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Introduction

Dans une conjoncture d’accélération et de diversification des migrations, où le concept d’égalité des chances devrait être considéré comme une référence normative incontournable, le monde de l’éducation, incluant l’enseignement supérieur, est amené à repenser ses dispositifs d’accueil, de soutien et d’accompagnement des nouvelles arrivantes et nouveaux arrivants dont la langue d’usage n’est pas le français. L’Organisation des Nations Unies entame d’ailleurs sa plus importante intervention dans l’enseignement supérieur avec l’approbation de plans visant à établir un nouveau système mondial de reconnaissance des qualifications pour aider les personnes tant migrantes que réfugiées, ceci dans le but de faire de l’égalité d’accès pour toutes les femmes et tous les hommes à un enseignement technique ou professionnel, y compris à l’enseignement supérieur, une priorité d’ici 2030 (Nations Unies, 2016).

Le mouvement de démocratisation de l’enseignement supérieur mis en marche au Canada dans les années 1960 a entraîné une massification de l’enseignement supérieur et le déploiement d’un important réseau d’universités publiques et de collèges d’enseignement général et professionnel (cégeps) au Québec (Murdoch et Madi, 2013; Kamanzi et Doray, 2015). Cela, afin que les effectifs étudiants des ordres d’enseignement supérieur soient davantage représentatifs des différents groupes sociaux qui composent notre société. Mais qu’en est-il au juste : la démocratisation permet-elle réellement à toute personne d’avoir accès à l’enseignement supérieur et d’y réussir sans égard à sa langue d’origine? Quelles sont les expériences vécues par les personnes allophones[1] issues de l’immigration récente souhaitant accéder à l’enseignement supérieur? À quels obstacles sont-elles confrontées? Ou au contraire, quels dispositifs favorisent leur accès? Ces questions nous paraissent particulièrement d’intérêt pour les personnes allophones issues de l’immigration récente, puisque le système éducatif joue un rôle central dans leur intégration et celle de leur descendance (Potvin et Leclercq, 2014).

Plusieurs écrits portent sur la discrimination engendrée par les structures institutionnelles en enseignement supérieur, mais peu documentent l’expérience particulière de personnes allophones issues de l’immigration récente liée à l’enseignement collégial au Québec. Cet article s’intéresse aux obstacles institutionnels freinant l’accès à l’enseignement collégial des personnes allophones issues de l’immigration récente n’ayant pas fréquenté les systèmes d’éducation secondaire canadiens. Il relate, à partir de points de vue situés, l’expérience de personnes aux prises avec une situation d’injustice devant l’enseignement supérieur. Il se base sur un projet de recherche doctorale inédit terminé en 2020, mené dans un établissement d’enseignement collégial du Québec : une étude multicas.

1. Problématique

1.1 Survol historique

En 1961, le gouvernement du Québec adopte la Loi instituant une Commission royale d’enquête sur l’enseignement. Cette célèbre commission publie, entre 1963 et 1966, le rapport Parent qui dénonce les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur et recommande l’adoption d’une série de mesures reposant sur un projet éducatif ancré dans l’égalité des chances d’accès à tous les ordres d’enseignement : « Le droit de chacun à l’instruction, idée moderne, réclame que l’on dispense l’enseignement à tous les enfants sans distinction de classe, de race, de croyance; et cela de l’école primaire jusqu’à l’université » (Gouvernement du Québec, 1966, p. 72).

Quelques mois après l’adoption de la Loi sur les collèges d’enseignement général et professionnel, en 1967, un vaste réseau de cégeps couvrant l’ensemble du territoire du Québec voit le jour, permettant à toutes les personnes désireuses de poursuivre des études de le faire, peu importe leur statut socioéconomique. En définitive, les finalités d’accessibilité des cégeps se situent dans un idéal politique et social d’égalisation des chances (Kamanzi et al., 2012) et constituent une assise du système d’éducation collégiale qui demeure toujours d’actualité. Ainsi, le système doit :

  • mettre à la portée de tous, sans distinction de croyance, d’origine raciale, de culture, de milieu social, d’âge, de sexe, de santé physique ou d’aptitudes mentales, un enseignement de bonne qualité et répondant à la diversité des besoins;

  • permettre à chaque personne de poursuivre ses études dans le domaine qui répond le mieux à ses aptitudes, à ses goûts et à ses intérêts, jusqu’au niveau le plus avancé qu’il lui est possible d’atteindre, et de bénéficier ainsi de tout ce qui peut contribuer à son plein épanouissement;

  • préparer toute la jeunesse à la vie en société, c’est-à-dire à gagner sa vie par un travail utile, à assumer intelligemment toutes ses responsabilités sociales dans l’égalité et la liberté, et offrir aux adultes les plus grandes possibilités de perfectionnement (volume 4 du rapport Parent de 1966, p. 6).

Les recherches de Dandurand (1990) et d’Eckert (2010) démontrent que les démarches de démocratisation de l’enseignement supérieur engendrent une diversification de la population étudiante. En effet, de nouveaux effectifs étudiants principalement composés de filles, de francophones et d’étudiantes et étudiants issus des milieux défavorisés intègrent pour la première fois le premier et le second palier de l’enseignement supérieur québécois.

Pourtant, malgré une massification historique alimentée par des visées d’égalité des chances, de nombreuses études attestent que les inégalités sociales d’accès à l’enseignement supérieur subsistent, spécialement selon le genre, l’origine sociale et l’origine ethnique (Kamanzi et al., 2017).

1.2 Inégalités persistantes

Dandurand (1991) emploie le terme démocratisation partielle et souligne que les écarts se maintiennent : entre les hommes et les femmes, entre la majorité francophone et les minorités anglophones et allophones ainsi qu’entre les jeunes socialement défavorisés et leurs camarades issus de familles aisées. Quant à eux, les travaux de Kamanzi et al. (2017) soutiennent que les anciennes inégalités d’accès à l’enseignement à la fin du primaire sont désormais observables à l’entrée de l’enseignement supérieur. Ils précisent que le capital culturel et économique, l’inégal accès à l’information pertinente et le sentiment de migrer vers un monde distant de celui de leur appartenance première sont des facteurs entravant le parcours de personnes étudiantes capables de poursuivre des études supérieures.

Des écrits récents (Laplante et al., 2018; Gouvernement du Canada, 2017) démontrent que nonobstant les multiples enjeux que posent l’adaptation et l’intégration à une nouvelle société, les personnes issues de l’immigration sont plus nombreuses à accéder aux études supérieures que leurs camarades dont les parents sont nés au Canada. Toutefois, la différence entre les divers groupes issus de l’immigration est de taille (Kamanzi et al., 2016), notamment pour les personnes allophones issues de l’immigration récente. À l’intersection de trois formes de catégorisation, soit le fait d’être issues de l’immigration, le fait de ne pas avoir été scolarisées dans la langue de la société d’accueil et le fait d’avoir tout récemment entrepris leur vie dans une nouvelle société, les personnes allophones issues de l’immigration récente sont triplement désavantagées vis-à-vis de leurs collègues provenant des groupes majoritaires. En effet, ces personnes, dont la langue d’éducation est autre que le français et n’ayant pas effectué leur scolarité secondaire au Québec, sont confrontées à des obstacles singuliers lorsqu’elles considèrent un projet d’études collégiales. À cet effet, Bellemare (2015), à partir d’une revue de littérature, souligne deux obstacles exerçant une influence sur le résultat du processus de reconnaissance des diplômes supérieurs étrangers : les pratiques, les comportements et les attitudes des différents acteurs sous l’influence de préjugés et de stéréotypes ainsi que les rigidités institutionnelles. À propos de la rigidité institutionnelle, elle souligne que la multiplicité des instances (ministères, ordres professionnels, réseau de l’éducation, Emploi-Québec, employeurs, etc.) s’accompagne d’une multiplication des pratiques sans qu’il y ait « arrimage ou harmonie entre elles » (p. 99). Derechef et Kushnick (1999), Potter et Ferguson (2003) ainsi que Cochran-Smith (2004) démontrent que des pratiques institutionnelles, comme le jugement professionnel, l’évaluation et les procédures de classement, désavantagent particulièrement les personnes allophones issues de l’immigration récente. Potvin et Leclercq (2014) identifient aussi dans leurs recherches des pratiques professionnelles institutionnalisées entraînant une relégation des personnes issues de l’immigration récente à l’éducation des adultes. Ces pratiques courantes concourent toutes à éloigner les personnes allophones issues de l’immigration récente des parcours offerts par les études collégiales.

Finalement, bien que plusieurs dispositifs aient été mis en place au cours des 50 dernières années pour favoriser l’égalité des chances et permettre un accès à l’enseignement supérieur pour toute personne sans distinction, il ressort de cela que les efforts déployés par les établissements d’éducation pour répondre à leurs responsabilités en termes d’égalisation des chances et d’équité pourraient être revus afin de tendre davantage vers la première visée de l’enseignement collégial consistant à mettre à la portée de toutes et tous un enseignement de bonne qualité qui réponde à la diversité des besoins.

1.3 Conditions d’admission à l’enseignement collégial régulier

Les principales conditions d’admission à l’enseignement collégial régulier sont convenues par le ministère de l’Enseignement supérieur. Quelques conditions supplémentaires, fixées localement par les cégeps, peuvent également s’ajouter aux règles ministérielles. Le Règlement sur le régime des études collégiales (chapitre C-29, r. 4) précise que, pour être admise à un programme conduisant à l’obtention d’un diplôme d’études collégiales, la personne candidate doit répondre aux trois exigences suivantes :

  • Avoir obtenu un diplôme d’études secondaires (DES) ou un diplôme d’études professionnelles (DEP) incluant un certain nombre de matières des 4e et 5e secondaires;

  • Satisfaire aux conditions particulières du programme établies par le ministre, lesquelles précisent les cours préalables au programme;

  • Satisfaire, le cas échéant, aux conditions particulières d’admission établies par le collège pour chacun de ses programmes.

Concernant les exigences locales particulières, notons que certains établissements collégiaux exigent un test de classement en français pour les personnes candidates allophones ayant obtenu l’équivalent d’un diplôme d’études secondaires (DES) dans un établissement scolaire non francophone. Ainsi, un seuil minimal d’entrée est fixé localement.

À l’éducation régulière, les établissements d’enseignement collégiaux offrent aussi la possibilité de s’inscrire au cheminement Tremplin DEC. Cette option, qui ne mène pas à l’obtention d’un diplôme d’études collégiales (DEC), a pour objectif de faciliter le passage et l’intégration au collégial de groupes de la population étudiante aux prises avec des problèmes particuliers, entre autres des difficultés scolaires au secondaire (préalables manquants) et des défis liés à la langue d’enseignement, à l’indécision au regard d’un projet d’études (Gouvernement du Québec, 1993, p. 15-16). Picard et al. (2010) soulignent que « sa mise en oeuvre se fonde sur un choix politique visant à renforcer l’accessibilité de la population à l’enseignement supérieur » (p. 29). Pour répondre aux besoins actuels de la population étudiante collégiale, la majorité des établissements collégiaux offre le cheminement Tremplin DEC dans sa carte de programmes.

Il existe au Cégep de l’Outaouais, comme dans d’autres établissements, un cheminement Tremplin DEC réservé aux personnes étudiantes allophones. Malheureusement, faute d’admissions suffisantes, ces cheminements ont du mal à assurer leur viabilité. Selon les données rendues disponibles par le Service régional d’admission du Montréal métropolitain (2018), les motifs de refus des personnes candidates issues de l’immigration les plus courants sont relatifs aux dossiers incomplets (absence de documents exigés tels que des traductions, des relevés de notes du secondaire, etc.) et aux préalables insuffisants, possiblement attribuables à la non-reconnaissance des diplômes.

Cette situation problématique d’accès à l’enseignement supérieur collégial pour une population en particulier semble être en dissonance avec les voeux de démocratisation de l’enseignement supérieur à l’origine du réseau collégial. Avant de présenter les objectifs de la recherche, voyons les ancrages sur lesquels repose le projet.

2. Ancrages conceptuels

En partant du questionnement sur les obstacles à l’accès à l’enseignement collégial qui engendrent des situations d’inégalités pour les personnes allophones issues de l’immigration récente (Dandurand, 1991; Kamanzi et al., 2017) et du constat que les établissements d’enseignement ont la responsabilité de mettre en place des mesures favorisant l’égalité des chances (Gouvernement du Québec, 1966 et 1998; UNESCO, 1998), notre projet de recherche s’appuie sur les concepts suivants : les obstacles institutionnels, l’égalité des chances et l’équité.

2.1 Obstacles institutionnels

La littérature dénombre plusieurs types d’obstacles freinant l’accès à la formation. Darkenwald et Meriam (1982) parlent des obstacles informationnels qui reconnaissent l’importance de l’information reçue sur les ressources éducatives et les possibilités de formation. Laplante et al. (2020), par le concept du capital économique (Bourdieu, 1972), mettent de l’avant les obstacles économiques voulant que la distribution inégale des capitaux influence les décisions et les stratégies éducatives. Goreczny et al. (2011) et Sahu et Sahu (2015) proposent le concept d’obstacles comportementaux qui regroupent les attitudes, les hypothèses et les perceptions discriminatoires à l’égard des personnes marginalisées, notamment des personnes en situation de handicap. Leong et Kalibatseva (2011) soulignent la présence d’obstacles affectifs qui se manifestent par une méfiance de certains groupes historiquement marginalisés, notamment les personnes autochtones, relativement au système d’éducation en raison de la manière dont ce dernier a agi à leur égard. Cross (1981) introduit, quant à elle, une typologie identifiant trois types d’obstacles en fonction de l’accès à la participation des adultes à la formation, soit 1) les obstacles de nature situationnelle, qui font référence aux situations quotidiennes et aux facteurs liés à l’environnement physique et social immédiat de la personne, tels que l’économie, la culture et la structure familiale, 2) les obstacles de nature dispositionnelle liés aux attitudes, aux croyances et aux connaissances qu’entretient l’individu envers l’éducation et l’apprentissage en lien avec ses valeurs et la perception qu’il a de lui-même comme apprenant, et 3) les obstacles de nature institutionnelle qui, quant à eux, sont liés aux programmes, aux politiques, aux procédures et aux pratiques qui régissent le contexte d’enseignement. À l’instar d’un grand nombre de chercheurs et chercheuses (Bélanger et al., 2007; Darkenwald et Merriam, 1982; Flynn et al. 2011; Lavoie et al., 2004; Solar et al., 2014), nous avons choisi de nous appuyer sur les travaux de Cross (1981) pour analyser la situation des apprenants et apprenantes vis-à-vis de l’éducation formelle, car son modèle englobe en grande partie les types d’obstacles identifiés par d’autres auteurs et autrices et a été conçu spécialement pour le monde de l’éducation.

Des trois types d’obstacles énumérés par Cross (1981), nous avons porté notre intérêt plus spécifiquement sur ceux de nature institutionnelle, puisqu’il s’agit d’un sujet scientifiquement peu documenté au collégial, qui revêt une importance particulière en raison de la responsabilité formelle des établissements en matière d’égalité d’accès. En effet, bien que plusieurs écrits traitent des obstacles institutionnels, les recherches sur le sujet portent majoritairement sur les ordres d’enseignement primaire et secondaire (Anisef et Kilbride, 2001; Mc Andrew et Balde, 2015) ou universitaire (Bouteyre, 2008; Kanouté, 2012; Sauvé, 2007), ou encore sur la formation générale des adultes (Potvin et Leclerq, 2014). Du reste, notre choix s’est arrêté sur ce type d’obstacle, puisqu’il permet d’exercer un réel pouvoir de changement.

En intervenant sur les obstacles institutionnels d’accès à l’enseignement collégial pour les personnes allophones issues de l’immigration, nous croyons qu’il est possible de nous rapprocher des visées de l’égalité des chances.

2.2 Égalité des chances et équité

Il existe plusieurs classifications des différents types d’égalité compris dans l’égalité des chances en éducation, toujours en fonction des objets à égaliser. La lecture des différents classements permet de distinguer quelques catégories : l’égalité d’accès, l’égalité des acquis et l’égalité des résultats. Certains chercheurs et chercheuses parlent aussi d’égalité de traitement qui, selon nous, s’apparente davantage au concept d’équité.

2.2.1 Égalité d’accès

L’égalité d’accès fait référence à une circonstance où tous les individus ont les mêmes possibilités d’accéder à des services éducatifs dans un système d’éducation public à plusieurs ordres et secteurs d’enseignement, incluant celui de la petite enfance (Doutreloux, 2023, CSE, 2016). L’objectif de l’égalité d’accès est de garantir le droit à l’instruction et aussi d’ériger l’égalité formelle des citoyens et citoyennes (Esping-Andersen, 1999), cela, sans égard aux coûts de la fréquentation scolaire ou aux situations individuelles ou familiales (Verhoeven et al., 2007). Cette égalité d’accès implique également l’accès à l’information nécessaire pour faciliter l’accès physique à un établissement d’enseignement (Legendre, 2005). À l’enseignement collégial, l’égalité d’accès se concrétise notamment par la présence d’un imposant réseau public d’établissements sur l’ensemble du territoire de la province. Par ailleurs, le Conseil supérieur de l’éducation (2016) rappelle que « l’accès à un établissement n’élimine pas d’autres formes d’inégalités d’accès » (p. 35), particulièrement pour les populations vulnérabilisées.

2.2.2 Égalité des acquis

L’égalité des acquis introduit le principe éducationnel selon lequel l’école doit permettre à l’ensemble des apprenants et apprenantes d’effectuer les mêmes apprentissages essentiels (Crahay, 2000). Elle garantit la possession d’acquis essentiels, de compétences et de savoirs; ce qu’on appelle aussi l’octroi d’une formation invariable pour tout le monde (Beckers et al., 2014). Un bon exemple d’égalité des acquis réside dans l’usage du tronc commun consistant à offrir le même ensemble de cours sans égard à la discipline ou à la spécialisation envisagée des étudiants et étudiantes.

Toutefois, il importe de préciser que l’égalité des acquis est favorisée lorsqu’accompagnée d’autres formes d’égalité. Dupriez et Vandenberghe (2004) soulignent en effet que l’égale accession à l’enseignement est requise pour espérer l’atteinte d’un niveau commun de base. Pour Beckers (2008), c’est l’égalité de traitement qui garantit l’égalité des acquis pour tous et toutes.

2.2.3 Égalité des résultats

L’égalité de résultats s’observe selon deux visions : le traitement uniforme et la méritocratie. L’égalité des résultats interprétée sous l’angle méritocratique s’appuie sur le postulat « qu’il y aura toujours un groupe dominant dans toute société, étant donné l’existence de tâches et de fonctions nécessitant un savoir donnant un pouvoir » (Legendre, 2005, p. 543). De ce fait, la réussite permet aux plus méritants ou méritantes d’effectuer un changement de position sociale à l’intérieur d’une société hiérarchisée. Cette idéologie contribue au tri social (Magnan et Vidal, 2015).

Néanmoins, dans une logique d’égalité des chances motivée par un traitement uniforme et indifférencié pour tous et toutes, l’égalité des résultats s’observe plutôt dans des circonstances où, une fois sorties du système éducatif, les personnes ont les mêmes possibilités d’exploiter les compétences acquises (CSE, 2016). En d’autres termes, l’égalité des résultats nous encourage à déplacer notre regard à l’issue d’une période de formation plutôt qu’à l’entrée (Dupriez et Verhoeven, 2013) :

Si l’on veut assurer effectivement la démocratisation de l’école […], ce n’est pas seulement à l’entrée qu’il faut poser l’égalité, c’est aussi à la sortie. Ce qu’il faut viser, en plus de l’égalité des chances, c’est l’égalité des résultats.

CEF, 1992, p. 17

Cette version de l’égalité des résultats s’appuie sur le droit à la réussite et au développement optimal de chaque individu et se fonde sur « les immenses possibilités de développement de l’être humain, sur sa remarquable plasticité et sur la croyance de son éducabilité tout aussi essentielle qu’illimitée » (Legendre, 2005, p. 543). Cette égalité de résultats s’opère lorsque tous les groupes sociaux sont équitablement représentés parmi les personnes diplômées à tous les ordres d’enseignement (Conseil supérieur de l’éducation, 2016). Bien entendu, pour que les acquis et les résultats soient égaux entre ces dernières à la sortie d’un programme d’études, il est indispensable d’instaurer des mesures d’équité, comme le suggère l’égalité de traitement.

2.2.4 Égalité de traitement et équité

L’égalité de traitement prend racine dans la préoccupation d’assurer des conditions d’apprentissage de qualité équitables pour tous et toutes. Ce principe s’observe par l’offre d’un traitement différencié tenant compte des particularités de chaque personne, donc qui ne s’applique pas de la même façon individuellement (CSE, 2016). Au Québec, par exemple, la Loi sur l’aide financière aux études (A-13.3) prévoit dans son Programme de prêts et bourses de distribuer des montants différents en fonction des besoins et des ressources des personnes étudiantes. Cette mesure d’équité contribue au maintien du principe d’égalité de traitement aux études supérieures en reconnaissant les circonstances sociales particulières d’une frange de la population étudiante dans la perspective d’offrir des chances équivalentes aux personnes étudiantes dont les ressources financières sont insuffisantes pour poursuivre des études à temps plein (Gouvernement du Québec, 2014; Kamanzi, 2012).

Ces inégalités et ces injustices, engendrées par des circonstances personnelles ou sociales particulières, interpellent le penseur Rawls (1987) et la penseuse Sen (2002; 2010). Pour que ces inégalités puissent être corrigées, ces derniers s’entendent pour dire qu’il est essentiel d’offrir la possibilité à quiconque, peu importe son origine sociale, de disposer des moyens nécessaires pour parvenir à satisfaire ses projets rationnels. Ils soutiennent que les inégalités de traitement doivent être au bénéfice des plus vulnérables sans pour autant aggraver la situation entre les plus faibles et les plus forts. Ainsi, au nom du bien commun, l’équité sous-entend que certaines ressources sont distribuées de façon inégale en vue d’atteindre une plus grande équité.

Finalement, nous pensons que l’équité en matière d’éducation garantit la réalisation concrète de l’égalité des chances (CSE, 2002). Pour cette raison, nous soutenons qu’une définition appropriée de l’égalité des chances doit inclure la notion d’équité. C’est précisément ce que fait Legendre (2005) en instaurant une filiation claire entre l’équité, la justice et l’égalité dans sa définition du concept d’égalité des chances. C’est cette définition que nous avons retenue pour la réalisation du projet de recherche :

[u]n principe fondamental de la démocratisation de l’éducation qui reconnaît le droit d’équité et les possibilités pour chaque personne, sans exception, et indépendamment de ses conditions géographiques, culturelles, économiques, sociales et de ses autres caractéristiques naturelles, au développement optimum et continu à l’éducation.

p. 543

En somme, les multiples voies de l’égalité des chances proposent de nombreuses possibilités d’intervention sur les inégalités existantes dans l’enseignement supérieur, inégalités vécues notamment par les personnes allophones issues de l’immigration. Nous avons choisi, pour cette recherche, de nous intéresser principalement à l’égalité d’accès.

3. Objectifs

Considérant les visées de l’enseignement supérieur et l’importance du principe d’équité dans l’égalité des chances, quels facteurs institutionnels influencent l’accès à l’enseignement supérieur collégial pour les personnes allophones issues de l’immigration récente? À partir de cette question, trois objectifs ont été mis de l’avant :

  • Identifier les facteurs institutionnels favorisant l’accès aux études collégiales, tels que perçus par les personnes allophones issues de l’immigration;

  • Identifier les facteurs institutionnels représentant des obstacles à l’accès aux études collégiales, tels que perçus par les personnes allophones issues de l’immigration;

  • Proposer de nouvelles façons de faire favorisant l’accès à l’enseignement supérieur collégial pour les personnes allophones issues de l’immigration.

Le présent article porte uniquement sur les deux premiers objectifs de la recherche. Les résultats du troisième objectif ont été publiés dans un article de la revue Relais en 2023. Cette recherche s’est effectuée dans le cadre d’études doctorales. Une thèse mettant en lumière les savoirs professionnels développés par les personnes participantes à la recherche a été publiée en 2020.

4. Méthodologie

Notre recherche qualitative interprétative privilégie le socioconstructivisme en misant sur l’accès privilégié de la chercheuse à l’expérience des personnes concernées. Elle désire ainsi comprendre la dynamique de la situation des personnes allophones issues de l’immigration récente souhaitant être admises à un programme d’études collégiales à l’éducation régulière. Ceci, en brossant un portrait des facteurs institutionnels favorisant l’accès aux études collégiales ainsi que ceux représentant des obstacles à l’accès à ces mêmes études, tels que perçus par les personnes allophones issues de l’immigration. La recherche consiste en l’étude de cas de cinq personnes allophones issues de l’immigration récente ayant entamé des démarches en vue d’une admission au Cégep de l’Outaouais dans un programme d’études menant au diplôme d’études collégiales (DEC). Le modèle d’étude de cas de Stake (1995) a ici été préconisé, car il vise tout d’abord la compréhension d’un phénomène sans chercher a priori à en généraliser les résultats. Selon cette méthode, l’usage de l’étude multicas suit une logique de réplication et non pas d’échantillonnage statistique. Les quelques cas choisis conduisent à des résultats similaires permettant d’approfondir un phénomène difficilement accessible autrement. Stake propose de subdiviser la trame de temps en quatre étapes : 1) la préparation, qui a servi à conceptualiser l’objet à l’étude, à sélectionner l’échantillonnage et à préparer les outils de collecte et d’analyse de données, 2) l’exécution, qui s’est concentrée sur la collecte de données à l’aide d’entrevues semi-dirigées explorant le parcours migratoire et scolaire de personnes allophones issues de l’immigration récente, 3) l’analyse, qui a permis de proposer une interprétation des données selon les procédés de l’analyse thématique fermée et 4) la validation, qui a servi à confirmer les interprétations auprès des personnes interviewées.

À l’aide du logiciel de traitement et d’analyse de données qualitatives ATLAS.ti, nous avons établi les schémas des réponses des personnes participantes s’apparentant aux deux points d’intérêts de la recherche, c’est-à-dire les facteurs institutionnels favorisant l’accès aux études collégiales, tels que perçus par les personnes allophones issues de l’immigration récente, et les facteurs institutionnels représentant des obstacles à l’accès aux études collégiales, toujours perçus par les mêmes personnes. L’analyse thématique fermée a été préconisée dans cette recherche afin de classer les différents facteurs institutionnels selon la typologie théorisée par Cross (1981), soit en termes de programmes, de pratiques, de politiques et de procédures. Plus précisément, voici comment ont été classés les différents facteurs institutionnels dans chacune des catégories d’obstacles institutionnels. Les programmes incluent l’offre et la disponibilité des programmes, les choix de programmes et de cours et les formules offertes. Les politiques incluent les exigences provinciales et locales et tous les facteurs économiques, tels que les coûts reliés aux tests, aux traductions et aux évaluations. Les pratiques incluent l’emplacement géographique (disponibilité des services tels qu’un service de garde, une épicerie, une bibliothèque et un service de transport en commun à proximité de l’établissement d’enseignement) et les mesures de soutien et d’accueil. Finalement, les procédures incluent la documentation requise, les processus d’admission et d’inscription, puis l’accès à l’information. Selon la méthode de cas de Stake (1995), les données analysées ont été soumises aux personnes participantes pour validation.

Les personnes participantes au projet ont été sélectionnées à partir d’un échantillon théorique volontaire, en fonction de caractéristiques propres et communes et en fonction de critères de potentielles découvertes suscitant l’intérêt. Cette recherche multicas se penche donc sur des cas dits similaires. Deux règles ont été établies pour choisir les cas composant l’échantillon : 1) être une personne allophone issue d’une première génération d’immigration[2] ayant entamé des démarches en vue d’une admission aux études collégiales; 2) avoir connu des complications d’ordre institutionnel au cours de ces mêmes démarches. Le thème traité étant considéré comme tabou ou intime, nous avons privilégié un échantillon possédant l’expérience pertinente par rapport à l’objet d’étude et voulant la partager volontairement. Le recrutement s’est effectué auprès des personnes étudiantes inscrites aux programmes de francisation offerts par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) et le ministère de l’Éducation ainsi qu’auprès des personnes issues de l’immigration récente participant au programme Passeport Travail du Carrefour Jeunesse-emploi de l’Outaouais.

Les entretiens semi-dirigés, d’une heure approximativement, ont été réalisés par la chercheuse en mode présentiel. Le guide de discussion employé s’inspirait des travaux de Potvin et Leclerq (2014) ayant mené une recherche similaire auprès de personnes étudiantes issues de l’immigration et inscrites à la formation des adultes. Le guide abordait trois principaux thèmes, soit l’expérience migratoire, les étapes du parcours scolaire au Québec et à l’extérieur du Québec et finalement, la perception des pratiques institutionnelles en place. Les questions avaient été révisées par une intervenante du Service Intégration Travail Outaouais (SITO) qui devait s’assurer de l’emploi d’un vocabulaire accessible. Les entrevues ont été enregistrées afin de permettre l’analyse et de faciliter les retours lors de l’étape de validation auprès des personnes participantes.

5. Résultats de la recherche

Les prochaines lignes permettent de distinguer les facteurs institutionnels facilitant l’accès à l’enseignement collégial des personnes allophones issues de l’immigration récente ainsi que les facteurs institutionnels représentant des obstacles, tels qu’évoqués par les personnes participantes à la recherche. Nous les avons classifiés en fonction des quatre catégories proposées par Cross (1981) : en lien avec les programmes, les pratiques, les politiques ou les procédures en place. Nous les avons aussi mises en relief avec les autres concepts utilisés dans cette recherche, soit l’égalité des chances et la responsabilité des établissements d’enseignement.

5.1 Facteurs institutionnels favorisant l’accès aux études collégiales

L’analyse des entrevues a permis de faire ressortir trois éléments qui, aux yeux des personnes volontaires rencontrées, facilitent les démarches d’admission à l’éducation régulière du collégial.

Tableau 1

Facteurs institutionnels favorisant l’accès aux études collégiales des personnes allophones issues de l’immigration récente

Facteurs institutionnels favorisant l’accès aux études collégiales des personnes allophones issues de l’immigration récente

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À propos des programmes, pour la majorité des personnes allophones issues de l’immigration récente rencontrées, le cheminement Tremplin DEC représente une mesure de démocratisation de l’enseignement supérieur importante leur permettant de s’inscrire à un programme d’études menant au diplôme d’études collégiales. Ainsi ont-elles accès, particulièrement, à des options leur étant réservées et comprenant des cours supplémentaires d’amélioration du français pour en parfaire leurs connaissances avant de suivre les cours de français du programme régulier.

Concernant les politiques provinciales et locales en place, l’abordabilité des frais de scolarité de l’ordre collégial constitue un facteur non négligeable permettant d’envisager un projet d’études pour les personnes allophones issues de l’immigration récente, ce qui contribue à mitiger les effets du capital économique faible de certaines personnes étudiantes. Qui plus est, les recherches récentes de Wu et Corpus (2023) suggèrent que le coût est un aspect important de l’expérience collégiale et que la perception initiale des coûts peut servir de catalyseur, ou d’obstacle, à la réussite scolaire à venir.

Au sujet des pratiques, il a été question du rôle de soutien des aides pédagogiques individuels ou individuelles (API)[3]. Dans bien des cas, les API sont les seules personnes professionnelles avec lesquelles les participants et participantes ont eu des contacts durant leur processus d’admission : « C’est mon aide pédagogique qui m’a parlé de l’option du Tremplin DEC. C’est elle qui m’a suivie et m’a aidée à trouver des solutions » (Vanessa, participante étudiante). Notons que les personnes ayant eu la chance d’interagir avec un ou une API durant leur démarche d’accès aux études collégiales ont mentionné avoir eu une expérience plus positive que celles n’ayant pas eu cette possibilité. Ce constat démontre les effets positifs de l’application du principe d’égalité de traitement et d’équité qui s’observe habituellement par l’octroi d’une attention différenciée tenant compte des particularités de chaque personne. Toutefois, les effets positifs du soutien des API relevés dans cette recherche sont contraires à ceux évoqués dans les travaux de Lafortune et al. (2020) qui présentent plutôt des situations dans lesquelles le soutien des personnels professionnels des établissements collégiaux tendrait davantage à reproduire des inégalités existant dans la société.

5.2 Facteurs institutionnels représentant des obstacles à l’accès aux études collégiales

Contrairement aux facteurs institutionnels favorisant l’accès aux études collégiales, les facteurs institutionnels freinant l’accès aux études collégiales ont occupé une place prépondérante dans les réponses des personnes allophones issues de l’immigration récente lors des entrevues.

Tableau 2

Obstacles institutionnels d’accès aux études collégiales pour les personnes allophones issues de l’immigration récente

Obstacles institutionnels d’accès aux études collégiales pour les personnes allophones issues de l’immigration récente

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Les obstacles les plus importants liés aux programmes sont « le manque de flexibilité dans la reconnaissance des cours suivis à l’extérieur du Québec et l’annulation fréquente du cours d’amélioration du français réservé aux personnes allophones dans le cheminement Tremplin DEC » (Doutreloux, 2023, p. 4). Ces observations s’apparentent à ce que Bellemare (2015) appelle les rigidités institutionnelles et seraient proportionnellement plus accentuées chez les femmes issues de l’immigration récente que chez leurs collègues masculins.

C’est au regard des politiques que les embûches pèsent le plus pour les personnes allophones issues de l’immigration récente. Les irritants concernent le coût élevé des traductions et le test de classement en français, comme en témoignent les extraits d’entrevues suivants :

Je trouve qu’il y a un obstacle, et vraiment il est présent dans mon programme, c’est la traduction de mes documents. Par exemple, maintenant, j’aimerais faire des équivalences dans certaines matières pour avoir la chance de gagner du temps [sic], parce que j’ai des enfants. La coordonnatrice et mon API demandent que je fasse traduire la description du cours au complet. Ça va me coûter 200 piasses [sic] juste pour un cours, et je ne sais pas s’ils vont accepter de valider le cours.

Vanessa, participante étudiante

J’ai fait cinq fois le TFI (test de français international). Quatre-vingt-dix dollars chaque fois. C’est pas facile, mais j’ai pas le choix (Sara, participante étudiante).

Toujours au sujet des politiques, des difficultés majeures ont été identifiées à propos des résultats, décevants pour certains individus, et des analyses comparatives des études. Même son de cloche pour le test de classement en français : maintes allusions aux effets de déclassement, aux conditions de passation difficiles et au stress associé à ces tests ont été relevées (Doutreloux, 2023). Ils sont plusieurs à ne pas comprendre pourquoi le test les a placés à un niveau ou un autre. Certaines personnes participantes se sentent même victimes de discrimination. Ces pratiques qui provoquent un sentiment d’injustice et d’impuissance résonnent avec les recherches de Magnan et al. (2021), démontrant que l’espace de l’enseignement supérieur peut contribuer à la (re)production, « voire à la réification des rapports sociaux de race » (p. 1).

Pour ce qui est des pratiques en place, les principaux freins identifiés par les personnes rencontrées sont des emplacements problématiques prévus pour la passation du test de classement en français, des services à distance inexistants et un manque de soutien en amont et pendant le processus d’admission. Au sujet de l’emplacement des tests de classement, une personne participante s’exprime ainsi : « Je leur ai dit que j’habitais à 800 km et ils m’ont dit que je devais venir passer le test » (Vanessa, participante étudiante). Quant au manque de soutien, maintes fois identifié par les personnes participantes, il fait référence aux procédures administratives ainsi qu’aux lacunes concernant l’information et l’accompagnement des étudiants et étudiantes par les services du cégep, notamment à propos des tests de classement et des exigences des programmes. Selon la recherche de Lafortune et al. (2020), les situations d’accès difficiles aux services de soutien entraînent souvent des résultats scolaires plus faibles et des abandons précoces.

Finalement, au chapitre des procédures, les entrevues révèlent des difficultés relativement à la durée du processus d’admission, à l’accès à la documentation requise pour compléter le processus d’admission, tels les relevés de notes, les diplômes, les descriptions de cours et de programmes, puis à l’accès à l’information sur le programme, les tests et les exigences. En effet, pour quelques personnes, le processus d’admission aura duré près de deux ans. Pour une personne en particulier, au terme de ces deux années de va-et-vient, le cheminement Tremplin DEC destiné aux personnes allophones auquel elle avait été admise a été annulé en raison du faible nombre d’inscriptions. De même, les exigences provinciales telles que l’obligation de présenter les relevés de notes et les descriptions de cours de niveau secondaire pour les détenteurs et détentrices de baccalauréat et de maîtrise semblent poser problème. En lien avec la documentation requise pour compléter le dossier d’admission, des personnes interrogées mentionnent les difficultés à rapatrier leurs relevés de notes et descriptions de cours de pays qu’elles ont dû quitter à la hâte. « Je n’avais pas ces documents à portée de la main et j’ai dû demander à ce qu’on me les envoie et ça a pris beaucoup plus de temps » (Martine, participante étudiante). Il est aussi fait mention des problèmes pour obtenir les informations nécessaires au moment opportun : la disponibilité, la clarté, la validité et la pertinence des informations au sujet des programmes, des politiques, des pratiques et des procédures.

Ces constats font écho aux travaux de Richard (2023) au sujet des personnes étudiantes adultes du collégial. Selon sa dernière recherche, les personnes adultes issues de l’immigration récente inscrites au collégial éprouvent plus de difficulté à naviguer à travers les mécanismes administratifs de ce nouvel environnement. Elles connaissent moins les services mis à leur disposition et peinent davantage à trouver ce dont elles ont besoin.

En définitive, les nombreuses situations problématiques relatées par les personnes participantes à la recherche nous pistent sur l’état de l’égalité des chances.

Conclusion

Cet article documente, par l’analyse d’entrevues semi-dirigées conduites dans le cadre d’une étude multicas, une situation d’injustice vécue par des personnes allophones issues de l’immigration récente en lien avec l’égalité d’accès aux études collégiales. Il fournit un éclairage sur la situation d’une frange de la population étudiante désireuse d’intégrer le système d’enseignement collégial québécois en identifiant tant les facteurs facilitant son accès que les obstacles auxquels elle est confrontée. La présence des personnes allophones issues de l’immigration récente à l’enseignement collégial, population aux caractéristiques et besoins singuliers, est très peu dépeinte dans la littérature scientifique. Qui plus est, rares sont les écrits sur le sujet qui utilisent le point de vue des personnes aux prises avec une situation problématique pour analyser les structures d’un système d’enseignement.

Sur le plan des facteurs facilitant l’accès à l’enseignement collégial des personnes allophones issues de l’immigration récente, cet article met en exergue trois éléments. Premièrement, l’importance de l’accompagnement et du soutien apporté par les API durant le processus d’admission. Ces professionnelles et professionnels de proximité contribuent à rendre accessibles les informations et les processus. Deuxièmement, la présence de programmes d’accès à l’enseignement collégial tels que le cheminement Tremplin DEC. Ce programme transitoire permet aux personnes allophones d’entreprendre leur cursus scolaire tout en perfectionnant leurs compétences en français. Troisièmement, l’article identifie le coût abordable des frais de scolarité des études collégiales comme étant un facteur facilitant aussi l’accès de tous et toutes.

En ce qui a trait aux facteurs nuisant à l’accès à l’enseignement collégial, les obstacles institutionnels identifiés par les personnes allophones issues de l’immigration récente sont nombreux. Ces obstacles sont classés selon la typologie de Cross (1981), soit en quatre catégories. Dans la catégorie des programmes, ce sont le manque de flexibilité vis-à-vis de la reconnaissance des cours suivis à l’extérieur et l’annulation fréquente des cours d’amélioration du français qui sont présentés. Dans la catégorie des politiques, l’article relate le coût élevé des traductions et du test de classement en français s’interroge sur la fiabilité de ce même test. Dans la catégorie des pratiques, on retrouve les problèmes relatifs à l’absence de services à distance et le manque de soutien. Finalement, dans la catégorie des procédures, il est question des délais très longs, des difficultés d’accès à la documentation requise (relevés de notes, diplômes, descriptions de cours et de programmes) ainsi qu’à l’information (programmes, tests, exigences, horaires).

Les résultats de cette recherche corroborent les conclusions de travaux antérieurs, notamment ceux de Kamanzi (2021), Laplante et al. (2020), Magnan et al. (2019), Kamanzi et Doray (2015) et Potvin et Leclerq (2014), qui soulignent tous l’existence d’obstacles freinant l’accès à l’enseignement postsecondaire des populations immigrantes, et par conséquent, la persévérance. En outre, leurs conclusions suggèrent que l’égalité d’accès, « mère de toutes les égalités face à l’école » (Dupriez et Verhoeven, 2006, p. 483), n’est pas acquise également par toutes les catégories de personnes étudiantes. Notre recherche se distingue de ces travaux du fait qu’elle s’intéresse à la situation particulière de personnes allophones ayant réalisé l’équivalent de leurs études secondaires à l’extérieur du Québec, dans une langue autre que le français. Malgré cela, les analyses présentées comportent quelques limites. En effet, pour obtenir un portrait plus juste de la situation particulière vécue par cette population, le modèle de Cross (1981), utilisé dans cette recherche, suggère de s’intéresser à trois types d’obstacles freinant la participation à la formation. Ainsi, en plus des obstacles institutionnels, la recherche aurait pu traiter des obstacles situationnels, faisant référence aux situations quotidiennes et aux facteurs liés à l’environnement physique et social immédiat de la personne, et des obstacles dispositionnels liés, quant à eux, aux attitudes, aux croyances et aux connaissances qu’entretient l’individu à l’égard de l’éducation et de l’apprentissage. De plus, pour dresser un portrait global de la situation de cette population dans le réseau collégial, la recherche aurait pu être déployée à plus grande échelle, en incluant une méthodologie quantitative.

Enfin, étudier la situation et les besoins des personnes allophones issues de l’immigration récente ayant réussi leur admission à l’enseignement collégial pourrait constituer une piste de recherche intéressante à poursuivre. Cette production de nouvelles connaissances contribuerait à mieux soutenir les personnels de l’enseignement supérieur dans leurs efforts quant à la réussite étudiante et permettrait d’orienter les actions et politiques en matière d’inclusion. Tout cela, sans négliger l’importance de documenter les mécanismes de discrimination systémique qui affectent particulièrement les groupes minoritaires et marginalisés en éducation.