L’ouvrage s’ouvre sur le constat que les organes de presse allophones [comprendre ici, publiés dans une langue autre que celles officielles du pays de publication] ont été largement négligés par la recherche. Or cette relégation est d’autant plus regrettable que nous avons affaire à un corpus immense couvrant de larges périodes du passé (surtout les 19e et débuts du 20e siècles). Toutefois, l’ouvrage dirigé par Guillaume Pinson et Valéria dos Santos Guimarães, consacré aux presses en français dans les Amériques, constitue une notable exception et témoigne de l’attention toute récente pour ce type de publication. En effet, à la faveur de campagnes de numérisation, des groupes de recherche privilégiant des approches transnationales et comparées ont émergé (notamment les réseaux Médias 19 et Transfopress1). L’auteur et l’autrice du présent ouvrage appartiennent à ces réseaux et proposent ici un parcours de l’Argentine au Québec, en passant par l’Uruguay, le Brésil, le Mexique, la Louisiane et la Nouvelle-Angleterre. L’objectif commun est de montrer à quel point « l’objet médiatique est central dans l’histoire de la francophonie des Amériques » (p. 1), tout en restant si mal connu. Comme l’indiquent Pinson et Guimarães dans leur introduction (1-6), nous « peinons […] aujourd’hui à imaginer qu’il a pu exister un réseau francophone de l’information panaméricain, qui couvrait de larges étendues continentales et qui était interconnecté » (p. 2). La « série d’enquêtes » qui compose ce volume met au jour des processus de création, de développement et de circulation des contenus relativement semblables : Le parcours démarre en Amérique du Sud avec l’Argentine, pays qui a connu la plus forte immigration française. Ce sont les discours qui émergent à l’occasion des célébrations du 14 juillet de 1915 à 1919 qui intéressent Emiliano Gastón Sánchez (p. 7-26). La couverture de cette fête par Le Courrier de la Plata durant les années du conflit s’étend sur des suppléments de 60 à 70 pages : la communauté exprime son soutien à la patrie lointaine avec un ton qui oscille selon que les nouvelles du front sont mauvaises ou bonnes. Alejandra Ojeda et Julio Moyano (p. 27-50) traitent d’une revue hebdomadaire scientifique et culturelle, Ahasvérus, publiée dans la ville de Buenos Aires de janvier à avril 1854, qui renoue avec la tradition des revues en français publiées plus tôt dans le siècle et qui ensuite ont cessé de paraître. Cette revue a surtout ouvert la voie au développement de revues durant les décennies suivantes et a ainsi « marqué l’histoire médiatique argentine » (p. 48). S’ensuit le cas de l’Uruguay avec Alma Bolón Pedretti (p. 51-64). Cette dernière ne se penche pas sur une publication, mais sur un journaliste, Eugène Tandonnet, qui propagea la doctrine fouriériste à Montevideo, également à Buenos Aires et à Rio de Janeiro. Le parcours de ce journaliste engagé témoigne ainsi de la circulation des personnes et des idées entre l’Europe et l’Amérique et à l’intérieur du continent. Le cas brésilien se développe sur plusieurs chapitres en raison de l’importante production médiatique en français dans ce pays. La contribution d’Isabel Lustosa (p. 65-82) se penche sur une polémique qui a agité la presse de Rio de Janeiro après qu’un certain M. K a publié dans L’Écho de l’Amérique de Sud du 23 janvier 1828 un article mettant en scène une famille brésilienne de fiction illustrant les mauvaises manières des riches familles de ce pays avant l’immigration française. L’article jugé offensant a suscité une polémique qui s’inscrit dans le processus d’affirmation nationale brésilienne : reconnaissance d’une identité métissée et d’un mode de vie adapté à l’environnement tropical. À l’instar de Pedretti, Lúcia Granja …
Pinson, G. et dos Santos Guimarães, V. (dir.) (2024). La presse francophone des Amériques : trajectoires et circulations. Presses de l’Université Laval[Record]
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Laurence Arrighi
Université de Moncton