu « la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur alors que son alcoolémie dépass[ait] quatre-vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang »; il ne lui est pas reproché d’avoir « tenté » d’avoir la garde ou le contrôle d’un véhicule alors qu’il avait consommé trop d’alcool, accusation dont on peut supposer qu’elle aurait peut-être suscité un débat différent. Il ne lui est pas reproché non plus d’avoir volé, ou tenté de voler, le véhicule qu’il a confondu avec le sien.
Ce petit exemple tout à fait banal illustre comment les mots et les choses ajoutent sans cesse une couche de complexité à l’interrogation : sur quoi devons-nous nous prononcer ici, sur du fait ou sur du droit? Il s’agit d’un exemple réel. J’ai accordé une permission d’appeler dans ce dossier[176] et l’intéressé a été acquitté[177] après avoir essuyé en Cour du Québec un verdict de culpabilité[178] que confirma en appel la Cour supérieure[179]. La règle qui est issue de ce pourvoi est, elle aussi, on ne peut plus simple (il ne peut y avoir de garde ou de contrôle du véhicule dès lors qu’il est impossible de mettre le véhicule en mouvement). Mais c’est bien une norme et non une simple conclusion de fait.
c. Le fait et le droit en cassation
J’ai souligné combien la distinction entre le fait et le droit revêt une importance capitale au troisième degré du système judiciaire français, la Cour de cassation. Cette cour est gardienne de l’application de la loi, un point c’est tout. Les questions de fait relèvent des degrés inférieurs. L’analyse qui est faite de certaines questions s’inscrivant sous ce thème général est très fine et souvent d’une exemplaire rigueur.
J’en donnerai pour seul exemple, la question des contrats, de leur validité, de leur application et de leur interprétation. S’agit-il de questions de droit ou de questions de fait? Il est nécessaire de limiter les interventions de la Cour aux cas de mise en oeuvre des normes « dont la Cour de cassation contrôle l’application et l’interprétation »[180]. Qu’en est-il des contrats?
Le contrôle des règles légales qui régissent le contrat, par exemple sa validité parce qu’il est exempt de vice de consentement et que son objet est licite, est une question de droit pouvant mener à cassation. Il en va de même des règles de preuve portant sur l’existence et le contenu d’un contrat, de même que de la qualification d’un contrat au regard de la loi (par exemple, la question de savoir s’il s’agit d’un mandat ou d’un contrat de société, d’un bail ou d’un crédit-bail).
Mais qu’en est-il de l’interprétation du contrat lui-même, et du sens donné par cet exercice de lecture aux stipulations dont ont convenu les parties? Ce sont des questions de fait :
En principe, depuis l’arrêt des chambres réunies de février 1808 [...], le juge du fond dispose d’un pouvoir souverain pour interpréter le contrat, c’est-à-dire pour déterminer l’existence et le contenu des obligations respectivement assumées par les contractants. [...]
[L]a Cour de cassation lève, lorsque l’acte est ambigu, l’interdiction de prouver outre et contre le contenu des actes (C. civ., art. 1341) et admet le recours aux témoignages et aux présomptions. Elle autorise même le juge du fond à rechercher quelle a été la commune intention des parties dans le silence de la convention, en se fondant sur les écrits échangés entre elles à l’époque de la signature du contrat, ou sur des actes étrangers à l’une des parties ou en chargeant un expert de rechercher tous éléments d’appréciation; enfin, la Cour de cassation se montre particulièrement peu exigeante dans l’application du contrôle de la motivation, qu’elle exerce habituellement sur les motifs de fait, en ce sens que, hormis le contrôle de la dénaturation de la clause claire [...], elle se montre peu soucieuse de sanctionner le défaut de motifs des arrêts qui interprètent un contrat, ou d’apprécier la valeur des motifs, déduits par les juges du fond à l’appui de l’interprétation qu’ils ont choisie. Ainsi elle n’impose pas même au juge d’appel qui réforme, l’obligation de réfuter les motifs retenus par les premiers juges à l’appui de leur interprétation de l’acte[181] [notes omises, italiques dans l’original].
La question de l’interprétation des « contrats d’application étendue » a fait l’objet d’une assez vive controverse en doctrine, particulièrement en ce qui concerne les contrats types qui sont aussi dans la plupart des cas des contrats d’adhésion. Mais la Cour de cassation est généralement demeurée fidèle à la position de principe que je décris ici, tout en admettant de rares exceptions dans le cas de contrats d’assurance dont la rédaction est contrôlée par la Direction des assurances du Ministère de l’Économie et des Finances, dans le cas des contrats homologués par les pouvoirs publics (et donc assimilables à des règlements) et dans le cas des conventions et des accords collectifs de travail dans les entreprises[182].
Cette analyse rigoureuse débouche encore une fois sur la notion de portée normative de la règle à interpréter. Le sens d’un contrat, question qui n’intéresse que les parties immédiates, n’est qu’une question de fait (hormis les cas où la question ne peut être résolue que par la juxtaposition d’une interprétation des règles légales d’interprétation des contrats). Si l’on transpose ce raisonnement en droit québécois et que l’on conclut que l’interprétation de clauses contractuelles est une question de fait, une erreur hypothétique commise en première instance ne sera réformable que si elle est manifeste et déterminante. L’enjeu peut être de taille, comme le démontre une affaire récente[183]. Sur une question de ce genre, les parties en France auront eu l’avantage d’une décision (souveraine) de première instance et d’une décision (souveraine) en appel, ce qui ne sera pas le cas ici si l’on retient la qualification des questions admises en droit français.
Peut-être est-ce un cas où il serait opportun de suivre les conseils d’Allen et Pardo..., mais j’en doute. D’abord, si je m’en tiens à l’analyse d’Endicott — dont j’ai dit pourquoi je la préfère à celle d’Allen et Pardo — je vois mal comment on pourrait qualifier une telle question d’interprétation d’autre chose que de question de fait. La doctrine locale s’est peu intéressée à ce problème, mais elle semble elle aussi pencher dans le même sens[184]. Il faut être cohérent et conclure que, dans l’affaire récente que je viens de mentionner, la Cour d’appel était en présence d’une interprétation contractuelle entachée d’une erreur manifeste et déterminante, ce pourquoi elle est intervenue.
La question, semble-t-il, n’a pas suscité de grands débats en common law. Il existe bien un jugement de la Chambre des Lords[185] où Lord Diplock semble avoir affirmé que l’interprétation d’un contrat est toujours une pure question de droit, ce qu’il fit en des termes assez catégoriques[186], mais une relecture attentive de cet arrêt tend à démontrer que la question en cause en était une de qualification d’un contrat au regard d’une disposition d’une loi anglaise, le Agricultural Holdings Act 1948[187]. Il ne s’agit plus, dans ces conditions, d’une simple question d’interprétation des stipulations d’un contrat.
C. L’élaboration et l’ordonnancement du droit par l’appel
Il n’est guère original de soutenir que, dans l’état actuel des choses, les cours d’appel intermédiaires évoluant dans des pays de droit anglo-américain[188] exercent un important ascendant sur le droit positif. Certes, les cours d’appel de dernier niveau prononcent dans presque tous les pourvois dont elles sont saisies des décisions de principe dont la portée à la fois normative et symbolique dépasse, et souvent de très loin, celle de la production quotidienne ou ordinaire, des cours intermédiaires. Et lorsque ces cours intermédiaires, comme c’est habituellement le cas, voient transiter par chez elles une affaire promise à un dénouement retentissant devant une cour suprême, le jugement rendu à l’échelon intermédiaire a de bonnes chances de passer inaperçu ou d’être vite oublié par la suite[189]. L’effet du nombre rétablit cependant un certain équilibre dans la répartition de ces attributions institutionnelles puisque, bon an mal an, une cour d’appel intermédiaire entend et décide un très grand nombre de pourvois, parmi lesquels des dizaines auront un impact sensible et durable sur le droit de son ressort, alors qu’une cour suprême ne se prononce que de loin en loin sur un nombre assez restreint de sujets. La basse continue du droit (ou, si l’on préfère, son ronronnement) est l’affaire des cours d’appel intermédiaires, alors que les cours suprêmes n’entrent normalement en scène que pour le grand air du troisième acte.
Que font ces cours d’appel? On peut considérer, et on a longtemps pensé que leur principale activité consiste à rectifier les « erreurs » que recèle la jurisprudence des instances inférieures. Cela n’est pas entièrement dénué de fondement car, au nombre d’affaires traitées en première instance, il est statistiquement inévitable que de véritables erreurs se commettent — les tribunaux, après tout, sont des institutions humaines. Mais cette explication a peu à peu cédé le pas devant une autre, plus pénétrante et qui, justement, fait mieux ressortir les limites de la notion d’erreur comprise au sens strict[190]. Sur le fond des choses, on estime plutôt aujourd’hui que le rôle d’une cour d’appel intermédiaire comporte une part d’élaboration du droit (par le façonnement[191] de solutions jurisprudentielles susceptibles de trancher une difficulté réelle et jusqu’alors irrésolue) et une part d’ordonnancement du droit (par l’instauration ou la préservation de la cohérence du droit, notamment en éliminant ou en conciliant une jurisprudence contradictoire[192]). On ferait sérieusement fausse route si l’on posait par hypothèse que ces processus se déroulent sans la moindre contrainte — et en ce sens, les tenants les plus intraitables d’une thèse parfois appelée radical indeterminacy ne contribuent guère à l’avancement du droit en tant que discipline intellectuelle[193].
En revanche, il ne faut pas non plus commettre l’erreur de surestimer la rigueur de ces contraintes. Je considère que l’exposé le plus juste, et en tout cas le plus plausible, de l’effet de ces contraintes sur la prise de décision judiciaire en appel nous provient de certains écrits dans la mouvance de l’American Legal Realism. Bien des auteurs et des juges se logèrent à cette enseigne et tous n’ont pas exprimé des opinions d’une égale mesure. Je me méfierais, par exemple, de plusieurs propositions avancées par Jerome Frank dans son célèbre essai[194], proche par sa teneur de la thèse de la radical indeterminacy. D’ailleurs, il n’était pas encore juge au moment où il le publia et je soupçonne qu’il aurait fortement nuancé sa position à la fin des seize années qu’il passa dans une cour d’appel fédérale. Mais d’autres juges, et parmi les plus éminents, ont fait état de telles contraintes, inhérentes à l’activité judiciaire et qui en encadrent l’exercice. Ce fut notamment le cas de Benjamin N. Cardozo dans ses Storrs Lectures prononcées à l’Université Yale[195]. Ce fut le cas également, et dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, du juge Holmes, qui soulignait le caractère nécessairement graduel et réactif des constructions jurisprudentielles[196], ainsi que du juge Brandeis, qui s’exprimait sur les avantages et les inconvénients de la stabilité (considérée en tant que telle) dans l’évolution de telles constructions[197].
Néanmoins, c’est à Karl N. Llewellyn que l’on doit, selon moi, l’analyse la plus exhaustive et la plus fine du phénomène (c’est-à-dire de l’élaboration de normes juridiques substantielles ou matérielles dans le cadre en principe très circonscrit où évolue une cour d’appel)[198]. Llewellyn fut l’un des principaux animateurs du mouvement des Realists. Son oeuvre foisonnante rayonne de plusieurs feux, allant de la rédaction du Uniform Commercial Code à des travaux de terrain en anthropologie juridique[199] en passant par des écrits théoriques d’une originalité qui n’a d’égale que leur densité[200]. On est donc en présence ici d’un universitaire de première force et de trempe internationale, qui influencera plusieurs générations de juristes et qui contribuera, peut-être plus que nul autre[201], à la transformation de l’enseignement du droit au XXème siècle et aux États-Unis.
Le volumineux essai[202] que Llewellyn consacre à l’appel porte presque exclusivement sur le processus intellectuel d’élaboration de normes juridiques par les cours d’appel américaines, processus que l’auteur examine en profondeur. Envisagé sous un certain angle, cet essai est aussi une réponse à l’essai de Frank paru trente ans plus tôt — réponse qui revêt par moments la forme d’une réfutation en règle, quoique nuancée. On voit vite que Llewellyn ne partage pas les vues de Frank, dont il qualifie l’ouvrage Law and the Modern Mind de queer[203], à qui il reproche sa deliberate obtuseness[204] et de qui il se dissocie expressément à quelques reprises : In view of my many differences with J. Frank [...][205], I wholly go with Douglas and Arnold (as against some of Frank’s suggestions) [...][206] et J. Frank to the contrary notwithstanding, I claim that [...][207]. Au fond, et pour l’essentiel, sa critique de la thèse de Frank coïncide avec celles de McCormick et Rottschaefer que j’ai mentionnées plus haut[208].
Mais j’en viens à ce que soutient Llewellyn. Il entend démontrer que, contrairement à ce qu’ont parfois affirmé les éléments les plus frondeurs parmi les Realists (éléments dont Frank fait partie), l’élaboration de normes jurisprudentielles présente un degré suffisant de prévisibilité[209] pour que la légitimité de l’entreprise ne soit pas remise gratuitement en cause. Un premier aspect original de sa démonstration tient au critère qu’il propose pour se satisfaire d’un degré suffisant de prévisibilité — et l’on voit ici se manifester l’excellent commercialiste qu’était aussi Llewellyn. Ce critère en est un de reckonability[210], un mot qui à lui seul n’aide guère, mais les choses deviennent plus claires avec les précisions suivantes : Our institution of law-government would be highly satisfactory, as a human device, if at this stage it could commonly offer, on the scale of “certainty” of outcome, a reckonability equivalent to that of a good business risk[211]. At this stage[212] signifie ici « au moment où l’on doit décider s’il est opportun de porter un jugement en appel ».
Plutôt que de paraphraser longuement le propos de Llewellyn, je vais me contenter de reproduire quelques passages de son essai, en le citant au texte, là où la perspective du mouvement American Legal Realism me paraît ressortir avec le plus de netteté. J’espère une fois de plus qu’on me pardonnera la longueur des citations qui suivent : vu le style assez particulier de l’auteur, sa façon précise de dire les choses est elle-même porteuse d’une partie du sens qu’exprime son texte. Abordant d’abord l’idée de la One Single Right Answer (ce sont les termes qu’il emploie en sous-titre), il écrit notamment :
The deciding is done under an ideology which in older days amounted to a faith that there is and can only be one single right answer. This underlies such ideas as “finding the law” and “the true” rule, and “the” just decision. I refer not merely to a manner of writing the opinion but to a frame of thought and to an emotional attitude in the labor of bringing forth a decision. Even judges who know with their minds that varying answers would be legally permissible will be found with a strong urge to feel that one alone them must be the right one.
There is here no suggestion that there cannot be found in fact one answer or several answers which are better, much better, in contrast to others which are worse. Commonly, even under the straig[h]tness imposed by pleadings and by the points of appeal, I think one can dig out a number of answers any one of which has some worth and would be better than its contrary; it is precisely for that reason, and because “the better is the enemy of the good,” that an atmosphere or climate of thinking that the right answer must be single can acquire its effect on the process of deciding.
That climate seems to me to be still a fact and a condition of much current American appellate judging. Whether it adds to over-all reckonability of the results, I can form no clear opinion. My suspicion is that in the less troubling case it does (but at too high a price), by discouraging inquiry into available alternatives. It tends, along with pressure of work and human avoidance of sweat, to encourage taking the first seemingly workable road which offers, thus giving the more familiar an edge up on the [wiser]. But where the case is really puzzling (which most un- “foredoomed” cases are) my suspicion is that this approach throws the ultimate decision into materially greater chanciness than does the tougher inquiry into which of the known permissible possibilities seems the probable best, and why [emphase dans l’original][213].
Selon qu’on la considère en amont ou en aval de la décision judiciaire, cette idée de One Single Right Answer renvoie toujours à la notion trompeuse de bivalence juridique. Longtemps après Llewellyn, Endicott a fait de cette notion une critique à la fois éloquente et lapidaire[214].
Mais pourquoi doit-on tenir à distance l’idée de One Single Right Answer? Probablement parce qu’elle véhicule une représentation fausse, ou en tout cas très incomplète, de ce qui se passe dans une proportion largement majoritaire des jugements rendus sur pourvoi. Et que se passe-t-il de ce côté? Il y a d’abord le fait que, par définition, un dossier légitimement porté en appel présente un problème que la technique juridique à elle seule est impuissante à résoudre. Là-dessus, Llewellyn affirme :
First, and negatively, the Insufficiency of Technical Law: it is plainly not enough to bring in a technically perfect case on “the law” under the authorities and some of the accepted correct techniques for their use and interpretation or “development”. Unless the judgment you are appealing from is incompetent, there is an equally perfect technical case to be made on the other side, and if your opponent is any good, he will make it. If you are the appellee, a competently handled appeal confronts you with the same problem. The struggle will then be for acceptance by the tribunal of the one technically perfect view of the law as against the other. Acceptance will turn on something beyond “legal correctness”. It ought to [emphase dans l’original][215].
Il y a ici un rapprochement à faire, et une importante nuance à apporter, avec la pensée de Cardozo. Dans The Nature of the Judicial Process, celui-ci décrivait la plupart des affaires portées en appel comme relevant d’une solution évidente[216]. De tels dossiers, aujourd’hui peut-être moins nombreux et encombrants qu’ils ne l’étaient à une autre époque, sont généralement ceux où l’on peut dire que l’affaire est illégitimement portée en appel, l’appelant souhaitant simplement gagner du temps, épuiser son adversaire financièrement ou autrement, ou encore se camper dans une posture de résistance au droit dont la forme la plus extrême et maladive est la quérulence. Bref, on instrumentalise la procédure d’appel à des fins autres que la solution d’une difficulté juridique réelle.
La généralisation de mécanismes de filtrage qui limitent l’accès aux cours d’appel fait que ce type de pourvoi se rend de moins en moins souvent jusqu’au fond, où de toute façon il se verra asséner rapidement une réponse évidente. Mais déjà en 1960, quarante ans après Cardozo, Llewellyn avançait que ce corpus de pourvois résultait d’une utilisation suspecte, voire irrégulière, de la procédure d’appel :
Substantially, the mere bare rules of law do today manage alone to decide that obnoxious but persistent body of appeals in which in fact the applicable rules are both firmly and reasonably settled — often enough re-examined, retested, restated, and reaffirmed within the past few years — and in which the facts of the case fall so obviously inside the core of the rule that reasonable judges do not have to ponder [nos soulignements][217].
On voit donc qu’il y a eu une évolution. Un phénomène que Cardozo considérait fastidieux mais normal constituait déjà pour Llewellyn une anomalie nuisible (obnoxious, le mot est fort...).
Si l’on doit renoncer à l’idée de la One Single Right Answer, sauf dans le sous-ensemble de l’obnoxious but persistent body of appeals où l’institution remplit une simple fonction de sanction du droit[218], à quoi s’emploient les cours d’appel lorsqu’elles s’acquittent utilement de leur tâche? C’est ici que se déploie pleinement la thèse de Llewellyn, que je cite une dernière fois dans un passage où il résume l’objectif de son essai sur l’appel :
[I]t is obvious that the factual material here gathered is not set out with any purpose of showing that the rules of our law [...] are only in most restricted measure to be relied on as “in themselves” deciding appellate cases. That fact is manifest. My purposes are very different. I hope, and hope hard, that the present material may make permanently untenable any notion that creativeness — choice or creation of effective policy by appellate judges — is limited to the crucial case, the unusual case, the borderline case, the queer case, the tough and exhausting case, the case that calls for lasting conscious worry. My material aims to put beyond challenge that such creativeness is instead everyday stuff, almost every-case stuff, and need not be conscious at all.
But by the same token, the same material aims to show and then to hammer home that the creation moves in the main with steadiness, that it answers carefully and regularly to the body of doctrine as that body has been received and as it is to be handed on; that the creation nevertheless and simultaneously, but in full consonance with that high responsibility to The Law, answers also to the appellate court’s duty to justice and adjustment. I should hope to see the material persuade, for example, of a thing like this (which I see no means of proving): that in 80 per cent or better of the instances in which a court draws a solving rule from prior (unheld) language, or from a pair of “see’s” and a “cf.,” or from “the tendency of our cases,” the court is not merely reaching for authority or color to justify the decision in hand, but is also seeking and finding comfort in the conviction that the decision and the rule announced fit with the feel of the body of our law — that they go with the grain rather than across or against it, that they fit into the net force-field and relieve instead of tautening the tensions and stresses [emphases dans l’original][219].
Exprimée ainsi, en des termes souvent allusifs, la thèse peut sembler insaisissable ou trop abstraite. La démonstration à laquelle se livre Llewellyn est pourtant fort concrète et elle met en relief environ 600 décisions de cours d’appel d’états américains. Il ne saurait être question ici de reprendre en détail le fil de ces analyses. Et, quoi qu’il en soit de cette thèse, c’est plutôt sur le diagnostic porté par l’auteur que je veux insister[220].
Certes, le critère de prévisibilité que fixe Llewellyn (a good business risk)[221] n’est pas le plus strict qui soit, mais une fois congédiée l’idée de One Single Right Answer, et une fois mise pleinement en lumière l’Insufficiency of Technical Law[222], on voit mal comment ou pourrait se montrer plus exigeant.
De nos jours, avec les moyens que la procédure civile moderne met à la disposition des tribunaux[223], ce que Llewellyn qualifiait en 1960 de obnoxious but persistent body of appeals a très probablement perdu de son volume. Certes, on observe toujours des comportements de résistance au droit. Et à cela s’ajoute aussi une catégorie de litiges, heureusement assez rares, où une partie s’engage de bonne foi dans un combat de principe qui lui paraît honorable mais qui est perdu d’avance : les cas d’aveuglement par conviction. Néanmoins, ce ne sont pas ces situations qui aujourd’hui mobilisent l’essentiel de l’attention d’une cour d’appel. Au contraire, et le chiffre de 80 % que mentionne Llewellyn dans le dernier passage cité plus haut paraît vraisemblable. Du moins peut-on avancer sans risque que, dans une forte majorité de dossiers en appel, la créativité du juge sera nécessairement sollicitée : il devra dépasser les positions contraires, mais a priori plausibles de chaque partie pour trouver une solution qui, tout en ne jurant pas avec l’état antérieur du droit positif, n’en est pas moins nouvelle. Car si elle s’était imposée d’avance à l’esprit comme la seule envisageable, il n’y aurait pas eu matière à débat en appel. Or, en règle générale, on ne porte pas sa cause en appel lorsqu’on a la certitude de perdre. Et en règle générale aussi, on se désiste d’un jugement dont on a la certitude qu’il sera infirmé en appel. C’est donc qu’en règle générale, il y a véritablement matière à débat lorsqu’un pourvoi procède au fond. En ce sens on pourrait être tenté de croire que la plupart du temps, sinon toujours, un processus de décision comme l’appel en matière civile est inexorablement imprévisible quant à son issue ultime. C’est bien ce que prétendent les tenants de la thèse radical indeterminacy.
Cette dernière thèse, qui à mon avis tient de la caricature, est indûment réductrice, car elle prend pour seule cible le contenu de la décision. En outre, elle réintroduit dans le débat, implicitement et de façon paradoxale, l’idée naïve et trompeuse de One Single Right Answer, puisqu’elle milite en faveur d’une forme de prévisibilité dans la prise de décision judiciaire qui ne serait possible qu’en présence de réponses uniques et certaines à toutes les questions de droit, obtenues par des opérations de l’esprit à la fois logico-déductives et inexorables. En bref, elle se donne une chimère pour seul étalon acceptable de la qualité des jugements. Or, ce n’est pas à ce niveau que se situent les attentes des acteurs raisonnables (laissons de côté ici les quérulents). Dans un appel régulièrement formé, chaque partie estime disposer d’arguments sérieux en sa faveur, elle les connaît, elle sait qu’elle aura l’occasion de les faire valoir et qu’elle sera entendue, elle n’a pas la certitude que sa thèse prévaudra, elle s’attend à ce que le jugement au fond tranche le débat dans un sens ou dans un autre, et surtout, elle a la certitude que la décision ainsi rendue sera motivée en droit et en fonction de ce qui aura été plaidé. Tout cela est parfaitement prévisible et il revient à cette partie, et à elle seule (ou à son avocat), d’évaluer, sur ce calcul, si elle est en présence d’un good business risk. Même dans les cas, il faut le dire assez rares, de spectaculaires revirements jurisprudentiels[224], les conditions que je viens d’énumérer sont objectivement satisfaites. C’est d’ailleurs en s’arrêtant sur ces éléments qu’il devient possible, selon ce que Lon L. Fuller écrivait dans un texte fréquemment cité, d’évaluer la qualité d’un processus de décision judiciaire ou quasi judiciaire (adjudication)[225].
En réalité, et ce n’est pas le moindre intérêt de cette question, les parties en appel, et leurs avocats partagent presque toujours une même compréhension des contraintes auxquelles elles font face. Ces contraintes ne fournissent pas une vérité unique. Elles délimitent les issues possibles d’un pourvoi au fond, sans plus. Et cette vision des choses se confond avec une thèse toute autre que celle de radical indeterminacy, une thèse cette fois fort probante que l’on peut appeler relative ou partial indeterminacy. L’auteur en est H.L.A. Hart[226]. J’avançais plus tôt l’idée qu’une partie en appel n’a pas la certitude que sa thèse prévaudra et qu’elle s’attend à ce que le jugement au fond tranche le débat dans un sens ou dans un autre. Cette idée suppose en effet qu’on accepte le principe d’indétermination relative de Hart. Adhérant de la sorte aux vues exprimées par Hart dans son livre phare, The Concept of Law[227], les parties se livrent (à leur insu?) à un exercice de positivisme analytique, à la manière dont Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir.
Si l’on tenait pour concluante la thèse de la radical indeterminacy, on devrait en toute logique accepter qu’il est plus efficace de déterminer par un moyen parfaitement aléatoire l’issue de beaucoup d’appels, tous ceux ne tombant pas dans le sous-ensemble du obnoxious but persistent body of appeals. Il faudrait donc que la plupart sinon la quasi-totalité d’entre eux se résolvent par quelque chose comme un tirage au sort. Nul doute, en effet, qu’une telle façon de faire serait beaucoup plus rapide et bien meilleur marché que la procédure traditionnelle des pourvois en appel. Cette proposition de justice aléatoire, provocante mais soutenable à certaines conditions[228], a été étudiée par Neil Duxbury, un universitaire britannique fort versé sur le mouvement American Legal Realism, dans un essai qui donne sérieusement à réfléchir[229]. Duxbury fait état de l’ère de franc scepticisme qui, à partir des années 1970, a succédé à une longue période d’après-guerre, et bien avant, au cours de laquelle on invoquait avec conviction la raison (souveraine) comme moteur de toute rationalité juridique[230]. Et de fait, il n’est pas sûr que la thèse de Llewellyn, ancrée dans ces idées de raison, de rationalité et de raisons exposant le tout, aurait traversé indemne l’époque agitée des années 1970 et 1980. Aussi ai-je précisé plus haut que, quoi qu’il en soit de sa thèse principale, c’est surtout devant le diagnostic de Llewellyn que je m’incline sans hésitation. Mais revenons à Duxbury. Après avoir formulé ces réserves, et avoir méticuleusement examiné la place que pourrait occuper un principe aléatoire dans un contexte de prise de décision judiciaire[231], il se rabat sur sa question initiale[232] et y répond comme ceci : l’emprise de la raison demeure entière, ne serait-ce que parce que, face à des questions complexes, un résultat purement aléatoire n’aura pas de sens[233] autre que celui d’être un simple résultat, un point c’est tout.
C’est bien là, je crois, ce que Llewellyn s’efforçait de démontrer, avec les moyens de son époque. Mais attention, Llewellyn n’est pas Dworkin, à qui l’on peut reprocher d’avoir réhabilité la thèse de la One Single Right Answer en se contentant de moderniser ses atours[234]. Il n’y a pas de best fit dans le processus que je viens de décrire, il y a plusieurs issues possibles et, si l’institution fonctionne comme prévu, les différends se solderont par des solutions raisonnables en accord avec leur contexte normatif. On ne peut espérer plus. La perfection, dans l’ordre du droit positif, c’est un jugement final au plus haut palier d’appel.
On aura compris de ce qui précède que l’idée d’erreur, dans ce contexte-ci, n’a pas le sens catégorique et rétrospectif qu’on lui attribue dans d’autres contextes — par exemple, en arithmétique ou en génie civil[235]. Cela, d’ailleurs, met plutôt à mal ce que les juristes de common law appellent the declaratory theory of law[236] mais je crois qu’il faut être réaliste jusqu’au bout et traiter au cas par cas, comme le fait la Cour de cassation en France, l’épineux problème de l’effet rétroactif d’un revirement jurisprudentiel[237]. Je me suis déjà interrogé dans un jugement sur l’extension possible du domaine de l’erreur en droit administratif[238]. À mon avis, cette question du domaine de l’erreur en droit est beaucoup trop rarement abordée de front par les avocats qui plaident en appel. Et trop souvent, lorsqu’elle l’est, c’est sans rigueur aucune, à coup de ronflantes pétitions de principe. Trop nombreuses sont les inscriptions en appel et les requêtes pour permission d’appeler où l’on affirme que le tribunal de première instance « a erré en fait et en droit »[239] (sans d’ailleurs tenter de distinguer les erreurs de fait des erreurs de droit), alors que, de manière presque transparente, la partie appelante ou requérante veut se pourvoir, en disant un peu n’importe quoi, parce que le jugement attaqué ne fait tout simplement pas son affaire. Bref, on veut refaire un procès dont on attendait on résultat plus favorable. Cela n’est pas synonyme d’erreur.
Or, il arrive souvent qu’un jugement de première instance ou une décision d’un tribunal administratif tranche une question en se référant à une norme floue[240], c’est-à-dire en soupesant plusieurs facteurs distincts sans qu’aucun d’entre eux n’ait valeur prioritaire. Il peut en être ainsi soit parce que la loi impose de le faire (c’est le cas, par exemple, en matière de détermination de la peine conformément à l’article 718.2 du Code criminel), soit parce que la jurisprudence le prévoit (quand, par exemple, il s’agit d’évaluer l’intérêt d’un enfant après la survenance d’un changement important dans les conditions de garde, comme l’explique l’arrêt Gordon c. Goertz[241], ou d’identifier l’employeur véritable, comme l’explique l’arrêt Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail)[242]). Souvent aussi, lorsque se pose une question de ce genre, les facteurs à soupeser se répartissent à peu près également de part et d’autre d’un axe qui départage ceux favorisant une partie et ceux favorisant l’autre. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a légitimement litige car ce genre de norme invite et multiplie même les hard cases. Surgit alors une forme d’acatalepsie[243], situation dans laquelle l’existence d’une erreur, au sens propre du terme, est pratiquement impossible à démontrer. Dans ces conditions, il importe de se souvenir d’une autre observation de Llewellyn, citée plus haut : the better is the enemy of the good, le mieux est l’ennemi du bien[244]. Et, à moins d’une raison impérative d’intervenir (mais n’est-ce pas là antinomique avec l’idée d’acatalepsie?), mieux vaut s’abstenir de refaire la roue. Mieux vaut confirmer un jugement ou une décision qui est déjà de qualité convenable afin de ne pas gaspiller des ressources intellectuelles (le travail des avocats, des juges, etc.), institutionnelles (la mise en branle d’un processus public et compliqué devant une cour d’appel) et financières (ce qu’il en coûte aux parties pour se livrer à cet exercice) qui seraient mieux mises à profit ailleurs. À mon sens, dans un cas de ce genre, pourrait seule constituer une raison valable d’intervenir la nécessité d’apporter une modification d’importance aux règles prétoriennes en vigueur : par exemple, remplacer la règle floue par une autre qui ne l’est pas, ou changer et réagencer en profondeur les facteurs jusque-là tenus pour pertinents.
Je termine sous cette rubrique par une ultime série d’observations tirées de nouveau du droit comparé. J’emprunte le ton et l’idée centrale de ce qui suit à John A. Jolowicz, le grand comparatiste de Cambridge. Dans un texte livré en 1986[245], il a brillamment décrit les différences essentielles entre appel et révision judiciaire, en prenant soin de souligner qu’il n’existe nulle part une pure procédure de révision ou d’appel. La réalité favorise en effet et partout le métissage réciproque de l’une et de l’autre. Il ne peut faire de doute, cependant, qu’en raison même de ce métissage, les notions d’erreur, d’irrégularité ou d’imperfection à rectifier varient en fonction directe des moyens que l’on se donne pour y parvenir. Jolowicz écrit en conclusion :
I have tried to draw the attention to the distinct nature and purposes of the review and the appeal which are apparent from their original ‘pure’ forms. In reality, all that they have in common is that neither can be engaged until an original decision has been made and that, subject to limited exceptions, neither can be invoked except by a party to that original decision. Both appeal and review have, however, developed impurities which obscure the essential differences between them. The impurities which now infect the appeal are, perhaps, largely the result of the need for economy — a true novum judicum or rehearing is more expensive than an appeal whose scope is limited in some way. The impurities that affect the continental cassation, on the other hand, have a different explanation; they stem from an unwillingness on the part of the judges to remain within the confines of a procedure of review because of a humanitarian but misplaced desire to do justice to the parties to the cases that come before them[246].
N’est-il pas étonnant, en effet, qu’environ 40 000 arrêts ou décisions soient rendus chaque année par les plus hautes juridictions françaises[247], dont la compétence en est une, essentiellement, de cassation (ou de révision) pour erreur de droit menaçant l’ordre juridique, alors que les cours suprêmes canadienne, britannique, australienne ou américaine, qui siègent en appel, n’en rendent normalement qu’une centaine, voire moins? Est-ce donc que l’erreur de droit sévit à l’état épidémique dans l’Hexagone[248]? Est-ce donc que l’appel dans les pays de droit anglo-américain est devenu une espèce de cassation, réservée à une infime poignée de justiciables qui s’affrontent sur les questions les plus retentissantes du moment[249]? À mon avis, seule une réflexion soutenue sur l’extension du domaine de l’erreur en droit, et non sur l’idée subjective de justice à laquelle Jolowitcz fait furtivement allusion in fine, pourrait faire avancer ce débat. Elle permettrait peut-être de mettre au jour les dérives historiques de ces grandes institutions, les cours suprêmes et les cours de cassation. Mais je ne m’attends pas à ce que cela se produise prochainement.
D. Les avantages et les inconvénients de l’oralité en appel
Je terminerai cet aperçu par quelques observations rapides et terre à terre sur une autre différence entre nos façons de faire au Canada et celles qui ont cours ailleurs.
J’ai déjà décrit sommairement le régime français de l’appel en matière civile : c’est un nouveau procès, mais dans un contexte où, de toute manière, la preuve documentaire et la procédure écrite l’emportent de très loin, en première instance comme en appel, sur la procédure orale. Cela va plus loin encore : il est possible de faire l’économie d’une plaidoirie orale devant la formation de jugement et de ne plaider que devant le juge de la mise en état[250]. Dans ces conditions, comme je l’ai souligné, il est possible de penser que la « reprise du procès » n’entraîne pas dilapidation des ressources judiciaires comme ce serait immanquablement le cas ici.
La procédure d’audience qui est suivie au Canada, et qui comporte une phase orale dont l’importance est indéniable, se termine parfois par le prononcé dès la fin de l’audience d’un court jugement oral[251]. Cette procédure s’apparente à celle adoptée par beaucoup de tribunaux américains; elle comporte, longtemps avant l’audience, le dépôt de mémoires et d’annexes reliés qui reproduisent la totalité de la preuve documentaire et testimoniale nécessaire à l’étude du dossier. Et de fait, plusieurs semaines voire quelques mois avant l’audience, les juges qui entendront une affaire commencent l’étude de la documentation qui servira de base aux plaidoiries orales à l’audience.
Une caractéristique ancienne — elle date du XIXème siècle — de cette façon de procéder tient à l’équilibre recherché entre l’oral et l’écrit. On a déjà décrit, en en retraçant l’histoire, l’irrésistible émergence du mémoire ou de l’argumentation écrite en appel en Amérique du Nord, notamment devant la Cour suprême des États-Unis[252]. Je ne vois pas, pour ma part, comment la procédure d’appel peut être possible sans une argumentation écrite dans un mémoire accompagné d’annexes, lesquelles d’ailleurs sont souvent fort abondantes.
Cette façon de voir les choses tend aujourd’hui à se généraliser. Mais il s’avère, assez curieusement, qu’elle a longtemps suscité la critique de juges éminents, dont Lord Denning[253]. Leabeater et ses coauteurs écrivent :
Under Lord Denning, who was Master of the Rolls from 1962 to 1982, the Court of Appeal had virtually no administrative staff. There was no registrar or central listing organisation. There were no skeleton arguments and the Court did little or no pre-reading. Counsel would read out relevant documents and passages from relevant authorities [notes omises, nos soulignements][254].
Et de fait, entre 1947 et 1953, un comité présidé par Sir Raymond Evershed, le Master of the Rolls de l’époque, avait longuement étudié la question en s’interrogeant sur l’opportunité, entre autres choses, d’adopter la même procédure que celle suivie par la plupart des tribunaux américains[255]. La possibilité avait été écartée de manière plutôt sommaire, après avoir été étudiée avec singularly little enthusiasm[256], et il n’en fut plus question pendant des années.
Ce point de vue ne faisait cependant pas l’unanimité non plus et il a été sévèrement critiqué depuis[257].
Néanmoins, ce n’est que très progressivement que le successeur de Lord Denning, Sir John Donaldson M.R., parvint à introduire, d’abord par de simples mesures incitatives, puis par une règle formulée et modifiée dans une série de Practice Notes ou Directions[258], les skeleton arguments (ou plans sommaires d’argumentation) qui encore aujourd’hui caractérisent la pratique devant les tribunaux d’appel anglais. Ce changement, avec le temps, a eu un impact sur la longueur des jugements, comme le signalait récemment Lady Justice Arden de la Cour d’appel anglaise[259].
La place de l’oralité demeure pourtant très importante devant les tribunaux anglais. Avançons une première comparaison. Au cours de l’année judiciaire 2011-12, la Cour suprême des États-Unis entendait en un peu moins de six heures réparties sur trois jours[260] le dossier National Federation of Independent Business v. Sebelius[261] et quelques dossiers connexes sur la constitutionnalité de la réforme du système de santé américain entreprise par le Président Obama. Bref, une question d’envergure nationale et d’une considérable complexité. Ce total de six heures de plaidoiries orales fit beaucoup parler car c’est nettement plus long que ce qu’il est d’usage d’accorder aux plaideurs devant la Cour suprême des États-Unis.
Pour sa part, et au cours de la même année judiciaire, la Cour Suprême du Royaume-Uni entendait pendant deux semaines, soit huit jours complets d’audience, du 5 au 15 décembre 2011, une affaire civile, certes délicate, mais dans le champ assez étroitement délimité de la responsabilité civile et de l’assurance, concernant l’indemnisation des victimes de mésothéliome[262]. Un dossier de ce genre, devant une cour d’appel nord-américaine, n’aurait probablement pas nécessité plus d’une journée d’audience, et peut-être même moins. Le rapport entre la durée du procès et celle de l’audience en appel se caractérise partout par un effet d’entonnoir très prononcé[263], mais il semble que ce soit encore plus fortement le cas en Amérique du Nord qu’au Royaume-Uni.
Le contraste est encore plus frappant lorsque l’on considère le fonctionnement actuel des cours d’appel fédérales américaines. Pour plusieurs raisons, qui ne sont pas inconnues des tribunaux d’appel au Canada, mais qui paraissent plus exacerbées aux États-Unis, ces cours d’appel exercent un contrôle fort strict sur la procédure traditionnelle d’audience. Sans doute parce que le pourcentage de justiciables qui se pourvoient en personne et sans avocat est extrêmement élevé[264], beaucoup de dossiers d’appel procèdent sans audition orale, après qu’un juriste membre du personnel de la cour ait préparé un projet de jugement pour approbation par une formation de trois juges[265]. Dans le même ordre d’idée, il s’est développé dans ces mêmes cours d’appel et à compter des années 70 une pratique qui a pris des proportions considérables depuis et dont on peut difficilement imaginer qu’elle pourrait trouver preneur dans une cour d’appel canadienne. Conformément à cette pratique, une proportion très élevée de jugements demeure inédite, en raison de la distinction désormais bien établie entre les precedential et les non-precedential opinions or orders[266]. En fin de compte, ces jugements ont le même poids, juridiquement parlant, qu’un verdict prononcé par un jury ou qu’un jugement donné sous forme orale en salle d’audience, et qui ne laisse de trace que pour les parties en cause.
Que penser de ces particularismes? « Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà », disait Pascal[267]. Mais je commence à me répéter. Aussi est-il temps de conclure.
Conclusion
L’histoire résulte de nombreuses contingences auxquelles il paraît souvent difficile de donner un sens. Mais on décèle parfois un enchaînement des choses qui permet d’avancer certaines hypothèses sur les causes et les effets de ce que l’on connaît maintenant.
Ainsi, pour étrange que cela puisse paraître, l’histoire de l’appel en droit anglais, et par contrecoup en droit québécois, a pour lointaine et accidentelle origine la conquête normande de 1066. Cet évènement, à la fois militaire, politique et fortuit, aura des conséquences à très long terme en beaucoup d’endroits. Il engendrera une forme singulière de justice, administrée par une magistrature qui affirmera très tôt son autonomie. Ce qu’il adviendra des tribunaux royaux anglais entre les XIIème et XIXème siècles (une très longue gestation) nous touche encore directement. Cette évolution déterminera à plusieurs titres les façons de faire qui eurent cours entre 1764 et 1849 devant les juridictions d’appel exerçant au Québec et au Bas-Canada. Certes, ces juridictions demeuraient embryonnaires et imparfaites, mais elles fonctionnaient au jour le jour sans susciter de grande controverse. La justice y était d’abord et avant tout l’affaire des juges. Plusieurs d’entre eux, comme Jonathan Sewell, juge en chef du Bas-Canada de 1808 à 1838, furent des personnages considérables en leur temps. Non seulement les pratiques de l’époque n’avaient-elles rien de méprisable, mais elles annonçaient l’apparition de l’une des toutes premières cours d’appel modernes dans l’Empire britannique. La création de cette cour date de 1849 et survient au Bas-Canada. L’institution doit beaucoup à deux figures marquantes de l’histoire locale : d’abord à John Lambton (comte de Durham et auteur du célèbre rapport de ce nom), puis à Louis-Hyppolite Lafontaine. Il est paradoxal qu’une telle cour d’appel se soit constituée dans une colonie un quart de siècle avant les importantes transformations institutionnelles d’où sera issue, à compter de 1875 et en Angleterre, une cour d’appel en métropole. Mais les ex-colonies anglaises qui étaient devenues des états américains à la fin du XVIIIème siècle avaient depuis longtemps précédé l’Angleterre sur cette voie. Et il est vraisemblable qu’en raison même de l’emprise de la tradition en Angleterre, une réforme importante des institutions judiciaires y remettait en question, beaucoup plus qu’ailleurs, de très anciennes habitudes profondément ancrées dans les moeurs de tous les jours. D’où de tenaces résistances au changement dans ce pays. Lafontaine ne fit face à rien de tel lorsqu’il s’attaqua ici à la réforme de la Cour d’appel, de 1843 à 1849.
Cette filiation avec le droit anglais pourrait avoir de quoi surprendre. Après tout, le droit québécois conserve de nombreux traits ataviques qu’il tient du droit français. Mais les cours d’appel de l’ancien droit français (les « Parlements », appelons-les par leur nom) ont suivi une trajectoire sans équivalent du côté nord de la Manche — et encore aujourd’hui en droit français, l’appel est une procédure fondamentalement différente de ce que l’on connaît ici ou en Angleterre. Établis plusieurs siècles avant les cours d’appel américaines, canadiennes et anglaises, et parfois en très mauvais termes avec le pouvoir royal, les Parlements n’en étaient pas moins les délégataires de l’autorité royale. À ce titre, ils participèrent pendant longtemps du caractère sacré de la monarchie de droit divin. Cela leur valut bien des déconvenues à diverses époques, sous Louis XIV et avant. Mais bien plus tard aussi, sous la Révolution française. Les Parlements furent traités sans ménagement, rabroués même, pour des initiatives qui indisposaient le pouvoir en place, que ce soit le roi ou (Dieu ayant été évacué) « la Nation ». De cette dynamique à la fois juridique et politique émerge peu à peu une conception légicentriste du droit. Elle deviendra particulièrement intransigeante dans le sillage immédiat de la Révolution et sera pérennisée avec le Code Napoléon. Elle signifie que le droit, qui se fond dans la loi, est le fait législateur, qu’il soit le roi, l’empereur ou le peuple représenté par l’Assemblée nationale. Et les tribunaux, organes de mise en application de la loi, n’ont qu’à suivre, c’est-à-dire à lire et à appliquer les textes, sans laisser cours à leurs états d’âme. Sans vouloir charger le trait, car j’apprécie comme beaucoup d’autres les brillantes constructions doctrinales des juristes de culture française, il reste qu’exercer le métier de juge en première instance comme en appel ne veut vraiment pas dire la même chose à Toulouse ou à Winnipeg.
L’histoire de l’appel a fait l’objet en 1881 d’un essai de Marcel Fournier que j’ai déjà cité. L’institution de l’appel, écrivait-il, n’apparaît que quand un certain ordre règne dans l’organisation politique, lorsqu’il existe une administration assez perfectionnée et une tendance vers la centralisation. Je pense qu’il a raison, mais ce n’est pas toute l’histoire. À partir du moment où l’on retrouve les trois éléments énumérés par Fournier, l’appel devient en quelque sorte une nécessité institutionnelle, un mécanisme d’uniformisation des décisions de justice. Mais sa finalité se modifiera d’époque en époque pour devenir aujourd’hui quelque chose qui a bien peu en commun avec ce qu’elle était à l’origine. Aux premiers temps, l’appel est une procédure dirigée contre le juge (le faussement, le writ of attaint), un juge qui, par ses errements, a trahi son serment et son office, car la justice royale de droit divin se veut infaillible. À partir du XVIIème siècle, les choses évoluent rapidement, le souverain ne se mêle plus guère de ces choses, l’appel devient le moyen de rectifier des erreurs que l’on perçoit désormais comme inévitables vu l’ampleur de l’activité judiciaire. Avec les Lumières s’impose l’idée qu’errare humanum est. Aussi l’appel est-il, pendant la majeure partie du XIXème siècle et une bonne tranche du XXème, une procédure de révision et de correction des erreurs, adossée à une conception positiviste et formaliste du droit. Les cours d’appel françaises appliquent la loi, sous peine de cassation lorsqu’elles se trompent. Une fois libérées du carcan que constituait le writ of error, les cours d’appel en pays de common law déduisent des précédents pertinents la bonne solution et elles s’assurent que c’est bien celle-là qu’on a appliquée en première instance. Or, cette vision du droit va s’estomper tout au long du XXème siècle. L’appel, c’est certain, demeure un moyen de corriger des erreurs commises dans l’application du droit positif, là où il y en a vraiment, ce qui est cependant moins fréquent qu’on ne le pense. En revanche, sous l’impulsion de la théorie du droit contemporaine, cette aire de pure sanction (ou supposée telle) s’est beaucoup contractée. On accepte mieux que toutes les prétendues « erreurs » à tous les niveaux ne méritent pas qu’on se penche sur elle en appel. Et l’on ne conteste plus qu’une bonne part du domaine litigieux est un champ perpétuellement en friche où les tribunaux élaborent à la pièce des solutions juridiques qui augmentent par accumulation la densité normative du droit. Les cours d’appel, du moins en pays de common law, participent activement à cette entreprise en tant que gardiennes de l’élaboration et de l’ordonnancement du droit. L’« erreur », dans ces conditions, est prospective plutôt que rétroactive. Ce n’est pas le fait d’avoir appliqué erronément une règle qui existe déjà et qui, bien comprise, ne prête à aucune interprétation; c’est plutôt le fait d’avoir donné d’une règle dont la portée est douteuse une interprétation qui jure, qui risque de faire problème pour l’avenir parce qu’elle s’insère mal dans un réseau complexe de normes déjà en existence. Et nul doute que des divergences de vues tout à fait légitimes mais insurmontables sur ce qui jure ou fait problème peuvent opposer entre eux des juges qui tous s’efforcent de faire consciencieusement leur métier — c’est chose assez banale en appel, comme le démontrent les dissidences là où on les tolère.
L’appel au Québec est le produit de toutes ces convergences. Il est situé dans l’espace car, on l’a vu, tel qu’il existe ici, il se distingue nettement de l’appel en droit français, sensé servir à refaire le procès; or, les cours d’appel canadiennes n’ont de cesse de rappeler que leur rôle n’est pas de refaire les procès. Sans exagérer l’importance de la distinction, on peut aussi supposer que l’appel en droit québécois a peu en commun les procédures d’appel en vigueur dans la plupart des pays d’Europe continentale. Celles que suivent les autres cours d’appel canadiennes présentent le plus d’affinités avec la procédure québécoise. Plus l’on s’éloigne hors frontière, plus les différences resurgissent; ainsi, l’appel aux États-Unis et l’appel en Angleterre se singularisent par des caractéristiques comme la place faite à l’oralité en Angleterre ou, au contraire, la pratique très répandue aux États-Unis des jugements rendus sans audience, sur dossier et sans valeur de précédent. Mais le tronc commun auquel se rattache l’appel en droit québécois est incontestablement celui des systèmes de common law. Il évolue de concert avec eux, plus ou moins étroitement selon le cas.
Une tendance lourde dans ces systèmes est de restreindre l’accès à la procédure d’appel. Cela s’explique en partie par l’étagement progressif du système juridique, phénomène qui avec le temps n’a cessé de s’accroître, partout ou presque (la croissance démographique et les effets de masse y sont probablement pour quelque chose). Ainsi, au Québec, un justiciable accidenté du travail et insatisfait de la réponse qu’il reçoit de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) n’accédera normalement à la Cour d’appel, et uniquement sur permission, qu’après avoir été en mesure d’exercer un recours en révision (sommaire) auprès de la CSST, puis (au fond) auprès de la Commission des lésions professionnelles (CLP), qui elle-même pourra réviser sa première décision à la demande l’intéressé, puis de la Cour supérieure en révision judiciaire. Le risque qu’une erreur d’importance, constitutive d’une injustice, échappe à ces mécanismes de filtrage est réduit. Les restrictions relatives à la valeur pécuniaire de l’objet en litige, aux instances en révision judiciaire, aux jugements et décisions interlocutoires, et aux décisions de gestion ou de nature discrétionnaires, s’inscrivent toutes dans ce mouvement. Ces restrictions, pour la plupart, sont bien assimilées par les acteurs, juges ou auxiliaires de justice. Les limites que s’impose une cour d’appel, ou que la loi lui impose, lorsqu’on lui demande de se prononcer sur des questions de fait, suscitent des difficultés d’analyse beaucoup plus délicates. Néanmoins, on a aujourd’hui une compréhension plus fine de la distinction entre le fait et le droit (question féconde s’il en est, sur laquelle se rejoignent en plusieurs points, et curieusement, les théoriciens de la common law et les spécialistes de la cassation en droit français). Cela oriente généralement les jugements dans la bonne direction. Tous ces facteurs contribuent à dégager les rôles d’audience afin de permettre à une Cour d’appel comme celle du Québec ou de l’Ontario de consacrer davantage de temps à l’élaboration et l’ordonnancement du droit. Il ne s’agit pas, je l’ai expliqué, de « fabriquer du droit de toutes pièces ». Il s’agit d’harmoniser entre elles des solutions toujours à préciser (ou à refaire) parce que, dans les faits, aucun système de droit ne parvient jamais à tout prévoir et à épuiser d’avance toute la complexité du monde réel. Si l’on compare, par exemple en nombre de pages, ce qu’était la production de la Cour d’appel du Québec il y a trente ans, et ce qu’elle est aujourd’hui, le contraste est assez frappant. Il l’est aussi lorsque l’on compare l’appareil de sources jurisprudentielles, doctrinales ou autres qui sous-tend ces jugements. Le droit, semble-t-il, se raffine en même temps qu’il se complexifie. Il y a là, peut-être, pour les juges, une modeste source de satisfaction. Attendons la suite.
Appendices
Notes
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[1]
En revanche, il existe plusieurs articles sur le sujet, dont certains ont l’envergure de monographies. Voir par ex Mary Sarah Bilder, « The Origin of the Appeal in America » (1996-97) 48:5 Hastings LJ 913; Benjamin L Berger, « Criminal Appeals as Jury Control: An Anglo-Canadian Historical Perpsective on the Rise of Criminal Appeals » (2006) 10 RCDP 1.
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[2]
Mais il en va de même en droit américain : Lawrence M Friedman aborde la question dans de courts passages, intéressants et bien informés, mais peu développés (History of American Law, 2e éd, New York, Simon & Schuster, 1985 aux pp 149-50, 399-401).
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[3]
Henry Sumner Maine, Lectures on the Early History of Institutions, 3e éd, Londres, John Murray, 1880.
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[4]
Frederic William Maitland, English Law and the Renaissance, Cambridge, Cambridge University Press, 1901.
-
[5]
William Holdsworth, A History of English Law, 6e éd, vol 1, Londres, Methuen & Co, 1938 [Holdsworth, 6e éd].
-
[6]
JH Baker, An Introduction to English Legal History, 2e éd, Londres, Butterworths, 1979.
-
[7]
SFC Milsom, A Natural History of the Common Law, New York, Columbia University Press, 2003.
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[8]
Et qui évoquaient pour moi le trait d’esprit attribué (apocryphement?) à Toynbee : Some historians hold that history is just one damned thing after another.
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[9]
Marcel Fournier, Essai sur l’histoire du droit d’appel, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1881.
-
[10]
Ibid à la p 8.
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[11]
Mais il faut se méfier des mots — on devrait sentir au fil de ce qui suit que les conceptions ancienne (médiévale), puis moderne (celle des Lumières) puis actuelle (celle de right now) de l’appel mettent en jeu des notions différentes, voire radicalement différentes, de ce qu’est une « erreur » à corriger, et donc de ce qui « lèse » une partie.
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[12]
Voir Roscoe Pound, Appellate Procedure in Civil Cases, Boston, Little, Brown and Company, 1941; Karl N Llewellyn, The Common Law Tradition: Deciding Appeals, Boston, Little, Brown and Company, 1960 [Llewellyn, Deciding Appeals]. Pound consacre son deuxième chapitre (aux pp 37-71) extrêmement bien documenté, aux divers brefs (writs of error, writ of falsoe judgment, writ of certiorari) alors en usage en Angleterre. L’ouvrage de Llewellyn traite surtout de la fonction des appels dans le développement de la common law.
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[13]
Fournier, supra note 9 à la p 7 :
En étudiant l’histoire du droit des différents peuples, dont la législation est assez connue pour pouvoir être appréciée, nous avons été frappé de ce fait, que toujours l’institution de l’appel ne s’est montrée qu’aux époques où un certain ordre régnait dans l’organisation politique de ces peuples, où une administration, déjà assez perfectionnée, fonctionnait, et où une tendance certaine se manifestait vers une centralisation dont nous n’avons pas à approfondir les causes.
-
[14]
C’est la thèse annoncée par Fournier dans son Introduction Générale (supra note 9 aux pp 6-15).
-
[15]
H Patrick Glenn, Legal Traditions of the World: Sustainable Diversity in Law, 4e éd, Oxford, Oxford University Press, 2010 aux pp 61-98.
-
[16]
Fournier, supra note 9 à la p 10.
-
[17]
Fournier, supra note 9 à la p 13.
-
[18]
Marcel Rousselet résume la tendance en ces termes : « Au fur et à mesure que la Royauté s’annexait les grands fiefs, nous la voyons transformer les juridictions souveraines qui s’y trouvaient en parlements provinciaux » (Histoire de la magistrature française : Des origines à nos jours, t 1, Paris, Librairie Plon, 1957 à la p 45).
-
[19]
Fournier en décrit les attributions (supra note 9 aux pp 184-90). Le rôle proprement judiciaire de l’institution n’est pas encore parfaitement autonome, mais, déjà en 1278, elle est divisée en plusieurs chambres; pour une description synthétique, voir Michel Morin, Introduction historique au droit romain, au droit français et au droit anglais, Montréal, Thémis, 2004 aux pp 127-28. L’imposante architecture de ces parlements donne une idée de la place qu’ils occupaient dans l’administration de la justice (voir Étienne Madranges, Les palais de justice de France : Architecture, Symboles, Mobilier, Beautés et Curiosités, Paris, LexisNexis, 2011 aux pp 137-71).
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[20]
Rousselet décrit cette évolution (supra note 18 à la p 12 et s) et cite une ordonnance de Philippe le Long, datant du 3 décembre 1319, qui apporte quelque éclaircissement sur les raisons de ce processus : « Il n’aura nulz prélaz députez en parlement; et li roys veut avoir en son parlement genz qui puissent entendre continuellement sanz en partir, et qui ne soient occupés d’autres grans occupations » [notes omises] (ibid à la p 15).
-
[21]
Le professeur Glenn donne une explication aussi succincte que frappante des raisons pour lesquelles la monarchie en viendra naturellement à s’appuyer sur un corps de juges :
[A]s monarch, you could not rely on God, the people, or your own legislation. You needed a corps of loyal adjudicators, able to bring a newer, more efficient and modern king’s peace to the different parts of the realm. Of course, you couldn’t name patricians, or nobles, to the judicial task, as did the Romans. Your nobility could only speak French; theirs, of England, couldn’t be trusted (to the extent they had survived). So some kind of permanent judicial officer was required, who could work in a controlled and efficient manner. The only choice for filling such an office, moreover, was the priests, who could read and write and who were often already trained in canon (and civil) law. Given that they could read and write, they could be given precise written instructions for the particular case (a paper trail), such that a priori and, if necessary, a posteriori control could be exercised over their activities [notes omises]
supra note 15 à la p 239 -
[22]
Le tout premier de ces juges qui ait porté le titre de Chief Justiciar, et qui occupa la fonction de 1102 à 1116, fut Roger le Poer ou Roger of Salisbury. Originaire de Caen, il était évêque de Salisbury. Ses attributions débordaient largement le cadre d’un simple pouvoir judiciaire et le comparer, lui ou ses successeurs, à un juge d’appel moderne, ou même ancien dans la tradition civiliste, n’a pas de sens (voir Voir William S Holdsworth, A History of English Law, 3e éd, vol 1, Boston, Little, Brown and Company, 1922 aux pp 34-41 [Holdsworth, 3e éd]; JH Baker, An Introduction to English Legal History, 4e éd, Bath, Butterworths, 2002 à la p 15).
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[23]
Pound donne une description détaillée de la procédure d’appel en equity telle qu’elle se développa aux États-Unis jusqu’à la fin du XIXe siècle (supra note 12 aux pp 289-310).
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[24]
Aussi n’est-il guère étonnant que, s’étalant sur plusieurs siècles, la lignée des grands auteurs en common law est aussi une lignée de juges : Ranulf de Glanvill (1112-1190), Henry de Bracton (1210-1268), Thomas de Littleton (1407-1481) et Edward Coke (1552-1634). Certes, Sir William Blackstone (1723-1780) fit lui aussi partie de la magistrature, mais il avait déjà publié ses Commentaries on the Laws of England. Sur chacune de ces figures importantes dans cette tradition, voir A WB Simpson, dir, Biographical Dictionary of the Common Law, Londres, Butterworths, 1984.
-
[25]
Glenn, supra note 15 à la p 244.
-
[26]
Ibid à la p 244, n 26.
-
[27]
Glenn, supra note 15 aux pp 240-45.
-
[28]
La question n’est pas simple et on a beaucoup glosé sur le sujet. Voir par ex James Leabeater et al, Civil Appeals : Principle and Procedure, Londres, Sweet & Maxwell, 2010 aux pp 3-29.
-
[29]
Voir Gavin Drewry, Louis Blom-Cooper et Charles Blake, The Court of Appeal, Oxford, Hart Publishing, 2007 aux pp 31-34. Ces auteurs ajoutent la chose suivante :
The archaic and unsatisfactory procedure (now mercifully living on only in attenuated form, and in recently modernised terminology, by virtue of the prerogative order, under the umbrella of judicial review) depended, as we have seen, upon the existence of an error on the face of the record of proceedings in the lower court [...]. When the Court of Appeal was established by the Judicature Act 1873, the method of appeal prescribed was a « rehearing », along the lines of the procedure adopted for the Court of Appeal in Chancery […]
ibid aux pp 16-17 -
[30]
Comme l’écrit un ancien Senior Law Lord :
In early medieval times all power — legislative, executive and judicial — was concentrated in the monarch, but by the end of the medieval period this power had been largely devolved: legislative power to the Crown and Parliament, executive power to the king’s (or queen’s) ministers, judicial power to a body of appointed, professional royal Justices. There was no obvious reason why the residual judicial power of the king in Council should have been exercised by the House of Lords, but by Tudor times this arrangement had come to be accepted. In relation to impeachment and trial of peers for felony, the Lords were the court of trial, but their jurisdiction was very largely appellate [notes omises]
Tom Bingham, « Law Lords and Justices » dans Chris Miele, dir, The Supreme Court of the United Kingdom: History, Art, Architecture, Londres, Merrell, 2010, 36 à la p 38 -
[31]
Robert Stevens note qu’en 1811, 338 affaires judiciaires étaient pendantes devant l’institution (Law and Politics : The House of Lords as a Judicial Body 1800-1976, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1979 à la p 16).
-
[32]
Voir Roy E Megarry, « Lay Peers in Appeals to the House of Lords » (1949) 65 Law Q Rev 22 aux pp 23-24.
-
[33]
Ibid. L’incident de 1883 impliquait un membre de 78 ans qui, tout en n’étant pas juge, avait une cinquantaine d’années d’expérience au Barreau.
-
[34]
Deux textes récents expliquent comment la fonction judiciaire de la House of Lords avait déjà évolué avant 1870, pourquoi il fut fortement question de l’abolir au moment des grandes réformes de 1870-1876 et comment elle survécut jusqu’à son remplacement en 2009; voir David Lewis Jones, « The Judicial Role of the House of Lords before 1879 », dans Louis Blom-Cooper, Brice Dickson et Gavin Drewry, dir, The Judicial House of Lords 1876-2009, Oxford, Oxford University Press, 2009, 3; David Steele, « The Judicial House of Lords: Abolition and Restoration 1873-6 » dans Blom-Cooper, Dickson et Drewry, ibid, 13. Edmund Heward relate certains des débats auxquels participa Lord Cairns, alors Lord Chancellor (Lives of the Judges: Jessel, Cairns, Bowen and Bramwell, Chichester (R-U), Barry Rose Law, 2004 à la p 126 et s).
-
[35]
Marcel Rousselet, Histoire de la magistrature française des origines à nos jours, vol 2, Paris, Librairie Plon, 1957 à la p 338.
-
[36]
Arrêtés et objets de remontrance du parlement de Bordeaux à l’occasion du parlement de Paris, Bordeaux, 1757, tel que cité dans Rousselet, supra note 35 à la p 339.
-
[37]
Rousselet, ici encore, a très bien décrit ce mouvement de va-et-vient (ibid à la p 337).
-
[38]
Colbert était le fils de Nicolas Colbert et de Mariane Pussort. Un lien de parenté existait-il entre Colbert et Pussort? Je ne le sais pas.
-
[39]
Jacques Krynen fait bien voir l’enjeu de ces conflits, un enjeu de pouvoir (L’État de justice : France, XIIIe-XXe siècle, vol 1, Paris, Gallimard, 2009 à la p 155). Le chapitre 6 dans son entier, intitulé « La querelle de l’interprétation », le montre également bien (ibid aux pp 139-90).
-
[40]
Ibid à la p 156.
-
[41]
Jacques Krynen, L’État de justice : France, XIIIe-XXe siècle, vol 2, Paris, Gallimard, 2012 à la p 21.
-
[42]
Ibid aux pp 30-31.
-
[43]
Ainsi, Laurence Depambour-Tarride indique la chose suivante :
En théorie, le roi médiéval est avant tout un roi justicier dans la mesure où la paix, intérieure comme extérieure, est la première de ses missions. À ce titre, le roi promet une bonne justice à tous ses sujets dans le serment du sacre et, dans la symbolique du pouvoir, la main de justice est essentielle. Grâce à différentes techniques, au premier rang desquelles l’appel (des justices seigneuriales et municipales à celles du roi), les juges royaux feront lentement triompher le principe mis au point par les juristes du monarque : « Toute justice émane du roi. » La lutte avec les juridictions ecclésiastiques sera des plus rudes
Denis Alland et Stéphane Rials, dir, Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Presses Universitaires de France, 2003, sub verbo « Juge (longue durée) » -
[44]
Le Grand Robert de la langue française : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, 2e éd, t 4, sub verbo « faussement » [Le Grand Robert de la langue française].
-
[45]
Ibid, sub verbo « fausser ».
-
[46]
Voir Fournier, supra note 9 à la p 204. Voir généralement Monique Chabas, Le duel judiciaire en France : XII-XVI siècles, Saint-Sulpice-de-Favières, Jean-Favard, 1978. Les derniers duels judiciaires en Angleterre et en Écosse dateraient respectivement de 1446 et 1597 (voir The Rt Hon Sir Robert Megarry, A New Miscellany-at-Law: Yet Another Diversion for Lawyers and Others, Oxford, Hart, 2005 aux pp 65-66).
-
[47]
Montesquieu, De l’esprit des lois, t 2, Paris, Garnier Frères, 1961, livre 28, ch 22-33.
-
[48]
Ibid au livre 28, ch 32.
-
[49]
Sir Frederick Pollock et Frederic William Maitland, The History of English Law Before the Time of Edward I, vol 2, Cambridge, Cambridge University Press, 1895 à la p 695.
-
[50]
Je reviendrai plus loin sur la situation particulière qui existait dans la Court of Chancery. William S Holdsworth, exprime la chose lapidairement : The idea of an appeal by means of a rehearing of the case came into English law from the Chancery; and it was not till the Judicature Acts [1873-1875] that the common law procedure in error in civil cases was swept away, and the Chancery procedure substituted for it [notes omises] (Holdsworth, 3e éd, supra note 22 aux pp 214-15).
-
[51]
Ibid à la p 337.
-
[52]
Juries Act, 1825 (R-U) 6 Geo IV, c 50, abrogé par Courts Act 1971 (R-U), c 23, art 56.
-
[53]
Blackstone, dans ses Commentaries, donne une version nettement moins clémente des peines imposées, mais il semble qu’elles ont varié assez rapidement à la baisse (Sir William Blackstone, t 3, Commentaries on the Law of England par Wiliam Draper Lewis, Philadelphia, Geo. T. Bisel Co., 1922 aux para 402-05).
-
[54]
Voir Holdsworth, 3e éd, supra note 22 à la p 338.
-
[55]
(1670), [1823] Vaugh 135, 124 ER 1006 (Common Pleas).
-
[56]
Sur ce point, voir notamment Simon Stern, « Between Local Knowledge and National Politics: Debating Rationales for Jury Nullification After Bushell’s Case » (2002) 111 : 7 Yale LJ 1815.
-
[57]
Holdsworth, 3e éd, supra note 22 aux pp 337-42.
-
[58]
Bushell’s Case, supra note 56 aux pp 141-42.
-
[59]
S Prov Can 1849 (12 Vict), c 37.
-
[60]
« Il était le premier Canadien à devenir premier ministre et le premier Canadien français élu par les siens pour diriger leurs aspirations nationales » (Réal Bélanger et David A Wilson, dir, Dictionnaire biographique du Canada, en ligne : <www.biographi.ca>, sub verbo « Louis-Hippolyte Lafontaine » (par Jacques Monet)). De 1853 jusqu’à sa mort en 1864, Lafontaine, qui avait délaissé la politique, fut juge en chef de la Cour du Banc de la Reine.
-
[61]
Voir Luc Huppé, Histoire des institutions judiciaires du Canada, Montréal, Wilson & Lafleur, 2007 aux pp 168-74.
-
[62]
Quelques titres récents viennent immédiatement à l’esprit : l’ouvrage exhaustif de Luc Huppé (ibid) ou encore celui d’Arnaud Decroix et de ses coauteurs (Arnaud Decroix, David Gilles et Michel Morin, Les tribunaux et l’arbitrage en Nouvelle-France et au Québec de 1740 à 1784, Montréal, Thémis, 2012). Voir aussi, pour son exceptionnelle documentation, Donald Fyson avec la collaboration d’Evelyn Kolish et de Virginia Schweitzer, The Court Structure of Quebec and Lower Canada: 1764 to 1860, Montréal, Groupe sur l’histoire de Montréal, 1994; la version en ligne consultée le 3 janvier 2014 indique que les dernières modifications datent du 20 septembre 2012, ce qui donne à penser que le sujet demeure d’actualité (Fyson, ibid, en ligne : Donald Fyson <www.profs.hst.ulaval.ca/Dfyson/Courtstr/Index.htm>). Il faut mentionner aussi l’ouvrage de William Renwick Riddell (The Bar and Courts of the Province of Upper Canada or Ontario, Toronto, MacMillan, 1928); dans les premières années après 1760, les tribunaux du Québec avaient compétence sur le territoire qui deviendrait par la suite le Haut-Canada, d’où l’intérêt de ces travaux. Une autre contribution particulièrement utile est celle de Jacques L’Heureux (« L’organisation judiciaire au Québec de 1764 à 1774 » (1970) 1 : 2 RGD 266).
-
[63]
C’est l’expression utilisée par le Professeur L’Heureux (ibid à la p 291).
-
[64]
C’est l’expression utilisée par le Professeur André Morel (« La réaction des Canadiens devant l’administration de la justice de 1764 à 1774 : Une forme de résistance passive » (1960) 20 : 1 R du B 53 à la p 55).
-
[65]
C’est ce qui ressort, entre autres choses, d’une commission donnée par le Général Murray le 16 janvier 1760 à Jacques Allier, nommé juge en matière civile et criminelle pour plusieurs paroisses save in the matter of appeal in the town of Quebec before Colonel Young, the civil and criminal judge in final appeals of the aforesaid town and conquered territory (reproduit dans Adam Shortt et Arthur G Doughty, Documents relating to the Constitutional History of Canada: 1759-1791, 2e éd, vol 1, Ottawa, King’s Printer, 1918 à la p 36). Pierre-Georges Roy donne une description assez flatteuse de l’administration de la justice pendant le régime militaire (Les juges de la Province de Québec, Québec, Imprimeur du Roi, 1933 aux pp vii-ix). Il conclut : « On ne pouvait demander mieux » (ibid à la p ix).
-
[66]
Ordinance for regulating and establishing Courts of Judicature, Justices of the Peace, Quarter-Sessions, Bailiffs, and other Matters relative to the Distribution of Justice in this Province (17 septembre 1764), reproduite dans Report of the Work of the Public Archives for the Year 1913, Ottawa, King’s Printer, 1914 aux pp 46-49. Riddell commente : This Ordinance is very badly drawn: the Attorney General George Suckling was incompetent and, as has been said, not too attentive to his duties (supra note 62 à la p 16). Jacques L’Heureux écrit : « Suckling n’avait pas les qualités requises pour remplir la charge importante de procureur général. Comme juriste, il était plutôt médiocre et ne connaissait ni la langue ni les lois françaises » (Dictionnaire biographique du Canada, supra note 60, sub verbo « George Suckling »).
-
[67]
Fyson, supra note 59 à la p 9.
-
[68]
(R-U) 14 Geo III, c 83, reproduit dans LRC 1985, ann II, no 2 [Acte de Québec].
-
[69]
Avant la Confédération, cette possibilité demeurait plus théorique que réelle, mais les choses changeront à partir de 1867. Il y a plus de 170 jugements du Comité judiciaire du Conseil Privé sur l’interprétation de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et le dernier de ces jugements dans une instance civile en provenance du Canada fut déposé le 8 octobre 1959 (Ponoka-Calmar Oils Ltd v Earl F Wakefield Co (1959), [1960] AC 18). Avant la Confédération, il semble bien que les appels au Conseil Privé étaient fort rares. Louise Renaud mentionne que, durant la décennie qu’elle a étudiée, huit appelants se pourvurent devant le Conseil Privé. Cinq eurent gain de cause, deux échouèrent, et un dernier pourvoi fut abandonné en cours de route (« La Cour d’appel à l’aube de l’Union (1839-1849) » (1973) 8 : 3 RJT 465 à la p 489).
-
[70]
Riddell, supra note 62 aux pp 7-8 :
An awkward difficulty arose from the provisions as to the law to be administered. In the King’s Bench it was the law of England; in the Common Pleas there were two standards for French Canadians and for others: (1) the French Law and Customs for French Canadians when the cause of action arose before October 1, 1764; and (2) for French Canadians in other cases and for other than French Canadians in all cases, the Judges’ view of Equity having regard to the law of England.
Had the Judges of the Court of Common Pleas been lawyers, it is possible that the word “Equity” would have been interpreted in the technical sense, already well established, i.e. the principles of the Court of Chancery; but in fact, the first Judges, three in number, appointed to this Court, were laymen and their conception of “Equity” was natural justice according to their own views.
-
[71]
Voir Morel, supra note 64 aux pp 55 et 59.
-
[72]
Voir Riddell, supra note 62 à la p 20; L’Heureux, supra note 62 aux pp 312-13. Ces juges, qui tous parlaient le français, étaient Adam Mabane, un médecin, John Fraser, un officier militaire à la retraite, Hector Cramahé, un officier militaire, et trois marchands, Francis Mounier, James Marteilhe et Thomas Dunn. Plus tard, en 1776, Mabane et Dunn eurent pour collègue à Québec Jean-Claude Panet, un notaire devenu avocat, juriste réputé et premier d’une longue lignée de magistrats portant le même nom. Outre le Dictionnaire biographique du Canada (supra note 60), une compilation utile sur cette période est celle de l’archiviste provincial, Pierre-Georges Roy (supra note 65). Il est parfois nécessaire de consulter aussi des sources voisines, car certains membres éminents de la magistrature du Bas-Canada (par exemple les Juges en chef William Osgoode et Henry Alcock) firent surtout leur marque au Haut-Canada; voir par ex David Breskenbridge Read, The Lives of the Judges of Upper Canada and Ontario from 1791 to the Present Time, Toronto, Rowsell & Hutchison, 1888.
-
[73]
L’ouvrage de Decroix, Gilles et Morin est particulièrement intéressant sur cette question (supra, note 62 aux pp 247-60).
-
[74]
Voir L’Heureux, supra note 62 à la p 302.
-
[75]
En anglais, Laws and Customs of Canada (Acte de Québec, supra note 68, art 8).
-
[76]
En anglais, Property and Civil Rights (ibid).
-
[77]
Voir Shortt et Doughty, supra note 65 à la p 599.
-
[78]
En anglais, une court of appeals avec un « s ».
-
[79]
Voir Riddell, supra note 62 à la p 28.
-
[80]
(R-U) 31 Geo III, c 31, reproduit dans LRC 1985, ann II, no 3. Il s’agit incontestablement d’un élément décisif dans la constitution du pays puisqu’il établit le Bas-Canada et le Haut-Canada comme entités politiques dans la colonie et introduit au Canda, par la création d’assemblées législatives, une forme embryonnaire de démocratie représentative. L’Acte constitutionnel de 1791 a cependant fort peu à dire sur le sujet des tribunaux. Il confirme par son article XXXIV que le Conseil exécutif présidé par le Gouverneur est la Cour d’appel de la province.
-
[81]
Voir la partie II-G-3, ci-dessous.
-
[82]
Voir Roy, supra note 65 à la p 415. Voir aussi le Dictionnaire biographique du Canada, supra note 60, sub verbo « Jean-Antoine Panet » (par Pierre Tousignant et Jean-Pierre Wallot).
-
[83]
Voir Roy, supra note 65 à la p 559. Voir aussi le Dictionnaire biographique du Canada, supra note 60, sub verbo « Joseph-Rémi Vallières de Saint-Réal » (par James H Lambert et Jacques Monet).
-
[84]
Je m’appuie surtout ici sur la très substantielle notice du Dictionnaire biographique du Canada (ibid, sub verbo « Jonathan Sewell » (par F Murray Greenwood et James H Lambert) [DBC, « Sewell »]).
-
[85]
Et bon ami de John Adams, le futur président des États-Unis, s’il faut en croire son biographe David G McCullough (John Adams, New York, Simon & Schuster, 2001 aux pp 47, 48, 50, 65, 71, 348-50, 650). Il est intéressant de noter qu’au Massachusetts, le père du future juge en chef orthographiait son patronyme Sewall et non Sewell, une particularité que relèvent les auteurs de la notice mentionnée à la note précédente (DBC, « Sewell », supra note 84).
-
[86]
Ibid. Roy prétend qu’ils eurent vingt-deux enfants (supra note 65).
-
[87]
Ces mots qu’aurait employé Sewell sont rapportés par Greenwood et Lambert (supra note 84).
-
[88]
Alexis de Tocqueville, Oeuvres, t 1, Paris, Gallimard, 1991 à la p 204. L’auteur George Wilson Pierson démontre que le tribunal en question était the Inferior Court of King’s Bench (donc la Cour du Banc du Roi siégeant en première instance) (Tocqueville and Beaumont in America, New York, Oxford University Press, 1938 à la p 324).
-
[89]
À l’époque, ce sont James Reid à Montréal et Jonathan Sewell à Québec.
-
[90]
Lord Durham, Report on the Affairs of British North America, 1839, reproduit dans Sir Charles Prestwood Lucas, Lord Durham’s Report on the Affairs of British North America, vol 2, Oxford, Clarendon Press, 1912 à la p 121.
-
[91]
Charles Grant, 1er Baron Glenelg, secrétaire d’État pour la Guerre et les Colonies.
-
[92]
Lord Durham, supra note 90 à la p 123.
-
[93]
Voir Dictionnaire biographique du Canada, supra note 60, sub verbo « John George Lambton, 1er comte de Durham » (par Fernand Ouellet).
-
[94]
Apparemment, l’expression déplaisait à Durham qui la jugeait trop imprécise. Il n’en demeure pas moins qu’elle allait devenir le grand mot d’ordre des années postérieures à 1840.
-
[95]
(R-U) 3-4 Vict, c 35, reproduit dans LRC 1985, ann II, no 4.
-
[96]
Lord Durham, supra note 90 à la p 121.
-
[97]
Pour un compte rendu détaillé des débats qui entourèrent l’adoption des textes porteurs de la réforme, voir Renaud, supra note 69.
-
[98]
Acte pour rendre indépendants de la Couronne, les Juges des Cours du Banc du Roi de la partie de cette Province, ci-devant le Bas-Canada, S Prov Can 1843 (7 Vict), c 15 [Acte pour rendre indépendants les Juges].
-
[99]
12 & 13 Will III, c 2.
-
[100]
Acte pour mieux assurer l’Indépendance de l’Assemblée Législative de cette Province, S Prov Can 1843 (7 Vict), c 65.
-
[101]
LRQ c T -16.
-
[102]
Je pense ici à l’article 8 de cette loi, qui énonce : « Nul juge de la Cour d’appel ne peut siéger dans le Conseil exécutif ou l’Assemblée nationale, ou remplir d’autres charges lucratives pour l’État » (ibid). L’article 31 de la loi édicte une règle identique pour les juges de la Cour supérieure (ibid).
-
[103]
S Prov Can 1843 (7 Vict), c 18.
-
[104]
Ibid, art 15 : « [T]out jugement final [...] contiendra l’exposition sommaire des points de fait et de droit, et des motifs sur lesquels il sera fondé, avec les noms des Juges qui y auront concouru, et de ceux qui auront été d’une opinion contraire ».
-
[105]
Supra note 59.
-
[106]
L’article III, par exemple, réitère la teneur de l’Acte pour rendre indépendants les Juges (supra note 98).
-
[107]
Voir Renaud, supra note 69 à la p 489. Dans sa 15e Lettre, l’avocat Siméon Pagnuelo, qui lui-même deviendra juge à la Cour supérieure quelques années plus tard, en fera une sévère critique (Lettres sur la réforme judiciaire, Montréal, J Chapleau & Fils, 1880 aux pp 142-48).
-
[108]
Pagnuelo (ibid à la p 136) est particulièrement opposé au système des « termes » (en anglais, terms). Des années plus tard, la Cour siégera de septembre à juin avec de brèves interruptions pour Noël et pour Pâques. Voir aussi Maréchal Nantel, « Un demi-siècle de vie judiciaire » (1951) 11 R du B 61 aux pp 62-63.
-
[109]
Jonathan Swainger explique en détail quelle était la situation au cours des dix premières années qui suivirent la Confédération (« A Bench in Disarray: The Quebec Judiciary and the Federal Department of Justice, 1867-1878 » (1993) 34 : 1 C de D 59). Maréchal Nantel cite un article du Quebec Chronicle de 1873 :
We believe the Court of Queen’s Bench as at present constituted, to be the worst court which has been assembled in any part of the British Dominions for the last hundred years. It is bad collectively, as it is bad individually. Age and irritability of temper prevent one member of it from listening; almost total deafness prevents a second member from hearing; intemperate habits, exhibited but too often on the Bench itself, fatally disqualify a third. Worse still, in Montreal, corruption is openly imputed to it, falsely we hope and believe, for the honour of the British name
« Crises judiciaires » (1927-1928) 6 R du D 328 à la p 347 -
[110]
Friedman, supra note 2 à la p 149. C’est cette même idée qu’évoque Pound lorsqu’il écrit :
[T]o send to a higher court a full and detailed account of everything done in a lower court, with copies of all writs, returns, and orders and pleadings, and a complete transcript of every scrap of testimony and every document and exhibit, is expensive beyond reason and wasteful of the time and energy of the appellate tribunal
supra note 12 à la p 29Malheureusement, cette description correspond encore et trop souvent à certaines habitudes toujours en vigueur. Pound lui-même concède que seul un barreau de spécialistes qui se consacrent à la pratique des appels, comme en Angleterre, permet d’éliminer la plupart de ces excès (ibid à la p 381).
-
[111]
Blaise Pascal, Pensées, éd Brunschwig, Paris, Garnier-Flammarion, 1976, pensée 294.
-
[112]
Art 296 C proc pén.
-
[113]
Sur cette question, voir Serge Guinchard, Cécile Chainais et Frédérique Ferrand, Procédure civile : Droit interne et droit de l’Union européenne, 30e éd, Paris, Dalloz, 2010 au para 1855 et s.
-
[114]
Ibid au para 1871.
-
[115]
Ibid aux para 1876-80.
-
[116]
Ibid au para 1983.
-
[117]
Voir art 509 Cpc. Voir aussi, à titre de simple exemple, Adoption — 1250, 2012 QCCA 1279 (disponible sur CanLII).
-
[118]
Ce qui exclut, essentiellement, tout élément de preuve qui aurait été disponible au moment du procès, mais que la partie intéressée, pour une raison quelconque, se serait abstenue de produire.
-
[119]
Guinchard, Chainais et Ferrand, supra note 113 au para 1253.
-
[120]
L’article 564 du Code de procédure civile français énonce :
À peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
-
[121]
Voir Guinchard, Chainais et Ferrand, supra note 113 aux para 1254-63.
-
[122]
Cela apparaît avec encore plus de netteté au plus haut niveau de la hiérarchie judiciaire. Selon son rapport annuel pour 2011, la Cour de cassation a rendu cette année-là des arrêts sur le fond dans 21 573 affaires civiles (ce qui comprend le contentieux commercial et social) et dans 8 047 affaires pénales, pour un total de 29 620 affaires. Il y avait à la Cour durant cette période 135 conseillers (ce qui inclut les présidents de chambre) et 71 conseillers référendaires (sans voix délibérative) (Cour de cassation, Rapport Annuel 2011, Paris, La documentation française, 2012 aux pp 559-60). Cependant, du côté du droit français, il faut tenir compte également du contentieux administratif, qui relève au Canada des tribunaux de droit commun, alors qu’en France il procède, au plus haut niveau de la hiérarchie administrative et judiciaire, devant le Conseil d’État. Ce dernier, en 2011, par sa Section du contentieux (environ 120 membres actifs), a rendu 9 936 décisions (Conseil d’État, Rapport public 2012 : Activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives, Paris, La documentation française, 2012 à la p 34). Sans doute faudrait-il distinguer, au sein de la Cour de cassation ou du Conseil d’État, l’activité habituelle de la Cour et du Conseil en contentieux des décisions rendues « toutes chambres réunies » à la Cour ou « en Assemblée du contentieux » au Conseil. Le fait demeure que ces deux institutions décident ensemble quelque 40 000 affaires par année. Par contraste, la Cour suprême du Canada, en 2011, a rendu 71 jugements au fond (Cour suprême du Canada, Statistiques 2002 à 2012, Ottawa, Cour suprême du Canada, 2013 à la p 4). Ces ordres de grandeur sont constants à travers les années.
-
[123]
Friedman, supra note 2 à la p 149.
-
[124]
Étant donné, bien évidemment, le contrôle que le juge de la mise en état exerce en continu sur l’instruction du dossier.
-
[125]
Friedman, supra note 2 à la p 149.
-
[126]
Précision technique, c’est à cette date que la jurisprudence consacre le caractère ex debito justiciae du writ of error. Il devient dès lors un recours que l’on peut exercer de plein droit (voir Holdsworth, 6e éd, supra note 5 à la p 215).
-
[127]
Dont l’article 1114 énonçait :
Il y a pourvoi pour erreur par bref d’erreur de tout jugement de la Cour Supérieure fondé sur un verdict général donné par un jury spécial.
Ce pourvoi est porté devant la Cour du Banc de la Reine siégeant en appel. Les questions de droit seules peuvent être débattues sur semblable pourvoi.
-
[128]
[1952] 1 KB 338, [1952] 1 All ER 122.
-
[129]
Cet article visait « une décision ou ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier » (LRC 1985, c F-7, art 28(1), al (b), modifié par la Loi sur le service administratif des tribunaux judiciaires, LC 1990, c 8).
-
[130]
Commentant les lacunes du writ of error devant les juridictions criminelles, Holdsworth écrit la chose suivante :
The writ of error was, however, little used because the procedure upon it was cumbersome, and gave no useful result. The formal history of the case was stated at large on the record — the arraignment, the pleas, the issue, and the verdict. But, as the record took no account of some of the most material parts of the trial, where error was most likely to occur — the evidence and the directions of the judge to the jury — the writ could do nothing to remedy the only errors that were really substantial
Holdsworth, 6e éd, supra note 5 aux pp 215-16Les mêmes défectuosités se retrouvaient en matière civile (ibid aux pp 222-24.) Ces observations rejoignent celles adressées ci-haut par Drewry, Blom-Cooper et Blake (supra note 29). Aussi, Pound, qui est particulièrement critique à ce sujet, parle même de record-worship (supra note 12 à la p 35) et écrit : If a case is reviewed upon a record in the form of pleadings, averments and admissions, there is danger of reviewing the record rather than the case (ibid aux pp 28-29).
-
[131]
Supreme Court of Judicature Act 1873 (R-U), 36 & 37 Vict, c 66; Supreme Court of Judicature Act 1875 (R-U), 38 & 39 Vict, c 77.
-
[132]
Pour une description succincte de ces vices, voir Holdsworth, 6e éd, supra note 5 à la p 438.
-
[133]
Friedman, supra note 2 à la p 149.
-
[134]
Voir art 26, al 1 Cpc. Il s’agit, comme on le sait, de la valeur du litige en appel. Le 1er septembre 1966, au moment de l’entrée en vigueur du Code de procédure civile, ce seuil était de 500 $ (LQ 1965, c 80, art 26, al 3). Selon les données colligées par la Banque du Canada (et qui bien sûr ne donnent qu’une façon parmi d’autres d’évaluer la chose puisque ces données se fondent sur l’Indice des prix à la consommation), un montant de 100 $ en 1966 équivalait à 692,25 $ en 2012, de sorte que ce seuil d’origine, s’il avait été préservé, serait aujourd’hui de 3 461,25 $. Ces chiffres pourraient donner à réfléchir pour quiconque s’interroge sur la compétence ad valorem de la Cour du Québec. Voir à ce sujet le Renvoi relatif à la juridiction de la Cour de Magistrat, [1965] SCR 772, 55 DLR (2e) 701.
-
[135]
Une exception à ce principe est l’article 984 du Code de procédure civile qui prévoit qu’il n’y a pas d’appel d’un jugement relatif à une petite créance. Il en va de même de la plupart des décisions de tribunaux administratifs; elles ne parviennent devant la Cour d’appel, sur permission, que si elles ont fait l’objet d’un jugement en révision judiciaire par la Cour supérieure.
-
[136]
Art 26, al 2 Cpc.
-
[137]
Loi portant réforme du Code de procédure civile, LQ 2002, c 7, art 3 [Loi portant réforme du Cpc].
-
[138]
Voir Caisse populaire de Dégelis c Nadeau, 2000 CanLII 6958, AZ-00011512 (Azimut) (CA); Maison Sami TA Fruits inc c Balcorp Ltd, 2003 CanLII 29848, AZ-03019698 (Azimut) (CA); Crédit Ford du Canada ltée c Industrielle Alliance Pacifique, 2009 QCCA 755 (disponible sur CanLII); Investissements GP Cantor inc c Rybakova, 2012 QCCA 1120 (disponible sur CanLII); Sohmer c Trévi Fabrication inc, 2012 QCCA 528 (disponible sur CanLII); 2970-7528 Québec inc (Vente d’autos H Grégoire) c Beaudoin, 2011 QCCA 848 (disponible sur CanLII).
-
[139]
Entre le 1er septembre 1966, date d’entrée en vigueur du Code de procédure civile, et 1969, aux termes de la première version de l’article 29, il n’était pas nécessaire d’obtenir une permission préalable pour inscrire un appel d’un jugement interlocutoire. Si le jugement en question ne se qualifiait pas aux termes de l’article 26, il revenait à la partie intimée de demander le rejet de l’appel en vertu de l’article 501.
-
[140]
Voir Jack H Friedenthal, Mary Kay Kane et Arthur R Miller, Civil Procedure, 4e éd, St-Paul, Thomson West, 2005 aux para 13.1-13.3. Aussi, Pound écrivait : [I]t was generally the rule that error or appeal in the nature of error would not lie from an interlocutory judgment until there had been a final determination of the case in the lower court (supra note 12 à la p 117). De nos jours, il existe de nombreux tempéraments et exceptions de source législative à cette règle ancienne.
-
[141]
Loi modifiant le Code de procédure civile, LQ 1986, c 55, art 2.
-
[142]
Loi portant réforme du Cpc, supra note 137, art 1.
-
[143]
Voir Imperial Tobacco Canada Ltée c Létourneau, 2012 QCCA 622 (disponible sur CanLII); Imperial Tobacco Canada Ltée c Canada (PG), 2012 QCCA 655 (disponible sur CanLII). Voir aussi Corporation Sun Media c Gesca Ltée, 2012 QCCA 682 au para 8 (disponible sur CanLII), juge Bich :
La « justice » dont parle [l’article 511] n’est pas une justice absolue mesurée à l’aune du seul intérêt de la partie requérante, mais une justice pratique, tenant compte des intérêts de toutes les parties en cause et tenant compte aussi de la bonne marche et de l’économie du système judiciaire, qui accorde une importance désormais capitale à la proportionnalité, principe consacré par l’article 4.2 C.p.c. et qui s’applique également au stade de l’appel. C’est ce qui explique, par exemple, qu’un pourvoi dont le juge autorisateur estime qu’il est voué à l’échec ou a peu de chances de succès ne sera pas permis. Il faut souligner enfin que, dans l’exercice du pouvoir que lui confère l’article 511 C.p.c., le juge saisi de la requête pour autorisation d’appel jouit d’une vaste latitude.
-
[144]
Voir par ex André Rochon, Guide des requêtes devant le juge unique de la Cour d’appel, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2013 à la p 105.
-
[145]
LRQ c C-25.1.
-
[146]
Voir Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235; HL c Canada (PG), 2005 CSC 25, [2005] 1 RCS 401; R c Clark, 2005 CSC 2, [2005] 1 RCS 6. L’unanimité paraît plus difficile à faire en droit criminel (voir R c Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 RCS 190). Cette jurisprudence, y compris l’arrêt cité à la note suivante, paraît peu compatible avec une thèse déjà développée par le Professeur Adrian Popovici (« Phénoménologie de l’appel » (1972) 7 RJT 445).
-
[147]
Voir Stein c Le navire « Kathy K », [1976] 2 RCS 802, 62 DLR (3e) 1.
-
[148]
Il y a plus de soixante-dix ans, Adjutor Rivard écrivait : « Cependant, il a paru juste de n’intervenir dans les décisions des tribunaux inférieurs, sur les questions de fait, que pour des motifs bien établis; excepté dans les cas d’erreur manifeste ou clairement démontrée, la Cour d’appel incline à tenir pour avérés les faits constatés par les premiers juges [notes omises] » (Manuel de la Cour d’appel : Juridiction civile, organisation, compétence, procédure, Montréal, Variétés, 1941 à la p 45). Il cite à l’appui de cette proposition l’arrêt Ruthman c Québec (Ville de) (1912), [1913] 22 BR 147.
-
[149]
Voir Therrien c Launay, 2005 QCCA 665 (disponible sur CanLII); Regroupement des CHSLD Christ-Roy (Centre hospitalier, soins longue durée) c Comité provincial des malades, 2007 QCCA 1068 aux para 53-56, [2007] RJQ 1753; PL c Benchetrit, 2010 QCCA 1505 aux para 23-24, [2010] RJQ 1853.
-
[150]
Voir Jabez Fox, « Law and Fact » (1899) 12 : 8 Harv L Rev 545.
-
[151]
Voir Lord Justice Atkin, « Appeal in English Law » (1927) 3 : 1 Cambridge LJ; Walter Wheeler Cook, « ‛Facts’ and ‛Statements of Facts’ » (1937) 4 : 2 U Chicago L Rev 233; AL Goodhart, « Appeals on Questions of Facts » (1955) 71 : 3 Law Q Rev 402.
-
[152]
Voir Michel Morin, « La Cour suprême et les motifs d’intervention d’une cour d’appel sur des questions de fait » [1985] 3 RDJ 121; Frédéric Bachand, « Le traitement en appel des questions de fait, questions de droit et questions mixtes » (2007) 86 : 1 R du B can 97; Daniel Jutras, « The Narrowing Scope of Appellate Review: Has the Pendulum Swung Too Far? » (2006) 32 : 1 Man LJ 61.
-
[153]
Jacques Boré et Louis Boré, La cassation en matière civile, 4e éd, Paris, Dalloz, 2008 aux pp 247-356
-
[154]
Ronald J Allen et Michael S Pardo, « The Myth of the Law-Fact Distinction » (2003) 97 : 4 Nw UL Rev 1769.
-
[155]
Timothy Endicott, « Questions of Law » (1998) 114 : 2 Law Q Rev 292 [Endicott, « Questions of Law »].
-
[156]
L’amendement stipule que « [n]o fact tried by a jury shall be otherwise re-examined in any Court of the United States, than according to the rules of the common law » (US Const amend VII). L’essai d’Allen et Pardo (supra note 154) se veut aussi une critique de l’arrêt rendu par la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Cooper Industries v Leatherman Tool Group (532 US 424 (2001), 121 S Ct 1678 (2001)), où une majorité des juges estima que des dommages punitifs de 4,5 millions de dollars accordés par un jury dans une affaire de concurrence déloyale n’était pas le fruit d’un fact tried by a jury et n’était donc pas une conclusion de fait protégée par le VIIème Amendement. La norme d’intervention est très contraignante pour le tribunal saisi d’une demande de révision.
-
[157]
Allen et Pardo, supra note 154 à la p 1792.
-
[158]
Ibid à la p 1806.
-
[159]
Je m’étais intéressé à cette question et, sur ce point, je n’ai pas changé d’avis (Yves-Marie Morissette, « Deux ou trois choses que je sais d’elle (la rationalité juridique) » (2000) 45 : 3 RD McGill 591).
-
[160]
Allen et Pardo, supra note 154 à la p 1795, n 149.
-
[161]
Bernard Williams, Truth & Truthfulness: An Essay in Genealogy, Princeton (NJ), Princeton University Press, 2002 aux pp 53-54.
-
[162]
Je me suis aussi penché sur cette question (Yves-Marie Morissette, « Peut-on “interpréter” ce qui est indéterminé? » dans Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, dir, Interpretatio non cessat : Mélanges en l’honneur de Pierre-André Côté, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2011, 9) en m’appuyant de nouveau sur les travaux de Timothy A O Endicott, et plus particulièrement sur son remarquable essai (Vagueness in Law, Oxford, Oxford University Press, 2000 [Endicott, Vagueness in Law]).
-
[163]
Endicott, « Questions of Law », supra note 155 à la p 292.
-
[164]
Griffiths v J.P. Harrison (Watford) Ltd (1962), [1963] AC 1 à la p 21, [1962] 2 WLR 909 HL (Eng), Lord Denning, dissident. La question était de savoir si a dividend-stipping transaction constitue une forme de trading.
-
[165]
(1972), [1973] AC 854, [1972] 3 WLR 521 HL (Eng).
-
[166]
Public Order Act, 1936 (R-U), 1 Edw VIII & 1 Geo VI, c 6, art 5.
-
[167]
Endicott, « Questions of Law », supra note 155 à la p 293.
-
[168]
Ibid aux pp 299-303.
-
[169]
Ibid aux pp 310-12.
-
[170]
Ibid aux pp 316-17.
-
[171]
Ibid à la p 304.
-
[172]
Ibid aux pp 317-18.
-
[173]
Sans pour autant que cette autre appellation soit plus utile dans la résolution du problème décrit ici.
-
[174]
Il n’existe qu’une seule exception à cette proposition, le cas d’un verdict déraisonnable, qui nous ramène au point 3.a de l’analyse d’Endicott ébauchée ci-dessus.
-
[175]
Comme je l’ai déjà dit à des collègues avec qui je discutais de ce problème, le véhicule, dans ce contexte, est aussi dépourvu de signification juridique que l’est le buffet de la salle à manger.
-
[176]
Paradis c R, autorisation de pourvoi à la CA accordée (20 janvier 2005).
-
[177]
Voir Paradis c R, 2007 QCCA 281 (disponible sur CanLII).
-
[178]
R c Paradis, 2004 CanLII 3327, AZ-50262905 (Azimut) (CQ).
-
[179]
Paradis c R, 2004 CanLII 49126, AZ-50286790 (Azimut) (CS).
-
[180]
Boré et Boré, supra note 153 à la p 276.
-
[181]
Ibid à la p 276.
-
[182]
Ibid aux pp 282-84.
-
[183]
Voir Montréal (Ville de) c Société d’énergie Foster Wheeler, 2011 QCCA 1815 (disponible sur CanLII).
-
[184]
François Gendron est explicite : « L’interprétation d’un contrat est, pour l’essentiel, une question de fait » (L’interprétation des contrats, Montréal, Wilson & Lafleur, 2002 à la p 15). D’autres signalent que « le tribunal a toute discrétion pour décider si un contrat est clair ou ambigu » (Pierre-Gabriel Jobin avec la collaboration de Nathalie Vézina, Baudouin et Jobin : Les obligations, 6e éd, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2005 à la p 443), alors que d’autres encore, contrastant la qualification et l’interprétation d’un contrat, rappellent avec raison qu’en matière de qualification « la Cour d’appel [peut] directement censurer une qualification inappropriée du juge de première instance, sans être obligée d’invoquer la fameuse “erreur manifeste’’ » (Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 2e éd, Montréal, Thémis, 2012 à la p 962).
-
[185]
Voir Bahamas Trust Co v Threadgold (1974), [1974] 3 All ER 881, 1 WLR 1514 HL (Eng).
-
[186]
Il écrit :
[T]he construction of a written document is a question of law. It is for the judge to decide for himself what the law is, not to accept it from any or even all of the parties to the suit; having so decided it is his duty to apply it to the facts of the cases. He would be acting contrary to his judicial oath if he were to determine the case by applying what the parties conceived to be the law, if in his own opinion it was erroneous
ibid à la p 884 -
[187]
Agricultural Holdings Act, 1948 (R-U), 11 & 12 Geo VI, c 63, art 2(1).
-
[188]
Il ne fait aucun doute à mon sens que, pour des raisons institutionnelles, procédurales et relatives au droit de la preuve, le Québec s’inscrit dans ce grand ensemble. Quelques emprunts lexicaux au droit judiciaire privé français ne sont pas de nature à modifier cette réalité.
-
[189]
J’en donnerai deux exemples locaux. Pour un jugement passé inaperçu, voir par ex SL c Commission scolaire des Chênes, 2010 QCCA 346 (disponible sur CanLII), conf par 2012 CSC 7, [2012] 1 RCS 235. Pour des jugements très probablement promis à l’oubli, voir par ex Droit de la famille — 102866, 2010 QCCA 1978, [2010] RJQ 2259; Québec (PG) c A, 2013 CSC 5, [2013] 1 RCS 61.
-
[190]
En pratique, les exemples jurisprudentiels d’authentiques erreurs, au sens strict du terme, c’est-à-dire d’erreurs dont la démonstration est d’ordre apodictique et ne laisse aucune place au désaccord, sont rares. Voir par ex R c Lavoie, 2009 QCCA 662, [2009] RJQ 953.
-
[191]
J’emploie le terme au figuré : façonner signifie aussi « créer par un travail de l’esprit » (Le Grand Robert de la langue française, supra note 44, sub verbo « façonner »).
-
[192]
La notion de jurisprudence contradictoire (en anglais, conflicting judicial precedents) est d’ailleurs en droit québécois un critère important pour permettre l’appel d’un jugement qui ne peut faire l’objet d’un appel de plein droit (voir art 26, al 2 Cpc).
-
[193]
Je m’en remets ici à Endicott, qui traite de ce problème en divers endroits, mais surtout dans son second chapitre, où il écrit :
[E]veryone more or less agrees, sometimes in spite of themselves, with Hart’s platitude that there are clear cases and unclear cases of the application of linguistic expressions. The very great theoretical differences over the nature of clarity have not been resolved, and it is unclear how much is clear »
Vagueness in Law, supra note 162 à la p 29 -
[194]
Jerome Frank, Law and the Modern Mind, New York, Brentano’s, 1930. Présenté par plusieurs comme une critique de l’intégrisme juridique – Forrest Revere Black le qualifie de the most effective attack that has been made on legal fundamentalism (Recension de Law and The Modern Mind de Jerome Frank (1931) 15 : 6 Minn L Rev 729 à la p 729) — cet ouvrage décapant qui provoqua de multiples réactions prêtait assez largement flanc à la critique. Charles T McCormick, par exemple, écrit :
[T]o the reviewer the picture seems distorted by an over-emphasis upon the uncertainty of the outcome of cases in appellate courts, and a discounting of the vast range of rules which are reasonably certain and predictable in their operation and which, in consequence, seldom give occasion for court-house controversy. In North Carolina, a lawyer can tell his client rather exactly what will happen if he sues to enforce specifically an oral contract for the sale of land, or the amount of liability upon a forged note. It is their very certainty that makes such doctrines rarely important in court, but it does not follow that they are equally unimportant as guides to conduct
Recension de Law and the Modern Mind de Jerome Frank (1930-31) 9 : 3 NCL Rev 338 à la p 341Henry Rottschaefer faisait remarquer dans une autre recension : The most glaring instance of overemphasis is his assumption that, because complete predictability is impossible, therefore no practical degree of it is either realizable or desirable; here, overemphasis has resulted in defective analysis (Recension de Law and the Modern Mind de Jerome Frank (1931) 44 : 3 Harv L Rev 481 à la p 484).
-
[195]
Benjamin N Cardozo, The Nature of the Judicial Process, New Haven, Yale University Press, 1921.
-
[196]
Dans Southern Pacific Co v Jensen, le juge Holmes écrivait en dissidence, dans un passage resté célèbre : I recognize without hesitation that judges do and must legislate, but they can do so only interstitially; they are confined from molar to molecular motions. A common-law judge could not say I think the doctrine of consideration a bit of historical nonsense and shall not enforce it in my court (244 US 205 à la p 221 (1917)).
-
[197]
Dans Burnet v Colorado Oil & Gas Co, le juge Brandeis écrivait en dissidence, dans un autre passage resté célèbre :
Stare decisis is usually the wise policy, because in most matters it is more important that the applicable rule of law be settled than that it be settled right. [...] But in cases involving the Federal Constitution, where correction through legislative action is practically impossible, this Court has often overruled its earlier decisions. The Court bows to the lessons of experience and the force of better reasoning, recognizing that the process of trial and error, so fruitful in the physical sciences, is appropriate also in the judicial function
285 US 393 aux pp 406-08, 76 L Ed 815 -
[198]
Voir notamment Llewellyn, Deciding Appeals, supra note 12.
-
[199]
Voir KN Llewellyn et E Adamson Hoebel, The Cheyenne Way: Conflict and Case Law in Primitive Jurisprudence, Norman, University of Oklahoma Press, 1941.
-
[200]
Voir KN Llewellyn, « The Normative, the Legal, and the Law-Jobs: The Problem of Juristic Method » (1940) 49 : 8 Yale LJ 1355. Dans cet article, Llewellyn jette les fondements d’une méthode de sociologie du droit.
-
[201]
Cette distinction pourrait lui être disputée par le doyen Roscoe Pound de l’Université Harvard, mais l’un et l’autre ont longtemps travaillé de concert : sur cette collaboration, voir NEH Hull, Roscoe Pound and Karl Llewellyn: Searching for an American Jurisprudence, Chicago, University of Chicago Press, 1997, dont le chapitre V est particulièrement stimulant. Sur l’ensemble de l’oeuvre, étonnamment variée, de Llewellyn, l’ouvrage de William Twining regorge de précieux renseignements (Karl Llewellyn and the Realist Movement, 2e éd, Cambridge (Mass), Cambridge University Press, 2012). Les années passées par Llewellyn en Allemagne expliquent peut-être pourquoi sa prose est souvent difficile d’accès. Aussi l’ouvrage de Twining fournit-il une boussole commode aux lecteurs de Llewellyn.
-
[202]
Il contient 565 pages avec tables et index (Llewellyn, Deciding Appeals, supra note 12).
-
[203]
Ibid à la p 189 (le mot a plusieurs sens).
-
[204]
Ibid à la p 220, n 214.
-
[205]
Ibid à la p 18, n 11a.
-
[206]
Ibid à la p 388, n 355.
-
[207]
Ibid à la p 384.
-
[208]
McCormick, supra note 194; Rottschaefer, supra note 194. Commentant la démonstration offerte par Frank, Llewellyn, écrit : He is concerned with showing that the rules of law do not dictate outcome by way of formal logic. The gatherings [les extraits cités par Frank] make clear, I think, that they do not, always. Such gatherings cannot, of course, support a conclusion that they do not, ever [emphase dans l’original] (Llewelly, Deciding Appeals, supra note 12 à la p 104, n 135).
-
[209]
Llewellyn annonce d’emblée : I am dealing throughout this particular study with predictability of the outcome in life of one particular phase of litigation, to wit, appeals (ibid à la p 17).
-
[210]
Il est difficile de traduire ce terme. Il faudrait forger un mot en français pour y arriver : « estimabilité », « mesurabilité » ou « appréciabilité ».
-
[211]
Llewellyn, ibid à la p 18.
-
[212]
Ibid.
-
[213]
Ibid aux pp 24-25. L’expression un-“foredoomed” cases renvoie à une remarque de Cardozo dans The Nature of the Judicial Process (supra note 195 à la p 164). Lewellyn explique, dans une note que je ne reproduis pas ici, qu’il faut entendre par foredoomed ces affaires, 70 % de celles entendues en appel, où un jugement est rendu without opinion, apparemment parce qu’il se passe d’explication (ibid à la p 25, n 16).
-
[214]
Endicott, Vagueness in Law, supra note 162 aux pp 72-74.
-
[215]
Llewellyn, Deciding Appeals, supra note 12 à la p 237. Twining qualifie ce thème récurrent de « central » dans la pensée de Llewellyn et le reprend comme suit :
A faith in doctrine as productive of certainty is misplaced, first because absolute certainty is an unattainable ideal and secondly because no case merits an appeal unless a technically good doctrinal argument can be put forward by each side, and when this is done doctrine alone cannot decide the matter. In nearly all such cases at least one lawyer is shown to have been ‘wrong’ about ‘the law’ [...] [emphase dans l’original]
supra note 201 à la p 205 -
[216]
Cardozo, supra note 195 aux pp 163-67. Cardozo indiquait notamment la chose suivante : Of the cases that come before the court in which I sit, a majority, I think, could not, with semblance of reason, be decided in any way but one. The law and its application alike are plain. Such cases are predestined, so to speak, to affirmance without opinion (ibid à la p 164).
-
[217]
Llewellyn, Deciding Appeals, supra note 12 à la p 189.
-
[218]
Ibid à la p 189.
-
[219]
Ibid aux pp 190-91.
-
[220]
Voir texte correspondant aux notes 200-01, 203, 207.
-
[221]
Llewellyn, Deciding Appeals, supra note 12 à la p 18.
-
[222]
Ibid à la p 237.
-
[223]
Je pense ici, par exemple, et m’en tenant au droit québécois, au principe de proportionnalité, à la gestion d’instance, à la nécessité dans beaucoup de cas d’obtenir une permission d’appeler, aux requêtes en rejet in limine litis en première instance comme en appel et à l’encadrement préventif des plaideurs quérulents.
-
[224]
Voir par exemple Hôpital Notre-Dame c Patry (1974), [1975] 2 RCS 388, [1976] 10 NR 575; Shell Canada c Travailleurs unis du pétrole, [1980] 2 RCS 181, 114 DLR (3e) 328. « Spectaculaire » est une affaire de degré. Dans ces deux derniers arrêts, la Cour suprême écartait une jurisprudence constante d’une cour d’appel étalée sur de nombreuses années. Dans un arrêt comme Miglin c Miglin (2003 CSC 24, [2003] 1 RCS 303), elle innove, mais en accord avec la cour d’appel.
-
[225]
Il écrivait :
[M]uch of this paper will be concerned [...] with [...] the optimum and essential conditions for the functioning of adjudication. This whole analysis will derive from one simple proposition, namely, that the distinguishing characteristic of adjudication lies in the fact that it confers on the affected party a peculiar form of participation in the decision, that of presenting proofs and reasoned arguments for a decision in his favor. Whatever heightens the significance of this participation lifts adjudication toward its optimum expression. Whatever destroys the meaning of that participation destroys the integrity of adjudication itself. Thus, participation through reasoned argument loses its meaning if the arbiter of the dispute is inaccessible to reason because he is insane, has been bribed, or is hopelessly prejudiced. The purpose of this paper is to trace out the somewhat less obvious implications of the proposition that the distinguishing feature of adjudication lies in the mode of participation which it accords to the party affected by the decision
Lon L Fuller, « The Forms and Limits of Adjudication » (1978) 92 : 2 Harv L Rev 353 à la p 364 -
[226]
Nicos Stavropoulos explique succinctement le sens de cette thèse :
Hart famously thought that the law is partly indeterminate.
[...]
He thinks that law is indeterminate, because both the rules law consists in and concepts including the concept of law are indeterminate. Hart treats both sources of indeterminacy as identical because he reduces both to an underlying problem of classification. Both rules on the one hand and expressions and concepts on the other have extensions or ranges of application. Indeterminacy consists in there being no fact of the matter as to whether an expression or a rule is applicable to certain things [notes omises, emphase dans l’original]
« Hart’s Semantics » dans Jules Coleman, dir, Hart’s Postscript: Essays on the Postscript to The Concept of Law, Oxford, Oxford University Press, 2001, 59 aux pp 88-90 -
[227]
H L A Hart, The Concept of Law, 2e éd, Oxford, Oxford University Press, 1994. La première édition date de 1961 (The Concept of Law, Londres (R-U), Oxford University Press, 1961) et il existe une traduction française (Le concept de droit, 2e éd, traduit par Michel van de Kerchove, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 2005).
-
[228]
Supposons une situation où deux parents en instance de divorce réclament l’un et l’autre la garde exclusive de leurs deux enfants, qu’ils habitent en des lieux très éloignés l’un de l’autre et que tous deux ont d’excellentes et identiques capacités parentales; un tirage pourrait présenter de nets avantages. Voir Neil Duxbury, Random Justice: On Lotteries and Legal Decision-Making, Oxford, Oxford University Press, 1999 à la p 91 et s. Il écrit notamment la chose suivante : I also argue there that the merits of deciding child custody disputes randomly are not insignificant and that resistance to the idea is indicative of what I termed [...] attraction to reason (ibid à la p 93).
-
[229]
Ibid.
-
[230]
Ibid aux pp 114-16.
-
[231]
Ibid aux pp 158-73.
-
[232]
La question est posée en ces termes au début de l’ouvrage :
The process of legal decision-making is generally, if often only implicitly, considered to be more important than the quality of decisions reached; and so a highly contentious legal decision furnished with reasons is likely to meet with greater approval than would a genuinely impartial (and, in consequentialist terms, welcome) decision arrived at by lot. Why should this be so?
ibid à la p 14 -
[233]
Ce que l’on peut illustrer par le passage suivant :
The fact of the matter is that many hard cases centre upon disputes and issues that cannot satisfactorily be formulated as problems suitable for resolution through random selection. Consider, for example, the case of The Regents of the University of California v. Allan Bakke. If a lottery had been used in this case, precisely what would it have decided? Whether or not Bakke should have been admitted to the University of California at Davis medical school? Whether or not the University’s race-discrimination policy was constitutional? Whether or not the policy contravened Title VI of the Civil Rights Act? Whether or not race is a factor which can be taken into account in admissions decisions? If a lottery had been used simply to determine whether or not Bakke should have been admitted to the medical school, most of the key issues raised by the case would have remained unanswered. Yet if lotteries had been used to tackle all of the key questions highlighted by the case, an incoherent decision might have been produced [notes omises]
ibid aux pp 169-70 -
[234]
Sur cette controverse théorique qui a fait long feu, je me contenterai d’une seule référence, récente, et qui résume très bien mon propre sentiment : Paul Amselek, Cheminements philosophiques dans le monde du droit et des règles en général, Paris, Armand Colin, 2012 aux pp 515-30.
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[235]
Encore que, même en génie civil, tout n’est pas toujours inexorablement évident lorsqu’on affronte les faits. Voir notamment Canadian Industrial Risks Insurers Tembec c Texel Geomenbrane, 2004 QCCA 39124 (disponible sur CanLII); Layne Christensen Company c Forages LBM, 2009 QCCA 1514 (disponible sur CanLII); Clouâtre c Factory Mutual Insurance Company, 2011 QCCA 1690 (disponible sur CanLII). Le grand avantage d’un raisonnement arithmétique, c’est qu’il est vrai ou faux, qu’il fait erreur ou non, indépendamment des faits (sauf les inscriptions qui parfois servent à l’exprimer).
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[236]
Cette théorie souvent décriée n’en conserve pas moins d’éloquents partisans. Voir Allan Beever, « The Declaratory Theory of Law » (2013) 33 : 3 Oxford J Legal Stud 421.
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[237]
Sur cette approche ingénieuse pour une juridiction de haute allégeance civiliste, voir Boré et Boré, supra note 153 aux pp 715-18. La solution pragmatique du prospective overruling peut sembler manipulatrice à certains. Si tel est le cas, on doit lui préférer, à mon avis, la solution réaliste que proposait Lord Browne-Wilkinson, en dissidence, dans le remarquable arrêt Kleinwort Benson Ltd v Lincoln City Council (1998), [1999] 2 AC 349 HL (Eng) aux pp 357-58 (disponible sur QL).
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[238]
Voir RCI Environnement c Commission des transports du Québec, 2007 QCCA 666, [2007] RJQ 1152 aux para 89-92.
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[239]
Quand ce n’est pas « en faits et en droit ».
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[240]
On se rapproche alors, qu’on le veuille ou non, de ce que la jurisprudence appelle une « question polycentrique [c’est-à-dire qui] fait intervenir un grand nombre de considérations et d’intérêts entremêlés et interdépendants », comme la définit le juge Bastarache (Pushpanathan c Canada (MCI), [1998] 1 RCS 982 au para 36, 160 DLR (4e) 193), citant Peter Cane, An Introduction to Administrative Law, 3e éd, Oxford, Oxford University Press, 1996 à la p 35).
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[241]
[1996] 2 RCS 27 au para 49, 134 DLR (4e) 321.
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[242]
[1997] 1 RCS 1015 aux para 48, 58, 146 DLR (4e) 1.
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[243]
Au sens premier du terme, soit « [l’] impossibilité de parvenir à la certitude » (Trésor de la langue française, t 1, 1971, sub verbo « acatalepsie »).
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[244]
Llewellyn, Deciding Appeals, supra note 12 aux pp 24-25.
-
[245]
John A Jolowicz, « Appeal and Review in Comparative Law: Similarities, Differences and Purposes » (1986) 15 : 4 Melbourne UL Rev 618. Il s’agit de la Southey Memorial Lecture prononcée le 15 août 1986.
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[246]
Ibid aux pp 633-34.
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[247]
Voir Rapport annuel, supra note 122.
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[248]
Une autre manière de poser la question, en utilisant les termes de Jolowicz (supra note 245 à la p 634) serait de demander : le système tel qu’il est ainsi configuré encourage-t-il les juges au plus haut niveau de la hiérarchie judiciaire à donner libre cours à leur humanitarian but misplaced desire to do justice to the parties, un peu comme des cadis?
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[249]
La question ainsi posée ne saurait appeler une réponse affirmative et sans nuance au Canada. Voir R c Hinse [1995] 4 RCS 597, 130 DLR (4e) 54; R c Hinse, [1997] 1 RCS 3, 207 NR 74.
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[250]
À ce sujet, Guinchard, Chainais et Ferrand écrivent :
L’article 786 va plus loin dans l’amoindrissement de l’oral que d’autres mesures, en limitant l’écoute des plaidoiries à un seul juge qui en fera rapport à ses collègues. En effet, ce texte permet de tenir l’audience des plaidoiries devant le [juge dès la mise en état] ou le juge chargé du rapport, à condition que les avocats ne s’y opposent pas. On voit mal en pratique comment ils pourraient s’y opposer
supra note 113 au para 1879 -
[251]
Le juge Côté de la Cour d’appel de l’Alberta en donne une brève description (JE Côté, « The Oral Judgment Practice in the Canadian Appellate Courts » (2003) 5 : 2 J App Pr & Pro 435).
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[252]
Voir William H Rehnquist, « From Webster to Word-Processing: The Ascendance of the Appellate Brief » (1999) 1 : 1 J App Pr & Pro 1; R Kirkland Cozine, « The Emergence of Written Appellate Briefs in the Nineteenth-Century United States » (1994) 38 : 4 Am J Legal Hist 482.
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[253]
Voici ce qu’en dit son biographe :
There are two schools of thought about whether judges should read the evidence beforehand. Denning was against it. As a judge he feared that if the papers were read before the hearing the judge might come to a conclusion before hearing counsel and that was not fair to counsel. Counsel should be able to put his case in his own way and persuade the judge without any predisposition on the part of the judge. He was critical of Lord Atkin who read the papers carefully beforehand and was ready to ask searching questions right from the start
Edmund Heward, Lord Denning: A Biography, 2e éd, Chichester (R-U), Barry Rose Law, 1997 à la p 80 -
[254]
Leabeater, supra note 28 à la p 32.
-
[255]
R-U, Final Report of the Committee on Supreme Court Practice and Procedure, Londres, Her Majesty’s Stationery Office, 1953 aux para 570-75.
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[256]
Leabeater, supra note 28 à la p 31.
-
[257]
Drewry, Blom-Cooper et Blake indiquent ce qui suit :
There was an overwhelming case for changing the system. The Bar liked it for the very bad reason that it is easier to argue an appeal by this oral process, and the judges liked it because they did not have to prepare cases with any more than minimal advance reading. The expense of such indulgent practices fell either on private parties or on public funds where legal aid funded one or both of the parties
supra note 29 à la p 37 -
[258]
Voir Sir John Donaldson MR, « Practice Note (Court of Appeal: Skeleton Arguments) » (1983) 1 WLR 1055; Lord Donaldson of Lymington MR, « Practice Direction (Court of Appeal: Presentation of Argument) » (1989) 1 WLR 281; Court of Appeal, « Practice statement (Court of Appeal: Procedural Changes) » (1995) 1 WLR 1188 (les plans d’argumentation en question comportent un maximum de 10 pages, ou 15 si l’appel porte sur des faits); Court of Appeal, « Practice direction (Court of Appeal: Amended Procedure) » (1997) 1 WLR 1013; Court of Appeal, « Practice direction (Court of Appeal: Leave to Appeal and Skeleton Arguments) » (1999) 1 WLR 2.
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[259]
If the issues raised in a skeleton argument are not expressly or implicitly abandoned at the hearing, the usual view is that the judgment must deal with them (The Rt Hon Lady Justice Arden DBE, « Judgment writing: Are shorter judgments achievable? » (2012) 128 : 4 Law Q Rev 515 aux pp 515-16).
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[260]
Le lundi 26 mars de 10h12 à 11h41, le mardi 27 mars de 10h00 à 12h02 et le mercredi 28 mars de 10h19 à 11h50.
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[261]
567 US (2012).
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[262]
Re Employers’ Liability Policy Trigger Litigation, [2012] UKSC 14, [2012] 3 All ER 1161.
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[263]
Par exemple, le pourvoi dans le dossier Foster Wheeler (supra note 183), où le procès avait duré environ 360 jours entre le 9 septembre 2004 et le 15 septembre 2008, fut entendu en deux jours et demi en octobre 2010. Dans le dossier Wightman c Widdrington (Succession de) (2013 QCCA 1187, [2013] RJQ 1054), le plus long procès de l’histoire du Québec, qui s’est échelonné sur une période de 17 ans, le pourvoi à la Cour d’appel fut entendu en trois jours.
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[264]
48 % de tous les appels formés devant ces tribunaux en 2009 et en 2010, chiffre qui semble-t-il n’est pas nouveau et est stable. Voir Laural Hooper, Dean Miletich et Angelia Levy, Case Management Procedures in the Federal Courts of Appeals, 2e éd, Washington, Federal Judicial Center, 2011 à la p 38.
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[265]
Ainsi, voici la description de la pratique consacrée pour la United States Court of Appeals for the First Circuit (Maine, Massachussets, New Hampshire, Puerto Rico et Rhode Island) : The following types of cases are typically submitted on the briefs and referred to staff attorneys to prepare for nonargument disposition: pro se cases, bail appeals, recalcitrant witness matters, social security appeals, Anders brief cases, and cases in which all parties waive argument (ibid à la p 64). La référence est à l’arrêt Anders v California (386 US 738 (1967)), qui concerne la pratique à suivre lorsqu’un avocat souhaite cesser d’occuper en défense. La délégation de fonctions qui normalement seraient exercées par les juges ne fait évidemment pas l’unanimité. Voir Peneloppe Pether, « Sorcerers, Not Apprentices: How Judicial Clerks and Staff Attorneys Impoverish US Law » (2007) 39 Ariz St LJ 1. L’auteure de ce dernier article donne un compte rendu détaillé de la longue et vive controverse qui précéda l’adoption de la Règle 32.1 des Federal Rules of Appellate Procedure (États-Unis, United States Court of Appeals for the Federal Circuit Rules of Practice, r 32.1).
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[266]
Hooper, Miletich et Levy écrivent :
Judges have three basic options regarding how a decision of the court is provided to the public: (1) a signed published opinion; (2) a per curiam opinion; or (3) an unpublished nonprecedential opinion or order. National data show that during [year] 2010, 30,914 opinions or orders were filed in cases terminated on the merits after oral hearings or submissions on the briefs [...]. Of this total, 84% of the opinions or orders were unpublished. The percentage of unpublished opinions or orders ranges from 59.8% in the Seventh Circuit to 93% in the Fourth Circuit. Some of the variation in publication practices can be attributed to circuit culture, docket size, and whether an appeal was argued
supra note 264 à la p 30Sans doute doit-on y voir la démonstration que, devant ces tribunaux, ce que Llewellyn appelait the obnoxious but persistent body of appeals (Deciding Appeals, supra note 12 à la p 189) n’a cessé de croître depuis 1960. Il serait intéressant d’approfondir la question.
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[267]
Pascal, supra note 111, pensée 294.