Book NoteRecension

William E Conklin, Le savoir oublié de l’expérience des lois, traduit par Basil Kingstone Québec, Presses de l’Université Laval, 2011, pp 326. ISBN 978-2-7637-9176-0[Record]

  • Sourento Gambriani

Dans son étude approfondie du discours juridique de l’État moderne, William E. Conklin se penche sur la crise sous-jacente à la tradition analytique qui, malgré son caractère perturbant, est toujours subrepticement passée sous silence. Selon Conklin, la conception analytique du droit se heurte fondamentalement à une abstraction originelle quant au fondement de légitimation de l’ordre juridique. Sous ce point de vue, l’approche phénoménologique de Conklin vise à dépasser les limites posées par la tradition analytique dans la compréhension de l’ordre juridique. Il s’agit, dans cette perception analytique, de l’abstraction concernant la nature même du fondement de légitimation de l’ordre juridique qui, sans appartenir à la sphère du Da-sein (être-là), est mystérieusement attribué à un certain domaine abstrait tel que l’état de nature (Hobbes), une volonté pure (Kant) ou même une Grundnorme (Kelsen) du langage juridique. Dans cette perspective analytique, l’origine « légitimante » est toujours évoquée comme un fondement extérieur à l’ordre juridique, et du même coup, pensée comme étant inaccessible, transcendante, sans figure et invisible. Tout se passe comme si, pour maintenir l’image de l’autorité « autorisante », le créateur ultime des lois devait se retirer de l’ordre juridique comme la cause de toutes les causes, intemporelle et sans ouverture au monde réel. En effet, comme l’explique Conklin, bien plus que par une autorité découlant de l’auteur des lois comme auteur-ité d’un roi, c’est par sa transcendance et son inaccessibilité que l’origine « légitimante » maintient sa force contraignante. À cet égard, la question se pose : comment se fait-il que l’origine « autorisante » de l’ordre juridique reste indéterminée? C’est une problématique qui est conçue dans la tradition analytique comme étant hors de la cible humaine et à laquelle Derrida réagit comme étant « un spectre sans corps et sans âme ». Or, pour Conklin, puisque nous vivons cette autorité, il doit y avoir un moyen de la déterminer. La question devient donc : comment déterminer l’indéterminé? Dans les pas de Lon Fuller, et inspiré par Husserl et Saussure, la démarche de Conklin consiste à penser le droit dans son rapport avec le monde phénoménal, c’est-à-dire à le définir comme un langage. Il s’agit de caractériser le mode d’être du droit selon le rapport signifiant-signifié du phénomène linguistique de telle sorte que le droit ne soit rien d’autre qu’un langage. Effectivement, cette nouvelle caractérisation du sens du langage juridique permet à Conklin de dépasser la passivité dissimulée dans la conception analytique qui cherche le sens de l’énoncé juridique du côté du signifié. Autrement dit, si dans la perspective d’un Vicomte Haldane les textes juridiques sont tenus pour des faits dotés d’un caractère objectif dont l’interprétation est déterminée par la législature, la lecture de Conklin vise à exposer dans quelle mesure les vécus et les attentes du lecteur introduisent du sens à chaque mot dans des expressions telles que « la paix, l'ordre et le bon gouvernement ». De ce point de vue, lorsque l’expert juridique cherche à placer les coordonnées des faits sous des catégories dites « objectives », il ne le fait qu’au prix de ce que Conklin appelle « la dissimulation des sujets vivants ». Cette interprétation analytique donne lieu à une double abstraction des sujets. Non seulement l’expert se borne à une interprétation « objectivante » des faits pour se tenir au cadre de la constellation des signes juridiques autorisés, mais qui plus est, le monde en première personne de la victime se trouve réduit à un monde foncièrement impersonnel. Plus précisément, comme Conklin le met en évidence à plusieurs reprises, le discours juridique moderne ne peut pas échapper à une double abstraction corrélative …

Appendices