Abstracts
Résumé
Au cours des vingt dernières années, les droits et libertés de la personne ont été mobilisés devant des institutions internationales, régionales et nationales afin de lutter sur le plan juridique contre des activités comportant des répercussions néfastes pour l’environnement et la santé et la sécurité humaines. S’inscrivant dans cette mouvance, le Québec a modifié la Charte des droits et libertés de la personne afin d’y inclure le droit à un environnement sain et respectueux de la biodiversité, « dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi ». Cet article a pour but de réfléchir sur le sens et la portée de ce droit, consacré dans le chapitre IV de la Charte, portant sur les droits économiques et sociaux. À la lumière de l’arrêt Gosselin c. Québec (Procureur général) de la Cour suprême — arrêt de principe sur la portée des droits socioéconomiques au Québec — ainsi que du droit régional et national comparé, les auteurs tenteront, dans une perspective prospective, de donner un sens et une portée sérieuse à cette disposition qui consacre non seulement un droit fondamental individuel, mais aussi un principe normatif à l’aune duquel les tribunaux peuvent donner une dimension environnementale à d’autres droits consacrés dans la Charte, y compris les droits à la vie, à la sécurité et à la liberté de la personne, à la vie privée, à la propriété et à l’égalité.
Abstract
Over the past twenty years, human rights and freedoms have been asserted before international, regional, and national institutions as part of a legal struggle against activities with harmful effects on the environment and on human health and safety. Within this social context, Quebec has modified its Charter of Human Rights and Freedoms to incorporate the right to a healthful environment in which biodiversity is preserved, “to the extent and according to the standards provided by law.” This article is a reflection on the meaning and ambit of this right, which is enshrined in Chapter IV, “Economic and Social Rights,” of the Charter. In light of the Supreme Court’s decision in Gosselin v. Quebec (Attorney General)—the leading case on the extent of socioeconomic rights in Quebec—and of comparative regional and national law, the authors, adopting a forward-looking perspective, attempt to give meaning and a serious ambit to this provision, which establishes not only a fundamental individual right but also a normative principle with which courts can add an environmental dimension to other rights enshrined in the Charter, including the rights to life, personal security and freedom, privacy, property, and equality.
Article body
Introduction
Les rapports étroits entre la dégradation de l’environnement, d’une part, et la santé et le bien-être des humains, d’autre part, sont aujourd’hui largement reconnus. De la catastrophe de Bhopal aux accidents nucléaires de Tchernobyl, Three Miles Island et Fukushima-Daiichi, en passant par l’émission accrue de substances toxiques, la réduction sans précédent de la biodiversité et les effets délétères des changements climatiques, il ressort clairement que les modes de production et de consommation des sociétés humaines, pourtant régulés par un nombre grandissant de lois et règlements voués à la protection de l’environnement, ont pour effet de compromettre la capacité de nombreuses personnes de vivre dans un environnement d’une qualité suffisante au maintien de la vie, de la santé et de la dignité humaines[1]. Dans un tel contexte, il ne faut pas s’étonner des emprunts de plus en plus fréquents à la grammaire des droits fondamentaux de la personne dans le but d’infléchir la conception dominante de la nature, des sources et des conséquences des problèmes environnementaux contemporains, une conception longtemps dominée par les paradigmes marginalisants des savoirs technoscientifiques[2].
De fait, depuis les deux dernières décennies, les droits fondamentaux de la personne ont été mobilisés à de nombreuses reprises devant des institutions internationales, régionales et nationales afin d’obtenir la sanction d’activités comportant des répercussions environnementales néfastes, susceptibles de porter atteinte à l’intégrité de la personne, voire, dans les cas les plus graves, à la vie[3]. La Cour européenne des droits de l’homme, de même que certains tribunaux nationaux, dont la Cour suprême de l’Inde, ont fait oeuvre de pionniers en ce domaine, en confirmant sans ambages les rapports entre la dégradation environnementale et plusieurs droits de la personne, tels les droits à la vie, à l’intégrité de la personne et à la vie privée[4]. La reconnaissance d’une « dimension écologique »[5] aux droits fondamentaux s’accompagne d’ailleurs de la consécration, dans le corpus constitutionnel de nombreux pays, d’un droit humain « à l’environnement »[6].
Le Québec n’a pas échappé à cette mouvance, tel qu’en témoigne l’adoption, dans la foulée de sa Loi sur le développement durable[7], de l’article 46.1 de la Charte des droits et libertés de la personne[8], lequel consacre le droit de toute personne, « dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité »[9]. Ce faisant, la province a érigé la protection de l’environnement au rang de droit et de valeur fondamentale, faisant ainsi écho à une jurisprudence abondante au même effet[10].
Dans la mesure où le droit à un environnement sain a été consacré dans le chapitre sur les droits économiques et sociaux de la Charte québécoise, la question de sa portée juridique se pose nécessairement. Lors de son entrée en vigueur, l’un des soussignés dénonçait d’ailleurs comme une « imposture » la prétention selon laquelle le législateur venait de consacrer un « droit » à un environnement sain dans la Charte québécoise[11]. En effet, dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Gosselin c. Québec (Procureur général)[12], bien qu’elle reconnut la justiciabilité des droits économiques et sociaux, la Cour ne leur donna aucune portée normative sérieuse. Elle ne précisa guère les obligations qu’imposent ces droits et limita la sanction de leur violation à un jugement déclaratoire, qu’elle ne prononça pas en l’espèce malgré la nette insuffisance des prestations prévues par la mesure législative contestée. Il fallait alors logiquement conclure, dans une perspective intrasystémique du droit, que les droits économiques et sociaux n’étaient pas, considérant l’état de la jurisprudence, de véritables « droits » fondamentaux de la personne appelant une sanction juridiquement contraignante[13].
Comme nous le verrons, l’interprétation des droits économiques et sociaux proposée par la Cour suprême du Canada n’est pas la seule qui soit raisonnable et plausible. D’abord, la Cour, dans Gosselin (CSC), s’est essentiellement appuyée sur une partie seulement du texte des droits économiques et sociaux — « dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi »[14] — considérée, à tort selon nous, comme vidant ces droits de tout contenu substantiel[15]. La Cour omettait ainsi de donner une réelle signification aux termes définissant l’obligation prévue par ces droits (notamment le « niveau de vie décent »). Dans la première partie de ce texte, nous nous efforcerons de donner un sens aux termes « environnement sain et respectueux de la biodiversité », utilisés non sans raison par le législateur à l’article 46.1 de la Charte québécoise. Nous discuterons ensuite de la portée autonome de cette disposition à la fois en tant que droit, ainsi que comme principe normatif. En effet, au-delà de leur caractérisation comme droits fondamentaux, il serait aussi possible, comme le soutient le professeur Dominique Roux[16], de considérer les droits économiques et sociaux comme des principes guidant les tribunaux dans l’interprétation des autres droits et libertés de la personne. Interprétés à l’aune du principe selon lequel toute personne a droit à un environnement sain et respectueux de la biodiversité, les autres droits et libertés de la personne consacrés dans la Charte québécoise sont ainsi susceptibles, tel que nous l’avancerons dans la seconde partie, de revêtir une dimension environnementale.
Combinant le droit constitutionnel et le droit de l’environnement, ce texte sera l’occasion, dans un premier temps, de réfléchir au sens et à la portée de l’article 46.1. Dans un deuxième temps, nous nous pencherons sur l’incidence potentielle de cette disposition sur l’interprétation libérale, favorable à la protection de l’environnement, des autres droits et libertés susceptibles de comporter une dimension écologique, en particulier les droits à la vie, à l’intégrité, à la liberté, à la vie privée, à la propriété, et à l’égalité. Puisque ces derniers, contrairement aux droits économiques et sociaux, bénéficient des mesures de sanction prévues tant par l’article 49 que par l’article 52 de la Charte québécoise en cas de violation par l’État, ils pourraient s’avérer être les vecteurs de constitutionnalisation d’un véritable droit à un environnement sain au Québec. Enfin, puisque les droits et libertés fondamentaux ont été peu mobilisés au Québec en matière environnementale, notre réflexion sera nécessairement prospective et comparée. En effet, dans la mesure où il est par ailleurs bien établi maintenant que le droit international, régional et national comparé constitue un outil d’interprétation pertinent du droit interne canadien, les tribunaux d’appel s’y référant abondamment, une place prépondérante sera donc accordée aux développements jurisprudentiels étrangers[17].
I. La nature et le contenu du droit à un environnement sain reconnu à l’article 46.1
Lors de l’adoption de principe du Projet de loi no 118 : Loi sur le développement durable[18], le ministre québécois de l’Environnement de l’époque, Thomas Mulcair, affirmait d’emblée l’importance de la reconnaissance d’un nouveau « droit » dans un document quasi constitutionnel comme la Charte québécoise :
[U]ne des choses les plus importantes que vous allez remarquer là-dedans, c’est qu’on hisse au rang d’un droit, au sein même de notre Charte des droits et libertés de la personne, le droit de vivre dans un environnement sain dans le respect des droits et règlements[19].
Nous pouvons déceler ici deux éléments qui pourraient compliquer la tâche des tribunaux dans l’interprétation de l’article 46.1. M. Mulcair insiste d’abord sur la place qu’occupe cette nouvelle disposition dans la hiérarchie des normes québécoises — elle est consacrée dans la Charte québécoise — et affirme qu’elle consacrera un « droit », tout en spécifiant ensuite que le champ d’application de ce dernier se situe à l’intérieur du cadre législatif existant en matière environnementale. Ce qui semble constituer une ambivalence, entre la consécration d’un droit fondamental véritable ou d’un énoncé déclaratoire non contraignant, se retrouve également dans le texte final de l’article 46.1 : « Toute personne a droit, dansla mesure et suivant les normes prévues par la loi, de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité » [nos italiques][20].
Il serait alors aisé pour les tribunaux québécois, sur la base d’une lecture superficielle du texte des droits économiques et sociaux[21], de conclure que tant par l’utilisation des termes « dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi » que par l’emplacement de cet article dans la Charte québécoise, le législateur a expressément réduit l’article 46.1 au rang d’énoncé politique déclaratoire. Selon ce raisonnement, la portée du droit de vivre dans un environnement sain serait exclusivement déterminée par le législateur et sa violation ne pourrait pas faire l’objet d’une sanction judiciaire. Par ailleurs, suivant cette perspective, ce droit n’ajouterait aucun droit supplémentaire à ce que prévoit déjà l’article 19.1 de la LQE[22], comme l’affirmaient plusieurs intervenants au débat entourant l’adoption de l’article 46.1[23]. Il s’agirait, tout au plus, d’un « droit » moral et symbolique reflétant l’importance que les Québécoises et les Québécois accordent à l’environnement[24].
Une interprétation aussi restrictive de l’article 46.1 ferait fi, cependant, de sa consécration dans un document aussi important que la Charte québécoise et omettrait de donner un sens aux termes « environnement sain et respectueux de la biodiversité ». Dans le contexte de l’interprétation des articles 40 et 45 de la Charte québécoise, les tribunaux ont en effet souvent donné un sens très limité à ces dispositions, en s’appuyant presque uniquement sur les termes « dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi », omettant ainsi d’interpréter les mots « instruction publique gratuite »[25] et « mesures [...] susceptibles [...] [d’]assurer un niveau de vie décent »[26], comme ce fut le cas dans l’arrêt Gosselin (CSC). Il s’impose donc d’abord de préciser, notamment à la lumière du droit comparé, le sens de l’article 46.1 et des termes « sain » et « respectueux de la biodiversité », qui qualifient l’étendue du droit à l’environnement protégé par la Chartequébécoise.
A. Le droit à un environnement « sain » et « respectueux de la biodiversité » : aspects substantiels et procéduraux
Le droit à l’environnement jouit d’un statut constitutionnel au sein de 147 juridictions nationales[27]. L’étendue de ce droit varie toutefois considérablement en fonction de l’objet précis des dispositions concernées. D’une part, certaines constitutions reconnaissent un droit substantiel à un environnement d’une certaine qualité ; d’autres juridictions ont plutôt choisi d’affirmer la responsabilité de l’État, voire des individus, eu égard à la protection de l’environnement, ou encore de consacrer des garanties de nature procédurale en matière environnementale[28]. D’autre part, la portée du droit à l’environnement est définie en fonction des multiples qualificatifs dont il est affublé. En effet, alors que certaines constitutions consacrent le droit à un environnement « sain », « salubre », « équilibré », « respectueux de la santé », ou « de qualité », d’autres réfèrent plutôt à un environnement « adéquat », « viable », « satisfaisant » ou « durable »[29]. De plus, certains textes constitutionnels renvoient aux notions de protection de la biodiversité et d’intégrité des écosystèmes[30].
Le droit protégé par l’article 46.1 doit ainsi être cerné à l’aune de la norme de qualité arrêtée par les termes « sain » et « respectueux de la biodiversité ». La notion d’environnement « sain », prise dans son seul sens commun, se rapporterait à la « santé »[31]. Ceci dit, la portée du droit à l’environnement reconnu par l’article 46.1 n’en est pas moins équivoque, selon que l’on envisage les rapports entre la dégradation environnementale et la santé humaine dans une perspective étroite ou généreuse. Interprété de façon restrictive, le droit à un environnement « sain » ne serait applicable que dans les circonstances où la dégradation de l’environne-ment engendrée par une activité humaine spécifique génère des répercussions délétères suffisamment sérieuses et immédiates sur la santé des personnes pour compromettre la jouissance de droits fondamentaux. Suivant cette perspective, le simple fait de vivre dans un environnement « pollué » ne saurait, à lui seul, être assimilé à une violation du droit à un environnement « sain »[32].
L’article 46.1, à l’instar des autres dispositions de la Charte québécoise, devrait néanmoins recevoir une interprétation large et libérale, favorable à la réalisation de son objet[33]. Dans cette optique, il devient possible d’affirmer, comme d’aucuns l’ont fait avant nous, que l’article 46.1 garantit le droit à un environnement qui est, en soi, favorable à la santé, à savoir un environnement exempt de substances nocives dans une quantité susceptible d’entraîner la détérioration de la biodiversité et des écosystèmes, sur lesquels reposent la vie et le bien-être des êtres humains[34]. Une telle interprétation serait d’autant plus justifiée que la Charte québécoise reconnaît non seulement le droit à un environnement « sain », mais de surcroît « respectueux de la biodiversité »[35]. L’article 46.1, ainsi interprété, exigerait que soient considérés, au-delà des effets immédiats de la dégradation environnementale sur la santé humaine, les effets cumulatifs et différés des activités anthropiques sur l’environnement et la santé, notamment ceux qui résultent de la pollution dite « diffuse » ou « chronique »[36]. À cet égard, il est d’ailleurs pertinent de noter que la notion de « santé » est aujourd’hui largement entendue, en matière de santé publique, d’un « état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une simple absence de maladie ou d’infirmité »[37].
Dans un autre ordre d’idées, une interprétation large et libérale du droit à un environnement « sain » et « respectueux de la biodiversité » serait conforme aux principes du développement durable énoncés à la Loi sur le développement durable, en particulier aux principes de protection et d’amélioration de la « santé et [de la] qualité de vie » et du principe de la « préservation de la biodiversité »[38]. Par ailleurs, compte tenu des difficultés considérables liées à l’établissement des liens de causalité entre une source particulière de dégradation environnementale et des problèmes spécifiques de santé, le « principe de précaution » permettrait de préconiser une interprétation favorable à la réalisation du droit à l’environne-ment dans les situations où le lien entre une pollution environnementale et le mal allégué fait l’objet de débats scientifiques[39].
Toujours dans la perspective du développement durable, il serait possible de faire découler du droit à un environnement « sain » et « respectueux de la biodiversité » des garanties de nature procédurale. De fait, tel que l’énonce l’article 6(e) de la Loi sur le développement durable, « la participation et l’engagement des citoyens et des groupes qui les représentent sont nécessaires pour définir une vision concertée du développement et assurer sa durabilité sur les plans environnemental, social et économique »[40]. Des principes similaires sont aussi consacrés par plusieurs instruments internationaux, dont la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement[41] et la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement[42]. Une participation réelle et effective des citoyens aux processus décisionnels susceptibles de compromettre la qualité de leur environnement, y compris l’accès à l’information environnementale et à des recours accessibles et efficaces, contribuerait à la réalisation substantielle du droit à un environnement « sain » et « respectueux de la biodiversité »[43]. Il est d’ailleurs pertinent de noter que la reconnaissance d’un droit de participation implicite au droit à l’environnement, garanti par l’article 46.1, suivrait le virage amorcé dans certains domaines du droit par la Cour suprême, qui a reconnu que l’équité du processus est un élément contribuant à l’effectivité des droits et libertés de la personne[44].
En somme, le droit à un environnement « sain » et « respectueux de la biodiversité » véhiculerait, dans sa forme la plus achevée, un vaste ensemble de normes dont la finalité consiste à protéger un environnement naturel favorable à la santé et à garantir la participation des citoyens aux processus décisionnels susceptibles de compromettre leurs droits environnementaux. À tout le moins, le contenu minimal de ce droit devrait inclure la protection des droits et libertés fondamentaux et les besoins essentiels susceptibles d’être affectés négativement par la dégradation environnementale, par exemple l’accès à une eau potable[45].
Cela étant, la portée réelle du droit à l’environnement reconnu par l’article 46.1 doit néanmoins être déterminée à la lumière de l’intensité des obligations qui incombent à l’État, celle-ci étant notamment modulée par les termes « dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi », ainsi que par le choix du législateur d’intégrer cette disposition au chapitre des droits économiques et sociaux de la Charte québécoise.
B. L’obligation positive de légiférer pour donner effet au droit à un environnement sain
Selon la majorité de la Cour suprême dans l’arrêt Gosselin (CSC), sous la plume de la juge en chef McLachlin, il ne fait aucun doute que les dispositions socioéconomiques contenues au chapitre IV de la Charte québécoise consacrent des « droit[s] »[46] ou des « norme[s] »[47] créant des droits positifs qui « obligent l’État à prendre des mesures pour [y] donner effet » [nos italiques][48], sans toutefois définir plus précisément l’obligation à laquelle le gouvernement se serait astreint. Les motifs de la majorité prêtent en effet à équivoque sur ce point important :
L’expression « susceptibles [d’]assurer un niveau de vie décent » [de l’article 45 de la Charte québécoise] sert à identifier les mesures qui constituent l’objet du droit, c’est-à-dire qu’elle précise le type de mesures que l’État est tenu d’offrir, mais elle ne peut être invoquée pour fonder l’examen du caractère adéquat de telles mesures [soulignement dans l’original ; nos italiques][49].
Autrement dit, à la lumière de « la rédaction et [de] la situation de l’art. 45 [et plus largement des droits économiques et sociaux] dans la Charte québécoise »[50], l’article 52 ne s’appliquant pas au chapitre IV, ainsi que de la jurisprudence québécoise antérieure[51], il n’appartient pas aux tribunaux, mais bien au législateur, de définir le contenu de cette disposition et l’obligation qui en découle. Les droits socioéconomiques ne sont pas « autonome[s] »[52] ou « indépendant[s] »[53] des mesures que le législateur déciderait d’adopter pour les mettre en oeuvre[54].
Il en résulte, selon la majorité de la Cour, que les tribunaux ne disposent pas du pouvoir de vérifier le caractère adéquat ou la suffisance de ces mesures législatives[55]. Conséquemment, estime le juge Bastarache dans ses motifs concordants, les tribunaux n’ont pas non plus le pouvoir de vérifier, dans un litige donné, si les droits économiques ont été violés[56]. Puisque ces droits sont de nature déclaratoire, il serait vain, selon ce dernier, de déterminer dans quelle mesure les politiques publiques contestées ne respectent pas leur contenu normatif[57].
La juge en chef McLachlin ne partage pas les motifs du juge Bastarache sur ce point. Ainsi, malgré l’inapplicabilité des articles 49 et 52 et sa conclusion selon laquelle les tribunaux ne peuvent se prononcer sur la pertinence des mesures socioéconomiques, la majorité de la Cour refuse l’idée selon laquelle ces articles seraient dépourvus de toute justiciabilité, ce qui rendrait leur respect complètement soustrait au contrôle des tribunaux. Selon la juge en chef McLachlin, il importe de reconnaître aux justiciables la faculté de saisir les tribunaux lorsqu’ils croient subir une violation de leurs droits socioéconomiques et de faire constater cette atteinte dans un jugement déclaratoire[58]. Il convient dès lors de se demander comment le magistrat pourra juger et surtout justifier sa conclusion selon laquelle l’article 45 a été violé, alors qu’il ne dispose pas de la légitimité, selon la Cour, pour évaluer le caractère approprié des programmes sociaux. Déclarer la violation d’un droit dont la matérialisation concrète nécessite une intervention législative revient en effet nécessairement à poser un jugement a posteriori sur les modalités de cette intervention. Malgré cette ambiguïté, les motifs de la majorité suggèrent en définitive que si les tribunaux n’ont pas le pouvoir d’invalider une loi dont les modalités sont jugées insuffisantes, ils disposent néanmoins du pouvoir de constater cette insuffisance dans un jugement déclaratoire[59].
En l’espèce, malgré la prestation mensuelle dérisoire que recevaient plusieurs assistés sociaux, la juge en chef McLachlin n’a constaté aucune violation de l’article 45, ni n’a-t-elle conséquemment eu recours au jugement déclaratoire comme sanction : « La Loi sur l’aide sociale comporte le type de “mesures […] prévues par la loi” que vise l’art. 45. Je conclus en l’espèce à l’absence de violation de l’art. 45 de la Charte québécoise » [italiques dans l’original][60]. Compte tenu de l’affirmation selon laquelle « les mesures adoptées doivent tendre à assurer un niveau de vie décent, mais n’ont pas à y parvenir » [nos italiques][61], la position de la Cour a de quoi étonner. Il faut donc en conclure que les droits économiques et sociaux impliquent au minimum l’obligation de mettre sur pied un cadre législatif pour les rendre effectifs, peu importe le contenu des mesures adoptées. Appliqué à l’article 46.1, ce raisonnement pourrait signifier que, par exemple, le défaut par l’État d’encadrer — notamment par voie réglementaire — l’émission de contaminants susceptibles d’engendrer une dégradation environnementale incompatible avec le maintien de la santé des êtres humains, des écosystèmes et de la biodiversité, constituerait une violation de l’article 46.1 qui pourrait être constatée dans un jugement déclaratoire[62].
L’arrêt Gosselin (CSC) représente ainsi un précédent dans la mesure où la majorité de la Cour a reconnu, de manière très limitée, la justiciabilité des droits économiques et sociaux. En effet, une obligation de légiférer pour donner effet à ces droits n’est pas d’une intensité très forte dans le spectre des obligations positives qu’imposent les droits économiques et sociaux. D’ailleurs, par l’adoption notamment de la LQE, on pourrait d’ores et déjà considérer que l’État québécois respecte, dans une certaine mesure, cette obligation quasi constitutionnelle[63]. Comme certains l’ont soutenu, une autre interprétation des droits économiques et sociaux est cependant possible, l’indétermination du texte de la Charte québécoise laissant une marge de manoeuvre suffisante aux tribunaux pour en donner une signification et une portée plus conformes à leur consécration dans un document de nature quasi constitutionnelle[64]. Les tribunaux devront donc s’employer à définir plus amplement le contenu de l’article 46.1 qui, comme nous l’avons avancé, devrait notamment protéger les citoyens contre les menaces sérieuses que posent diverses formes de pollution à la santé et à la sécurité humaines.
C. L’application de l’article 46.1 aux acteurs privés
L’un des aspects les plus intéressants du potentiel juridique de l’article 46.1 réside sans doute dans son application aux acteurs privés. Tous les droits prévus au chapitre IV de la Charte québécoise ne se limitent pas à imposer des obligations à l’État, certains visant d’abord les parties privées, comme les articles 39 (droit de l’enfant à la protection) et 48 (droit des personnes âgées d’être protégées contre l’exploitation)[65]. Les tribunaux ont défini le contenu normatif de ces droits[66] et ont même affirmé, au sujet de l’article 48, qu’il consacre un droit fondamental quasi constitutionnel[67].
Il pourrait, à notre avis, en aller de même de l’article 46.1. Certains pourraient objecter que cette disposition, contrairement aux articles 39 et 48, contient des termes limitatifs — « dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi » — qui en restreignent la portée[68]. Cela ferait fi cependant de la jurisprudence de la Cour d’appel du Québec qui a appliqué l’article 46 de la Charte québécoise dans les relations privées, malgré le fait qu’il soit libellé de manière très similaire à l’article 46.1 et qu’il fasse lui aussi référence à de potentielles limitations venant de la loi[69]. Il est ainsi permis de considérer que dans son rapport aux acteurs privés, l’article 46.1 consacre un droit quasi constitutionnel dont la violation, nous le verrons[70], est susceptible de sanction en vertu de l’article 49 de la Charte québécoise.
Au minimum, à défaut de constituer le fondement juridique premier de litiges opposant des parties privées, l’article 46.1 pourrait fort bien être mobilisé dans de tels contextes afin d’inciter les tribunaux à interpréter les règles de droit pertinentes de façon à promouvoir une protection accrue de l’environnement[71]. Ainsi appréhendé, le droit « à un environnement sain et respectueux de la biodiversité » n’en devient ni plus ni moins qu’un principe normatif.
D. Le droit à un environnement sain comme principe normatif
Si la jurisprudence canadienne permet actuellement d’affirmer que les droits économiques et sociaux imposent au minimum à l’État l’obligation de légiférer pour leur donner effet et qu’ils s’appliquent aux acteurs privés, le professeur Dominique Roux estime qu’on peut les qualifier de « principes normatifs »[72]. Selon Roux, la Cour suprême aurait effectivement « confirmé de manière implicite que la teneur de l’article 45 s’apparente davantage à celle d’un principe général du droit qu’à une règle de droit dont la normativité pourrait être sanctionnée directement par les tribunaux »[73]. Sur le plan juridique, ce type de principes quasi constitutionnels pourrait ainsi guider les tribunaux dans la recherche d’une solution à un litige, ce qui laisserait entrevoir leur « matérialisation dans le système juridique » [italiques dans l’original][74]. En effet, comme le souligne Roux :
[L]e principe acquiert sa normativité par le rôle joué à l’égard des règles juridiques ; c’est lui qui sous-tend de telles règles. […] En somme, les principes génèrent des normes juridiques qu’ils contribuent à fonder. Vus de cette manière, les principes concourent à l’élaboration, à l’interprétation, à l’application et à l’adaptation des normes juridiques[75].
Ronald Dworkin fait lui aussi cette distinction entre les règles juridiques et les principes, tous deux ayant un rôle et des effets différents. Selon ce dernier, les règles juridiques et les droits et obligations qu’elles créent sont exécutoires en elles-mêmes, de sorte que les conséquences qu’elles prévoient doivent être imposées lorsque survient une situation factuelle y correspondant[76]. Les principes formuleraient pour leur part des standards ou des objectifs socioéconomiques à atteindre dans le but d’assurer la protection d’intérêts fondamentaux ou de favoriser la justice[77], mais ne pourraient dicter à eux seuls la solution à un litige, c’est-à-dire en constituer la base juridique fondamentale[78]. En effet, malgré leur indéniable juridicité[79], les principes n’emportent cependant pas de conséquences autonomes directes et ne disposent donc pas de la même force normative que les règles juridiques à proprement parler[80]. Ils sont cependant utiles, en particulier dans les cas difficiles à trancher[81], à l’interprétation des règles juridiques et sont susceptibles de guider le juge dans la détermination d’une solution au litige en fonction des buts que ces principes fixent[82]. Par leur contribution à l’interprétation, voire à la création des règles juridiques, les principes participent ainsi à la normativité du droit[83], comme le soulignait le juge en chef Lamer à propos des principes contenus aux préambules des documents constitutionnels :
Pour reprendre les propos du juge Rand, le préambule énonce [traduction] « la thèse politique que la Loi exprime ». Il reconnaît et confirme les principes fondamentaux qui sont à la source même des dispositions substantielles de la Loi constitutionnelle de 1867. Comme je l’ai dit précédemment, ces dispositions ne font qu’établir ces principes structurels dans l’appareil institutionnel qu’elles créent ou envisagent. En tant que tel, le préambule est non seulement une clef permettant d’interpréter les dispositions expresses de la Loi constitutionnelle de 1867, mais également une invitation à utiliser ces principes structurels pour combler les lacunes des termes exprès du texte constitutionnel [notes omises][84].
En tant que principe normatif, l’article 46.1 disposerait donc d’une force normative similaire à celle du préambule de la Charte québécoise. Il constituerait en outre, comme il a été souligné lors des débats parlementaires[85], un outil d’interprétation des autres droits et libertés garantis dans la Charte québécoise, ainsi qu’un facteur à considérer dans l’évaluation du caractère raisonnable, en vertu de l’article 9.1, d’une mesure législative attentatoire à ces droits[86].
C’est d’ailleurs l’utilisation que la Cour suprême indienne a faite des principes socioéconomiques directeurs inscrits dans la Constitution indienne qui, comme la Charte québécoise, consacre ces principes dans un chapitre distinct des droits et libertés fondamentaux[87]. Considérant que, « for those who suffer from want and hunger, the so-called fundamental rights would be meaningless and remain only paper rights » [notes omises][88], le constituant indien a complété la protection des libertés par un chapitre formulant plusieurs principes économiques et sociaux déclaratoires non susceptibles de sanction judiciaire[89]. Cependant, dans la mesure où la Constitution indienne reflète un compromis entre le libéralisme et le socialisme[90], le constituant ayant rejeté une vision purement libérale de la personne, la Cour considère que les libertés doivent s’interpréter de manière harmonieuse avec les principes[91]. Ainsi, le caractère non exécutoire des principes n’a pas empêché la Cour de s’appuyer sur ceux-ci pour fonder la constitutionnalité de lois limitant les droits et libertés individuels, mais poursuivant des objectifs concordant avec les valeurs sous-tendant ces principes[92]. Ces principes ont aussi été mobilisés dans l’interprétation du droit à la vie, qui reconnaît désormais plusieurs droits socioéconomiques indispensables à une vie digne[93].
Si le Québec n’est manifestement pas aux prises avec une pauvreté de l’ampleur de celle vécue en Inde, il n’en demeure pas moins que le texte de la Charte québécoise et son contexte d’adoption autorisent selon nous une mobilisation similaire des principes économiques et sociaux. Bien qu’elle soit clairement d’inspiration libérale, la Charte québécoise, comme la Constitution indienne, quoique dans une moindre mesure, montre un souci évident de justice sociale. Le professeur Guy Rocher notait en ce sens que la Charte québécoise « affirme les idéaux humanistes et éthiques du libéralisme originel et les intentions humanitaires du Welfare State »[94]. Le ministre de la Justice de l’époque, M. Jérôme Choquette, expliquait d’ailleurs en 1974 pourquoi ces principes avaient été constitutionnalisés :
Ces droits ont une portée importante. Certains diront peut-être que, dans des cas, il s’agit d’expressions de bonne volonté, mais je pense que le fait qu’ils soient reconnus dans un projet de loi comme celui-là va leur assurer un caractère important dans ce contexte des valeurs démocratiques dont je parlais tout à l’heure, c’est-à-dire qu’un certain nombre de ces droits socio-économiques résument d’une certaine façon certaines choses, certains principes, certaines valeurs auxquels nous sommes attachés au Québec. […] C’est la raison pour laquelle nous les avons inscrits à cette charte[95].
Ainsi, à moins que la consécration de l’article 46.1 n’ait été qu’un geste superfétatoire et purement stratégique sur le plan politique, les tribunaux ne peuvent ignorer, à défaut de les reconnaître comme des droits fondamentaux, le potentiel normatif de ces derniers comme principes quasi constitutionnels. C’est d’ailleurs ce qu’avait fait la Cour d’appel du Québec en 1988, en jugeant inopposable à un travailleur, M. Johnson, une disposition de la Loi sur l’aide sociale rendant inadmissibles à l’aide sociale les employés dont la cessation d’emploi résultait d’un conflit de travail[96]. Or, comme l’application de la loi avait pour effet de le priver de tout revenu, puisqu’il ne touchait aucun sou du fonds de grève du syndicat dont il n’était pas membre, la Cour a mobilisé le principe du droit à un niveau de vie décent afin que des prestations sociales lui soient versées[97]. Cet arrêt a toutefois été jugé comme un cas particulier par le juge LeBel dans l’arrêt Gosselin (CSC), ce dernier estimant qu’il « est évident que la Cour d’appel a été influencée par les circonstances exceptionnelles de l’espèce »[98]. Avec respect, ce dernier motif ne nous semble pas suffisant pour rejeter le précédent de l’arrêt Johnson. Il n’est pas rare, en effet, que les tribunaux soient perméables aux faits et aux conséquences du droit dans la vie de ceux pour qui il est élaboré.
Enfin, sur le plan politique, les principes ont aussi leur utilité, ce que n’a pas manqué de souligner la majorité de la Cour suprême, ainsi que le juge Robert de la Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt Gosselin (CSC) et (CA)[99]. En effet, au-delà de leur mobilisation juridique, les principes ont aussi pour vocation de sensibiliser les gouvernements à l’importance des objectifs ou valeurs qu’ils consacrent et visent à favoriser le maintien et l’épanouissement de la fonction sociale de l’État[100]. Ils fournissent en outre à la population des critères sur la base desquels elle peut juger les politiques gouvernementales[101]. C’est en ce sens qu’il est permis de considérer qu’une violation des principes engendre une violation de l’esprit de la Constitution, prise dans son sens large et politique[102], comme le confirmait implicitement la juge Arbour à propos de l’article 45 : « [C]e droit constitue […] un bon point de référence politique et moral dans la société québécoise, ainsi qu’un rappel des exigences les plus fondamentales du contrat social entre la province et ses citoyens »[103].
En bref, si la texture du texte de la Charte québécoise est suffisamment ouverte pour permettre aux tribunaux de l’interpréter comme la consécration de véritables droits fondamentaux, l’arrêt Gosselin (CSC) nous autorise au moins à affirmer, dans l’état actuel du droit, que l’article 46.1 oblige l’État à adopter un cadre politique et législatif destiné à la mise en oeuvre du droit à un environnement sain et respectueux de la biodiversité. Le défaut de donner effet à cet engagement serait donc susceptible de faire l’objet d’un jugement déclaratoire. L’article 46.1 pourrait aussi consacrer le principe normatif du droit à un environnement sain, dont les tribunaux devraient tenir compte dans l’interprétation des autres droits et libertés garantis dans la Charte québécoise susceptibles d’être compromis par la pollution. C’est à cette analyse que sera consacrée la seconde partie du texte.
II. Les droits et libertés fondamentaux : vecteurs d’un droit négatif et positif à un environnement sain ?
L’article 46.1 n’épuise pas la dimension environnementale des autres droits véhiculés par la Charte québécoise. Il est en effet largement reconnu que la dégradation environnementale entretient, en raison de ses répercussions néfastes sur la vie, la santé et la dignité humaines, des rapports étroits avec plusieurs droits fondamentaux protégés par la Charte québécoise, notamment les droits à la vie, à la liberté, à la sûreté et à la sécurité de la personne, à la vie privée, à l’inviolabilité de la demeure, à la propriété et à l’égalité[104]. Il est possible d’envisager que ces droits, interprétés de façon large et libérale à la lumière du principe normatif du droit à un « environnement sain et respectueux de la biodiversité », consacré à l’article 46.1 de la Charte québécoise, puissent être mobilisés contre l’État ou des acteurs privés afin de sanctionner leurs actions — ou, le cas échéant, leurs inactions — qui ont pour objet ou pour effet d’enfreindre la dimension environnementale des droits fondamentaux protégés par la Charte québécoise.
A. La dégradation environnementale et ses rapports aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité
Il est admis que la dégradation de l’environnement, qu’il s’agisse de pollution toxique, de changements climatiques ou de réduction de la biodiversité, comporte des répercussions majeures sur la santé humaine[105]. La pollution toxique, notamment, est associée à de nombreuses pathologies, comprenant plusieurs types de cancer ainsi que des problèmes relatifs au fonctionnement des systèmes nerveux, reproductifs, et respiratoires[106]. Aussi, les effets des changements climatiques, dont la hausse des températures, la multiplication et l’intensification des catastrophes naturelles et la pression sur les systèmes alimentaires, constituent une source d’inquiétudes de premier ordre dans l’optique de la santé publique[107].
D’aucuns ont ainsi affirmé les liens étroits entre la pollution environnementale et les droits fondamentaux à la vie, à l’intégrité et à la liberté de la personne, lesquels sont d’ailleurs protégés à l’article 1 de la Charte québécoise[108]. Celle-ci impose ainsi à l’État et aux particuliers l’obligation négative de ne pas agir de façon à accroître le risque de perte de vie[109]. La Charte québécoise leur interdit de plus de porter atteinte à la sûreté et à l’intégrité de la personne, ce qui comprend une protection à l’encontre des atteintes à l’intégrité physique, ainsi que des tensions psychologiques ou émotionnelles graves[110]. Ainsi, par analogie avec le droit à la sécurité protégé par l’article 7 de la Charte canadienne, les droits à la sûreté et à l’intégrité engloberaient « une notion d’autonomie personnelle qui comprend, au moins, la maîtrise de l’intégrité de sa personne sans aucune intervention de l’État et l’absence de toute tension psychologique et émotionnelle imposée par l’État »[111]. Or, il est incontestable que la pollution environnementale, du moins lorsqu’elle atteint un certain degré de nocivité, est susceptible de compromettre de façon sérieuse et durable la santé, en plus de pouvoir générer une tension psychologique et émotionnelle considérable[112].
À notre avis, les droits à la vie, à l’intégrité et à la sûreté devraient aussi comprendre l’obligation pour l’État d’adopter des mesures pour en favoriser leur réalisation effective. Bien que la jurisprudence canadienne soit encore hésitante à reconnaître des obligations positives sur la base de ce droit, et sur la base des libertés fondamentales plus généralement, les tribunaux ne s’y sont pas complètement montrés fermés[113]. La juge Arbour, dissidente dans l’arrêt Gosselin (CSC), a pour sa part clairement mis en lumière le lien inexorable entre le droit à la vie et les autres droits et libertés de la personne :
On ne devrait pas accepter d’emblée que le droit à la vie prévu à l’art. 7 soit virtuellement vide de sens. Tout d’abord, une telle conclusion est contraire aux principes d’interprétation les plus élémentaires, car elle laisse entendre que la disposition de la Charte [canadienne] sur ce droit fondamental est rédigée en termes essentiellement creux. Facteur plus important encore, cette interprétation risque de miner la cohérence et l’objet de la Charte dans son ensemble. Après tout, le droit à la vie constitue une condition préalable — sine qua non — à la possibilité même de jouir de tous les autres droits garantis par la Charte[114].
Par ailleurs, la mobilisation des droits fondamentaux à la vie, à la sécurité et à l’intégrité de la personne en matière environnementale n’est pas sans précédent. Au Canada, l’article 7 de la Charte canadienne fut invoqué, quoique sans succès, notamment en matière d’énergie nucléaire[115], d’entreposage de matières résiduelles[116] et de traitement des eaux au fluorure[117]. La pierre d’achoppement de la majorité de ces litiges fut l’établissement d’un lien de causalité entre, d’une part, la menace alléguée à la qualité de l’environnement et, d’autre part, les droits à la vie, à la sécurité et à la liberté[118]. Soulignons toutefois que les tribunaux concernés ont reconnu que dans les circonstances appropriées, une action gouvernementale qui engendre des répercussions environnementales sérieuses de nature à compromettre la vie et la santé humaines pourrait être visée par une contestation fondée sur l’article 7 de la Charte canadienne[119].
Les droits à la vie et à la sécurité de la personne ont par ailleurs servi de fondement à de nombreux recours devant des juridictions internationales, régionales et nationales. Le droit à la vie fut notamment invoqué devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies par un regroupement de citoyens de Port Hope, en Ontario, à l’encontre de l’entreposage de déchets radioactifs dans les environs de leur communauté[120]. Le Comité jugea la requête inadmissible, faute pour les demandeurs d’avoir épuisé l’ensemble des recours internes[121]. Ce faisant, le comité reconnut néanmoins que la requête soulevait à première vue des questions sérieuses, en lien avec le droit à la vie protégé par l’article 6(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques[122].
Les rapports entre les droits à la vie et à la sécurité de la personne et l’impératif de protection environnementale ont également été affirmés par la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que par les institutions du système interaméricain de protection des droits fondamentaux de la personne. Dans l’affaire Öneryildiz c. Turquie[123], notamment, la Cour européenne conclut à la violation, par la Turquie, du droit à la vie des requérants, ainsi que de leur droit à la libre jouissance de leurs biens, à cause d’une explosion de gaz de méthane survenue dans un site d’enfouissement des déchets[124]. L’accident, survenu en raison de la négligence des autorités municipales d’Istanbul dans l’entretien du site d’enfouissement, a causé la mort de trente-neuf personnes, en plus de détruire les biens de nombreux habitants du quartier de fortune adjacent[125]. Quant à la portée du droit à la vie, la Cour affirma que
l’article 2 ne concerne pas exclusivement les cas de mort d’homme résultant de l’usage de la force par des agents de l’État mais implique aussi [...] l’obligation positive pour les États de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de leur juridiction. [...] Pour la Cour, cette obligation doit être interprétée comme valant dans le contexte de toute activité, publique ou non, susceptible de mettre en jeu le droit à la vie, a fortiori pour les activités à caractère industriel, dangereuses par nature, telles que l’exploitation de sites de stockage de déchets [nos italiques][126].
La Cour jugea que la Turquie avait engagé sa responsabilité au regard de l’article 2 de la Convention européenne en raison du caractère défaillant de son cadre réglementaire en matière d’exploitation de sites d’enfouissement des déchets. La Cour reprocha en particulier à l’État turc son défaut d’avoir mis en place un système de contrôle cohérent,
de nature à inciter les responsables à adopter des mesures propres à garantir la protection effective des citoyens et à assurer la coordination et la coopération entre les différentes autorités administratives pour qu’elles ne laissent pas les risques portés à leur connaissance s’aggraver au point de menacer des vies humaines[127].
La Commission interaméricaine des droits de l’homme a également reconnu les liens étroits entre la protection de l’environnement et les droits liés à l’intégrité de la personne, en particulier dans le contexte de l’extraction de ressources naturelles à l’intérieur de terres occupées par des peuples autochtones. Par exemple, dans l’affaire Yanomami c. Brésil, la Commission interaméricaine conclut à la violation, par le Brésil, des droits à la vie, à la liberté, à la sécurité, à l’intégrité et à la santé des Yanomami[128], reprochant à l’État son omission d’intervenir afin de prévenir les dommages environnementaux ayant résulté de diverses activités de développement, dont la construction d’une route et l’extraction de minéraux sur les territoires ancestraux de la communauté Yanomami[129].
Enfin, certaines juridictions nationales reconnurent d’emblée que la pollution environnementale pouvait constituer une violation du droit fondamental à la vie. La Cour suprême de l’Inde fait oeuvre de pionnière à cet égard[130]. Dans l’arrêt Subhash Kumar v. Bihar (État de)[131], notamment, la Cour reconnut sans ambages les liens étroits qui unissent le droit à la vie, la dignité humaine et la protection de l’environnement. Ce litige tire son origine du rejet allégué, par une compagnie oeuvrant dans la transformation du charbon, de déchets industriels toxiques dans une rivière dont l’eau servait à la consommation humaine et à des travaux d’irrigation liés à l’agriculture. Le requérant reprochait notamment à l’État du Bihar de n’avoir adopté aucune mesure afin d’empêcher la compagnie de contaminer la rivière. La Cour suprême de l’Inde rejeta la requête, estimant que le requérant n’avait pas établi la preuve du déversement de substances toxiques dans l’environnement. Elle jugea de plus que le recours n’avait pas été intenté dans l’intérêt public, tel que l’exigeait la voie procédurale mobilisée, mais plutôt afin de servir les intérêts particuliers du requérant[132]. Ce faisant, la Cour affirma néanmoins en termes très clairs les liens entre la pollution environnementale et le droit à la vie. Son avis est le suivant :
[The] [r]ight to live is a fundamental right under Art 21 of the Constitution and it includes the right of enjoyment of pollution free water and air for full enjoyment of life. If anything endangers or impairs that quality of life in derogation of laws, a citizen has right to have recourse to Art 32 of the Constitution for removing the pollution of water or air which may be detrimental to the quality of life[133].
Une position similaire fut exprimée dans l’arrêt M.C. Mehta v. Kamal Nath[134], la Cour indienne affirmant sans détour qu’ « [a]ny disturbance of the basic environment elements, namely air, water and soil, which are necessary for “life”, would be as hazardous to “life” within the meaning of Article 21 of the Constitution »[135].
Pour terminer, il est pertinent de souligner que la dégradation environnementale pourrait interpeller, au-delà des droits à la vie et à la sécurité, le droit à la liberté de la personne[136]. Ce droit fondamental, reconnu par l’article 1 de la Charte québécoise et l’article 7 de la Charte canadienne[137], protège non seulement les individus contre certaines contraintes physiques, mais protège également « suffisamment d’autonomie personnelle pour vivre sa propre vie et prendre des décisions qui sont d’importance fondamentale pour sa personne »[138]. Ainsi, le droit fondamental des personnes de disposer librement de leur corps pourrait impliquer que ces dernières puissent choisir quelles substances potentiellement nocives peuvent ou non pénétrer leur organisme[139].
Comme l’exprimait le juge La Forest dans l’arrêt Godbout c. Longueuil (Ville)[140], ce droit protège aussi le choix d’un lieu pour établir sa demeure :
[L]’autonomie protégée par le droit à la liberté garanti par l’art. 7 ne comprend que les sujets qui peuvent à juste titre être qualifiés de fondamentalement ou d’essentiellement personnels et qui impliquent, par leur nature même, des choix fondamentaux participant de l’essence même de ce que signifie la jouissance de la dignité et de l’indépendance individuelles. [...] À mon avis, le choix d’un lieu pour établir sa demeure est, de la même façon, une décision essentiellement privée qui tient de la nature même de l’autonomie personnelle[141].
Parmi les motifs personnels susceptibles d’infléchir la direction du choix fondamental que constitue l’établissement de sa demeure, le juge La Forest mentionne, entre autres, « [l]a valeur historique ou [l]es caractéristiques culturelles [d’un milieu] »[142]. À l’heure d’une sensibilité accrue aux répercussions néfastes de la pollution sur la santé et la qualité du milieu de vie, par analogie avec les motifs énumérés par le juge La Forest, d’aucuns pourraient fonder leur choix fondamental quant à l’établissement de leur lieu de résidence sur la qualité relative du milieu de vie, y compris la qualité de l’atmosphère et de l’eau de consommation[143]. L’exposition à un certain niveau de pollution environnementale étant inévitable dans les sociétés industrielles contemporaines, il va de soi que le droit à la liberté concernant le choix de son milieu de vie ne pourrait être invoqué que dans les circonstances où la pollution environnementale atteindrait une certaine intensité[144]. Il reste néanmoins que le fait, pour l’État, d’autoriser l’émission de quantités ou de concentrations considérables de contaminants dans un milieu de vie auparavant sain, ou encore, pour un acteur privé, de générer une telle pollution, serait susceptible de mettre en jeu le droit fondamental de choisir librement le lieu de sa résidence[145].
Il importe toutefois de souligner que la mobilisation du droit à la liberté dans un tel contexte est susceptible de comporter des répercussions indésirables dans la perspective de la justice environnementale. En effet, il est largement reconnu que les milieux naturels les plus pollués correspondent souvent aux milieux de vie des groupes les plus marginalisés. Le droit de choisir librement de vivre dans un environnement sain, envisagé comme l’expression juridique de l’adage, mieux connu dans sa version anglaise, « yes, but not in my backyard », pourrait avoir le résultat pervers, compte tenu des difficultés liées à l’accès à la justice des personnes vivant dans la pauvreté, de favoriser la concentration des répercussions néfastes des modes économiques dominants dans les milieux moins bien nantis.
Les droits à la vie, à la sécurité et, peut-être, à la liberté, constituent ainsi, du moins en droit comparé, de véritables vecteurs de justiciabilité du droit à un environnement sain reconnu à l’article 46.1 de la Charte québécoise. À défaut d’être exécutoire et contraignant par lui-même, ce droit se trouve en effet indirectement protégé en raison de l’impact, largement reconnu, qu’un environnement néfaste peut avoir sur les autres droits et libertés fondamentaux. Comme nous le constaterons ci-dessous, dans le contexte européen, le droit à la vie privée représente un autre levier important de la reconnaissance de la justiciabilité du droit à un environnement sain.
B. Le respect des droits à la vie privée et à l’inviolabilité de la demeure en matière environnementale
La pollution environnementale, en plus de mettre en jeu les droits à la vie, à l’intégrité et à la sécurité de la personne, serait susceptible de compromettre le droit à la vie privée. En effet, qu’il s’agisse de bruits excessifs ou d’odeurs nauséabondes, la possibilité pour les individus affectés de jouir de leur demeure et de leur vie familiale peut s’en trouver considérablement diminuée[146]. Les rapports étroits entre la pollution environnementale et la vie privée sont d’ailleurs clairement établis par une jurisprudence abondante de la Cour européenne des droits de l’homme, cette dernière ayant reconnu à maintes reprises que « des atteintes graves à l’environnement peuvent affecter le bien-être d’une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale »[147].
Dans l’affaire Guerra c. Italie, notamment, la Cour européenne conclut que le défaut des autorités italiennes de transmettre aux requérants l’information essentielle qui leur aurait permis d’évaluer les risques engendrés par l’exploitation d’une usine chimique à proximité de leur domicile constitue une atteinte au droit à la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention européenne[148]. Lors du procès, il fut établi que l’usine concernée avait, dans le cours de ses activités, libéré dans l’environnement de grandes quantités de gaz inflammable ainsi que de nombreuses substances hautement toxiques, dont de l’anhydride d’arsenic. Dans l’éventualité d’un accident industriel, ces substances auraient gravement menacé la vie et l’intégrité physique des personnes touchées.
De façon significative, dans son analyse concernant l’article 8 de la Convention européenne[149], la Cour a reconnu que cette disposition impose non seulement à l’État de s’abstenir d’agir de façon à enfreindre les droits fondamentaux protégés par la Convention, mais également d’adopter « les mesures nécessaires pour assurer la protection effective du droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale »[150]. En l’occurrence, le droit à la vie privée et familiale impliquait l’obligation positive, à la charge de l’État, de transmettre aux personnes concernées les informations essentielles à l’évaluation des risques inhérents au fait de résider à proximité de l’usine.
Cette position fut réitérée dans l’affaire Fadeïeva c. Russie, qui trouve son origine dans les doléances de Mme Fadeïeva à l’encontre d’une aciérie située à proximité de son domicile. Suivant la preuve présentée au procès, l’exploitation de l’aciérie entraînait l’émission de nombreuses substances toxiques dans l’atmosphère, dans plusieurs cas en quantité ou en concentration supérieures aux normes acceptables prévues par la loi. La requérante, invoquant les répercussions néfastes des activités de l’aciérie sur sa santé et son bien-être, reprochait à la Russie d’avoir négligé de protéger sa vie privée et son domicile contre les graves nuisances écologiques générées par l’usine et ce, en violation de l’article 8 de la Convention européenne.
La Cour européenne donna raison à la requérante. À son avis, la pollution toxique diffusée par l’aciérie était liée aux divers maux de santé dont souffrait Mme Fadeïeva, en plus d’avoir « indubitablement eu des conséquences néfastes sur la qualité de sa vie à son domicile »[151]. En conséquence, la Cour conclut à la violation du droit à la vie privée de la requérante, ainsi qu’à la responsabilité de la Russie en raison de son défaut d’adopter des mesures propres à prévenir ou à réduire les effets néfastes de la pollution générée par les activités de l’aciérie[152]. Ce faisant, la Cour souligna néanmoins « que les conséquences néfastes de la pollution de l’environnement doivent atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 8 de la Convention »[153]. Par conséquent, « [i]l ne peut y avoir de grief défendable sous l’angle de l’article 8 lorsque le préjudice allégué est négligeable rapporté aux risques écologiques inhérents à la vie dans n’importe quelle ville moderne »[154]. En d’autres termes, le droit à la vie privée ne garantit pas en tant que tel un environnement exempt de toute pollution[155].
Il convient de souligner que l’article 8 de la Conventioneuropéenne est formulé de façon plus précise que les articles 5 et 7 de la Charte québécoise, en ce que l’énoncé du droit de toute personne au respect de sa vie privée et de sa demeure est complété par une mention expresse du droit au respect de la vie familiale. Nous sommes toutefois d’avis qu’une interprétation libérale de la Charte québécoise, favorable à la réalisation des valeurs véhiculées par le droit à un environnement sain consacré par l’article 46.1, pourrait puiser dans le corpus normatif européen et permettre de sanctionner les atteintes graves au droit à la vie privée et à la jouissance du domicile occasionnées par la pollution environnementale d’origine anthropique[156].
C. Le droit de propriété et la protection des intérêts environnementaux
Les intérêts économiques, à l’instar de l’intégrité physique et psychologique, sont susceptibles d’être compromis par la pollution environnementale. En guise d’illustration, il en serait ainsi de l’exploitation d’une industrie qui, soit parce qu’elle dégage des odeurs nauséabondes ou des substances délétères, ou encore parce qu’elle émet des bruits d’une grande intensité, affecte de façon considérable la valeur marchande des propriétés avoisinantes. Il pourrait donc exister un rapport étroit entre la pollution environnementale et le droit de propriété, ce dernier étant consacré à l’article 6 de la Charte québécoise dans les termes suivant : « Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi »[157].
La portée de la protection conférée au droit de propriété par cette disposition est largement tributaire de l’interprétation que font les tribunaux de la notion de « biens », ainsi que du sens qu’ils attribuent à l’expression « dans la mesure prévue par la loi ». La professeure Anne-Françoise Debruche, dans un article consacré à l’interprétation judiciaire du droit de propriété reconnu dans la Charte québécoise et dans le système européen des droits de l’homme, a bien rendu compte de la prudence des juges québécois à l’endroit de l’article 6, qui se manifeste d’abord par « une interprétation relativement restrictive de la notion de “biens” protégés », et ensuite par le fait que les tribunaux « ne contrôlent guère, voire pas du tout, la substance des “lois” qui portent atteinte à ces biens, ou “lois” dérogatoires »[158].
Si les tribunaux québécois reconnaissent d’emblée que l’atteinte au droit de jouir paisiblement et de disposer librement d’un « bien » mobilier ou immobilier entre dans le champ d’application de l’article 6 lorsque la victime possède sur celui-ci un droit réel, ils font preuve d’une hésitation accrue lorsque le bien en question possède un caractère incorporel, ou encore lorsque le droit mis en cause est de nature personnelle[159]. Il est admis que le trouble de voisinage, susceptible d’être invoqué dans le contexte d’inconvénients anormaux causés par des activités polluantes, tombe sous le couvert du droit à la libre jouissance de ses biens[160]. Or, comme l’a rappelé sans équivoque la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette[161], l’article 976 du Code civil du Québec, qui régit en droit québécois le trouble de voisinage, bénéficie tant aux personnes titulaires d’un droit de propriété qu’à celles qui exercent un droit de jouissance ou d’usage sur un fonds, tels les locataires d’immeubles[162]. Cet arrêt pourrait donc inciter les tribunaux québécois à élargir leur interprétation, pour l’heure restrictive, du champ d’application de l’article 6 de la Charte québécoise, du moins lorsque cet article est invoqué afin d’obtenir la sanction d’un trouble de voisinage affectant de la même manière les propriétaires et les locataires d’immeubles.
La protection relative de la propriété par l’article 6 de la Charte québécoise est de plus tributaire du sens donné par les tribunaux à l’expression « dans la mesure prévue par la loi ». Comme le souligne la professeure Anne-Françoise Debruche, les tribunaux québécois se gardent d’exercer un contrôle sur les normes qui restreignent le droit de propriété, la présence d’une loi dérogatoire leur suffisant pour conclure que l’atteinte est justifiée[163]. Une telle analyse n’est toutefois pas inéluctable, comme l’illustre la jurisprudence[164] de la Cour européenne des droits de l’homme portant sur l’article 1 du premier Protocole additionnel[165] à la Convention européenne[166], dont la facture n’est pas sans rappeler celle de l’article 6 de la Charte québécoise :
Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou amendes[167].
En dépit des termes de cette disposition qui, à l’instar de l’article 6 de la Charte québécoise, reconnaît à première vue une vaste discrétion à l’État pour limiter l’exercice du droit protégé, la Cour européenne, dans l’affaire Sporrong et Lönnroth c. Suède[168], a consacré une norme de contrôle des lois attentatoires « au droit au respect de ses biens ». De l’avis de la Cour, pour être conforme à l’article 1, une norme portant atteinte au droit protégé doit, entre autres exigences[169], réaliser « un “juste équilibre” entre l’intérêt public sous-tendant la norme incriminée et l’atteinte portée au “droit de propriété” d’un particulier »[170]. La Cour imposa donc à l’État une exigence de proportionnalité, permettant ainsi de conclure à la violation de l’article premier dans tous les cas où elle constate une « disproportion manifestement déraisonnable au détriment de l’intérêt privé »[171]. La discrétion des États assujettis au premier Protocole additionnel de limiter l’exercice du droit de propriété est donc vaste, suivant la lettre du second alinéa de l’article 1, sans toutefois échapper complètement au contrôle judiciaire de la Cour européenne.
En somme, la transplantation par les tribunaux québécois du test de proportionnalité élaboré par la Cour européenne au cadre d’analyse de l’article 6 de la Charte québécoise pourrait permettre de conclure à la violation de la Charte dès lors qu’une activité polluante comporte des répercussions disproportionnées sur le droit de propriété.
Si le droit de propriété offre une voie de recours potentielle à certaines victimes de pollution environnementale, il faut toutefois souligner qu’il est susceptible, à l’instar du droit à la liberté, de comporter des effets pervers sur le plan de la justice environnementale. De fait, considérant les difficultés d’accès à la propriété des moins bien nantis, ce droit ne pourrait bénéficier qu’aux segments de la société les plus favorisés, avec pour résultat de concentrer encore davantage les sources de pollution dans les espaces habités par les personnes vivant dans la pauvreté. Par analogie, dans l’affaire Chaoulli, la mobilisation des droits fondamentaux afin de permettre l’accès autrement prohibé à des soins de santé privés, tout en favorisant les intérêts touchant à la sécurité physique des personnes bien nanties, pourrait compromettre la qualité des soins de santé des personnes qui dépendent du système de santé publique.
D. Le droit à l’égalité et la justice environnementale
Si l’article 46.1 de la Charte québécoise, comme nous l’avons vu, ne peut à lui seul commander l’invalidité d’une loi ou d’un règlement ne respectant pas ses exigences substantielles et procédurales, en raison de l’inapplication de l’article 52 aux articles 39 à 48, le droit à l’égalité consacré à l’article 10 pourrait possiblement, dans certaines circonstances du moins, pallier cette limite à l’effectivité du droit à un environnement sain[172]. Il est bien connu que le droit à l’égalité ne consacre pas un droit indépendant des autres droits et libertés garantis dans la Charte québécoise, mais constitue plutôt une « modalité de particularisation »[173] de chacun d’eux en y ajoutant une dimension égalitaire[174]. Ainsi, toute personne a droit au bénéfice et à l’exercice égal de tous les droits et libertés garantis, sans discrimination fondée sur l’un des motifs énumérés à l’ar-ticle 10[175]. Pour que cette dernière disposition puisse s’appliquer dans un litige, il est donc nécessaire que la discrimination alléguée s’inscrive dans le champ opératoire de l’une des autres dispositions de la Charte québécoise[176].
La combinaison entre la norme d’égalité et les droits socioéconomiques s’avère ainsi particulièrement intéressante. En effet, alors que les tribunaux ne sont pas en mesure d’imposer une sanction juridiquement contraignante à l’État qui omettrait de donner effet à ces droits socioéconomiques, l’article 10 bénéficie de la pleine puissance de l’article 52 de la Charte québécoise et prime donc sur les lois et règlements contrevenant au droit à l’égalité. Comme le constatait le professeur Pierre Bosset, c’est d’ailleurs sur ce terrain que la jurisprudence sur les droits économiques et sociaux a été le plus fertile sur le plan de la justice sociale[177]. Par exemple, dans l’arrêt Commission scolaire St-Jean-sur-Richelieu, la Cour d’appel du Québec ordonna l’intégration en classe régulière d’un élève souffrant d’un handicap qui avait été victime de discrimination dans l’accès à l’école, contrairement aux articles 10 et 40 de la Charte québécoise, alors que le droit à l’instruction publique gratuite n’aurait pas pu constituer à lui seul la base du recours des parents[178].
Juxtaposé à l’article 46.1, l’article 10 de la Charte québécoise interdit donc clairement toute discrimination dans l’exercice et le bénéfice du droit de toute personne de vivre dans un environnement sain. Puisqu’elle interdit la discrimination fondée sur la condition sociale et l’origine ethnique, la norme d’égalité pourrait potentiellement être mobilisée en matière environnementale afin de contester la distribution inégale de la pollution parmi la population. En effet, selon la perspective de la justice environnementale, les bénéfices économiques générés par les modes dominants de production et de consommation, de même que les répercussions environnementales néfastes qu’ils engendrent, ne sont pas répartis équitablement au sein de la société[179]. Comme le démontrent de nombreuses études empiriques, la pollution environnementale tend à affecter davantage les personnes vivant dans la pauvreté et les minorités ethniques[180]. Une étude menée dans vingt-neuf municipalités de l’Île de Montréal a notamment établi que les personnes et les groupes économiquement vulnérables subissaient les effets de la pollution de manière disproportionnée[181], ce qui pourrait constituer une forme de discrimination fondée sur la condition sociale. À la lumière de la jurisprudence de la Cour d’appel du Québec, qui a reconnu le statut d’assisté social comme motif interdit de discrimination[182], il est en effet permis de penser que la pauvreté pourrait être comprise dans le motif de la condition sociale. D’ailleurs, selon la Cour d’appel,
cette notion a été appliquée à des personnes démunies ou vulnérables qui subissent leur condition sociale plutôt que d’en jouir. Elle résulte le plus souvent d’une situation dont la personne ne peut pas s’affranchir facilement et qui n’est pas la conséquence d’un choix délibéré[183].
Aussi, il est largement reconnu que les communautés autochtones sont exposées de manière disproportionnée à diverses sources de pollution environnementale[184]. L’interdiction de discrimination dans le bénéfice du droit à un environnement sain pourrait ainsi théoriquement servir de levier pour contester les effets disproportionnés et préjudiciables de la pollution sur certains groupes sociaux, à la condition, bien entendu, de satisfaire à l’autre exigence de l’article 10 de la Charte québécoise, c’est-à-dire la nécessité de démontrer que la distinction dont est victime le groupe demandeur est arbitraire ou fondée sur des stéréotypes[185].
E. Les voies de recours potentielles en vertu de la Charte québécoise
Comme l’affirme la majorité de la Cour suprême, « un droit, aussi étendu soit-il en théorie, est aussi efficace que la réparation prévue en cas de violation, sans plus » [notes omises][186]. Il est alors nécessaire d’analyser les sanctions et réparations susceptibles d’être imposées à l’État ou aux entreprises privées qui violeraient les obligations environnementales auxquelles ils seraient tenus en vertu des droits et libertés fondamentaux. La Charte québécoise offre à cet égard plusieurs voies de recours. D’abord, l’article 52 permet d’invalider les lois et les règlements incompatibles avec les droits fondamentaux protégés par les articles 1 à 38 de la Charte québécoise. Il en serait ainsi, à notre avis, d’une norme réglementaire permettant l’émission dans l’environnement de contaminants en quantité ou dans une concentration susceptibles de compromettre la vie et la santé humaines. Les tribunaux pourraient aussi choisir une sanction moindre et préférer rendre un jugement déclaratoire constatant la violation de ces droits, en laissant au législateur le soin de choisir comment se conformer à la Charte québécoise[187].
Les atteintes aux droits environnementaux protégés par la Charte québécoise pourraient également faire l’objet de recours en dommages-intérêts et en injonction fondés sur l’article 49(1). D’entrée de jeu, il apparaît indéniable que ces recours pourraient être intentés contre des acteurs privés dont les activités menacent la vie, la sûreté, l’intégrité, la liberté, la propriété et la vie privée de la personne, ou encore contre l’État en raison de la pollution engendrée par ses propres activités, tels l’exécution et l’entretien de travaux ou d’ouvrages publics[188]. Il incomberait alors à la personne dont les droits fondamentaux ont été violés de faire la preuve d’un préjudice résultant de l’acte fautif du pollueur[189]. En outre, un recours fondé sur l’article 49(1) de la Charte québécoise pourrait être exercé contre l’État au motif de sa négligence dans la mise en oeuvre des devoirs de surveillance qui lui incombent en vertu de la loi, afin d’assurer que les activités autorisées par les pouvoirs publics soient exercées dans le respect des normes environnementales applicables[190].
Finalement, une « atteinte illicite et intentionnelle » aux droits protégés par la Charte québécoise, notamment au droit à un environnement sain, pourrait permettre l’exercice du recours prévu à l’article 49(2) afin d’obtenir des dommages et intérêts exemplaires[191]. Ce recours ne pourrait toutefois être mobilisé que dans les cas exceptionnels où un pollueur aurait « un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore [aurait agi] en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera[it] » [nos italiques][192]. Comme le précise la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Hôpital St-Ferdinand :
Ce critère est moins strict que l’intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère[193].
Dans le contexte de la Charte québécoise, cela signifie qu’il appartient à la victime d’une atteinte à ses droits fondamentaux de démontrer que l’auteur du délit avait l’intention de porter atteinte à un droit protégé[194]. Suivant le critère de l’atteinte intentionnelle, il pourrait s’avérer fort difficile d’obtenir des dommages exemplaires afin de punir un pollueur, à supposer que la motivation des acteurs économiques qui génèrent de la pollution repose sur l’optique du gain financier plutôt que sur l’intention d’enfreindre les droits à la vie, à l’intégrité, à l’égalité ou à la vie privée. En revanche, l’intention du pollueur d’enfreindre une loi ou un règlement liés à la protection de l’environnement, et par le fait même de porter atteinte au droit à un environnement sain et respectueux de la biodiversité, pourrait être plus aisément établie. Ainsi, pourrait satisfaire à ce critère le fait, pour un acteur industriel, de déverser, en violation des normes législatives et réglementaires qui lui sont applicables, des substances hautement toxiques dans un cours d’eau, sachant ou ne pouvant ignorer que ces substances contamineront vraisemblablement les approvisionnements en eau potable du voisinage. Une atteinte « illicite et intentionnelle » aux droits protégés par l’article premier de la Charte québécoise pourrait également résulter du refus ou de la négligence d’une industrie de modifier ses équipements, ses modes de production ou l’intensité de ses activités, dès lors qu’il serait possible de démontrer qu’elle connaissait ou ne pouvait ignorer les répercussions de ses activités sur la qualité de l’environnement et la santé humaine, du fait notamment de la récurrence des doléances formulées par les personnes touchées par les activités de l’industrie ou des interventions des autorités publiques.
À cet égard, le récent arrêt de Montigny c.Brossard (Succession)[195] de la Cour suprême du Canada pourrait favoriser un certain allégement du fardeau de preuve des requérants en matière de dommages-intérêts exemplaires. En effet, cet arrêt a consacré le principe du caractère autonome du recours en dommages exemplaires fondé sur l’article 49(2) de la Charte québécoise par rapport au régime de responsabilité délictuelle établi par l’article 49(1)[196]. Si, suivant la lettre de l’article 49(2), l’obtention de dommages exemplaires est tributaire de la démonstration d’une « atteinte illicite et intentionnelle » aux droits et libertés de la personne[197], il ne serait néanmoins plus nécessaire d’établir l’existence d’un préjudice indemnisable[198]. En affranchissant de la notion de préjudice le régime des dommages exemplaires, l’arrêt de Montigny pourrait notamment faciliter l’exercice de recours collectifs en dommages exemplaires par les victimes d’une atteinte au droit à un environnement sain, dans les cas où le préjudice commun subi par ces victimes s’avère difficilement identifiable ou quantifiable[199].
De surcroît, dans l’éventualité où une telle lecture de l’arrêt de Montigny était adoptée, la conclusion au caractère superfétatoire de la preuve du lien de causalité entre la faute et le préjudice s’imposerait en toute logique. Suivant cette hypothèse, il pourrait ainsi s’avérer possible de réclamer d’un pollueur des dommages punitifs dès lors qu’une atteinte illicite et intentionnelle au droit « à un environnement sain et respectueux de la biodiversité » serait établie, sans qu’il ne soit requis de faire la preuve d’un lien de causalité entre la faute du pollueur et un préjudice corporel particulier[200].
F. Le lien de causalité : la pierre d’achoppement des recours en matière de responsabilité environnementale
Ainsi, l’arrêt de Montigny apporterait une contribution d’autant plus significative au droit de l’environnement que l’établissement du lien de causalité entre la pollution émise par un acteur désigné et le préjudice allégué constitue actuellement le principal obstacle au succès des recours fondés sur la responsabilité civile en matière de dommages écologiques[201]. Il en est ainsi surtout en raison de l’incertitude scientifique qui s’attache souvent à la détermination des risques liés à la pollution pour la santé humaine[202]. En effet, la preuve du lien de causalité entre une source de pollution et un préjudice à l’intégrité physique peut s’avérer difficile à établir lorsque les effets d’une substance sur la santé sont incertains du point de vue scientifique, ou encore lorsque la pathologie concernée peut être associée à une pluralité de facteurs[203]. Aussi, dans plusieurs cas, les effets délétères de la pollution sur la santé se manifestent longtemps après l’exposition à un contaminant. À titre d’illustration, un cancer peut se développer plusieurs années après une exposition prolongée à certaines substances toxiques. De même, certaines pathologies peuvent être attribuées à de nombreux facteurs en sus de la pollution environnementale, telles de mauvaises habitudes de vie et des prédispositions génétiques[204]. Enfin, en particulier dans les secteurs industriels, des polluants environnementaux de même nature peuvent être générés par une pluralité d’acteurs[205]. Or, les principes traditionnels de preuve en matière de causalité, qui exigent du plaignant de démontrer que son préjudice constitue la conséquence logique, directe et immédiate de la faute du défendeur, permettent difficilement de pallier ces difficultés[206].
S’il est possible de penser que l’arrêt de Montigny allège de façon considérable le fardeau de preuve des demandeurs en matière de dommages punitifs, la pierre d’achoppement que constitue dans bien des cas l’établissement du lien de causalité en matière de dommages-intérêts compensatoires demeure bien réelle. Cela dit, nous pensons que le principe normatif du droit à un environnement « sain et respectueux de la biodiversité » consacré à l’article 46.1 de la Charte québécoise pourrait être mobilisé par les tribunaux afin de promouvoir une application souple de l’exigence du lien de causalité, de façon à alléger le fardeau de preuve des victimes de dommages environnementaux[207].
Pour ce faire, les tribunaux pourraient recourir de façon plus libérale à des présomptions de fait, le Code civil du Québec leur permettant d’ailleurs de tenir compte de celles qui sont « graves, précises et concordantes »[208]. En outre, comme le rappelle la professeure Lara Khoury, en matière de responsabilité environnementale, dans les circonstances qui s’y prêtent, les tribunaux pourraient utilement s’appuyer sur la présomption de causalité établie par la Cour suprême du Canada dans Morin c. Blais[209]. Suivant cet arrêt, le lien de causalité pourrait être présumé lorsqu’un préjudice résulte de la violation d’une disposition réglementaire qui, exprimant des « normes élémentaires de prudence », avait justement pour objet de prévenir le préjudice concerné[210]. À notre avis, à l’instar des règles encadrant la circulation routière, un grand nombre de dispositions législatives et réglementaires en matière de protection de l’environnement véhiculent des normes élémentaires de prudence. Le fait d’y contrevenir, qui constituerait en soi une faute civile, permettrait de présumer le lien de causalité entre le délit et le préjudice, dès lors que ce dernier se situerait dans la sphère de risque délimitée par la norme, sous réserve d’une forte indication en sens contraire[211].
De surcroît, par analogie avec la jurisprudence en matière de responsabilité médicale, nous pensons que les tribunaux pourraient alléger le fardeau de preuve des demandeurs relatif au lien de causalité en permettant, dans certaines circonstances, qu’il soit déplacé vers la défense. Ainsi, dès lors que le demandeur aurait présenté des éléments suffisants afin d’établir une « inférence défavorable » à l’endroit du défendeur, il appartiendrait à ce dernier de réfuter la preuve de la causalité[212]. Dans le contexte de la responsabilité médicale, ce renversement du fardeau de la preuve se justifie notamment par la connaissance particulière que possède le médecin des causes possibles d’un préjudice[213]. Or, nous pensons qu’un raisonnement similaire devrait s’appliquer en matière de dommages écologiques, dans la mesure où l’auteur d’une dégradation environnementale possède souvent une connaissance particulière des faits, en plus de ressources accrues afin de recourir à des expertises scientifiques.
L’application de règles de preuve flexibles en matière de responsabilité environnementale serait par ailleurs conforme au principe de précaution, suivant lequel « il n’est pas approprié d’attendre la preuve irréfutable de l’existence d’un risque potentiel avant de chercher à le circonscrire »[214]. En plus de préconiser l’adoption de mesures préventives afin d’éviter des dommages environnementaux, ce principe pourrait impliquer un renversement du fardeau de la preuve à la charge de la partie qui entend réaliser une activité comportant des répercussions environnementales méconnues et potentiellement délétères. En d’autres termes, il appartiendrait au pollueur de faire la preuve de l’innocuité de ses activités, plutôt qu’aux victimes de démontrer les répercussions environnementales néfastes des activités concernées[215].
Enfin, il est utile de rappeler qu’il est bien établi que le lien de causalité doit être démontré suivant la norme juridique de la prépondérance de la preuve, et non à l’aune des exigences de la preuve scientifique[216].
Conclusion
En 2006, le législateur consacrait le droit de toute personne, « dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité »[217]. Le ministre de l’Environnement de l’époque, Thomas Mulcair, affirmait alors que le Québec « hiss[ait] au rang d’un droit, au sein même de notre Charte [...], le droit de vivre dans un environnement sain dans le respect des lois et règlements »[218]. Dans le contexte de l’adoption de l’article 46.1, plusieurs émettaient d’importantes réserves quant à l’utilité de cet ajout à la Charte québécoise, alors que d’autres, notamment l’Union des producteurs agricoles et le Conseil de l’industrie forestière du Québec[219], s’inquiétaient de son impact sur les agriculteurs et sur le développement économique des régions. Ces positions antinomiques à propos de l’article 46.1 peuvent s’expliquer par son libellé ambigu — l’État s’assujettissant à une obligation à laquelle il n’est tenu que dans la mesure où il s’y astreint —, mais également en raison de la fonction d’interprétation des tribunaux qui, une fois la norme adoptée par le législateur, participent eux aussi à sa construction ou à la détermination de son sens et de sa portée[220]. C’est donc dans une perspective prospective, compte tenu de l’importance des questions environnementales dans la sphère publique et de la mobilisation croissante des droits et libertés fondamentaux en matière environnementale, que nous avons entrepris une réflexion sur le sens, la portée et l’utilité du droit à l’environnement sain dans la Charte québécoise.
Nous avons ainsi suggéré que le contenu ou la définition du droit à un « environnement sain et respectueux de la biodiversité » comporte à la fois des aspects substantiels et procéduraux. L’article 46.1 viserait ainsi la préservation d’un environnement favorable à la santé et à la sécurité humaines et le maintien de l’intégrité des écosystèmes sur lesquels reposent la vie et le bien-être des êtres humains. Ce droit comporterait par ailleurs des garanties de nature procédurale, notamment le droit des citoyens de participer effectivement aux processus décisionnels susceptibles de compromettre la qualité de leur environnement et d’avoir accès à toute information pertinente à la prise de décision.
Si, à l’heure actuelle, la violation de ce droit ne peut servir d’assise à l’invalidité d’une loi, ni autoriser un tribunal à mettre en question les modalités précises des politiques publiques en matière environnementale, l’article 46.1 de la Charte québécoise oblige néanmoins le législateur à donner effet au droit à un environnement sain. La violation de cette obligation est susceptible d’être constatée dans un jugement déclaratoire. Bien qu’insuffisant dans la mesure où le jugement déclaratoire ne s’accompagne d’aucune mesure contraignante, cela représente néanmoins un début, les tribunaux étant toutefois appelés à définir plus amplement la portée des droits économiques et sociaux.
Nous avons par ailleurs soutenu que l’article 46.1 pourrait constituer un principe normatif à travers lequel devraient être interprétés les autres droits et libertés garantis dans la Charte québécoise, notamment les droits à la vie, à la sécurité, à la liberté, à la propriété, à l’égalité et à la vie privée. Le système juridique international et les systèmes régionaux et nationaux étrangers sont en effet riches d’exemples dans lesquels ont été mobilisés ces droits et libertés fondamentaux en matière environnementale. Les liens entre ces droits et l’environnement, et plus particulièrement l’impact de la pollution sur ces droits, ont ainsi largement été reconnus par les tribunaux, du moins en théorie. De surcroît, l’article 46.1 de la Charte québécoise pourrait être mobilisé dans le cadre de litiges privés afin, notamment, d’obtenir des dommages punitifs en raison d’une atteinte illicite et intentionnelle au droit à un environnement sain, ou encore afin d’alléger le fardeau de preuve des victimes d’un préjudice écologique.
Il reste néanmoins que la reconnaissance de droits fondamentaux substantiels liés à la protection de l’environnement doit impérativement s’accompagner de mesures visant à faciliter l’accès à la justice et à l’information environnementale pour les personnes et les groupes sociaux marginalisés aux plans socioéconomiques et politiques. En effet, il est largement reconnu que les personnes vivant dans la pauvreté tendent à supporter de façon disproportionnée le fardeau des répercussions délétères de la pollution environnementale engendrée par les modes dominants de consommation et de production. À défaut d’assurer aux personnes et aux groupes concernés un accès accru à des recours et à des remèdes efficaces dans l’éventualité d’une violation de leurs droits environnementaux, les droits fondamentaux de la personne pourraient être mobilisés au service des intérêts écologiques des mieux nantis qui, pouvant accéder plus aisément à l’appareil judiciaire, seraient en mesure d’infléchir en leur faveur la distribution géographique de la dégradation environnementale. Le droit serait ainsi susceptible de renforcer les injustices qui caractérisent l’économie politique de la dégradation environnementale dans les sociétés industrialisées, en favorisant la concentration de la production industrielle et des autres activités générant des répercussions environnementales majeures dans les espaces géographiques où vivent les personnes et les groupes marginalisés.
Appendices
Notes
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[1]
Sylvie Paquerot, « La portée du droit à un environnement sain : les droits de la personne revus à l’aune de la dégradation de l’environnement planétaire » dans Pierre Bosset et Lucie Lamarche, dir, Droit de cité pour les droits économiques, sociaux et culturels : La Charte québécoise en chantier, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2011, 273 à la p 281 [Bosset et Lamarche, Droit de cité].
-
[2]
Ibid.
-
[3]
Pour un aperçu de ces recours, voir Svitlana Kravchenko et John E Bonine, Human Rights and the Environment: Cases, Law, and Policy, Durham (NC), Carolina Academic Press, 2008.
-
[4]
Ibid. À ce sujet, voir notamment Sumudu Atapattu, « The Right to a Healthy Life or the Right to Die Polluted?: The Emergence of a Human Right to a Healthy Environment Under International Law » (2002) 16 : 1 Tul Envtl LJ 65 ; Michael Burger, « Bi-Polar and Polycentric Approaches to Human Rights and the Environment » (2003) 28 : 2 Colum J Envtl L 371 ; Lynda Collins, « Are We There Yet? The Right to Environment in International and European Law » (2007) 3 : 2 RDPDD 119 aux pp 126-35 [Collins, « European Law »] ; Luis E Rodriguez-Rivera, « Is the Human Right to Environment Recognized Under International Law? It Depends on the Source » (2001) 12 : 1 Colo J Int’l Envtl L & Pol’y 1 ; Dinah Shelton, « Developing Substantive Environmental Rights » (2010) 1 : 1 Journal of Human Rights and the Environment 89.
-
[5]
L’expression est de Paquerot, supra note 1 aux pp 273, 285.
-
[6]
Nous utilisons l’expression générique « droit à l’environnement » afin de désigner l’ensemble des dispositions, constitutionnelles ou législatives, dont l’objet consiste à reconnaître un droit fondamental à un environnement d’une certaine qualité, ou encore à affirmer le devoir de l’État ou des individus de respecter et de protéger l’environnement. Cette expression s’oppose à celle de « droit de l’environnement », qui englobe pour sa part l’imposant corpus des normes relatives à la protection de l’environnement (par exemple, les normes qui établissent des seuils maximaux d’émission de contaminants). De plus, comme nous allons le voir, il s’impose de ne pas confondre le « droit à l’environnement » et les droits fondamentaux, tels les droits à la vie, à l’intégrité physique et à la vie privée, qui comportent une dimension environnementale. À propos de ces distinctions conceptuelles, voir Collins, « European Law », supra note 4 aux pp 126-35. Pour une étude approfondie de la reconnaissance d’un « droit à l’environnement » dans les constitutions et législations du monde, voir David R Boyd, The Environmental Rights Revolution: A Global Study of Constitutions, Human Rights, and the Environment, Vancouver, University of British Columbia Press, 2011.
-
[7]
LRQ, c D-8.1.1.
-
[8]
LRQ, c C-12, art 46.1 [Charte québécoise].
-
[9]
Il s’impose de souligner que le droit à la qualité de l’environnement fut consacré au Québec en 1978 par la Loi modifiant la Loi de la qualité de l’environnement, LQ 1978, c 64, modifiée par Loi sur la qualité de l’environnement, LRQ, c Q-2 [LQE]. L’article 19.1 de la LQE se lit en partie comme suit :
Toute personne a droit à la qualité de l’environnement, à sa protection et à la sauvegarde des espèces vivantes qui y habitent, dans la mesure prévue par la présente loi, les règlements, les ordonnances, les approbations et les autorisations délivrées en vertu de l’un ou l’autre des articles de la présente loi [...].
La violation de ce droit peut notamment être sanctionnée au moyen du recours en injonction établi par l’article 19.2 de la LQE. Nous allons voir que l’adoption de l’article 46.1 ajoute au droit existant à un environnement de qualité un outil susceptible de favoriser une interprétation « écologique » des lois et des règlements. Ceci comprend les autres droits fondamentaux de la personne, en plus de certains remèdes additionnels, y compris en dommages-intérêts punitifs. De surcroît, l’article 46.1, en raison de sa présence dans un document aussi important que la Charte québécoise, insuffle une charge symbolique considérable à la protection de l’environnement au Québec.
-
[10]
La Cour suprême du Canada a affirmé à de nombreuses reprises que la protection de l’environnement constitue une valeur fondamentale pour les Canadiens : voir notamment Cie pétrolière Impériale Ltée c Québec (Ministre de l’Environnement), 2003 CSC 58 au para 19, [2003] 2 RCS 624 ; 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c Hudson (Ville), 2001 CSC 40 au para 1, [2001] 2 RCS 241 [Hudson] ; Ontario c Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 RCS 1031 au para 55, 125 DLR (4e) 385 [Canadien Pacifique] ; Friends of the Oldman River Society c Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 RCS 3 aux pp 16-17, 88 DLR (4e) 1.
-
[11]
David Robitaille, « Le “droit” à un environnement sain dans la Charte québécoise — L’imposture », Le Devoir [de Montréal] (13 décembre 2005) en ligne : <http://www.ledevoir.com> [Robitaille, « Imposture »].
-
[12]
2002 CSC 84, [2002] 4 RCS 429 [Gosselin (CSC)].
-
[13]
Pour une analyse approfondie de cette question, voir David Robitaille, Normativité, interprétation et justification des droits économiques et sociaux : les cas québécois et sud-africain, Bruxelles, Bruylant, 2011 [Robitaille, Normativité].
-
[14]
Voir par ex Charte québécoise, supra note 8, art 40, 46.1.
-
[15]
À la lumière du droit international et des observations générales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, ces termes pourraient plutôt signifier que la mise en oeuvre concrète des droits socioéconomiques doit passer par l’adoption de mesures législatives, sans que cela n’empêche les tribunaux de définir les éléments caractéristiques de ces droits. Voir Pierre Bosset et Lucie Lamarche, « Introduction : Donner droit de cité aux droits économiques, sociaux et culturels » dans Bosset et Lamarche, Droit de cité, supra note 1, 1 à la p 10 [Bosset et Lamarche, « Introduction »] ; Robitaille, Normativité, supra note 13 aux pp 218-19, 271 ; Mélanie Samson et Christian Brunelle, « Nature et portée des droits économiques, sociaux et culturels dans la Charte québécoise : Ceinture législative et bretelles judiciaires » dans Bosset et Lamarche, Droit de cité, supra note 1, 19 aux pp 43-45.
-
[16]
Dominique Roux, Le principe du droit au travail : juridicité, signification et normativité, Montréal, Wilson & Lafleur, 2005 aux pp 64-72.
-
[17]
Voir par ex Chaoulli c Quebec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 RCS 791 [Chaoulli].
-
[18]
PL 118, Loi sur le développement durable, 2e sess, 37e lég, Québec, 2006 (sanctionné le 19 avril 2006), LQ 2006, c 3.
-
[19]
Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 37e lég, 1re sess, n°179 (3 novembre 2005) à la p 9932 (Thomas J Mulcair) [Journal des débats, 3 novembre 2005].
-
[20]
Charte québécoise, supra note 8, art 46.1.
-
[21]
Ce fut notamment le cas dans l’interprétation des articles 40 et 45 de la Charte québécoise. L’article 40 reconnaît le droit de toute personne, « dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l’instruction publique gratuite » (ibid). L’article 45, pour sa part, consacre le droit de toute personne dans le besoin « à des mesures d’assistance financière et à des mesures sociales, prévues par la loi, susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent » (ibid). Voir Gosselin c Québec (Procureur général), [1999] RJQ 1033 à la p 1048 (disponible sur CanLII) (CA), juge Baudouin, conf par Gosselin (CSC), supra note 12 [Gosselin (CA)] ; Commission scolaire St-Jean-sur-Richelieu c Commission des droits de la personne du Québec, [1994] RJQ 1227 à la p 1242, 117 DLR (4e) 67 (CA) [Commission scolaire St-Jean-sur-Richelieu] ; Lévesquec Québec (Procureur général), [1988] RJQ 223 à la p 226 (disponible sur CanLII) (CA) ; Champagne c Tribunal administratif du Québec, [2001] RJQ 1788 à la p 1797, Montréal 500-05-057393-009 JE 2001-1435 (CS), inf pour d’autres motifs par Québec (Procureur général) c Champagne, [2003] JQ no 13948 (QL), AZ-03019657 (Azimut) (CA) ; Gosselin c Québec (Procureur général), [1992] RJQ 1647 aux pp 1666-67, Montréal 500-06-000012-860 JE 92-995 (CS) ; Méthot c Québec (Commission des affaires sociales), (1991), AZ-91021370 (Azimut) à la p 9, Montréal 500-05-012964-902 JE 91-1120 (CS) ; Aide sociale - 134, [1997] CAS 432 à la p 434 (disponible sur Azimut) ; Aide sociale - 108, [1997] CAS 42 à la p 44 (disponible sur Azimut) ; Aide sociale - 93, [1996] CAS 645 à la p 649 (disponible sur Azimut) ; Aide sociale - 27, [1996] CAS 139 à la p 142 (disponible sur Azimut) ; Aide sociale - 43, [1994] CAS 137 aux pp 140-41 (disponible sur Azimut) ; Aide sociale - 30, [1992] CAS 824 à la p 830 (disponible sur Azimut).
-
[22]
Pour le texte de cette disposition, voir LQE, supra note 9, art 19.1.
-
[23]
Voir Lettre de Madeleine Lemieux, Bâtonnière du Québec, à Thomas Mulcair, Ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, (5 décembre 2005) en ligne : Assemblée nationale <http://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/01/mono/2005/12/832430.pdf> à la p 4 (Objet : Commentaires du Barreau du Québec concernant le projet de loi 118 intitulé « Loi sur le développement durable ») ; Corinne Gendron et al, Mémoire de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable (CRSDD) remis à la Commission des transports et de l’environnement dans le cadre des consultations particulières et des auditions publiques sur la Loi sur le développement durable (projet de loi no 118), éd révisée, Montréal, Cahiers de recherche de la CRSDD, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal, 2005 aux pp 50-52, en ligne : Cahiers de la CRSDD <http://www.crsdd.uqam.ca/Pages/cahiers.aspx> ; Paule Halley, « L’Avant-projet de loi sur le développement durable du Québec » (2005) 1 : 1 RDPDD 59 à la p 74 [Halley, « Avant-projet »] ; Robitaille, « Imposture », supra note 11.
-
[24]
Par analogie, voir Gosselin (CSC), supra note 12 au para 305, juge Bastarache ; ibid aux para 308, 396, juge Arbour ; ibid au para 422, juge LeBel.
-
[25]
Charte québécoise, supra note 8, art 40.
-
[26]
Ibid, art 45.
-
[27]
Boyd, supra note 6 à la p 47. Voir aussi Marie-France Delhoste, « L’environnement dans les Constitutions du monde » (2004) 120 : 2 Rev DP & SP 441.
-
[28]
Boyd, supra note 6 aux pp 52-71.
-
[29]
Voir Collins, « European Law », supra note 4 à la p 128 ; Delhoste, supra note 27 aux pp 446-50. À titre d’exemple, l’article 23 de la Constitution belge, 1994, reconnaît, en lien avec « le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine » (art 23), « le droit à la protection d’un environnement sain » (art 23(4)). En France, l’article premier de la Charte de l’environnement consacre le droit de chacun « de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » (Loi constitutionnelle nº 2005-205 du 1ermars 2005 relative à la Charte de l’environnement, JO, 2 mars 2005, 3697). La Constitution espagnole, 1978, art 45, pour sa part, énonce que « chacun a le droit de jouir d’un environnement approprié pour le développement de la personne, ainsi que le devoir de le préserver [...] » [notre traduction].
-
[30]
Voir notamment Constitution of the Republic of South Africa, 1996, art 24 :
Everyone has the right: (a) to an environment that is not harmful to their health or well-being; and (b) to have the environment protected, for the benefit of present and future generations, through reasonable legislative and other measures that (i) prevent pollution and ecological degradation; (ii) promote conservation; and (iii) secure ecologically sustainable development and use of natural resources while promoting justifiable economic and social development.
Voir aussi Constitution of India, 1950, art 51A : « It shall be the duty of every citizen of India: […] (g) to protect and improve the natural environment including forests, lakes, rivers and wild life, and to have compassion for living creatures » ; Constitution portugaise, 1976, art 66(1) : « Toute personne est en droit de disposer d’environnement, sain, écologiquement équilibré et a le devoir de le défendre » [traduction officielle].
-
[31]
Collins, « European Law », supra note 4 à la p 137 ; Michel Gagné et Mira Gauvin, « Le droit à un environnement sain et respectueux de la biodiversité : valeur symbolique ou effet concret ? » dans Développements récents en droit de l’environnement, vol 300, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2009, 3 à la p 7 ; Paule Halley et Denis Lemieux, « La mise en oeuvre de la Loi québécoise sur le développement durable : un premier bilan » dans Conférence des juristes de l’État, Actes de la XVIIIe Conférence des juristes de l’État, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2009, 93 ; Halley, « Avant-projet », supra note 23 aux pp 72-73. Le terme « sain » est défini de la façon suivante dans Le nouveau petit Robert, 2008, sub verbo « sain » :
1. Qui est en bonne santé, n’est pas malade (cf. Bien portant). […] 2. Dont l’organisme est bien constitué et fonctionne normalement, sans trouble, d’une manière habituelle. […] 3. Qui jouit d’une bonne santé psychique ; dont les activités mentales ne trahissent aucune anomalie. […] 4. Qui contribue à la bonne santé, n’a aucun effet funeste sur l’état physique.
Cette interprétation est confortée par la traduction anglaise de l’article 46.1, laquelle consacre « the right to live in a healthful environment ». Le terme « healthful » signifie « [h]aving or conducive to good health » (New Oxford American Dictionary, 3e éd, sub verbo « heathful »).
-
[32]
Voir notamment John Lee, « The Underlying Legal Theory to Support a Well-Defined Human Right to a Healthy Environment as a Principle of Customary International Law » (2000) 25 : 2 Colum J Envtl L 283 à la p 285 : « [A]n environmental violation becomes significant enough to become a human rights violation when, as a result of a specific course of state action, a degraded environment occurs with either serious health consequences for a specific group of people or a disruption of a people’s way of life » [italiques dans l’original].
-
[33]
Tel que l’affirmait la Cour suprême dans l’arrêt Béliveau St-Jacques, les droits garantis par la Charte québécoise doivent faire l’objet d’une interprétation large et libérale (Béliveau St-Jacques c Fédération des employées et employés de services publics inc, [1996] 2 RCS 345 au para 116, 136 DLR (4e) 129 [Béliveau St-Jacques]).
-
[34]
Cette définition du contenu du droit protégé par l’article 46.1 reprend celle proposée par Halley, « Avant-projet », supra note 23 à la p 73. Dans le même sens, voir Collins, « European Law », supra note 4 à la p 137 ; Paquerot, supra note 1 à la p 281. Par analogie, il est pertinent de référer à l’interprétation du droit à l’environnement protégé par la Constitution de l’État du Montana (Mont Const art IX, § 1[1]) dans la décision Montana Environmental Information Center v Department of Environmental Quality, 1999 MT 248, 988 P2d 1236 (Mont Sup Ct) : « The delegates did not intend to merely prohibit that degree of environmental degradation which can be conclusively linked to ill health or physical endangerment ». Il est entendu que les modes de consommation et de production au sein des sociétés industrialisées contemporaines génèrent inévitablement une vaste gamme de polluants sur une base quotidienne, qu’il s’agisse par exemple des déchets produits par la disposition de nos biens de consommation ou des émissions de contaminants associées au transport par véhicules motorisés. Afin d’éviter de lui conférer une portée absurde, l’article 46.1 pourrait être analysé à la lumière de l’adage de minimis non curat lex, de façon à exclure de son champ d’application les détériorations minimes ou négligeables de l’environnement (à propos de ce principe d’interprétation, voir Canadien Pacifique, supra note 10 aux para 64-65). Notons toutefois qu’il resterait possible de faire échec à l’application de ce principe en invoquant les effets cumulatifs de détériorations environnementales qui, bien que négligeables lorsque considérées isolément, sont susceptibles de comporter dans leur ensemble des répercussions écologiques sérieuses (pour une application concrète de ce raisonnement audacieux, voir Québec (PG) c Latulippe, 2005 CanLII 51227, Beauce 350-61-014460-035 JE 2006-655 (CQ)).
-
[35]
Selon la professeure Paule Halley, les termes « respectueux de la biodiversité » consacreraient le caractère collectif du droit à l’environnement dans la Charte québécoise (Halley, « Avant-projet », supra note 23 à la p 72).
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[36]
Pour une illustration des répercussions graves sur la santé pouvant résulter d’une exposition à long terme à des contaminants toxiques émis sur une base quotidienne dans le cours normal d’activités industrielles, voir Dayna Nadine Scott, « Confronting Chronic Pollution: A Socio-Legal Analysis of Risk and Precaution » (2008) 46 : 2 Osgoode Hall LJ 293 [Scott, « Chronic Pollution »].
-
[37]
Cette définition de la santé, largement acceptée par les autorités de la santé publique, est proposée dans le préambule de la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, 22 juillet 1946, 14 RTNU 185, RT Can 1946 n° 32 (entrée en vigueur : 7 avril 1948). L’OMS compte 193 États membres. Certains auteurs ont même proposé d’englober dans le droit à un environnement sain les atteintes aux valeurs esthétiques et culturelles qui se rattachent au milieu naturel : voir Collins, « European Law », supra note 4 à la p 137 ; Michel Prieur, « L’environnement entre dans la constitution » (2003) 106 Droit de l’environnement 38 à la p 39.
-
[38]
Loi sur le développement durable, supra note 7, art 6. La Loi sur le développement durable définit ces principes comme suit :
1º « Santé et qualité de vie » : les personnes, la protection de leur santé et l’amélioration de leur qualité de vie sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Les personnes ont droit à une vie saine et productive, en harmonie avec la nature. […] 10º « Préservation de la biodiversité » : la diversité biologique rend des services inestimables et doit être conservée pour le bénéfice des générations actuelles et futures. Le maintien des espèces, des écosystèmes et des processus naturels qui entretiennent la vie est essentiel pour assurer la qualité de vie des citoyens.
Voir Gagné et Gauvin, supra note 31 à la p 9 ; Halley, « Avant-projet », supra note 23 aux pp 73-74. Les principes énoncés par la Loi sur le développement durable pourraient infléchir l’interprétation des lois et des règlements en faveur d’une protection accrue de l’environnement : voir par ex 9034-8822 Québec c Sutton (Ville de), 2008 QCCS 1839 au para 16 (disponible sur Azimut), décision dans laquelle le juge Tôth s’exprime comme suit :
C’est à travers cet outil d’interprétation [la Loi sur le développement durable] que l’article 113 paragr. 12.1 [de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme] doit être compris. Assurer la protection du couvert forestier et favoriser l’aménagement durable de la forêt privée par une réglementation sur l’abattage d’arbres, c’est participer au développement durable et réaliser le virage souhaité par le Législateur.
Dans une perspective comparative, il est intéressant de souligner l’opinion de la Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud dans l’arrêt Fuel Retailers Association of Southern Africa v Mpumalanga (Director-General Environmental Management, Department of Agriculture, Conservation and Environment), [2007] ZACC 13 aux para 25-35, 10 B Const LR 1059 (S Afr Const Ct). Cette cour a affirmé que la garantie du droit à un environnement sain prévue à l’article 24 de la Constitution of the Republic of South Africa, supra note 30, à l’instar de la loi destinée à la mettre en oeuvre, la National Environmental Management Act, doit être interprétée à la lumière de l’idéal du développement durable et des principes qui y sont rattachés, tels que définis notamment par le droit international.
-
[39]
C’est aussi l’opinion de la professeure Paquerot, supra note 1 à la p 285. La Loi sur le développement durable, supra note 7, art 6(j), définit le principe de précaution comme suit : « [L]orsqu’il y a un risque de dommage grave ou irréversible, l’absence de certitude scientifique complète ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir une dégradation de l’environnement ». Dans l’arrêt Hudson, supra note 10 aux para 30-32, la juge L’Heureux-Dubé, au nom de la majorité, affirmait l’importance du principe de précaution dans l’interprétation du droit canadien, en l’occurrence un règlement municipal. Elle laisse même entendre que ce principe, largement reconnu en droit international, pourrait faire partie du droit international coutumier. Il est intéressant de noter que la Cour suprême de l’Inde n’hésite aucunement à référer aux grands principes du droit international de l’environnement, dont le principe de précaution, afin de trancher des litiges internes portant sur des questions environnementales. Au sujet de cette jurisprudence, voir Lavanya Rajamani, « Public Interest Environmental Litigation in India: Exploring Issues of Access, Participation, Equity, Effectiveness and Sustainability » (2007) 19 : 3 J Envtl L 293 aux pp 294-95.
-
[40]
Loi sur le développement durable, supra note 7, art 6(e).
-
[41]
Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, Doc off NU, 1992, Doc NU A/CONF.151/26/REV.1 (Vol I) (1993) 3 [Déclaration de Rio]. Tel qu’affirmé au principe 10 de la Déclaration de Rio :
La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l’environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux substances et activités dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision. Les États doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci. Un accès effectif à des actions judiciaires et administratives, notamment des réparations et des recours, doit être assuré.
-
[42]
25 juin 1998, 2161 RTNU 447 (entrée en vigueur : 31 octobre 2001).
-
[43]
Collins, « European Law », supra note 4 à la p 148 (l’auteure propose de concevoir le droit à l’environnement de façon à y intégrer à la fois une dimension substantielle et une dimension procédurale). Voir aussi Boyd, supra note 6 à la p 26 :
In the environmental context, procedural rights are essential complements to substantive rights because they provide the tools to ensure that the latter are fulfilled. Procedural rights are practical and easily enforced, enabling citizens and groups to contribute actively to the protection of their environment.
Sur les forces et les faiblesses des règles encadrant la participation citoyenne aux processus décisionnels en matière d’environnement au Québec, de même qu’à celles qui régissent l’accès à l’information, voir Jean Baril, Le BAPE devant les citoyens : Pour une évaluation environnementale au service du développement durable, Québec, Presses de l’Université Laval, 2006.
-
[44]
Voir l’arrêt Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn c Colombie-Britannique, 2007 CSC 27 au para 87, [2007] 2 RCS 391, dans lequel la majorité de la Cour a reconnu qu’un droit procédural de négocier collectivement découle de façon implicite du droit à la liberté d’association garanti par l’article 2(d) de la Chartecanadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte canadienne]. Il semble cependant que la Cour suprême ait atténué cette obligation dans le récent arrêt Ontario (Procureur général) c Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 RCS 3, l’article 2(d) étant désormais lu comme garantissant « le droit constitutionnel de formuler des revendications collectives et de les voir prises en considération de bonne foi » par l’employeur (ibid au para 51). Cela ne garantit toutefois pas de processus précis en matière de relations de travail, par exemple pour la négociation dans un contexte de monopole syndical. En matière de droit autochtone, la Cour insiste désormais sur l’importance de la consultation et, le cas échéant, de l’accommodement des peuples autochtones, dès lors qu’une mesure gouvernementale est susceptible de porter atteinte à leurs droits. Voir notamment ces arrêts de la Cour suprême du Canada : Beckman c Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 RCS 103 ; Première nation crie Mikisew c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 RCS 388 ; Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511.
-
[45]
Le droit fondamental à l’eau a d’ailleurs récemment été confirmé dans une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies : voir Le droit à l’eau et à l’assainissement : droit de l’homme, Rés AG 48, Doc off AG NU, 64e sess, Doc NU A/RES/64/292 (2010).
-
[46]
Gosselin (CSC), supra note 12 au para 87, juge en chef McLachlin ; ibid au para 301, juge Bastarache.
-
[47]
Ibid au para 302, juge Bastarache.
-
[48]
Ibid au para 92. Voir aussi ibid au para 88.
-
[49]
Ibid.
-
[50]
Ibid au para 433, juge LeBel. Voir aussi ibid aux para 89-95, juge en chef McLachlin.
-
[51]
Ibid aux para 424-33, juge LeBel.
-
[52]
Ibid aux para 423, 433, juge LeBel.
-
[53]
Ibid au para 90, juge en chef McLachlin.
-
[54]
Les magistrats considèrent en effet les termes « prévues par la loi » figurant à l’article 45, ainsi que l’emploi de mots similaires dans les articles 41, 42, 44, 46 et 46.1, comme des limites intrinsèques au pouvoir des tribunaux de définir le contenu des droits économiques et sociaux (ibid).
-
[55]
Ibid aux para 88, 90, 92-93, 95-96, juge en chef McLachlin.
-
[56]
Comme nous le constaterons, si le juge estime que l’article 45 n’a aucune portée normative lorsqu’il est mobilisé à l’encontre de la loi, il en irait autrement des actes fautifs des agents de l’État qui auraient un effet préjudiciable sur ce droit, les articles 45 et 49 permettant alors d’obtenir une réparation (ibid au para 305, juge Bastarache).
-
[57]
Ibid au para 302, juge Bastarache.
-
[58]
Ibid au para 96, juge en chef McLachlin.
-
[59]
C’est la raison pour laquelle l’un des soussignés considère que les droits économiques et sociaux, en l’état actuel du droit, ne constituent pas encore de véritables droits fondamentaux : Robitaille, Normativité, supra note 13.
-
[60]
Gosselin (CSC), supra note 12 au para 94, juge en chef McLachlin.
-
[61]
Ibid au para 93, juge en chef McLachlin.
-
[62]
Le principe normatif du droit à un « environnement sain » et « respectueux de la biodiversité » s’inscrirait ainsi en porte-à-faux avec la mouvance néolibérale en matière de politiques environnementales, laquelle préconise la déréglementation au profit d’une contractualisation accrue des normes environnementales. À ce sujet, voir notamment Paule Halley et Olivier Boiral, « Les systèmes de gestion environnementale au Canada : enjeux et implications pour les politiques publiques de l’environnement » (2008) 53 : 4 RD McGill 649 ; Maryse Grandbois et Marie-Hélène Bérard, « La reconnaissance internationale des droits environnementaux : le droit de l’environnement en quête d’effectivité » (2003) 44 : 3 C de D 427 à la p 466 ; Paule Halley, « Les ententes portant immunité de poursuite et substitution de norme en droit de l’environnement québécois » (1998) 39 : 1 C de D 3 [Halley, « Ententes »] ; Paule Halley, « Le droit, l’environnement et la déréglementation au Québec » dans Développements récents en droit de l’environnement, vol 90, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1997, 343. L’approche consensuelle en matière d’environnement a par ailleurs été consacrée par voie législative avec la mise en place des « attestation[s] d’assainissement » (LQE, supra note 9, art 31.10-31.41) et des « programme[s] d’assainissement » (ibid, art 116.2).
-
[63]
Il faut toutefois noter que la mouvance favorable à la déréglementation de nombreux secteurs d’intervention publique depuis quelques décennies, à laquelle la protection de l’environnement n’a pas échappé, pourrait être mise à mal par une telle obligation positive à la charge de l’État. En effet, la négociation d’ententes entre l’État et les acteurs économiques concernant leurs émissions polluantes, de même que les démarches volontaires de l’industrie, ne sauraient à notre avis se substituer entièrement à l’adoption de normes générales contraignantes, de nature législative ou réglementaire, aux fins de satisfaire à l’obligation de légiférer. Au sujet du recours à ces mécanismes de déréglementation dans le domaine de la régulation environnementale, voir notamment Halley et Boiral, supra note 62 ; Halley, « Ententes », supra note 62.
-
[64]
Voir Bosset et Lamarche, « Introduction », supra note 15 ; Robitaille, Normativité, supra note 13 ; Samson et Brunelle, supra note 15.
-
[65]
Voir Gosselin (CSC), supra note 12 au para 89, juge en chef McLachlin, en ce qui concerne l’article 39 de la Charte québécoise. C’est le constat que faisait Pierre Bosset en 1996 : Pierre Bosset, « Les droits économiques et sociaux : parents pauvres de la Charte québécoise ? » (1996) 75 : 4 R du B can 583 aux pp 590 et s [Bosset, « Droits »].
-
[66]
En ce qui concerne l’article 39, voir Droit de la famille - 3510, [2000] RJQ 559 à la p 568, Montréal 525-43-001948-997 JE 2000-248 (CQ) ; Droit de la famille - 3457, [1999] RDF 777, Bedford 455-04-000379-998 JE 99-2343 (CS Qc) ; Protection de la jeunesse - 641, [1993] RDF 692 à la p 700, Montréal 500-41-001072-860 JE 93-1574 (CQ) ; Droit de la famille - 198, [1985] RJQ 397 à la p 400, Montréal 500-12-083870 JE 85-411 (CS) ; Protection de la jeunesse - 78, (1982), AZ-83031005 (Azimut) à la p 10, Beauharnois 760-42-000003-82 JE 83-42 (Tribunal de la jeunesse). Il faut toutefois souligner que l’article 39 est le plus souvent invoqué à titre supplétif comme outil interprétatif ou pour renforcer la conclusion à laquelle en arrive le tribunal, sans constituer le fondement même des motifs (Bosset, « Droits », supra note 65 à la p 590). En ce qui concerne l’article 48, voir Vallée c Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2005 QCCA 316, [2005] RJQ 961 [Vallée] ; Coutu c Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 1998 CanLII 13100, AZ-98011734 (Azimut) (CA) [Coutu].
-
[67]
Voir ibid à la p 12 ; Vallée, supra note 66 aux para 22 et s.
-
[68]
C’est d’ailleurs en partie sur la base de cette distinction que la juge Thibault fonde sa constatation selon laquelle l’article 48 de la Charte québécoise consacre un droit fondamental quasi constitutionnel dans l’arrêt Vallée (supra note 66 au para 27).
-
[69]
L’article 46 de la Charte québécoise, supra note 8, énonce : « Toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique » [nos italiques]. Voir notamment Srivastava c Hindu Mission of Canada (Quebec), [2001] RJQ 1111 aux para 77-78 (disponible sur CanLII) (CA) ; Association des radiologistes du Québec c Rochon, 1999 CanLII 13740, AZ-50060913 (Azimut) (CA), confirmant [1997] RJQ 1642, Montréal 500-05-011523-956 JE 97-1057 (CS). Dans cette dernière affaire, le premier juge, confirmé en appel, n’a toutefois constaté aucune violation de l’article 46 étant donné qu’il n’avait pas été démontré que la conduite reprochée respectait les critères de cette disposition, soit : 1) une condition de travail injuste et déraisonnable ; 2) une atteinte à la santé, à la sécurité ou à l’intégrité physique.
-
[70]
Voir la partie II. E, ci-dessous.
-
[71]
Les tribunaux québécois ont invoqué à quelques reprises l’article 46.1 afin de justifier des décisions favorables à la protection de l’environnement. Voir notamment Bélanger c Québec (Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs), 2011 QCCS 102 au para 120, [2011] RJQ 369 ; St-Luc-de-Vincennes (Municipalité de) c Compostage Mauricie inc, 2008 QCCA 235 aux para 46-47, [2008] RJQ 309.
-
[72]
Roux, supra note 16 aux pp 64-72.
-
[73]
Ibid à la p 66. Dans l’affaire Droit de la famille - 1544, [1992] RJQ 617 à la p 637 (disponible sur CanLII) (CA), le juge Baudouin affirmait d’ailleurs ceci :
En quatrième lieu, toutes les lois familiales des récentes années sont fondées sur le principe de base de la recherche du meilleur intérêt de l’enfant. La Charte [québécoise] elle-même, dans son article 39, en fait d’ailleurs une priorité sociale et l’élève au rang de valeur fondamentale [...] [notes omises].
Dans cette affaire, comme c’est d’ailleurs le cas dans plusieurs des jugements dans lesquels il est mobilisé (voir supra note 66), l’article 39 a été utilisé non comme fondement principal de la conclusion au litige, mais comme principe d’interprétation dont la Cour a tenu compte dans ses motifs. Cela n’est pas sans appuyer la conclusion à laquelle en arrive Roux quant à la nature des droits économiques et sociaux dans la Charte québécoise.
-
[74]
Roux, supra note 16 à la p 68.
-
[75]
Ibid à la p 70.
-
[76]
Ronald Dworkin, Prendre les droits au sérieux, traduit par Marie-Jeanne Rossignol et Frédéric Limare, révisé par Françoise Michaut, Paris, Presses Universitaires de France, 1995 aux pp 82-83, 87.
-
[77]
Ibid aux pp 79-80.
-
[78]
Ibid aux pp 96, 142.
-
[79]
Ibid à la p 41.
-
[80]
Ibid aux pp 83, 87. Voir également le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard ; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard, [1997] 3 RCS 3 au para 94, 150 DLR (4e) 577 [Rémunération des juges].
-
[81]
Dworkin, supra note 76 à la p 87.
-
[82]
Ibid aux pp 79-84, 87, 96. Dans le contexte canadien, voir notamment Renvoirelatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 au para 52, 161 DLR (4e) 385 ; Rémunération des juges, supra note 80 au para 95 ; Roux, supra note 16 à la p 66.
-
[83]
Dworkin, supra note 76 aux pp 87, 148.
-
[84]
Rémunération des juges, supra note 80 au para 95. Dans le contexte de la Charte québécoise, à propos du principe de dignité contenu au préambule et du droit à la dignité protégé à l’article 4, voir Christian Brunelle, « La dignité dans la Charte des droits et libertés de la personne : de l’ubiquité à l’ambiguïté d’une notion fondamentale » (2006) (Numéro thématique hors série) R du B 143 aux pp 168-69.
-
[85]
Voir Québec, Assemblée nationale, Commission permanente des transports et de l’environnement, « Étude détaillée du projet de loi no 118 — Loi sur le développement durable (3) » dans Journal des débats de la Commission permanente des transports et de l’environnement, vol 38, no 63 (16 février 2006) à la p 24 ; Québec, Assemblée nationale, Commission permanente des transports et de l’environnement, « Consultations particulières sur le projet de loi no 118 — Loi sur le développement durable (4) » dans Journal des débats de la Commission permanente des transports et de l’environnement, vol 38, no 56 (2 décembre 2005) à la p 39 [Journal des débats, 2 décembre 2005] ; Québec, Assemblée nationale, Commission permanente des transports et de l’environnement, « Consultations particulières sur le projet de loi no 118 — Loi sur le développement durable (2) » dans Journal des débats de la Commission permanente des transports et de l’environnement, vol 38, no 52 (25 novembre 2005) aux pp 4-10 [Journal des débats, 25 novembre 2005].
-
[86]
Nous discuterons de façon détaillée du rôle potentiel de l’article 46.1 dans l’interprétation des autres droits et libertés protégés par la Charte québécoise dans la deuxième partie de cet article.
-
[87]
Constitution of India, supra note 30.
-
[88]
Propos des pères fondateurs de l’Inde, rapportés par Bertus de Villiers, « Directive Principles of State Policy and Fundamental Rights: The Indian Experience » (1992) 8 : 1 SAJHR 29 à la p 31 [de Villiers, « Indian Experience »].
-
[89]
Cet énoncé se retrouve dans les Directive Principles of State Policy, de la Constitution of India, supra note 30, Part IV, art 37 : « The provisions contained in this Part shall not be enforceable by any court, but the principles therein laid down are nevertheless fundamental in the governance of the country and it shall be the duty of the State to apply these principles in making laws » [nos italiques].
-
[90]
David Annoussamy, « Indépendance judiciaire : Le cas de l’Inde » (1999) 51 : 1 RIDC 119 à la p 120 ; Pratap Bhanu Mehta, « India’s Unlikely Democracy: The Rise of Judicial Sovereignty » (2007) 18 : 2 Journal of Democracy 70 aux pp 72-73.
-
[91]
Bertus de Villiers, « The Socio-Economic Consequences of Directive Principles of State Policy; Limitations on Fundamental Rights » (1992) 8 : 2 SAJHR 188 aux pp 189-99.
-
[92]
Ibid ; de Villiers, « Indian Experience », supra note 88 aux pp 43-45.
-
[93]
Voir notamment Francis Coralie Mullin v Union Territory of Delhi (Administrator), [1981] AIR 746, 1 SCC 608 (Sup Ct Inde). Pour une analyse plus approfondie, voir David Robitaille, « L’interprétation des droits socioéconomiques en Inde et en Afrique du Sud : par-delà le texte, la volonté judiciaire » (2011) 41 : 2 RGD 497 ; David Robitaille, « L’influence du contexte économique et idéologique sur la conception de l’être humain par le droit et le juge constitutionnels : les cas canadien, indien et sud-africain » (2011) 26 : 1 RCDS 1.
-
[94]
Guy Rocher, « Les fondements de la société libérale, les relations industrielles et les Chartes » dans Rodrigue Blouin et al, dir, Les Chartes des droits et les relations industrielles, Québec, Presses de l’Université Laval, 1988, 1 à la p 13. François Fournier et Michel Coutu notent dans le même sens que « [l]ors de l’adoption de la Charte au milieu des années 1970, le droit québécois était animé par une double logique, celle du libéralisme et celle, interventionniste, caractéristique de l’État-Providence ou “État social” » (François Fournier et Michel Coutu, « Le Québec et le monde 1975-2000 : mutations et enjeux » dans Pierre Bosset, dir, Après 25 ans : la Charte québécoise des droits et libertés, vol 2, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, 2003, 5 à la p 45 [Bosset, Charte]).
-
[95]
Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 30e lég, 2e sess, vol 15, n° 79 (12 novembre 1974) à la p 2744.
-
[96]
Johnson c Québec (Commission des affaires sociales), [1984] RJQ 61, Québec 200-09-00836-814 JE 84-215 (CA) [Johnson].
-
[97]
Ibid aux pp 68-69.
-
[98]
Gosselin (CSC), supra note 12 au para 428.
-
[99]
Ibid aux para 302, 305, juge Bastarache ; ibid au para 396, juge Arbour ; Gosselin (CA), supra note 21 à la p 1119, juge en chef Robert, dissident.
-
[100]
Cela ressort clairement de la Constitution of India, supra note 30, art 38 :
(1) The State shall strive to promote the welfare of the people by securing and protecting as effectively as it may a social order in which justice, social, economic and political, shall inform all the institutions of the national life. (2) The State shall, in particular, strive to minimise the inequalities in income, and endeavour to eliminate inequalities in status, facilities and opportunities, not only amongst individuals but also amongst groups of people residing in different areas or engaged in different vocations.
-
[101]
À titre d’exemple, l’article 46.1 a été mobilisé par la Ligue des droits et libertés dans le contexte du dossier des gaz de schiste au Québec afin de justifier l’intervention, en matière environnementale, d’un organisme s’intéressant aux droits humains (Ligue des droits et libertés, Le droit de dire NON — Mémoire de la Ligue des droits et libertés déposé dans le cadre de la consultation portant sur le « Développement durable de l’industrie des gaz de schiste au Québec », présenté au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, 16 novembre 2010 à la p 5, en ligne : Ligue des droits et libertés <http://www.liguedesdroits.ca/publications/memoires.html>) ainsi que par le Barreau du Québec pour critiquer le PL 121, Loi visant à améliorer la cohabitation entre les riverains de sentiers et les utilisateurs de véhicules hors route ainsi que la sécurité de ces utilisateurs, 1re sess, 39e lég, Québec, 2010 (sanctionné le 8 décembre 2010), LQ 2010, c 33 (Lettre de Claude Provencher, Directeur général du Barreau du Québec, à Norman MacMillan, Ministre délégué aux Transports (9 novembre 2010), à la p 8, en ligne : Barreau du Québec <http://www.barreau.qc.ca>).
-
[102]
de Villiers, « Indian Experience », supra note 88 à la p 33, n 22. La Cour suprême suggérait d’ailleurs que la violation des conventions constitutionnelles constituait une violation de la Constitution, prise dans son sens politique : Renvoi relatif à la Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 RCS 753 aux pp 883, 909, 125 DLR (3e) 1.
-
[103]
Gosselin (CSC), supra note 12 au para 396, juge Arbour.
-
[104]
Pour une reconnaissance sans équivoque de ces rapports, voir l’opinion du juge Weeramantry, ancien vice-président de la Cour internationale de Justice, dans Affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie c Slovaquie), [1997] CIJ Rec 3 aux pp 91-92 :
La protection de l’environnement est [...] elle aussi, un élément essentiel de la doctrine contemporaine des droits de l’homme, car elle est une condition sine qua non de nombre de droits de l’homme, tels que le droit à la santé et le droit à la vie elle-même. Il n’est guère nécessaire de développer cette question, car les dommages causés à l’environnement peuvent compromettre et saper tous les droits de l’homme dont parlent la déclaration universelle et les autres actes consacrant de tels droits.
Voir aussi Lynda M Collins, « An Ecologically Literate Reading of the Canadian Charter of Rights and Freedoms » (2009) 26 Windsor Rev Legal Soc Issues 7 [Collins, « Literate Reading »] ; Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, Doc off CES NU, 22e sess, Doc NU E/C.12/2000/4 (2000) au para 15 ; Rapport final établi par Mme Fatma Zohra Ksentoni, rapporteur spécial, sur l’examen des faits nouveaux intervenus dans les domaines dont la sous-commission s’est déjà occupée : droit de l’homme et environnement, Doc off CES NU, 1994, Doc NU E/CN.4/Sub.2/1994/9 ; Grandbois et Bérard, supra note 62 aux pp 437-41 ; Kravchenko et Bonine, supra note 3 aux pp 5-60 ; Neil AF Popovic, « Pursuing Environmental Justice with International Human Rights and State Constitutions » (1996) 15 : 2 Stan Envtl LJ 338 aux pp 339-52 ; Shelton, supra note 4 aux pp 97-107.
-
[105]
Voir les sources mentionnées à la note 102. Les rapports entre la pollution environnementale et les droits à la vie, à l’intégrité et la sécurité de la personne peuvent clairement être illustrés par référence aux catastrophes industrielles majeures qui ont coûté la vie et la santé de milliers de personnes, durant le dernier siècle seulement. Il suffit ici de rappeler le déversement, en 1984, de 47 tonnes de méthyle isocyanate par la compagnie Union Carbide dans l’État de Bhopal, en Inde, qui aurait coûté la vie à près de 10 000 personnes, ainsi que l’accident survenu deux ans plus tard dans la centrale nucléaire de Tchernobyl, lequel affecte encore aujourd’hui la vie et la santé de nombreux Ukrainiens. Sur les évènements de Bhopal et l’impunité de ses auteurs, voir Upendra Baxi, « Writing About Impunity and Environment: the “Silver Jubilee” of the Bhopal Catastrophe » (2010) 1 : 1 Journal of Human Rights and the Environment 23. Il reste néanmoins que les effets de la pollution environnementale sur l’intégrité physique des êtres humains sont de façon générale beaucoup plus insidieux, en ce qu’ils ne découlent pas d’évènements isolés et spectaculaires, mais de la pollution quotidienne qui résulte des modes dominants de production et de consommation au sein des économies capitalistes néolibérales : voir Scott, « Chronic Pollution », supra note 36 à la p 294.
-
[106]
Pour un exposé détaillé de l’état des connaissances sur les rapports entre diverses sources de pollution toxique et la santé humaine, voir Henry Augier, Le livre noir de l’environnement : État des lieux planétaire sur les pollutions, Monaco, Alphée, 2008.
-
[107]
Sur les rapports entre les changements climatiques et la santé humaine, voir Rajendra K Pachauri, dir, Bilan 2007 des changements climatiques : Contribution des groupes de travail I, II et III au quatrième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Genève, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 2007, en ligne : GIEC <http://www.ipcc.ch>.
-
[108]
L’article 1 de la Charte québécoise se lit comme suit : « Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de la personne » (supra note 8). Le contenu de ces droits peut, par analogie, être défini à la lumière de la jurisprudence portant sur les droits à la vie, à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté protégés par la Charte canadienne (Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 5e éd, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2008 à la p 1124). Notons cependant que contrairement à l’article 7 de la Charte canadienne, l’article 1 de la Charte québécoise ne réfère pas aux principes de justice fondamentale. Il en découle que le fardeau de preuve des plaignants pourrait s’avérer moins lourd dans le contexte de l’article 1 de la Charte québécoise que dans celui de l’article 7 de la Charte canadienne (voir Chaoulli, supra note 17 au para 41, juge Deschamps). Sur les rapports entre les droits fondamentaux à la vie, à la sécurité, à l’intégrité et à la liberté de la personne et la dégradation environnementale, voir notamment Collins, « Literate Reading », supra note 104 aux pp 22-25 ; Grandbois et Bérard, supra note 62 à la p 439.
-
[109]
Voir généralement l’arrêt Chaoulli, supra note 17 (les dispositions législatives qui prohibent l’assurance privée pour des soins couverts par le régime public de soins de santé portent atteinte au droit à la vie, en ce qu’elles ne permettent pas de recourir à ce moyen afin de contourner les délais d’attente du régime public pour recevoir des soins requis par l’état de santé). Voir aussi États-Unis c Burns, 2001 CSC 7, [2001] 1 RCS 283 (le Canada doit, avant d’extrader une personne vers un pays où la peine de mort est pratiquée, obtenir de ce pays l’assurance que cette peine ne sera pas appliquée).
-
[110]
Sur les aspects physiques et psychologiques du droit à la sécurité ou à l’intégrité de la personne, voir de Montigny c Brossard (Succession), 2010 CSC 51 au para 67, [2010] 3 RCS 64 [de Montigny] ; Chaoulli, supra note 17 au para 41, juge Deschamps (par analogie avec l’article 7 de la Charte canadienne, voir également les motifs de la juge en chef McLachlin et du juge Major) ; Québec (Curateur public) c Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 RCS 211 au para 95, 138 DLR (4e) 577 [Hôpital St-Ferdinand] ; Rodriguez c Colombie-Britannique (Procureur Général), [1993] 3 RCS 519, 107 DLR (4e) 342 [Rodriguez avec renvois aux RCS] ; R c Morgentaler, [1988] 1 RCS 30, 63 OR (2e) 281 [Morgentaler avec renvois aux RCS].
-
[111]
Rodriguez, supra note 110 à la p 588. Tel que l’affirme la juge Deschamps dans l’arrêt Chaoulli, supra note 17 au para 41 : « [l]e terme “intégrité” [dans la Charte québécoise] a une portée plus large que le mot “sécurité” utilisé à l’art. 7 de la Charte canadienne ». En conséquence, « [s]i la preuve démontre l’existence d’une atteinte au droit à la sécurité de la personne, à plus forte raison, elle justifie de conclure à une atteinte au droit à l’intégrité de la personne » (ibid au para 43).
-
[112]
Dans l’arrêt Hôpital St-Ferdinand, la Cour suprême précise que « [l]e sens courant du mot “intégrité” laisse sous-entendre que l’atteinte à ce droit doit laisser des marques, des séquelles qui, sans nécessairement être physiques ou permanentes, dépassent un certain seuil » (supra note 110 au para 97).
-
[113]
La juge en chef McLachlin, notamment, n’y a pas fermé la porte dans l’arrêt Gosselin (CSC) (supra note 12 au para 82).
-
[114]
Ibid au para 346, juge Arbour.
-
[115]
R c Operation Dismantle, [1985] 1 RCS 441, 18 DLR (4e) 481 [Operation Dismantle avec renvois aux RCS] ; Energy Probe c Canada (PG), [1994] 17 OR (3e) 717, 17 CELR (NS) 245 (Div gén Ont).
-
[116]
Manicom v Oxford (Comté de), [1985] 52 OR (2e) 137 (disponible sur WL Can) (H Ct J [Div Ct] Ont) [Manicom]. Il s’agissait d’une requête afin de suspendre les procédures.
-
[117]
Millership v Kamloops (City), 2003 BCSC 82, 121 ACWS (3e) 667 [Millership] ; Locke v Calgary (City) (1993), 147 AR 367, 15 Alta LR (3e) 70 (Alta QB).
-
[118]
Soulignons toutefois que la décision Manicom, supra note 116, qui concernait la contestation, en vertu notamment de l’article 7 de la Charte canadienne, de la décision du Comté d’Oxford et de la province de l’Ontario d’autoriser la construction d’un site d’enfouissement des déchets dans une région agricole, fut rejetée non pas en raison de l’exigence de causalité, mais plutôt au motif que l’article 7 ne protège pas les intérêts liés à la propriété. Les allégations portant sur les répercussions potentielles du site sur la santé humaine, parce qu’elles n’ont pas été soulevées durant les plaidoiries, n’ont pas été évaluées par le tribunal ontarien.
-
[119]
Dans la décision Millership, par exemple, la Cour suprême de la Colombie-Britannique laisse entendre qu’une exposition à des quantités de fluorure suffisantes pour constituer une menace sérieuse à la santé pourrait ouvrir la porte à un recours fondé sur l’article 7 de la Charte canadienne :
I find that Mr. Millership’s s. 7 rights have not been infringed by the fluoridation of public water [...], provided that fluoridation is maintained within a range of the optimal levels recommended by the Federal/Provincial/ Territorial Subcommittee (.8 mg/L to 1 mg/L). This is a minimal intrusion into Mr. Millership’s rights to liberty or security of the person, and did not amount to a prima facie breach of those rights
Millership, supra note 117 au para 112 -
[120]
EHP c Canada, Déc Comité des droits de l’homme 67/1980, Doc off Comité des droits de l’homme NU, 17e sess, Doc NU CCPR/C/OP/2 (1982) 20 [EHP].
-
[121]
À l’appui de sa décision, le Comité a notamment souligné l’adoption, alors récente, des articles 7 et 24 de la Charte canadienne, lesquels pourraient, à son avis, constituer un fondement potentiel à un recours judiciaire en droit interne. Tel que l’affirme le Comité, « [a]s to the effectiveness of domestic remedies, the Committee notes that the author could now also invoke the Canadian Charter of Human Rights and Freedoms which explicitly (section 7) protects the right to life » (ibid au para 8).
-
[122]
19 décembre 1966, 999 RTNU 171, art 6(1), RT Can 1976 nº 47, le texte de la disposition se lisant ainsi : « 1. Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie ». Voir aussi EHP, supra note 120 au para 8.
-
[123]
[GC], n°48939/99, [2004] XII CEDH 1, [2005] 41 EHRR 20 [Öneryildiz].
-
[124]
Le droit à la vie est protégé par l’article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 RTNU 221, STE 5 [Convention européenne], dans les termes suivants : « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ». Le droit de toute personne à la libre jouissance de ses biens est pour sa part reconnu à l’article 1 du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 20 mars 1952, 213 RTNU 262, STE 9 [Protocole additionnel].
-
[125]
En effet, les victimes de l’explosion vivaient dans un bidonville situé à proximité du site d’enfouissement. En dépit des dangers inhérents à sa localisation, la présence du bidonville était tolérée par les autorités municipales qui, pour des considérations électorales, auraient régularisé le bidonville par voie législative, en plus d’y installer des services publics tel qu’un raccordement au service de distribution d’eau. Cette affaire illustre de façon éloquente les injustices pouvant résulter de la distribution des risques de la pollution environnementale, des personnes vivant en situation de pauvreté extrême ayant été exposées aux risques connus découlant de la proximité d’un bidonville et d’un site d’enfouissement des déchets négligé par les autorités publiques compétentes.
-
[126]
Öneryildiz, supra note 123 au para 71.
-
[127]
Ibid au para 109.
-
[128]
Ces droits sont reconnus aux articles I et XI de la OÉA, Commission interaméricaine des Droits de l’Homme, Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, Doc off OEA/Ser L/V/I.4 Rev 13 (1948) [Déclaration américaine]. La Commission a en outre conclu que le Brésil, par ses omissions, a violé le droit des Yanomami de fixer leur résidence sur le territoire de l’État, d’y circuler librement et de ne le quitter que de leur propre volonté, droit reconnu à l’article 8 de la Déclaration américaine.
-
[129]
Yanomami c Brésil (1985), Inter-Am Comm HR, No 12/85, Annual Report of the International American Commission on Human Rights: 1984-85, OEA/Ser L/V/II.62/doc.10, rev 1.
-
[130]
Voir notamment Geetanjoy Sahu, « Implications of Indian Supreme Court’s Innovations for Environmental Jurisprudence » (2008) 4 : 1 Law, Environment and Development Journal 1 aux pp 8-9.
-
[131]
[1991] AIR 420, 1 SCC 598 (Sup Ct Inde) [Subhash Kumar avec renvois aux AIR].
-
[132]
Le requérant, décrit par la Cour suprême de l’Inde comme un « homme d’affaires influent », pratique le commerce de certains résidus de la transformation du charbon. Selon les faits, il était en conflit avec la compagnie intimée, du fait que celle-ci refusait d’accroître ses approvisionnements en résidus de charbon. Le recours d’intérêt public fondé sur la violation du droit à la vie des personnes qui utilisent l’eau de la rivière contaminée aurait ainsi été intenté de mauvaise foi, pour la défense des seuls intérêts économiques du requérant, plutôt que pour la défense de l’intérêt public dans la protection de l’environnement et la préservation du droit à la vie. Tel que l’exprime la Cour indienne :
Public interest litigation contemplates legal proceeding for vindication or enforcement of fundamental rights of a group of persons or community which are not able to enforce their fundamental rights on account of their incapacity, poverty or ignorance of the law. A person invoking the jurisdiction of this Court under Art. 32 must approach this Court for the vindication of the fundamental rights of affected persons and not for the purpose of vindication of his personal grudge or enmity
ibid à la p 427Sur la procédure d’intérêt public (Public Interest Litigation [PIL]) en Inde, sa contribution particulière au développement du droit de l’environnement ainsi que ses limites, voir Sahu, supra note 130 aux pp 5-6. De manière générale, sur les résultats concrets mitigés de la PIL, voir Brenda Cossman et Ratna Kapur, « Women and Poverty in India: Law and Social Change » (1993) 6 RFD 278 à la p 298 ; Mehta, supra note 90 à la p 71 ; R Sudarshan, « Courts and Social Transformation in India » dans Roberto Gargarella, Pilar Domingo et Theunis Roux, dir, Courts and Social Transformation in New Democracies: An Institutional Voice for the Poor?, Aldershot (R-U), Ashgate, 2006, 153 à la p 156.
-
[133]
Subhash Kumar, supra note 131 à la p 427.
-
[134]
[2000] AIR 1997, 6 SCC 213 (Sup Ct Inde). Cette affaire avait pour objet de déterminer si la Cour suprême de l’Inde, en plus de condamner un complexe hôtelier à verser une compensation monétaire afin de restituer l’intégrité écologique du milieu hydrique dégradé par ses activités, pouvait lui imposer de payer une amende en vertu des dispositions de la Water Act, 1974. La Cour, pour des motifs liés à la preuve et à la procédure, a refusé d’imposer la sanction pénale demandée.
-
[135]
Ibid au para 7. Dans le même sens, voir Virendra Gaur v Haryana (État de) (1994), [1995] 2 SCC 577 au para 7, [1994] 6 SCR 78 (Sup Ct Inde) :
Article 21 protects right to life as a fundamental right. Enjoyment of life and its attainment including their right to life with human dignity encompasses within its ambit, the protection and preservation of environment, ecological balance free from pollution of air and water, sanitation without which life cannot be enjoyed.
Voir aussi MC Mehta v India (Union de), [1997] AIR 734, 2 SCC 353 (Sup Ct Inde) ; Charan Lal Sahu v India (Union de) (1989), [1990] AIR 1480, 1 SCC 613 (Sup Ct Inde) (concernant la catastrophe de Bhopal). Cette jurisprudence, sans nul doute progressive au plan de la protection de l’environnement, n’est pas sans soulever d’inquiétudes au regard de la justice sociale. Voir notre analyse en conclusion, ci-dessous.
-
[136]
Collins, « Literate Reading », supra note 104 aux pp 22-23.
-
[137]
Tel que l’exprime la juge Deschamps dans l’arrêt Chaoulli, supra note 17 au para 38 : « le droit à la vie et à la liberté protégé par la Charte québécoise est le même que celui garanti par la Charte canadienne. La société québécoise ne se distingue pas de la société canadienne pour ce qui est du respect de ces deux droits fondamentaux ».
-
[138]
Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 aux para 49-54, [2000] 2 RCS 307 [Blencoe], citant avec approbation B (R) c Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 RCS 315 au para 80, 122 DLR (4e) 1 (sur le droit des parents de choisir un traitement médical pour leur enfant en bas âge) et Morgentaler, supra note 110 à la p 166 (sur le droit de la femme de mettre fin à une grossesse).
-
[139]
Tel que l’exprime la professeure Lynda Collins, « [b]eyond the choice-of-residence scenario, a strong argument can be made that state-permitted environmental contamination that results in the entrance of harmful substances into an individual’s body without that person’s consent is a violation of the liberty interest » (Collins, « Literate Reading », supra note 104 aux pp 23-24). Au sujet du contrôle par les individus des substances nocives susceptibles de pénétrer leur organisme au regard de l’institution du « tort of battery » de la common law, voir Lynda Collins et Heather McLeod-Kilmurray, « Toxic Battery: A Tort for our Time? » (2008) 16 Tort Law Review 131.
-
[140]
[1997] 3 RCS 844 au para 66, 152 DLR (4e) 577.
-
[141]
Ibid. Voir aussi le passage suivant :
Pour dire les choses simplement, le choix du lieu où l’on veut vivre dépend, pour chacun, de sa situation sociale et économique particulière mais, encore plus, de ses aspirations, préoccupations, valeurs et priorités. Compte tenu de toutes ces considérations, je conclus donc que le choix d’un lieu pour établir sa demeure appartient à la catégorie limitée des décisions méritant une protection constitutionnelle
ibid au para 68 -
[142]
Ibid au para 67.
-
[143]
Collins, « Literate Reading », supra note 104 aux pp 23-24.
-
[144]
Ibid à la p 23.
-
[145]
Ibid. En effet, le choix d’établir sa résidence dans un milieu de vie exempt de pollution nocive pour la santé pourrait être perverti par la décision ultérieure des autorités publiques de permettre l’exercice dans ce même milieu d’activités générant des risques environnementaux significatifs.
-
[146]
Le droit à la vie privée est consacré par l’article 5 de la Charte québécoise dans les termes suivants : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée » (supra note 8). L’article 7, pour sa part, affirme le caractère inviolable de la demeure.
-
[147]
Cette citation, tirée de López Ostra c Espagne (1994), 303 CEDH (Sér A) 51 au para 51, 20 EHRR 277, a souvent été reprise par la Cour européenne dans des affaires subséquentes : voir notamment Fadeïeva c Russie, n° 55723/00, [2005] IV CEDH 301 au para 69, 2005 ECHR 376 [Fadeïeva] ; Guerra c Italie (1998), 64 CEDH 210 au para 60, 26 EHRR 357 [Guerra] ; Hatton c Royaume-Uni [GC], n° 36022/97, [2003] VIII CEDH 243 au para 96, 2003 EHRR 28 ; Taskin c Turquie, n° 46117/99, [2004] X CEDH 145 au para 113.
-
[148]
Guerra, supra note 147.
-
[149]
Supra note 124, art 8.
-
[150]
Guerra, supra note 147 au para 58.
-
[151]
Fadeïeva, supra note 147 au para 88.
-
[152]
Ibid au para 92.
-
[153]
Ibid au para 69.
-
[154]
Ibid.
-
[155]
Tel que l’affirme la Cour européenne en s’appuyant sur sa décision antérieure Kyrtatos c Grèce, no 41666/98, [2003] VI CEDH 275, tel que cité dans Fadeïeva, supra note 147 au para 68 : « [L]es droits et libertés protégés par la Convention ne comportent pas un droit à la préservation de la nature en tant que tel ».
-
[156]
Soulignons qu’en droit québécois, des situations similaires à celles décrites dans la présente section pourraient, le cas échéant, faire également l’objet d’un recours en matière de trouble de voisinage fondé sur l’article 976 CcQ. Voir Ciment du Saint-Laurent inc c Barrette, 2008 CSC 64, [2008] 3 RCS 392 [Ciment du Saint-Laurent avec renvois aux RCS]. Ceci dit, en raison de son caractère quasi constitutionnel, nous pensons que la Charte québécoise ajoute une protection plus forte, réelle et symbolique, aux droits en jeu dans de telles situations.
-
[157]
Charte québécoise, supra note 8, art 6. La Charte québécoise se distingue à cet égard de la Charte canadienne, cette dernière ne conférant aucune protection au droit de propriété. Par ailleurs, tel que nous l’avons déjà souligné, la Cour suprême a interprété le droit à la sécurité consacré par l’article 7 de la Charte canadienne de façon à exclure les intérêts de nature économique. Dans un tout autre ordre d’idées, il est intéressant de mentionner que les titulaires de droits de propriété pourraient être tentés d’invoquer l’article 6 dans tous les cas où est adoptée une nouvelle norme environnementale qui impose des limites à l’usage d’un fonds ou d’un bien, sans que les propriétaires reçoivent en contrepartie une juste compensation. Soulignons toutefois que dans une décision récente, qui ne mettait toutefois pas en jeu l’article 6 de la Charte québécoise, la Cour d’appel du Québec a jugé que l’obligation imposée par une municipalité à ses propriétaires riverains d’aménager une bande riveraine afin de protéger les berges d’un lac ne constituait pas une expropriation déguisée sans compensation, et ce malgré le fait que la réglementation eût restreint les usages de leur fonds : Wallot cQuébec (Ville de), 2011 QCCA 1165 (disponible sur CanLII). Suivant cette décision, il serait pour le moins étonnant que les tribunaux, appelés à interpréter l’article 6 de la Charte québécoise, jugent que l’imposition de normes environnementales d’intérêt public constitue une forme d’expropriation.
-
[158]
Anne-Françoise Debruche, « La protection de la propriété par la Charte des droits et libertés de la personne : diable dans la bouteille ou simple peau de chagrin ? » (2006) (Numéro thématique hors série) R du B 175 à la p 180. Il n’existe que peu de doctrine portant sur l’article 6 de la Charte québécoise. L’étude de la professeure Debruche constitue, à notre connaissance, la contribution la plus achevée sur ce sujet.
-
[159]
Ibid aux pp 183-84. Il nous semble toutefois pertinent de mentionner que la version anglaise de l’article 6 de la Charte québécoise réfère à la notion de « property » (plutôt, par exemple, qu’à la notion de « possessions »). Une analyse détaillée de la jurisprudence visant à déterminer l’influence de la terminologie anglaise sur l’interprétation restrictive du droit « à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens » dépasserait largement les objectifs de notre étude. Il convient néanmoins de souligner que la version anglaise de l’article 6 pourrait servir à justifier une interprétation davantage restrictive de l’étendue de la protection conférée par cette disposition, notamment en faveur des droits de nature réelle, ce qui aurait pour effet de créer une discrimination — au sens large et non strictement constitutionnel du terme — entre les propriétaires et les autres usagers de biens, en particulier les locataires.
-
[160]
Ibid à la p 180. Voir notamment Guérette c Béland, [2006] RDI 25 (disponible sur CanLII) (CS Qc).
-
[161]
Supra note 156.
-
[162]
Ibid au para 83 :
L’approche de la Cour d’appel signifierait aussi que les locataires ou occupants ne pourraient exercer de recours fondés sur l’art. 976 C.c.Q., puisqu’ils ne peuvent exciper de la qualité de titulaires d’un droit réel. La jurisprudence reconnaît pourtant déjà que les locataires peuvent eux aussi bénéficier de ce régime même s’ils ne sont pas titulaires d’un droit réel.
Et plus loin, dans le même paragraphe : « Il semble en effet incongru d’attacher le droit de jouir d’un voisinage sans trouble excessif à la seule qualité de propriétaire, alors que c’est le demandeur qui subit le dommage et non sa propriété ».
-
[163]
Debruche, supra note 158 à la p 186. L’auteure précise toutefois qu’en matière d’expropriation, les tribunaux exigent que la « “loi” dérogatoire soit d’intérêt public et qu’une juste indemnité soit versée au propriétaire spolié » (ibid). Il ne s’agirait alors toutefois « que de compléter l’article 6 par le droit commun découlant du Code (spécialement de l’art. 952 C.c.Q.), de la Loi sur l’expropriation, des coutumes constitutionnelles et des principes relatifs à l’interprétation des lois » [notes omises] (ibid).
-
[164]
Au sujet de cette jurisprudence, voir ibid aux pp 192 et s.
-
[165]
Supra note 124, art 1.
-
[166]
Supra note 124.
-
[167]
Protocole additionnel, supra note 124, art 1.
-
[168]
(1982), 52 CEDH (Sér A) 4, 5 EHRR 35 [Sporrong]. Il s’agit toujours de la décision de principe quant à l’interprétation de cette disposition.
-
[169]
En plus de la norme générale du « droit de chacun au respect de ses biens » (Debruche, supra note 158 à la p 197), la Cour européenne exige que la privation de propriété soit conforme aux exigences posées par la loi, qu’elle intervienne pour un motif d’utilité publique et qu’elle fasse l’objet d’une juste indemnité (ibid aux pp 197-99).
-
[170]
Ibid à la p 197. Voir Sporrong, supra note 168 aux para 69-74.
-
[171]
Debruche, supra note 158 à la p 198. Pour une application récente du test de proportionnalité dans un contexte environnemental, voir cet arrêt de l’England and Wales Court of Appeal : Thomas v Bridgend CBC, [2011] EWCA Civ 862 (disponible sur WL Can). Nous tenons à remercier Gabriel Querry d’avoir porté cette décision à notre attention.
-
[172]
C’est aussi l’opinion de Paquerot, supra note 1 aux pp 289-91.
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[173]
Commission scolaire St-Jean-sur-Richelieu, supra note 21 à la p 1243.
-
[174]
Voir notamment David Robitaille, « Non-indépendance et autonomie de la norme d’égalité québécoise : des concepts “fondateurs” qui méritent d’être mieux connus » (2004) 35 : 1 RDUS 103 [Robitaille, « Norme d’égalité »].
-
[175]
L’article 10 de la Charte québécoise, supra note 8, énonce :
Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
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[176]
Robitaille, « Norme d’égalité », supra note 174.
-
[177]
Pierre Bosset, « Les droits économiques et sociaux, parents pauvres de la Charte ? » dans Bosset, Charte, supra note 94, 229 ; Bosset, « Droits », supra note 65.
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[178]
Commission scolaire St-Jean-sur-Richelieu, supra note 21.
-
[179]
La justice environnementale, envisagée comme mouvement social ou à titre de cadre théorique, a fait l’objet de nombreuses études depuis les dix dernières années : voir notamment Julian Agyeman et al, Speaking for Ourselves: Environmental Justice in Canada, Vancouver, University of British Columbia Press, 2009 ; Robert D Bullard, dir, The Quest for Environmental Justice: Human Rights and the Politics of Pollution, San Francisco, Sierra Club Books, 2005 ; Luke W Cole et Sheila R Foster, From the Ground Up: Environmental Racism and the Rise of the Environmental Justice Movement, New York, New York University Press, 2001 ; David Schlosberg, Defining Environmental Justice: Theories, Movements, and Nature, Oxford, Oxford University Press, 2007.
-
[180]
Voir notamment Cole et Foster, supra note 179. Voir aussi les études de cas publiées dans Agyeman et al, supra note 179.
-
[181]
Stéphanie Premji et al, « Socio-Economic Correlates of Municipal-Level Pollution Emissions on Montreal Island » (2007) 98 : 2 Revue canadienne de santé publique 138.
-
[182]
Québec (Procureur Général) c Lambert, [2002] RJQ 599, Montréal 500-09-00457-974 JE 2002-527 (CA) ; Whittom c Québec (Commission des droits de la personne), [1997] RJQ 1823 (disponible sur CanLII) (CA).
-
[183]
Ordre des comptables généraux licenciés du Québec c Québec (Procureur Général), [2004] RJQ 1164 au para 69 (disponible sur CanLII) (CA).
-
[184]
Voir Agyeman et al, supra note 179.
-
[185]
Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4 aux para 46-49, [2007] 1 RCS 161 ; Labelle c Agence de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux – région de Montréal, 2011 QCCA 334 aux para 36-38 (disponible sur CanLII).
-
[186]
Doucet-Boudreau c Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62 au para 25, [2003] 3 RCS 3, juges Iacobucci et Arbour.
-
[187]
Gosselin (CSC), supra note 12 au para 96, juge en chef McLachlin.
-
[188]
Pour un exemple de litige impliquant l’État à titre de pollueur, voir Spieser c Canada (Procureur Général), 2010 QCCS 3249 (disponible sur CanLII). L’État exerce dans un tel cas de simples actes de gestion. Sa responsabilité ne diffère pas, dans de telles circonstances, de celle des acteurs privés (voir Patrice Garant, Droit administratif, 6e éd, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2010 à la p 871).
-
[189]
Tel que l’écrit le juge Gonthier, pour la majorité dans la décision Béliveau St-Jacques, supra note 33 au para 119, « [à] mon avis, l’art. 49, al. 1 et l’art. 1053 C.c.B.C. relèvent d’un même principe juridique de responsabilité attachée au comportement fautif ». Et plus loin, : « [R]ien dans la Charte [québécoise] ne dispense la victime d’une atteinte illicite à un droit garanti de la charge de faire la preuve du lien de causalité entre cette atteinte et le préjudice moral ou matériel qu’elle aurait subi » (ibid au para 122). Voir aussi Hôpital St-Ferdinand, supra note 110 au para 109.
-
[190]
Voir par analogie Swinamer c Nouvelle-Écosse (Procureur Général), [1994] 1 RCS 445, 129 NSR (2e) 321 ; Just c Colombie-Britannique, [1989] 2 RCS 1228 à la p 1244, 64 DLR (4e) 689 :
L’organisme gouvernemental devrait pouvoir démontrer qu’au regard de la nature et de l’ampleur du risque, son système d’inspection était raisonnable compte tenu de toutes les circonstances y compris les limites budgétaires, le personnel et l’équipement dont il disposait, et qu’il a satisfait à la norme de diligence qui lui était imposée.
Voir aussi Finney c Barreau du Québec, 2004 CSC 36, [2004] 2 RCS 17. Cette dernière décision concerne la responsabilité délictuelle du Barreau du Québec pour manquement à son obligation de protéger le public dans le traitement des plaintes formulées par l’intimée à l’encontre d’un avocat. Selon la Cour, l’immunité reconnue par le Code des professions aux ordres professionnels à l’encontre des poursuites en responsabilité délictuelle pour leurs actes accomplis de « bonne foi » dans l’exercice de leurs fonctions ne s’étend pas à l’« incurie » ou à l’« insouciance grave ».
-
[191]
C’est aussi ce qu’affirmait le ministre Mulcair dans le cadre des débats : Journal des débats, 2 décembre 2005, supra note 85 à la p 40 ; Journal des débats, 25 novembre 2005, supra note 85 aux pp 4-10.
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[192]
Hôpital St-Ferdinand, supra note 110 au para 121. Sur les objectifs de l’institution des dommages exemplaires, voir de Montigny, supra note 110.
-
[193]
Hôpital St-Ferdinand, supra note 110 au para 121.
-
[194]
de Montigny, supra note 110 au para 68.
-
[195]
Ibid.
-
[196]
Ibid aux para 43-45. Il est intéressant de souligner que cet arrêt fut rendu peu après la décision Vancouver (Ville) c Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 RCS 28, dans laquelle la Cour suprême a affirmé le caractère autonome du recours en dommages-intérêts fondé sur l’article 24 de la Charte canadienne par rapport au régime de la responsabilité délictuelle. Dans l’arrêt Béliveau St-Jacques, le juge Gonthier, pour la majorité, a affirmé qu’« [u]n tel recours [fondé sur l’art. 49, al. 2] ne pourra en effet qu’être l’accessoire d’un recours principal visant à obtenir compensation du préjudice moral ou matériel » (Béliveau St-Jacques, supra note 33 au para 127). Ce passage a donné lieu à d’importants débats doctrinaux et jurisprudentiels quant au rapport entre les régimes encadrant l’obtention de dommages-intérêts punitifs et de dommages-intérêts compensatoires : voir notamment Brault & Martineau c Riendeau, 2010 QCCA 366, [2010] RJQ 507 [Brault & Martineau]. Rappelons que l’une des préoccupations sous-jacentes à l’arrêt Béliveau St-Jacques était la protection de l’intégrité du régime public d’indemnisation en matière de lésions professionnelles. La Cour suprême a tranché les débats dans la décision de Montigny en affirmant le principe du caractère autonome du recours en dommages-intérêts punitifs, dans tous les cas où aucun régime d’indemnisation public exclusif n’est en cause (auquel cas l’objectif de préservation de l’intégrité du régime public d’indemnisation l’emporte sur les recours civils en dommages compensatoires et en dommages punitifs) (de Montigny, supra note 110 au para 45).
-
[197]
Il est possible de penser que la notion d’« atteinte illicite » ne recoupe pas entièrement la notion de faute. L’illicéité, par exemple, pourrait se rattacher à la violation d’un droit ou d’une liberté protégés par la Charte québécoise, peu importe que l’acte à l’origine de l’atteinte au droit puisse être qualifié de « fautif » au sens des normes applicables en matière de responsabilité délictuelle. La distinction entre les notions de « faute civile » et d’« illicéité » dépasse toutefois largement le cadre de cette étude. À ce sujet, voir Mariève Lacroix, « Le “clair-obscur” de l’illicéité dans le système helvétique en matière de responsabilité civile extracontractuelle pour le fait personnel » dans Générosa Bras Miranda et Benoît Moore, dir, Mélanges Adrian Popovici : Les couleurs du droit, Montréal, Thémis, 2010 à la p 281.
-
[198]
Dans l’affaire de Montigny, par exemple, les requérants n’ont pu obtenir de dommages compensatoires en leur qualité d’héritiers pour les douleurs et les souffrances subies par les victimes d’un drame familial. En effet, la Cour suprême du Canada, appliquant l’arrêt Driver c Coca-Cola Ltd ((1960), [1961] RCS 201, 27 DLR (2e) 20), a jugé que le décès quasi instantané des victimes après la commission de l’acte fautif fait échec à un recours successoral fondé sur un tel poste de réclamation. Cependant, la Cour a conclu que les appelants pouvaient réclamer, à titre d’héritiers, des dommages-intérêts exemplaires, et ce malgré qu’ils n’aient pu établir leur droit à des dommages compensatoires. Tel que l’écrit le juge LeBel pour la Cour : « L’octroi de ces dommages [exemplaires] a pour but de marquer la désapprobation particulière dont la conduite visée fait l’objet. Il est rattaché à l’appréciation judiciaire d’une conduite, non à la mesure des indemnités destinées à réparer un préjudice réel, pécuniaire ou non » (de Montigny, supra note 110 au para 47).
-
[199]
Voir également la décision de la Cour d’appel Brault & Martineau, supra note 196, portant sur un recours collectif en matière de droit de la compensation. Bien qu’ayant conclu que les membres du recours collectif n’avaient pas démontré avoir subi un préjudice du fait des pratiques publicitaires illicites de Brault & Martineau, la Cour d’appel a maintenu la condamnation en dommages-intérêts punitifs, laquelle serait fondée sur la commission d’un acte illicite plutôt que sur la réparation du préjudice.
-
[200]
Nous tenons à remercier notre collègue Sébastien Grammond pour nous avoir fait part de cette réflexion.
-
[201]
Une discussion détaillée des difficultés liées à l’établissement du lien de causalité en matière de responsabilité environnementale dépasse largement le contexte du présent article. Sur cette question, voir notamment Paule Halley, Le droit pénal de l’environnement : l’interdiction de polluer, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2001 aux pp 133-34 ; Lara Khoury, « Causation and Health in Medical, Environmental and Product Liability » (2007) 25 : 1 Windsor YB Access Just 135 ; Dayna Nadine Scott, « Shifting the Burden of Proof: The Precautionary Principle and Its Potential for the “Democratization” of Risk » dans Commission du droit du Canada, Law and Risk, Vancouver, University of British Columbia Press, 2005, 50 à la p 52 [Scott, « Risk »] ; Hélène Trudeau, « La responsabilité civile du pollueur : de la théorie de l’abus de droit au principe du pollueur-payeur » (1993) 34 : 3 C de D 783.
-
[202]
À ce sujet, voir notamment Khoury, supra note 201.
-
[203]
Ibid à la p 138.
-
[204]
Ibid. Prenons l’exemple du cancer du poumon dont souffrirait un travailleur de l’amiante qui consomme des produits du tabac depuis de nombreuses années.
-
[205]
Voir par exemple le cas d’étude analysé dans Scott, « Chronic Pollution », supra note 36, soit la région chimique de Sarnia, en Ontario.
-
[206]
Jean-Louis Baudoin et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, 7e éd, vol 1, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2007 à la p 624 ; Khoury, supra note 201 à la p 138. Par analogie, dans le contexte de l’article 7 de la Charte canadienne, voir notamment les arrêts Blencoe, supra note 138 au para 60 ; Operation Dismantle, supra note 115. Dans ce dernier arrêt, la Cour a déterminé que le lien entre la décision du gouvernement canadien d’autoriser les États-Unis à tester un missile nucléaire en sol canadien et le préjudice allégué à la sécurité des citoyens était « trop incertain, trop conjectural et trop hypothétique pour étayer une cause d’action » (ibid à la p 447). Les appelants auraient dû « à tout le moins être à même de démontrer qu’il y a menace de violation, sinon violation réelle, de leurs droits garantis par la Charte [canadienne] » (ibid à la p 450).
-
[207]
Une telle souplesse en matière d’établissement du lien de causalité est d’ailleurs déjà reconnue en matière de responsabilité médicale : Snell c Farrell, [1990] 2 RCS 311 à la p 321, 107 NBR (2e) 94 [Snell].
-
[208]
Art 2849 CcQ.
-
[209]
[1977] 1 RCS 570, 10 NR 489 [Morin avec renvois aux RCS].
-
[210]
Ibid à la p 580. Dans la décision Ciment du Saint-Laurent la Cour suprême, dans un passage portant spécifiquement sur la notion de faute civile, s’appuie notamment sur la décision Morin pour affirmer qu’« [e]n droit civil québécois, la violation d’une norme législative ne constitue pas en soi une faute civile » (Ciment du Saint-Laurent, supra note 156 au para 34). Pour ce faire, en effet, « [i]l faut encore qu’une infraction prévue pour un texte de loi constitue aussi une violation de la norme de comportement de la personne raisonnable au sens du régime général de responsabilité civile de l’art. 1457 C.c.Q. » (ibid). Or, selon la Cour, « le contenu d’une norme législative pourra influer sur l’appréciation de l’obligation de prudence et diligence qui s’impose dans un contexte donné » (ibid au para 36). Nous pensons que de nombreuses normes environnementales ont justement pour objet de définir la norme de comportement de la personne raisonnable.
-
[211]
Ibid. Tel que le souligne la professeure Khoury, cette présomption, d’application restreinte, n’a toujours pas été appliquée en contexte environnemental (Khoury, supra note 201 à la p 158).
-
[212]
Snell, supra note 207 à la p 330.
-
[213]
Ibid.
-
[214]
Hélène Trudeau, « Du droit international au droit interne : l’émergence du principe de précaution en droit de l’environnement » (2003) 28 : 2 Queen’s LJ 455 à la p 459.
-
[215]
Jamie Benidickson, Environmental Law, 3e éd, Toronto, Irwin Law, 2009 aux pp 24-25 ; Scott, « Risk », supra note 201 aux pp 55-59. Sur les difficultés liées à l’application de ce principe dans le cadre de la responsabilité civile délictuelle, voir Baudoin et Deslauriers, supra note 206 aux pp 160-61. Tel que l’expriment ces auteurs,
[d]ans le schéma de la responsabilité civile traditionnelle, une personne ne peut être tenue responsable que pour le préjudice qu’un individu raisonnablement prudent et diligent, placé dans les mêmes conditions, pouvait anticiper et non pour la réalisation de risques simplement hypothétiques et dont la survenance éventuelle n’est que pure et simple spéculation
ibid à la p 160En conséquence, si l’on recevait le principe de précaution en matière d’établissement du lien de causalité, « une personne raisonnablement prudente et diligente devrait désormais agir ou s’abstenir d’agir sur la base de simples soupçons » (ibid). Ces auteurs précisent tout de même que le principe de précaution, appliqué au droit de l’environnement, a pour avantage « de créer à l’endroit de ce type d’activités une obligation accrue de prudence et de diligence élargie, imposant non seulement de prévenir d’éventuels dangers, mais surtout de ne pas en créer d’autres en face d’une situation marquée au coin de l’incertitude » (ibid à la p 161).
-
[216]
Voir notamment Snell, supra note 207 à la p 328 : « [j]e suis d’avis que le mécontentement à l’égard de la façon traditionnelle d’aborder la causalité dépend dans une large mesure de son application trop rigide par les tribunaux dans un grand nombre d’affaires. La causalité n’a pas à être déterminée avec une précision scientifique » ; Laferrière c Lawson, [1991] 1 RCS 541 à la p 609, 78 DLR (4e) 609 : « [d]ans certains cas, lorsqu’une faute comporte un danger manifeste et que ce danger se réalise, il peut être raisonnable de présumer l’existence du lien de causalité, sous réserve d’une démonstration ou d’une indication contraire ». Sur l’application des principes de l’arrêt Snell en droit civil québécois, voir Laforce c Dumont, [2003] RRA 422 (disponible sur Azimut) (CA).
-
[217]
Charte québécoise, supra note 8, art 46.1.
-
[218]
Journal des débats, 3 novembre 2005, supra note 19.
-
[219]
Québec, Assemblée nationale, Commission permanente des transports et de l’environ-nement, « Consultations particulières sur le projet de loi no 118 — Loi sur le développement durable (6) » dans Journal des débats de la Commission permanente des transports et de l’environnement, vol 38, no 58 (8 décembre 2005) aux pp 33-34 ; Journal des débats, 2 décembre 2005, supra note 85 aux pp 16-18 ; Journal des débats, 25 novembre 2005, supra note 85 à la p 2.
-
[220]
Voir David Robitaille, « L’interprétation judiciaire en théorie du droit comparée : entre la lettre et l’esprit. Discussion autour d’auteurs américains, anglais, belges, canadiens et français » (2007) 119 RRJ 1145 aux pp 1151 et s.