McGill Law Journal
Revue de droit de McGill
Volume 58, Number 2, December 2012
Table of contents (8 articles)
Special section / Section spéciale
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Occupy, indignados, et le Printemps Érable : vers un agenda de recherche
Daniel Weinstock
pp. 243–262
AbstractFR:
Les mobilisations populaires dont ont été témoins plusieurs sociétés occidentales soulèvent de nombreuses questions de philosophie politique et juridique que les chercheurs de ces disciplines devront s’approprier s’ils veulent contribuer de manière utile au débat social que nous imposent les protagonistes du mouvement Occupy, les Indignados, ou encore les citoyens qui sont descendus dans la rue au Québec au moment du Printemps Érable. Les questions les plus urgentes nous semblent être les suivantes : les manifestations et protestations publiques font-elles une entorse à la démocratie en ne passant pas par les institutions formelles, ou bien devraient-elles, à certaines conditions, être perçues comme faisant partie de la vie démocratique? Deuxièmement, quelle est l’extension de la notion de « grève »? S’agit-il d’un non-sens pour une association étudiante de prétendre qu’elle peut, au même titre qu’un syndicat de travailleurs, se prévaloir de cet outil de pression? Troisièmement, quelles sont les conditions qui rendent légitime dans le contexte d’une démocratie libérale le recours à la désobéissance civile? Enfin, la conception de la propriété privée, centrale aux sociétés occidentales modernes, exclut-elle que même la propriété privée puisse avoir des fonctions sociales, en vertu desquelles cette institution tirerait peut-être même sa justification?
EN:
Protests and demonstrations witnessed by many Western societies raise a number of questions of political and legal philosophy that researchers in these disciplines will need to take up if they want to make a useful contribution to the social debate that was imposed by the protagonists of the Occupy movement, the Indignados, or the citizens who took to the streets in Quebec at the time of Printemps érable. The most pressing issues seem to be the following: Do demonstrations and public protests harm democracy by not passing through formal institutions, or should they, under certain conditions, be seen as part of the democratic life? Second, what is the extent of the notion of a “strike”? Is it nonsense for a student association to claim that it can, just as a union of workers, take advantage of this pressure tactic? Third, what are the conditions that make it legitimate, in the context of a liberal democracy, to use civil disobedience? Finally, does the concept of private property, central to modern Western societies, exclude the possibility that even private property may have social functions, which may be this institution’s underlying justification?
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Common Ownership and Equality of Autonomy
Anna di Robilant
pp. 263–320
AbstractEN:
In recent years, common ownership has enjoyed unprecedented favour among policy-makers and citizens in the United States, Canada, and Europe. Conservation land trusts, affordable-housing co-operatives, community gardens, and neighbourhood-managed parks are spreading throughout major cities. Normatively, these common-ownership regimes are seen as yielding a variety of benefits, such as a communitarian ethos in the efficient use of scarce resources, or greater freedom to interact and create in new ways. The design of common-ownership regimes, however, requires difficult trade-offs. Most importantly, successful achievement of the goals of common-ownership regimes requires the limitation of individual co-owners’ ability to freely use the common resource, as well as to exit the common-ownership arrangement.
This article makes two contributions. First, at the normative level, it argues that common ownership has the potential to help foster greater “equality of autonomy”. By “equality of autonomy”, I mean more equitable access to the material and relational means that allow individuals to be autonomous. Second, at the level of design, this article argues that the difficult trade-offs of common-ownership regimes should be dealt with by grounding the commitment to equality of autonomy in the context of specific resources. In some cases, this resource-specific design helps to minimize or avoid difficult trade-offs. In hard cases, where trade-offs cannot be avoided, this article offers arguments for privileging greater equality of autonomy over full negative freedom.
FR:
Au cours de ces dernières années, la propriété commune a joui d’un avantage sans précédent auprès des décideurs politiques et des citoyens des États-Unis, du Canada et d’Europe. Le nombre de fiducies de préservation de terrains, de logements abordables, de coopératives, de jardins communaux et de parcs gérés par des quartiers est en croissance dans toutes les grandes villes. D’un point de vue normatif, ces régimes de propriétés communes impliquent de nombreux bénéfices, comme l’esprit communautaire de l’utilisation efficace de ressources peu abondantes, ou la plus grande liberté d’interagir et de créer de façons nouvelles. La conception du régime de propriété commune, cependant, demande des compromis difficiles. Plus important encore, pour atteindre avec succès les objectifs des régimes de propriété commune, il faut limiter la capacité des copropriétaires individuels à utiliser la ressource commune librement ainsi que celle de sortir de l’arrangement de propriété commune.
Cet article a deux rôles. Premièrement, au niveau normatif, il présente l’argument que la propriété commune a le potentiel d’encourager une plus grande « égalité d’autonomie ». Par « égalité d’autonomie », je veux dire un accès plus équitable aux moyens relationnels et matériels qui permettent à un individu d’être autonome. Deuxièmement, au niveau de la conception, cet article avance que les compromis difficiles des régimes de propriété commune devraient être gérés en renforçant l’engagement à l’égalité d’autonomie dans le contexte de ressources spécifiques. Dans certains cas, cette conception contextuelle pour les ressources spécifiques aide à minimiser ou éviter de durs compromis. Dans les cas difficiles où les compromis ne peuvent être évités, cet article offre des arguments pour privilégier une plus grande égalité d’autonomie plutôt que des libertés négatives complètes.
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Eco-terrorists Facing Armageddon: The Defence of Necessity and Legal Normativity in the Context of Environmental Crisis
Hugo Tremblay
pp. 321–364
AbstractEN:
The invocation of necessity as a defence for acts of civil disobedience has raised questions about the rule of law and legal certainty. The rise of radical environmental activism in the context of climate change warrants an inquiry into the scope and limitations of the defence in Canada. This paper argues that the defence of necessity significantly increases legal flexibility in Canadian environmental law. To some extent, the defence may thus enhance the law’s resilience to socio-ecological changes. However, the defence could also render the law flexible to such an extent that positive norms might lose their prescriptive value in certain circumstances. In particular, as the link connecting human activity, climate change, and consequent damage to the environment becomes clearer, there is a greater likelihood of environmental activists successfully invoking necessity to defend illegal acts aimed at curbing environmental degradation. In other words, necessity may offer a defence against the enforcement of legal frameworks de facto authorizing catastrophic environmental destruction. The prescriptive value of those legal frameworks could be critically diminished, and the resilience of the law as a normative framework may be threatened.
FR:
L’invocation de la nécessité comme défense excusant des actes de désobéissance civile soulève des questions portant sur la primauté du droit et la sécurité juridique. L’émergence de l’activisme environnemental radical dans un contexte de réchauffement planétaire justifie de s’interroger quant à la portée et aux limites de la défense de nécessité au Canada. Cet article argumente que la défense accroît significativement la flexibilité du droit canadien en matière de gestion des ressources naturelles et de protection de l’environnement. La résilience du droit face aux changements socio-écologiques en est a priori renforcée. Toutefois, la défense peut aussi rendre la loi flexible à un point tel que des règles contraignantes perdent leur valeur normative dans certaines circonstances. Ainsi, la démonstration d’un lien entre l’activité humaine, les changements climatiques et les dommages qui en découlent peut augmenter les chances d’invoquer la nécessité avec succès pour défendre des actes illégaux qui visent à empêcher la dégradation de l’environnement. En d’autres termes, la nécessité pourrait offrir une défense permettant de contrer l’application de cadres légaux qui autorisent de facto la destruction catastrophique de l’environnement. Si tel était le cas, la valeur normative du droit de l’environnement serait fortement réduite, et sa résilience comme cadre normatif serait menacée.
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Private Rights to Public Property: The Evolution of Common Property in Canada
Sarah E. Hamill
pp. 365–403
AbstractEN:
This article uses the recent Occupy litigation of Batty v. City of Toronto to argue that Canadian courts no longer have a robust understanding of common property and its attendant rights. The lack of judicial understanding of common property is hardly surprising given property theory’s focus on private property, particularly individual private property. This article argues that rather than use the traditional analogy of governments holding common property in trust for the public, Batty relies on an analogy of common property which treats the government as an owner. The emergence of the latter understanding of common property can be traced to Supreme Court jurisprudence from the early 1990s. Although the government-as-owner analogy of common property was introduced in a concurring judgment, more recent Supreme Court decisions have since reiterated the analogy. Such an understanding of common property is a clear attempt to force all property into a private property model and emphasize the rights of owners above all other rights in property. This article argues that the government-as-owner analogy is problematic given its emphasis on the government’s use of property rather than the public’s benefit from common property and calls for a return to the trust analogy of common property.
FR:
En s’appuyant sur le récent litige « Occupy » dans l’affaire Batty c City of Toronto (Batty), cet article montre que le judiciaire canadien n’a plus de compréhension solide des biens communs, ni des droits qui y sont associés. Ce manque de compréhension judiciaire en matière de biens communs est à peine surprenant compte tenu la focalisation de la théorie sur la propriété privée, et particulièrement la propriété privée individuelle. Cet article soutient qu’au lieu d’utiliser l’analogie traditionnelle, selon laquelle le gouvernement détient les biens communs en fiducie pour le public, Batty se fonde sur une analogie qui considère le gouvernement comme propriétaire. L’émergence de cette dernière compréhension des biens communs peut être retracée à la jurisprudence de la Cour Suprême du début des années 1990. Bien que l’analogie gouvernement comme propriétaire ait été introduite par un jugement concurrent, des décisions plus récentes de la Cour Suprême l’ont réitérée. Une telle compréhension de la propriété est une tentative évidente de forcer tout le droit des biens dans un modèle de propriété privée, et d’accentuer les droits des propriétaires par-dessus tous les autres droits reliés à la propriété. Cet article soutient que l’analogie gouvernement comme propriétaire est problématique puisqu’elle met l’accent sur l’usage que fait le gouvernement des biens communs, et non les bienfaits publics qui en ressortent. L’article appelle ainsi à un retour à l’analogie fiduciaire des biens communs.
Articles
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Le champ d’application de l’article XX(A) du GATT et le travail dangereux des enfants : une question relevant de la moralité publique
Francisco F. Villanueva
pp. 407–449
AbstractFR:
Le présent article s’insère dans le cadre de la discussion quant à la possibilité d’identifier une clause sociale implicite dans le texte de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). La reconnaissance d’une telle clause permettrait éventuellement aux États membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) d’avoir recours aux exceptions prévues par l’article XX du GATT afin d’adopter des mesures commerciales restrictives à l’encontre des pays tenus responsables des transgressions des droits fondamentaux des travailleurs, parmi lesquels se trouve la protection des enfants contre le travail dangereux. L’analyse effectuée au cours de cet article s’attardera sur l’exception de l’article XX(a), qui concerne la protection de la moralité publique du pays importateur. Plus précisément, ce texte tentera de démontrer prima facie que l’exploitation des enfants par le travail, à l’occasion du processus de production des biens importés, porte atteinte à la moralité publique du pays importateur. De ce fait, des mesures visant ces biens pourraient relever de l’application de l’article XX(a) du GATT, sous réserve de satisfaire à la condition de nécessité de cette règle.
EN:
This article relates to the discussion taking place about the possibility of identifying an implicit social clause in the text of the General Agreement on Tariffs and Trade (GATT). The recognition of such a clause would eventually allow World Trade Organisation (WTO) member states to use the exceptions in article XX of the GATT to adopt restrictive trade measures against countries liable for breaches of fundamental workers’ rights, including the right of children to be protected against hazardous work. The analysis in this article will focus on the exception under article XX(a) concerning the protection of the public morals of the importing country. Specifically, this article will attempt to demonstrate prima facie that the exploitation of child labourers during the production of imported goods undermines the public morality of the importing country and, therefore, that measures related to those goods could be justified under article XX(a) of the GATT, subject to satisfying the necessity condition of this rule.
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The Challenge of the Bad Man
Michael Plaxton
pp. 451–480
AbstractEN:
H.L.A. Hart’s insight, that some people may be guided by an offence provision because they take it as authoritative and not merely to avoid sanctions, has had an enormous influence upon criminal law theory. Hart, however, did not claim that any person in any actual legal order in fact thinks like the “puzzled man”, and there is lingering doubt as to the extent to which we should place him at the center of our analysis as we try to make sense of moral problems in the criminal law. Instead, we might find that our understanding of at least some issues in criminal law theory is advanced when we look through the eyes of Holmes’ “bad man”. This becomes clear when we consider the respective works by Hart and Douglas Husak on overcriminalization, James Chalmers and Fiona Leverick’s recent discussion of fair labeling, and Meir Dan-Cohen’s classic analysis of acoustic separation. These works also suggest, in different ways, that an emphasis on the bad man can expose the role of discretion in criminal justice systems, and the rule of law problems it generates.
FR:
La suggestion de H.L.A. Hart que certaines personnes obéissent à une disposition pénale car ils la considèrent comme une source d’autorité, plutôt que pour simplement éviter des sanctions, a eu une énorme influence sur la théorie du droit pénal. Cependant, Hart n’a pas prétendu que, dans les faits, toute personne dans n’importe quel ordre juridique réel pense comme « l’homme perplexe » et il existe des doutes persistants quant à la mesure dans laquelle nous devrions le placer au centre de notre analyse alors que nous essayons de donner un sens à des problèmes moraux au sein du droit pénal. Plutôt, nous pourrions découvrir que notre compréhension d’au moins quelques questions de théorie du droit pénal est améliorée lorsque nous regardons à travers les yeux de l’« homme mauvais » de Holmes. Cela devient évident lorsque l'on considère les oeuvres respectifs de Hart et Doublas Husak sur la surcriminalisation, la discussion récente de James Chalmers et Fiona Leverick sur l’étiquetage équitable et l’analyse classique de Meir Dan-Cohen sur la séparation acoustique. Ces travaux suggèrent également, de différentes manières, qu’un accent sur l’homme mauvais peut exposer le rôle de la discrétion dans les systèmes de justice pénale, et les problèmes de primauté du droit qu’il génère.
Case Comment / Chronique de jurisprudence
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Dunsmuir’s Flaws Exposed: Recent Decisions on Standard of Review
Paul Daly
pp. 483–507
AbstractEN:
In Dunsmuir v. New Brunswick, the Supreme Court of Canada attempted to clarify and simplify Canadian judicial review doctrine. I argue that the Court got it badly wrong, as evidenced by four of its recent decisions.
The cases demonstrate that the new categorical approach is unworkable. A reviewing court cannot apply the categorical approach without reference to something like the much-maligned “pragmatic and functional” analysis factors. The categories regularly come into conflict, in that decisions could perfectly reasonably be assigned to more than one category. When conflict occurs, it must be resolved by reference to some factors external to the categorical approach.
The new, single standard of reasonableness is similarly unworkable without reference to external factors. Different types of decision attract different degrees of deference, on the basis of factors that are external to the elegant elucidation of reasonableness offered in Dunsmuir.
Clarification and simplicity have thus not been achieved.
FR:
Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, la Cour suprême du Canada a tenté de clarifier et simplifier la doctrine canadienne du contrôle judiciaire. J’avance que la Cour s’est trompée dans son analyse, comme le prouvent quatre de ses récentes décisions.
Ces affaires démontrent que la nouvelle approche de catégorisation ne fonctionne pas. Une cour de révision ne peut pas appliquer cette approche sans se référer à des outils semblables aux facteurs tant décriés de l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Les catégories entrent en conflit régulièrement, dans la mesure où des décisions peuvent raisonnablement être assignées à plus d’une catégorie. Quand un conflit se présente, il doit être résolu en se référant à des facteurs externes à l’approche de catégorisation.
Le nouveau standard de la décision raisonnable est également impraticable sans référence à des facteurs externes. Différents types de décisions attirent différents degrés de déférence, basés sur des facteurs externes à l’élégante élucidation de la norme de la décision raisonnable offerte par Dunsmuir.
Clarté et simplicité n’ont donc pas été atteintes.