McGill Law Journal
Revue de droit de McGill
Volume 55, Number 3, September 2010 The Legacy of Roncarelli v. Duplessis, 1959-2009 L’héritage de l’affaire Roncarelli c. Duplessis, 1959-2009
Les textes qui composent ce numéro spécial de la Revue de droit de McGill se réfèrent à la présente introduction pour la présentation des faits de l’affaire et pour le résumé des jugements. Comme la plupart de ces textes sont en anglais, une version anglaise de cette introduction est disponible sur le site Web de la Revue (http://lawjournal.mcgill.ca).
Table of contents (16 articles)
Articles
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L’héritage de l’affaire Roncarelli c. Duplessis 1959-2009
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Was Duplessis Right?
Roderick A. Macdonald
pp. 401–436
AbstractEN:
Given the inclination of legal scholars to progressively displace the meaning of a judicial decision from its context toward abstract propositions, it is no surprise that at its fiftieth anniversary, Roncarelli v. Duplessis has come to be interpreted in Manichean terms. The complex currents of postwar society and politics in Quebec are reduced to a simple story of good and evil in which evil is incarnated in Duplessis’s “persecution” of Roncarelli.
In this paper the author argues for a more nuanced interpretation of the case. He suggests that the thirteen opinions delivered at trial and on appeal reflect several debates about society, the state and law that are as important now as half a century ago. The personal socio-demography of the judges authoring these opinions may have predisposed them to decide one way or the other; however, the majority and dissenting opinions also diverged (even if unconsciously) in their philosophical leanings in relation to social theory (internormative pluralism), political theory (communitarianism), and legal theory (pragmatic instrumentalism). Today, these dimensions can be seen to provide support for each of the positions argued by Duplessis’s counsel in Roncarelli given the state of the law in 1946.
FR:
Etant donné la tendance qu’ont les juristes à extraire la signification d’une décision judiciaire de son contexte pour l’amener vers des propositions abstraites, il n’est pas surprenant que l’arrêt Roncarelli c. Duplessis, dont c’est le cinquantième anniversaire, soit interprété d’une manière manichéenne. Les courants sociopolitiques complexes du Québec de l’après-guerre sont réduits à une simple histoire de bien et de mal dans laquelle la « persécution » de Roncarelli par Duplessis incarne le mal.
Dans cet essai, l’auteur propose une interprétation plus nuancée de l’arrêt. Il suggère que les treize jugements prononcés en première instance et en appel reflètent plusieurs débats sur la société, sur l’État et sur le droit qui sont tout aussi pertinents aujourd’hui qu’il y a un demi-siècle. L’identité sociodémographique des juges qui ont rédigé ces jugements les a peut-être prédisposés à décider dans un sens ou dans l’autre. Toutefois, les opinions majoritaires et dissidentes détachent (peut-être inconsciemment) de cette identité à travers des penchants philosophiques quant à la théorie sociale (le pluralisme internormatif), à la théorie politique (le communautarisme) et à la théorie juridique (l’instrumentalisme pragmatique). Aujourd’hui, ces théories pourraient être vues comme soutenant chacun des arguments plaidés par les avocats de Duplessis dans l’affaire Roncarelli compte tenu de l’état du droit en 1946.
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Building a Law of Human Rights: Roncarelli v. Duplessis in Canadian Constitutional Culture
Eric M. Adams
pp. 437–460
AbstractEN:
This article reveals how audiences, especially in anglophone Canada, initially received and interpreted Roncarelli v. Duplessis as a case, above all, about human rights. Ignoring the judgment’s myriad complexities, commentators eagerly situated the case within the Supreme Court of Canada’s “implied bill of rights” jurisprudence then taking shape. Part of the reason for the emphasis on Roncarelli’s rights can be traced to the manner in which Frank Scott and Louis Stein argued the case, and the language of rights employed by Justice Ivan Rand’s iconic judgment.
But Roncarelli’s meaning also took shape in press accounts and editorials, radio broadcasts, case comments, and law school lectures. Exploring these often-neglected sources, this article exposes the role of constitutional culture in creating jurisprudential meaning. In turn, it also calls for greater recognition of the pre-Charter Supreme Court of Canada in contributing to Canada’s intellectual history of rights.
FR:
Cet article montre comment le public, notamment celui du Canada anglais, a initialement reçu et interprété l’arrêt Roncarelli c. Duplessis comme étant une affaire ayant trait avant tout aux droits de la personne. Laissant de côté les innombrables complexités du jugement, les commentateurs se sont empressés de situer l’arrêt dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada qui se formait à l’époque sur la « charte des droits implicite ». L’accent mis sur les droits de Roncarelli s’explique en partie par l’approche adoptée par Frank Scott et Louis Stein pour plaider la cause ainsi que par le langage utilisé par le juge Ivan Rand dans son jugement emblématique.
Toutefois, la signification de l’arrêt Roncarelli s’est aussi formée à travers des comptes rendus de presse et des éditoriaux, des émissions de radio, des commentaires d’arrêt et des cours dans les facultés de droit. En explorant ces sources trop souvent négligées, cet article expose le rôle de la culture constitutionnelle dans l’interprétation jurisprudentielle. De plus, il lance un appel pour une plus grande reconnaissance de la contribution de la Cour suprême du Canada à l’histoire intellectuelle des droits au Canada avant l’avènement de la Charte canadienne des droits et libertés.
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The Public/Private Distinction in Roncarelli v. Duplessis
Derek McKee
pp. 461–490
AbstractEN:
Roncarelli v. Duplessis is remembered for the way it imposed limits on public power. But in imposing these limits, it relied heavily on public/private distinctions inherited from nineteenth-century classical liberalism. The judges invoked public/private distinctions to identify the damage Roncarelli suffered, to consider the purposes for which discretion could be validly exercised, and to determine whether Duplessis had exceeded his authority.
The author argues that this proliferation of public/private concepts echoes the general indeterminacy of these ideas in liberal legal thought. Although the state/civil society distinction is central to liberal notions of public and private, it coexists with parallel thought structures, such as market/family, civilization/state, and, in Canada, dominion/province. These multiple meanings of the public and the private are mutually reinforcing. They also underwrite myths about the natural, consensual, and neutral nature of the private sphere, making it more difficult to think about controlling the exercise of private power. Although ideas about the public and the private have changed since the late nineteenth century (and since 1959), they display a remarkable persistence. Public/private distinctions can be observed at work in contemporary administrative law, in debates about which bodies are subject to judicial review, and which kinds of decisions are subject to judicial review on grounds of procedural fairness.
FR:
On se souvient de l’affaire Roncarelli c. Duplessis pour les limites qu’elle a imposées au pouvoir public. En imposant ces limites, toutefois, l’arrêt s’est largement basé sur des distinctions public/privé héritées du libéralisme classique du dix-neuvième siècle. Les juges ont invoqué ces distinctions afin d’identifier le préjudice subi par Roncarelli, de prendre en considération les raisons pour lesquelles le pouvoir discrétionnaire pouvait valablement être exercé et de déterminer si Duplessis avait excédé son autorité.
L’auteur soutient que cette prolifération des concepts public/privé reflète l’indétermination générale sur ces idées dans la pensée juridique libérale. Bien que la distinction État/société civile soit au cœur des notions libérales du public et du privé, elle coexiste avec d’autres distinctions telles que marché/famille, civilisation/État et, au Canada, dominion/province. Ces nombreux sens des concepts de public et de privé se renforcent mutuellement. Ils entretiennent également des mythes quant au caractère naturel, consensuel et neutre de la sphère privée, faisant en sorte qu’il est plus difficile de concevoir l’exercice d’un contrôle sur le pouvoir privé. Si les conceptions du public et du privé ont évolué depuis la fin du dix-neuvième siècle (et depuis 1959), elles font preuve d’une persistance remarquable. Les distinctions public/privé sont à l’œuvre en droit administratif contemporain et dans les débats cherchant à déterminer quels organismes et quelles décisions sont susceptibles de révision judiciaire sur des bases d’équité procédurale.
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Rand’s Legal Republicanism
David Dyzenhaus
pp. 491–510
AbstractEN:
Justice Rand’s judgment in Roncarelli v. Duplessis is best understood in light of recent political and legal theory that argues for the importance of the republican ideal of non-domination for in it he sets out an account of the rule of law that gives clear expression to that ideal, one founded in a more basic ideal of respect for persons. As Rand understood things, Roncarelli was a member of a disliked minority, who was singled out for persecution when he had done nothing more than exercise his rights as a free and equal subject of the law. Those who singled him out for persecution sought to achieve their ends through law.
The author argues that since government under law is valuable because it helps to secure non-domination (the rule of law rather than the arbitrary rule of men), to use law to single out an individual for domination is, as Duplessis discovered, rather a complex business. No matter one’s grip on power, one might find that one’s ends simply do not count as public ends within a system of public law because such a system is predicated on respect for the persons who are subject to its authority.
FR:
Le jugement du juge Rand dans l’affaire Roncarelli c. Duplessis se comprend le mieux à la lumière de la théorie politique et juridique récente qui défend l’importance de l’idéal républicain de « non-domination ». En effet, l’approche de Rand quant à la primauté du droit exprime bien cet idéal, qui est à son tour basé sur l’idéal plus fondamental du respect des personnes. Selon Rand, Roncarelli était membre d’une minorité qui n’était pas appréciée, il a été pointé du doigt et persécuté alors qu’il n’avait rien fait d’autre que d’exercer ses droits en tant que sujet libre et égal de la loi. Ceux qui l’ont persécuté ont tenté d’atteindre leurs objectifs par l’entremise du droit.
Toutefois, comme l’a appris Duplessis, le fait pour un gouvernement d’être soumis au droit aide à garantir la « non-domination », c’est-à-dire la primauté du droit et non l’état arbitraire de l’homme, et rend plus difficile l’utilisation du droit pour viser un individu afin de le dominer. Peu importe son emprise sur le pouvoir, une personne pourrait découvrir que ses objectifs ne constituent pas des objectifs publics dans le cadre d’un système de droit public puisqu’un tel système est fondé sur le respect des personnes qui sont sujettes à son autorité.
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Democratizing Common Law Constitutionalism
Evan Fox-Decent
pp. 511–535
AbstractEN:
Common law constitutionalism is the theory that legal principles such as fairness and equality reside within the common law, are constitutive of legality, and inform (or should inform) statutory interpretation on judicial review. This article looks to Justice Rand’s judgment in Roncarelli v. Duplessis to develop a democratic and relational conception of common law constitutionalism. By “democratic” the author means a version of the theory that governs judicial review but which is available to frontline decision makers independently of the history and contemporary practice of review. By “relational” the author means a theory that presupposes a trust-like and legally significant relationship between public authorities and the persons subject to their power.
Under the democratic and relational theory, the legality of administrative action is assessed in light of legal principles constitutive of the trust-like relationship and without reference to the separation of powers. These principles flow from the trust-like nature of the relationship and the implications of working out how public authorities can hold discretionary power over individuals without subjecting them to domination or instrumentalization.
FR:
Le constitutionnalisme de common law est la théorie selon laquelle les principes juridiques tels que l’équité et l’égalité résident dans la common law, sont constitutifs de la légalité et guident (ou devraient guider) l’interprétation des lois lors du contrôle judiciaire. Cet article se base sur le jugement du juge Rand dans l’affaire Roncarelli c. Duplessis pour développer une conception démocratique et relationnelle du constitutionnalisme de common law. Par « démocratique », l’auteur entend une version de la théorie qui gouverne le contrôle judiciaire mais qui est mise à la disposition des principaux décideurs indépendamment de l’histoire ou de la pratique contemporaine du contrôle. Par « relationnelle », l’auteur entend une théorie qui présuppose une relation quasi-fiduciaire et significative d’un point de vue juridique entre les autorités publiques et les personnes qui sont assujetties à leur pouvoir.
Selon la théorie démocratique et relationnelle, la légalité de l’action administrative est examinée à la lumière des principes juridiques constitutifs de la relation quasi-fiduciaire et sans faire référence à la séparation des pouvoirs. Ces principes sont issus non seulement de la nature quasi-fiduciaire de la relation, mais aussi de la recherche d’une façon pour les autorités publiques de détenir un pouvoir discrétionnaire sur les individus sans toutefois les assujettir à la domination ou à l’instrumentalisation.
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Roncarelli’s Green Card: The Role of Citizenship in Randian Constitutionalism
Matthew Lewans
pp. 537–562
AbstractEN:
This article investigates the distinct character of Randian constitutionalism and how it may have been inspired by American discourse on constitutional values. More specifically, the author examines how Justice Rand’s brand of constitutionalism is distinguishable from the more dominant strain of Diceyan constitutionalism that was prominent among Canadian jurists during the twentieth century. The author argues that the difference between Randian and Diceyan constitutionalism can be explained largely by the central role that “citizenship” played in Justice Rand’s understanding of the Canadian constitutional order.
The author further argues that Justice Rand did not invent his conception of citizenship, but borrowed it from American constitutional jurisprudence regarding the Fourteenth Amendment to the Constitution of the United States. Accordingly, Justice Rand’s opinion in Roncarelli and other cases shows how his constitutional vision was shaped by a series of strong dissenting opinions concerning the now-defunct Privileges or Immunities Clause in the Fourteenth Amendment. By doing so, Justice Rand sought to install in Canadian public law the same fundamental principles of equality and non-discrimination that the American Congress intended to establish by adopting the Fourteenth Amendment.
FR:
Cet article étudie le caractère distinct du constitutionnalisme randien et examine comment il a pu être inspiré du discours américain sur les valeurs constitutionnelles. Plus précisément, l’auteur examine les distinctions entre les approches constitutionnelles randienne et diceyenne, cette dernière étant proéminente parmi les juristes canadiens du vingtième siècle. L’auteur soutient que la différence entre les constitutionnalismes randien et diceyen s’explique en grande partie par l’importance qu’accordait le juge Rand à la citoyenneté dans sa conception de l’ordre constitutionnel canadien.
L’auteur fait aussi valoir que le juge Rand n’a pas inventé sa vision de la citoyenneté, mais l’a plutôt empruntée à la jurisprudence constitutionnelle américaine traitant du Quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis. Par conséquent, l’opinion du juge Rand dans Roncarelli et dans d’autres affaires montre comment sa vision constitutionnelle a été influencée par une série d’opinions dissidentes relatives à l’ancienne clause « privilèges ou immunités » du Quatorzième amendement. Le juge Rand cherchait ainsi à incorporer au droit public canadien les mêmes principes fondamentaux d’égalité et de non-discrimination que le Congrès américain avait voulu établir en adoptant le Quatorzième amendement.
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Legality as Reason: Dicey, Rand, and the Rule of Law
Mark D. Walters
pp. 563–586
AbstractEN:
For many law students in Canada, the idea of the rule of law is associated with the names of Professor A.V. Dicey, Justice Ivan Rand, and the case of Roncarelli v. Duplessis. It is common for students to read excerpts from Dicey’s Law of the Constitution on the rule of law, and then to examine how the rule of law is, as Rand stated in Roncarelli, “a fundamental postulate of our constitutional structure.” Indeed, Roncarelli marked a point in time, fifty years ago, at which the academic expression “the rule of law” became a meaningful part of the legal discourse of judges and lawyers in Canada.
In this article, the author considers the relationship between the rule of law as an academic or conceptual idea and the rule of law as a practical or doctrinal idea. A distinction is drawn between two traditions of theorizing about the rule of law, which are labelled “legality as order” and “legality as reason”. The author then reconsiders the views of both Dicey and Rand and argues that both advanced the idea of legality as reason. The author concludes that, although Canadian judges now tend to emphasize legality as order, we are better placed to understand the special features of constitutionalism in Canada if we remember that the rule of law has, both conceptually and doctrinally, another dimension—that which is associated with the idea of “legality as reason”.
FR:
Pour bon nombre d’étudiants en droit au Canada, l’idée d’une primauté du droit est associée au professeur A.V. Dicey et au juge Ivan Rand ainsi qu’à l’affaire Roncarelli c. Duplessis. Il est courant pour les étudiants de lire des extraits traitant de la primauté du droit dans l’œuvre de Dicey intitulée Law of the Constitution, puis d’examiner comment la primauté du droit est, comme l’a affirmé Rand dans Roncarelli, « [l]un des postulats fondamentaux de notre structure constitutionnelle ». En effet, l’arrêt Roncarelli a été rendu au moment où, il y a cinquante ans, l’expression académique « la primauté du droit » s’intégrait au sein du discours des juges et des avocats au Canada.
Dans cet article, l’auteur étudie la relation entre la primauté du droit comme idée académique ou conceptuelle et comme idée pratique ou doctrinale. L’auteur fait une distinction entre deux traditions de la théorie de la primauté du droit, soit « la légalité en tant qu’ordre » et « la légalité en tant que raison ». L’auteur reprend alors les approches de Dicey et de Rand et soutient que tous deux souscrivaient à l’idée de la légalité en tant que raison. L’auteur conclut que malgré le fait que les juges canadiens aient maintenant tendance à mettre l’accent sur la légalité en tant qu’ordre, nous comprendrons mieux les traits particuliers du constitutionnalisme canadien si nous nous rappelons que la primauté du droit comporte une autre dimension, celle associée à l’idée de « la légalité en tant que raison ».
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Roncarelli v. Duplessis and Damages for Abuse of Power: For What Did It Stand in 1959 and For What Does It Stand in 2009?
David Mullan
pp. 587–613
AbstractEN:
Today, Roncarelli v. Duplessis is most celebrated for the contributions that Justice Rand’s judgment in particular made to a rule of law—based conception of the exercise of discretionary power. However, from a contemporary perspective, the Supreme Court of Canada’s decision was seen not only as another significant judicial reining in of the Duplessis government’s treatment of Jehovah’s Witnesses, but also as an important development in the law governing governmental liability for abuse of power.
In this paper, the author explores the latter dimension of the judgment with a view to establishing the grounds on which the Court found Duplessis personally liable in damages to Roncarelli, and the extent to which it transcended the particular provision on which liability was based (article 1053 of the Civil Code of Lower Canada) and had application at common law. He also evaluates the subsequent impact of this aspect of the judgment. How have later courts read the judgment’s articulation of the principles of delictual liability, and what are the current principles on which the liability of state actors for abuse of power are based? Here too, the author concludes that the current state of the law is closer to that espoused by Justice Rand than the bases on which the other members of the majority predicated liability.
FR:
De nos jours, le jugement Roncarelli c. Duplessis, et celui du juge Rand en particulier, est surtout reconnu pour sa contribution à une conception de l’exercice du pouvoir discrétionnaire basée sur la primauté du droit. Toutefois, d’un point de vue contemporain, la décision de la Cour suprême du Canada constitue non seulement un moyen judiciaire de contrer le traitement réservé aux Témoins de Jéhovah par le gouvernement Duplessis, mais aussi un développement important du droit sur la responsabilité gouvernementale envers les abus de pouvoir.
Dans cet essai, l’auteur explore cette dernière dimension du jugement afin d’établir les motifs pour lesquels la Cour a tenu Duplessis personnellement responsable des dommages occasionnés à Roncarelli. L’auteur examine aussi dans quelle mesure la Cour a transcendé l’article sur lequel reposait la responsabilité (l’article 1053 du Code civil du Bas Canada) et qui était également applicable en common law. De plus, l’auteur évalue l’impact subséquent de cet aspect du jugement. Comment les cours ultérieures ont-elles interprété la formulation, dans le jugement, des principes de responsabilité délictuelle ? Sur quels principes la responsabilité des acteurs étatiques envers les abus de pouvoir est-elle actuellement basée ? Ici encore, l’auteur conclut que l’état actuel du droit se rapproche plus de la vision épousée par le juge Rand pour fonder la responsabilité que de celle des autres juges ayant rendu l’opinion majoritaire.
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Some Australian Reflections on Roncarelli v. Duplessis
Mark Aronson
pp. 615–640
AbstractEN:
Roncarelli v. Duplessis figures far more frequently in Australia’s secondary literature than in its court decisions, and it is noted not for its invalidation of Prime Minister Duplessis’s actions, but for its award of damages where judicial declaration of invalidity would usually be the only remedy. Invalidating Duplessis’s interference with Roncarelli’s liquor licence would have been the easy part of the case had it been tried in Australia. Australian statutes afforded good protection to liquor licensees, and general administrative law principles confined seemingly unfettered discretionary powers in less solicitous statutory regimes. In addition, the constitutional abolition of internal trade barriers used to be taken as banning unfettered regulatory powers over interstate traders.
Duplessis’s tort liability was the hard part. His assumption of legal power was not deliberate, but it was extraordinarily indifferent to questions of legality. Justice Rand characterized this as “malice”, which in turn triggered liability to a uniquely public law tort known nowadays as misfeasance in public office. That tort is likely to cover more forms of non-deliberate official misconduct in Canada than in Australia, whose High Court usually avoids open-ended legal principles, particularly those according immediate operative force to substantive conceptions of the rule of law.
FR:
En Australie, l’affaire Roncarelli c. Duplessis est plus souvent traitée dans la doctrine que dans la jurisprudence. Elle est connue non pas pour son invalidation des actes du Premier ministre Duplessis, mais pour son octroi de dommages-intérêts dans une situation où une déclaration judiciaire d’invalidité aurait normalement constitué le seul recours possible. Si la cause avait été entendue en Australie, l’invalidation de l’interférence de Duplessis aurait été une question facile à résoudre. Les lois australiennes offraient une forte protection aux détenteurs de permis d’alcool et les principes du droit administratif confinaient les pouvoirs discrétionnaires sans entraves aux régimes statutaires d’intérêt moindre. De plus, l’abolition constitutionnelle des obstacles au commerce international était considérée comme interdisant l’exercice de pouvoirs régulateurs sans entraves sur les commerçants effectuant du commerce entre États.
La question de la responsabilité délictuelle de Duplessis était la plus difficile. Son utilisation du pouvoir légal n’était pas délibérée, mais illustre une indifférence flagrante face aux questions de légalité. Le juge Rand a qualifié cette attitude de « malice », ce qui a engendré la responsabilité de Duplessis pour un délit propre au droit public, aujourd’hui appelé faute dans l’exercice d’une charge publique. Au Canada, ce délit est susceptible de couvrir plus de types d’inconduite non délibérée de la part d’officiers du gouvernement qu’en Australie où la High Court of Australia évite généralement les principes juridiques non limitatifs, plus particulièrement ceux qui rendent immédiatement opérationnelles les conceptions substantives de la primauté du droit.
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Les rapports entre le droit administratif et les droits et libertés : la révision judiciaire ou le contrôle constitutionnel ?
Stéphane Bernatchez
pp. 641–660
AbstractFR:
L’auteur propose de revisiter l’arrêt Roncarelli c. Duplessis pour répondre à la question suivante : dans l’hypothèse où le droit administratif et le droit constitutionnel sont susceptibles de fournir la solution à un litige, celui-ci doit-il être résolu en ayant recours au critère de l’atteinte minimale tiré du test de l’arrêt R. c. Oakes, propre au droit constitutionnel, ou aux règles de la révision judiciaire du droit administratif? Comme elle encourage l’autoreproduction normative, la logique de l’accommodement raisonnable respecte davantage le mouvement initié par l’arrêt Roncarelli.
L’auteur s’intéresse d’abord au mouvement de procéduralisation réflexive des dispositifs de gouvernance démocratique amorcé par l’arrêt Roncarelli. L’auteur examine le raisonnement des juges dissidentes Deschamps et Abella dans l’arrêt Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, rendu par la Cour suprême du Canada en 2006, précisant que c’est leur approche, celle de l’accommodement raisonnable, qui prévaut depuis. S’appuyant ensuite sur l’analyse de divers auteurs, il suggère que la démarche de l’accommodement raisonnable est plus appropriée puisqu’elle invite les parties à construire la signification et la portée de la norme qui doit les régir, leur permettant ainsi d’identifier des solutions qui encouragent davantage le vivre-ensemble.
EN:
The author re-examines the decision in Roncarelli v. Duplessis in order to answer the following question: if administrative and constitutional law can both provide the solution to a given case, should the issue be resolved through a constitutional law approach, namely; the minimal impairment test developed in R. v. Oakes, or through the undue hardship criterion taken from the obligation of reasonable accommodation and usually associated with administrative law? Since it encourages normative self-reference, the reasonable accommodation approach more greatly respects the movement initiated by the Roncarelli decision.
The author first examines the movement of reflexive proceduralization of the means of democratic governance that emerged from Roncarelli. He analyzes the reasoning underpinning the minority opinion of Justices Deschamps and Abella in the Multani v. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys judgment by the Supreme Court of Canada in 2006, and notes that it is their approach, based on the reasonable accommodation framework, that has been applied since then. Based on the work of various authors, he then suggests that the reasonable accommodation method is more appropriate, as it allows parties to construct and determine the meaning and the scope of the norm that governs them, thus giving them the opportunity to identify solutions that favour living together.
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The Unfinished Project of Roncarelli v. Duplessis: Justiciability, Discretion, and the Limits of the Rule of Law
Lorne Sossin
pp. 661–688
AbstractEN:
Roncarelli is remembered fifty years later particularly because of Justice Rand’s now iconic statement that “there is no such thing as absolute and untrammelled discretion.” Justice Rand defined “untrammelled discretion” as circumstances where action can be taken on any ground or for any reason that can be suggested to the mind of the decision maker. This statement has been understood to mean that all public regulation exercised through discretionary decision-making by executive officials has legal boundaries, and that the role of the courts is to ensure that decisions do not exceed those boundaries.
In this paper, the author explores several areas of public regulation in Canada that remain “untrammelled”. These areas include realms of government action deemed to be non-justiciable, such as decisions involving foreign relations or the conferral of honours. The author argues that areas of untrammelled discretion are inconsistent with the Supreme Court of Canada’s reasoning in Roncarelli. To complete the unfinished project of Roncarelli, the author argues that all discretionary decisions should be understood to have justiciable elements, which include, at a minimum, a requirement that public power be exercised in good faith. The author concludes by highlighting that while approaching all discretionary authority as justiciable is intended to alter the approach of Canadian public law, Roncarelli’s project is as much a political project as a legal one.
FR:
L’affaire Roncarelli demeure gravée dans les mémoires cinquante ans après sa rédaction, notamment grâce à l’affirmation par le juge Rand qu’« il n’y a rien de tel qu’une discrétion absolue et sans entraves ». Le juge Rand a défini la « discrétion sans entraves » comme étant la possibilité d’imposer une mesure pour n’importe quel motif ou raison qui puisse traverser l’esprit du décideur. Cet énoncé est compris comme signifiant que toute régulation publique exercée par la prise de décision discrétionnaire de cadres officiels connaît des limites juridiques, et que le rôle des tribunaux est de s’assurer que les décisions ne dépassent pas ces limites.
Dans cet essai, l’auteur explore plusieurs domaines de régulation publique au Canada qui sont demeurés « sans entraves ». Ces domaines comprennent des champs d’action gouvernementale qui sont réputés être non-justiciables, tels que les décisions touchant aux relations internationales ou la remise de distinctions. L’auteur fait valoir que ces domaines de discrétion « sans entraves » sont incompatibles avec le raisonnement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Roncarelli. Afin de terminer le projet inachevé de l’arrêt Roncarelli, l’auteur soutient que l’on devrait reconnaître que toute décision discrétionnaire doit comprendre des éléments justiciables incluant, au minimum, l’exigence de la bonne foi dans l’exercice du pouvoir public. L’auteur conclut en soulignant que si la reconnaissance du caractère justiciable du pouvoir discrétionnaire a pour objectif de modifier l’approche du droit public canadien, le projet de Roncarelli est tout aussi politique que juridique.
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Witnessing Arbitrariness: Roncarelli v. Duplessis Fifty Years On
Mary Liston
pp. 689–720
AbstractEN:
In Canadian public law, Roncarelli v. Duplessis stands for the proposition that arbitrariness and the rule of law are conceptually antithetical values. This article examines multiple forms of arbitrariness in Roncarelli, going beyond the usual focus on discretionary power arbitrarily exercised by the executive branch of government.
A close reading of the case brings to the surface other forms of arbitrariness, notably under-acknowledged forms of judicial arbitrariness. Repositioning the case in its social and political context provides an alternative vantage point from which the core conceptual content can be enlarged and the case’s normative import better gleaned. The article argues that such a repositioning illuminates how legal actors attempt to constrain arbitrariness within the activity of judging. Reason-giving appears as one significant rule of law practice that can counter institutionalized arbitrariness by seeking to ensure that decision makers throughout the state are attuned to the demands of legality, can be held to account, and are committed to upholding good government.
FR:
L’affaire Roncarelli c. Duplessis symbolise l’idée selon laquelle l’arbitraire et la primauté du droit sont des valeurs antithétiques sur le plan conceptuel. Dans cet article, l’auteure examine plusieurs formes d’exercice arbitraire du pouvoir dans Roncarelli, allant au-delà de l’accent qui est généralement mis sur le pouvoir discrétionnaire exercé de façon arbitraire par la branche exécutive du gouvernement.
Une lecture attentive de l’arrêt fait ressortir d’autres formes méconnues d’exercice arbitraire du pouvoir, notamment par l’appareil judiciaire. En replaçant l’arrêt dans son contexte social et politique, cette question peut s’aborder sous un nouvel angle à partir duquel le cœur conceptuel de l’affaire peut être élargi et l’importance normative de l’arrêt mieux saisie. L’auteure soutient qu’un tel repositionnement contextuel expose la façon dont les acteurs juridiques tentent de freiner l’arbitraire dans l’exercice de la fonction judiciaire. Le fait de justifier son raisonnement constitue une pratique importante au sein de la primauté du droit. Cette pratique permet de contrer l’arbitraire institutionnalisé en cherchant à s’assurer que les décideurs étatiques soient sensibles aux exigences de la légalité, qu’ils soient imputables et qu’ils s’engagent à maintenir une bonne gouvernance.
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Complexifying Roncarelli’s Rule of Law
Robert Leckey
pp. 721–741
AbstractEN:
The accepted reading of Roncarelli v. Duplessis requires revision. Accounts by which Justice Rand defended the rule of law while the dissenters were indifferent to it mischaracterize the judgment. Justice Rand’s judgment is bolder and less explicit than is typically supposed: his treatment of the notice requirement constitutes part of his defence of the rule of law. For its part, Justice Fauteux’s dissent enacts a plausible understanding of the judge’s role within the rule of law. Disagreement on the overlooked procedural issue is best viewed as fully internal to the rule of law. The judgment’s relevance for rule of law scholars is its exemplification of the possibility for rule of law impulses to conflict, making it a much richer and more interesting text. Scholars’ dismissiveness toward the procedural issue reveals an unsatisfactory view on the part of legal scholars, one by which judges simply apply the rule of law, rather than being also themselves constrained by it.
FR:
Une révision de l’interprétation généralement acceptée de l’affaire Roncarelli c. Duplessis s’impose. L’argument selon lequel le juge Rand défendait la primauté du droit tandis que les juges dissidents y étaient indifférents portraitise mal le jugement. Le jugement du juge Rand est plus audacieux et moins explicite qu’on ne le suppose habituellement : son traitement de la question de l’exigence de préavis fait partie de sa défense de la primauté du droit. La dissidence du juge Fauteux exemplifie une approche plausible quant au rôle des juges au sein de la primauté du droit. Le désaccord portant sur la question procédurale négligée se comprend mieux comme étant entièrement interne à la primauté du droit. Le jugement démontre comment les impulsions pour défendre la primauté du droit peuvent entrer en conflit, rendant ainsi le texte d’autant plus riche et intéressant. L’approche de ceux qui étudient la primauté du droit, qui fait abstraction de la question procédurale et selon laquelle les juges ne font qu’appliquer la primauté du droit plutôt que d’y être contraints, est insatisfaisante.