Abstracts
Résumé
Cet article examine les effets de la prise en charge administrative de l’aspect linguistique dans l’instauration des outils de démocratie digitale de la municipalité de Moncton, une ville canadienne officiellement bilingue (français-anglais). Par une étude de cas abordée avec une approche qualitative, il souligne le caractère paradoxal de l’enjeu du bilinguisme, lequel est exprimé comme résolu en revêtant un caractère purement technique au travers de la traduction, alors même qu’il cristallise des tensions politiques, mais aussi des tensions sociales d’inclusion. Dans un cadre interdisciplinaire alliant sociolinguistique et administration publique, il propose une réflexion critique sur les présupposés linguistiques dans la conception des outils de démocratie digitale, et interroge le traitement de ces enjeux et leurs impacts dans l’effectivité et les mécanismes de ces outils.
Mots-clés :
- Démocratie digitale,
- bilinguisme officiel,
- instruments de politiques publiques,
- inclusion,
- sociolinguistique
Abstract
This article examines the effects of the administrative management of the linguistic aspect of implementing digital democracy tools in the municipality of Moncton, an officially bilingual (French/English) city in Canada. Using a qualitative case study approach, the article highlights the paradoxical nature of the issue of bilingualism, which is addressed as a purely technical matter through translation, disregarding underlying political conflicts and social inclusion concerns. Drawing on an interdisciplinary framework that combines sociolinguistics and public administration, the study proposes a critical analysis of linguistic presuppositions in the design of digital democracy tools, and questions the treatment of these issues and their impacts on the effectiveness and mechanisms of these tools.
Keywords:
- digital democracy,
- official bilingualism,
- public policy instruments,
- inclusion,
- sociolinguistics
Article body
Introduction
Avec l’essor de la technologie, les outils de démocratie numérique se multiplient, mais tous n’ont pas ni les mêmes fonctions ni les mêmes objectifs. Ils peuvent notamment porter un poids plus ou moins important dans le processus décisionnel (Simon et al., 2017; Gastil, 2021; Manoharan et Ingrams, 2018; Bos et van der Does, 2021). Le cadre théorique fourni par Habermas (1987) a servi de fondation à des travaux portant sur la démocratie démocratique délibérative, ou participative, concernant notamment l’usage des outils numériques dans cette perspective (Dahlberg, 2011; McLaverty, 2014; Steiner, 2012; Setälä, 2014; Rosenberg, 2014). Dans les travaux issus de ce cadre théorique, un aspect problématique a été soulevé à plusieurs reprises dans les travaux de sociolinguistique (Masquelier, 2014; Heyd et Schneider, 2019) : il s’agit de la complexité empirique de la communication. Ces critiques soulèvent un postulat se fondant sur une vision homogène et idéalisée de ce qu’est la langue dans la délibération. En effet, il s’agirait d’un simple échange d’idées, médié par la langue comme s’il s’agissait d’un code univoque et signifiant d’une manière décontextualisée. Dans le domaine des sciences politiques, Benson (2019) s’interroge aussi sur la place à donner à la communication non verbale et aux connaissances non transmissibles d’un point de vue linguistique, notamment celles directement issues de l’expérience.
Le fonctionnement de la démocratie délibérative repose sur une discussion entre citoyens correctement informés. Ceux-ci se rassemblent afin de chercher une solution rationnelle à un enjeu politique. Cette disposition théorique comporte un impensé : celui de l’évidence de l’intercommunication dans une même langue. Pourtant, la sociolinguistique a depuis longtemps établi le fait que la compréhension n’est pas une donnée acquise et que la notion même de langue commune est problématique face à la variété des parlers, des situations de communication et des rapports de pouvoir (Heller et Boutet, 2006; Canut, 2001). Même sans approfondir ces considérations déjà complexes, dès lors qu’une administration désire mettre en place des outils de délibération, un autre problème plus évident émerge. En effet, on peut s’attendre à ce que la problématisation de ce qu’est une langue commune et de ce qu’est l’intercompréhension puisse être incomprise pour des administrations officiellement monolingues considérant « la » langue nationale comme étant unique et évidente. Or, dans des situations de multilinguisme officiel, les administrations se confrontent, non plus à la question de « la » langue, mais à celle « des » langues. Cette question découle des considérations précédentes sur le « monolinguisme ». Comment peut-on traiter ce problème pour faciliter la mise en place des outils de délibération, et, plus largement, d’expression de la parole citoyenne?
Différentes solutions ont pu être examinées grâce à divers travaux, notamment ceux rassemblés dans l’ouvrage de Strani (2020). Nous reprendrons ici une typologie proposée par Cabrera (2022) afin de contextualiser notre étude de cas de la ville de Moncton. L’auteur distingue trois catégories de gestion linguistique dans des lieux de délibération : la catégorie monolingue (imposition d’une seule langue officielle censée être la langue dite « maternelle » de chacun, ou l’imposition d’une langue de communication, une « lingua franca »), la catégorie multilingue (gestion linguistique se fondant soit sur une interprétation ou une traduction humaine, soit sur l’imposition de plusieurs lingua franca), et la catégorie « machine » (celle-ci se fonde soit uniquement sur des traductions et/ou des interprétations réalisées automatiquement, soit sur des configurations hybrides où la traduction faite automatiquement est vérifiée par des humains).
Notre étude de cas porte sur la ville de Moncton, située au Nouveau-Brunswick, au Canada. Le Nouveau-Brunswick est la seule province canadienne officiellement bilingue anglais-français. La ville de Moncton est, elle aussi, officiellement bilingue. Cependant, elle est composée d’une majorité de citoyens et citoyennes anglophones. La minorité francophone représente un peu plus du quart (29 %) de la population (première langue officielle parlée – PLOP), selon Statistique Canada (2022). Suivant la typologie proposée par Cabrera (2022), les outils démocratiques de la ville de Moncton relèvent de la catégorie « multilingue », car la gestion linguistique passe par une traduction obligatoire de deux langues officielles. Cette gestion linguistique est encadrée par des lois de traduction qui s’inscrivent dans un contexte de lutte pour la reconnaissance de la minorité francophone (Dubois, 1999).
Réalisée en collaboration avec la Ville de Moncton, cette étude s’intéresse à la mise en place d’une plateforme de démocratie numérique nommée Jasons Moncton (https://jasonsmoncton.ca) en français, Let’s chat Moncton (https://letschatmoncton.ca) en anglais. Cette recherche a été conçue en se positionnant dans le domaine de l’administration publique et celui de la gestion des outils numériques. Nous nous penchons ici sur la prise en compte de l’aspect linguistique dans les usages démocratiques émergeant au sein de l’espace numérique. Quelle est sa place dans l’instauration d’outils de démocratie numérique? Quel rôle le contexte de bilinguisme officiel joue-t-il? Quel impact l’aspect linguistique a-t-il sur le fonctionnement effectif de ces outils et de la délibération citoyenne?
Méthodologie
Notre étude de cas porte sur les instruments numériques utilisés dans le contexte linguistique particulier de la Ville de Moncton. Selon Yin (2003), l’étude de cas propose une exploration d’un phénomène dans son contexte réel. Cette méthode d’enquête est particulièrement utile lorsque les frontières entre le phénomène à l’étude et son contexte ne sont pas clairement définies, car elle permet de mieux comprendre le « comment » et le « pourquoi » d’une expérience empirique.
Deux principales méthodes de collecte de données ont guidé notre approche méthodologique : la recherche documentaire et les entretiens de recherche semi-structurés. D’une part, l’analyse des principaux documents gouvernementaux de la Ville de Moncton (documents internes et publics) et de la plateforme Jasons Moncton nous a permis de saisir le contexte dans lequel s’inscrivent les instruments délibératifs et leur fonctionnement. Il s’agissait de mieux comprendre les différentes facettes de l’enjeu linguistique dans ce cadre particulier. D’autre part, nous avons interrogé des acteurs de la démocratie, comprenant élus, fonctionnaires et personnes engagées dans des comités citoyens. Nous avons réalisé onze entretiens semi-dirigés de quarante minutes à deux heures. Ces entretiens ont été réalisés entre le début de l’année 2021 et l’automne 2022. Nous les avons ensuite transcrits, puis téléversés dans le logiciel d’analyse qualitative Dedoose afin de les regrouper (coder) dans des catégories émergentes au fil de l’analyse. Nous avons ainsi mené une étude de manière qualitative et inductive, c’est-à-dire que nous sommes parties des données empiriques pour élaborer nos questionnements et conclusions.
Bien conscientes de la nécessité de prendre en compte la particularité du recueil de données linguistiques dans le cadre de nos analyses (Borzeix 2001), nous avons aussi porté une attention particulière au contexte, à la position de nos participants et participantes et à celle des chercheuses afin d’analyser ce que nous appelons ici « nos données ». Cependant, nous ne les considérons pas comme des informations parfaitement transparentes simplement à extraire littéralement des entretiens, mais bien comme un ensemble contextualisé de discours que nous interrogeons dans une perspective positionnée, construite directement avec cet ensemble.
1. La gestion du bilinguisme : un non-enjeu pour les acteurs?
1.1 L’inclusion et la problématique de l’égalité linguistique
Lorsque nous nous sommes intéressées à la problématique de la gestion du bilinguisme par les acteurs de la démocratie numérique, nos données empiriques ont révélé une situation paradoxale. En effet, le bilinguisme officiel de Ville de Moncton est revendiqué sur son site Internet (La Ville de Moncton reconnaît que les deux langues officielles ont le même statut[1]) et dans sa Déclaration de bilinguisme datant de 2002[2]. Ainsi, la question de la langue ne semble pas avoir été tenue pour acquise, comme cela pourrait être le cas dans des situations de monolinguisme officiel. Or pour plusieurs de nos participants, il ne s’agit pas, au premier abord, d’une situation problématique dans le cadre du fonctionnement démocratique municipal :
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pour le citoyen lambda qui veut participer je pense que là le bilinguisme est bien fait (.) tout est bien traduit (.) les informations sont les mêmes d’une langue à l’autre (.) de ce côté-là il y a pas de problème (.) si on demande juste mon input à moi comme citoyen je peux le faire en français je peux le faire en anglais |
Ainsi, il se dégage de nos données empiriques que le bilinguisme en contexte démocratique nécessite deux pôles. Le premier relève de la participation individuelle : il s’agit de la possibilité de participer dans les deux langues. Le deuxième est lié à l’accès à l’information : il s’agit de la possibilité de recevoir les informations dans « sa » langue, la langue officielle de son choix. Très peu de nos participants et participantes soulèvent la question de l’égalité « de statut » comme appartenant à d’autres dimensions que celle de la traduction officielle, généralement de l’anglais vers le français. Dans nos entretiens, nous n’avons pas retrouvé d’expressions issues de revendications telles que « égalité linguistique », comme dans l’appel à la Grande Marche pour l’égalité linguistique à Moncton organisée en 2010 (Université de Moncton, 2010), ou « égalité entre communautés linguistiques » dont on relève des occurrences sur le site web de l’Acadie Nouvelle (Dupuis, 2021). Notre contexte d’étude se fonde principalement sur des entretiens avec des fonctionnaires, des élus et des citoyennes et citoyens engagés dans des comités, et porte essentiellement sur des questions d’administration publique et de gestion démocratique. Ainsi, on peut comprendre qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un lieu propice aux revendications militantes. Cependant, le fait que la question ne soit pas soulevée à l’aide de ces expressions préexistantes nous a portées à interroger les dimensions de l’enjeu linguistique tel qu’il est compris par les acteurs de la démocratie à Moncton.
La notion d’égalité linguistique fait aussi référence de façon indirecte à la Charte canadienne des droits et libertés[4]. Dans l’article 16, on peut lire la formule « égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais ». Elle se comprend donc en référence à un contexte à la fois juridique et administratif. Cette double articulation de statut et d’usage se retrouve dans les discours, souvent sous la forme vue précédemment d’une double articulation entre participation et réception d’informations dans les deux langues officielles. L’aspect linguistique relève donc d’un enjeu matériel faisant référence à un appareil administratif et juridique, et à ce qu’il peut directement produire.
Or la question linguistique représente un enjeu politique et démocratique : elle déborde la simple action administrative et juridique. C’est pour cette raison que nous chercherons ici à introduire les notions d’inclusion et de diversité linguistique, en nous appuyant sur les travaux de Peled (2021). En effet, lorsqu’elle parle de « diversité linguistique », l’autrice ne parle pas d’une situation d’exception, mais bien de la situation la plus commune. Elle prend en compte les différentes variétés d’une langue parlée ou écrite, plus ou moins prestigieuses et plus ou moins stigmatisées, des langues signées, et des langues minoritaires non reconnues. En effet, lorsque nous parlons « du » français, nous pensons à un français standardisé qui correspondrait à un registre courant, relativement soutenu et pouvant être utilisé dans le cadre du débat démocratique. Le bilinguisme est donc l’aptitude à comprendre et à s’exprimer dans deux variétés particulières en usage dans le cadre du débat démocratique, correspondant à deux langues dites officielles. L’inclusion linguistique n’est pas juste une situation de réception de l’information officielle et d’expression dans « sa » langue, car la capacité à s’exprimer dans un certain registre, dans une « langue » acceptable par les institutions, et à saisir des informations dans ce cadre est loin d’être donnée et évidente.
Dans le cadre démocratique, Peled (2021) propose pour solution ce qu’elle appelle linguistic epistemic humility, qui consiste à ne plus tenir pour acquis et naturel le fait d’être compris par les autres. Il s’agit d’une forme de « dénaturalisation » de l’intercompréhension. Pour les acteurs de la démocratie que nous avons interrogés, le fait d’être compris ou non n’est évidemment pas complètement envisagé comme naturel et non remis en question, notamment pour les locuteurs francophones. Cependant, on peut remarquer que cette question n’est pas problématisée dans les discours. Ainsi, si on s’appuie sur le cadre théorique fourni par Peled (2021), le demos, c’est-à-dire le peuple au fondement de la démocratie, est restreint, délimité par une frontière linguistique non remise en question. L’inclusion devient alors un effort de la part des personnes qui sont dans cette situation privilégiée d’être toujours comprises, quel que soit le mode qu’elles choisissent d’utiliser pour s’exprimer, comme le témoigne une personne participante :
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mais de plus en plus maintenant on fait l’effort d’avoir une traduction (.) l’effort de parler en français (.) d’encourager la personne qui peut-être parle pas assez souvent français (.) de parler en français puis on va voir on va donner le support nécessaire |
L’inclusion ici est pensée comme un double effort : de la part de ceux qui choisissent de s’exprimer selon un mode qui ne serait pas celui le plus couramment attendu, et de la part de ceux qui doivent soutenir cet effort, c’est-à-dire certainement la municipalité, le gouvernement local ou l’administration en général. Cependant, ce que soulève en filigrane ce témoignage, c’est le caractère « par défaut » d’un certain mode d’expression, ici l’anglais courant des affaires politiques. En effet, le terme « traduction » est glosé par notre interlocuteur à l’aide de la périphrase « l’effort de parler en français », ce qui sous-tend un statut moins élevé et nettement moins en usage de cette deuxième pratique langagière (Canut, 2001), ici entendue comme le français courant, voire légèrement soutenu des affaires politiques.
De cette manière, nous pouvons appuyer notre réflexion sur la notion sociolinguistique de « marché linguistique », largement exploitée aujourd’hui (Kelly-Holmes, 2016), mais originellement introduite par Bourdieu (1982). Sa conception considère l’échange linguistique comme un échange économique dans lequel les pratiques langagières ont une valeur particulière, un statut différent, et apportent ou non une forme de légitimité à leurs locuteurs. Ainsi, dans l’échange « bilingue » en situation de délibération ou de participation citoyenne, l’usage de l’anglais est considéré comme ayant plus de valeur que celui du français. L’anglais est considéré, par les personnes qui ont participé à nos entretiens, comme la langue de communication pouvant toucher un plus large public. L’usage des pratiques langagières contient des rapports de pouvoir liés au fonctionnement de la démocratie. Cette réflexion n’est pas exprimée comme telle par nos participants, on trouve cet enjeu en creux dans leurs discours de valorisation et de dévalorisation des langues.
1.2 Le bilinguisme de traduction à Moncton : considérer le problème résolu
La traduction tient une place centrale dans la caractérisation du bilinguisme. Dans la liste des engagements de la Ville de Moncton, détaillée dans la charte de bilinguisme officiel, elle se trouve parmi les premiers :
La Ville de Moncton se déclare officiellement bilingue et offre ci-devant tous ses avis et renseignements publics dans les deux langues officielles; elle veillera à ce que les délibérations du conseil municipal se fassent dans les deux langues officielles et offrira des services de traduction simultanée dans les deux langues officielles[5].
La municipalité se place ici comme un ensemble administratif qui offre ses services dans les deux langues, principalement dans sa fonction informationnelle (en ce qui concerne les renseignements publics et la promesse d’interprétariat en contexte oral), mais aussi délibérative, comme le souligne la référence aux délibérations du conseil municipal. L’égalité de statut est respectée par l’expression « dans les deux langues officielles ». Ainsi, aucune ne semble avoir un statut supérieur à l’autre. Néanmoins, comme le soulignent les travaux de Dubois (1999) et ceux de LeBlanc (2006; 2014), nous remarquons que la traduction s’effectue en pratique de l’anglais vers le français et très rarement dans le sens inverse au sein des administrations du Nouveau-Brunswick (LeBlanc, 2014). Dans son étude de 2010 effectuée dans une administration publique anonymisée du Nouveau-Brunswick, LeBlanc souligne que ce sont 98 % des documents rédigés en anglais et ensuite traduits qui circulent dans cette administration : il s’agit bien de l’écrasante majorité. Ainsi, Dubois et LeBlanc mettent tous les deux en avant l’idée d’un bilinguisme de façade, qui masque la pratique largement majoritaire de l’anglais à l’aide d’une traduction systématique de l’anglais vers le français. Dubois (1999) propose d’appeler cela le « bilinguisme de traduction ». Nos données empiriques s’accordent avec ces analyses. Les discours issus des entretiens placent la traduction de l’anglais vers le français au centre du fonctionnement bilingue de l’administration et de la démocratie locale.
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on offre la traduction simultanée depuis des années on fait absolument tout là |
Cet extrait est typique de l’importance de la traduction qui ressort dans nos données. En effet, l’expression « on fait absolument tout là » fait directement référence à la traduction, elle représente une sorte de commentaire sur la traduction en elle-même. « Tout faire » semble donc faire référence à un ensemble de pratiques de traduction. De manière générale, l’étude qualitative autour de la notion de traduction dans nos données montre que ce terme, qui semble neutre au premier abord, est majoritairement glosé comme traduction de l’anglais vers le français. Par ailleurs, nos participantes et participants expriment des sentiments ambivalents quant à ce bilinguisme de traduction, généralement sous la forme d’une expression première de satisfaction suivie d’une expression seconde de relatif malaise. Nous employons le terme « expression première » au sens où, lorsque confrontées à une question sur les enjeux linguistiques de la démocratie et de la participation publique lors des entretiens, les personnes participantes expriment majoritairement de la satisfaction dans un premier temps et reconnaissent les « bonnes » pratiques de l’administration. C’est seulement dans un second temps, ou à la suite de questions plus spécifiques, que celles-ci expriment un malaise.
Nous pouvons expliquer cette tendance générale par plusieurs facteurs. Tout d’abord, par le contexte dans lequel nos participantes et participants se placent, c’est-à-dire en acteurs de l’administration où ils s’investissent d’une manière citoyenne ou du point de vue de la fonction publique. Ils sont donc associés à cette politique de bilinguisme de traduction. On peut aussi supposer que la visibilité de la pratique est un autre facteur d’explication. En effet, le bilinguisme « se voit » par la traduction systématique des documents officiels et des informations. Un autre facteur concourant à cette tendance est la conception du bilinguisme dans le cadre de la démocratie locale, c’est-à-dire la prise en compte du bilinguisme comme une sorte de geste administratif. Ce bilinguisme comme geste administratif de traduction a comme intérêt d’être quantifiable, et considéré comme rempli ou non par rapport à des données probantes.
Cependant, dès lors qu’on sort du cadre de la traduction de documents, et qu’on interroge nos participants sur la production d’un discours plus ou moins spontané, écrit ou oral, en contexte politique et délibératif, on relève une certaine tension. À ce sujet, l’un des répondants parle d’ailleurs d’un « effort » pour caractériser l’expression en français. D’autres abondent dans le même sens en exprimant une relative pression à parler anglais :
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Les gens vont envoyer des messages (.) même des francophones (.) vont réagir en anglais (.) moi j’ai vu des personnes qui ont réagi des fois sur Facebook personnel pas professionnel (.) et qui m’ont dit (.) tu parles trop en français (.) puis imagine (.) t’es à la Ville de Moncton puis tu veux vraiment participer au débat (.) si tu parles en français trois quarts du monde vont pas te lire vont pas te comprendre |
Cette pression est exprimée par les locuteurs bilingues considérés comme francophones, tels que ce participant. Le fait d’être reconnu comme francophone relève d’un processus d’identification linguistique et culturel, largement exploré dans les travaux de Boudreau – particulièrement dans Boudreau (2021) et Boudreau et Urbain (2014) – comme un processus d’identification national à l’Acadie, ancré dans un processus historique de revendications. Dans ce contexte, on trouve chez les acteurs du gouvernement local un discours exprimant une pression à parler anglais ou français, particulièrement lorsqu’ils sont identifiés à la catégorie francophone. Les remarques « parler trop français » ou « parler trop anglais » sont formulées à plusieurs reprises lors de nos entretiens. L’égalité de statut ne relève donc pas d’une situation stable, mais bien d’une situation de confrontation entre des sensibilités différentes sur la question.
Nous constatons ainsi que ce malaise est généralement présenté comme un état de fait lié à des conditions historiques et linguistiques données, et donc sur lequel il n’est pas possible d’agir. Or, même si la question linguistique se veut officiellement prise en charge par l’administration publique, elle reste profondément politique. Ainsi, plusieurs de nos participants et participantes voient et expriment la difficulté de la prise en compte de ces deux pratiques langagières, qui se veulent manifestement distinctes et qui sont reconnues officiellement, dans un contexte délibératif. Ce problème est néanmoins présenté comme insoluble et n’est jamais vraiment posé comme une priorité. Comme le souligne ce répondant, cette situation est complexe et nous permet une mise en situation intéressante sur laquelle nous pouvons rebondir en établissant des parallèles sur des travaux menés par LeBlanc (2006; 2014) et Dubois (1999) :
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Ils vont dire (.) on va traduire les gens peuvent parler dans la langue de leur choix on va traduire pour s’assurer que les gens comprennent (.) mais moi je leur fais toujours comprendre que c’est pas suffisant ça parce que si on est dans une ville bilingue et on offre les services bilingues (.) je devrais pas avoir à écouter la conversation de l’anglais (.) je devrais avoir la chance d’écouter dans la langue de mon choix et je réponds dans la langue de mon choix donc je suis à un désavantage faut que j’écoute tout le monde parler en anglais et quand moi je pose ma question en français (.) oh on fait une exception pis là tout le monde sait que j’ai posé une question en français parce que c’est (.) oh wait we’re gonna translate (.) puis là on traduit ce que je dis (.) puis ça a pas le même impact parce que c’est interprété |
Ce témoignage met en avant deux enjeux que nous allons maintenant explorer. Le premier est celui du bilinguisme officiel. Ici, le bilinguisme officiel n’est pas le fait de rendre visibles les deux langues par la traduction, dans tout son aspect problématique, mais bien que chaque locuteur puisse choisir la langue qu’il « voit » ou « entend » dans l’espace politique, sans se retrouver chargé par la présence de la deuxième. Le deuxième enjeu relève d’une question plus concrète : celle de l’effet de l’emploi d’une langue par rapport à une autre, indépendamment du contenu du discours, et de l’effet concret de l’interprétation sur les auditeurs et ceux qui produisent le discours dans une langue traduite.
Tout d’abord, penchons-nous sur cette idée qu’un bilinguisme réussi permet de faire un choix entre une langue qu’on désire « voir » et une qu’on ne désire pas « voir ». Que signifie « voir » ici? Dans ses travaux, Dubois (1999) soulève aussi que la visibilité du français s’opère essentiellement par la traduction. Cette visibilité des deux langues dans l’espace à la fois délibératif et, plus largement, public masque les conflits qui se jouent entre les deux groupes se constituant autour de cette tension linguistique. L’autrice présente différents modèles de bilinguisme envisagés par les locuteurs : le premier met l’accent sur le bilinguisme individuel, relevant plutôt des discours d’anglophones, le deuxième met l’accent sur le bilinguisme institutionnel, relevant plutôt des discours de francophones. Ces généralités sont cependant à prendre avec distance et nuance, comme elle le souligne bien dans ses écrits. Le discours de notre participant relève du second discours dans sa version radicalisée : il ne s’agit plus de penser un idéal où tout le monde est parfaitement bilingue, mais où chacun peut vivre dans sa particularité culturelle et linguistique, sans être forcé de côtoyer celle des autres. C’est une idée qui tranche avec le modèle mis en avant par Dubois (1999) comme étant celui des gouvernements, c’est-à-dire celui d’un bilinguisme total pour les administrations et les citoyens. Ce discours met bien en avant le caractère conflictuel de la question linguistique et des modèles de bilinguisme, sans qu’il y ait de solutions ni de tentatives de mises en oeuvre pour y remédier dans l’administration.
Le deuxième enjeu soulevé est celui du poids de la langue utilisée et de son impact indépendamment du discours et du sens qu’il produit. Dans son étude menée dans un ministère du Nouveau-Brunswick anonymisé, LeBlanc (2014) soulève que la majorité des écrits sont rédigés en anglais et ensuite traduits en français, mais aussi que l’anglais est majoritairement utilisé dans les situations de sociabilité entre locuteurs identifiés comme francophones et ceux identifiés comme anglophones. Le français est dans une situation de « langue à traduire », c’est-à-dire qu’il s’agit d’une langue considérée comme inadaptée à une communication efficace, le poids du bilinguisme pesant ainsi sur les locuteurs francophones. Dès lors, le fait de parler français dans un contexte délibératif où la majorité parle en anglais devient un acte politique en soi. Le sens du discours n’a donc plus autant d’impact que s’il était prononcé en anglais, souvent considéré comme culturellement et politiquement « neutre », comme l’a montré l’étude de Dubois (1999), et plus efficace que le passage par la traduction. Celle-ci est nécessairement plus lente et plus indirecte, puisque nécessitant de passer par l’interprétation d’une tierce personne. Nous explorerons ci-après l’enjeu politique de la délibération en contexte linguistique complexe et ses questions pratiques et symboliques.
1.3 Le problème de la délibération et de la démocratie numérique
Nos données présentent l’usage de l’anglais comme hégémonique dans la vie politique, au sens de la délibération en contexte de conseil municipal et de comité citoyen, mais aussi dans le cadre plus large de la communication avec les citoyens, en réunion publique, par exemple. La raison donnée est globalement toujours la même, expliquée plus ou moins en profondeur et sous différentes perspectives : l’anglais permet d’atteindre plus de monde, car la majorité de ceux qui parlent anglais ne parlent pas français, tandis que la majorité de ceux qui parlent français parlent anglais. Les acteurs de la démocratie semblent conscients que le poids du bilinguisme repose essentiellement sur les locuteurs francophones, ce qui est aussi appuyé par les analyses de LeBlanc (2010, 2014) et celles de Dubois (1999). Le cadre théorique proposé par Peled (2021) met bien en avant les problèmes que posent ces situations dans le cadre de la délibération : forcer l’expression délibérative en utilisant les pratiques langagières dominantes dresse une barrière dans la communication et renforce une forme d’inégalité au sein même des pratiques démocratiques.
La parole publique en contexte délibératif est en elle-même problématique et cela est accentué dans un environnement de bilinguisme officiel. Pour saisir ce problème, nous allons nous appuyer sur la notion de légitimité telle que théorisée par Bourdieu (2001). Dans ce contexte, la langue légitime est celle du groupe dominant, il s’agit d’un ensemble de pratiques langagières parfaitement maîtrisé par une élite et qui renvoie à une certaine idée du « standard », comme idéal fondé sur ces pratiques. Par extension, on parle de locuteurs légitimes et de situations légitimes. L’acte délibératif fait surgir plusieurs questions. Qu’est-ce qui est légitime de dire? Qui est légitime pour parler? Comment s’exprime et est reçue cette parole? Qui est entendu? Qui ne l’est pas? Qu’est-ce qu’une « bonne » parole? Dans le cadre du bilinguisme officiel, comme nous l’avons soulevé précédemment, deux types de pratiques délimitées comme distinctes sont attendues : un français ou un anglais adapté à l’expression politique et administrative. Ce qui sera entendu sera alors un contenu adapté à la situation délibérative, présenté sous une forme relativement codifiée, de préférence en anglais, car cela ne nécessitera pas d’intermédiaire. Le choix d’entendre ou non une parole est particulièrement illustré par le témoignage suivant :
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puis j’ai même vu des réunions de séances publiques (.) où des gens francophones venaient parler au conseil (.) et des élus anti-franco enlevaient leurs écouteurs de traduction (.) puis là ils regardaient leur petite crowd là (.) et ils faisaient (.) oh excuse (.) je comprends pas qu’est-ce qu’il dit (.) je sais pas c’était comme flagrant comme ça là |
Le choix ou non de recevoir une parole, de même que les critères d’acceptabilité, peut relever du choix politique direct et volontaire. Cependant, il faut souligner que cette anecdote relève d’une situation suffisamment exceptionnelle pour être racontée par notre participant comme illustrant une certaine extrémité. La réception de la parole en contexte délibératif ne prend pas forcément des formes aussi évidentes. Comme le souligne Peled (2021), les difficultés d’expression et de réception de la parole peuvent prendre des formes diverses. Elle parle notamment de l’autocensure de la part de citoyennes et citoyens qui, certains de ne pas pouvoir s’exprimer « correctement », choisiront délibérément de ne pas le faire. Les tensions peuvent être visibles à la manière dont est prise en charge une intervention citoyenne par les dépositaires de l’autorité. Cela peut aussi prendre la simple forme d’une non-participation aux possibilités délibératives offertes par le gouvernement.
Nous avons d’abord traité la question de l’oral, et notamment de la délibération dans un cadre traditionnel de réunions publiques et de comités. Cependant, avec l’essor des outils numériques, la délibération tend vers la forme écrite. Cette forme d’expression numérique entraine des effets ambivalents : elle est pensée pour permettre aux citoyens de ne pas se confronter à de l’expression orale dans un contexte intimidant, et en même temps, l’expression écrite peut être une source d’insécurité linguistique, particulièrement pour les francophones (LeBlanc, 2014), mais pas seulement. La communication écrite comporte en effet un décalage temporel entre le moment d’expression et celui de réception, et surtout la forme figée et représentée permet une interprétation plus poussée de ce qui a été dit (Manoharan et Ingrams, 2018; Gastil, 2021; Bos et van der Does, 2021). La réception ne fonctionne donc pas tout à fait de la même manière, puisque l’oral et la coprésence permettent des explicitations et un dialogue direct, ce que ne permet pas l’écrit. Les enjeux d’interprétation et de forme sont perceptibles dans les données empiriques recueillies :
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Ben (.) moi je te dirais même la manière que des gens écrivent de base (.) on comprend pas toujours ce qu’ils disent |
Notre participant soulève ici la question de l’interprétation et de la réception d’une certaine forme de parole écrite. Dans la suite de l’entretien, il souligne l’importance de la forme pour les élus. En effet, ce ne serait pas tant le sens qui importerait, mais bien l’impression que des gens ont parlé, et c’est ce qui donnerait du poids aux données récupérées sur la plateforme de démocratie numérique. Or cette forme charrie une valeur particulière selon son mode d’expression. La « langue » ne constitue pas uniquement un réservoir de données, un code contenant un sens servant simplement à communiquer ce qui est dit, mais bien un enjeu politique et administratif.
Dans cette perspective, chercher à neutraliser la langue comme enjeu cristallise des problématiques d’inclusion pour lesquelles les outils de démocratie numérique devraient en théorie apporter une solution. En effet, il s’agirait de faire participer un maximum de citoyens et citoyennes afin de les inclure dans les processus démocratiques. L’inclusion est un enjeu d’abord considéré comme social. Si l’objectif est de faire participer les citoyens, il est d’abord nécessaire de comprendre les raisons de leur abstention et de créer des conditions de participation optimales.
D’après les personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenues, la plupart des citoyens ne participent pas pour des raisons variées. Par exemple, ils pourraient ne pas participer à cause d’un travail aux horaires décalés. Ou alors ils ne le pourraient pas pour des raisons familiales : les femmes, par exemple, ont souvent la charge mentale et matérielle des enfants, participer aux processus démocratiques mis en place par les gouvernements locaux ne serait donc pas une priorité. Certains de nos participants soulèvent aussi des obstacles sociaux, tels que la méfiance envers les gouvernements, ou encore le facteur générationnel. Tous ces enjeux que nous avons trouvés dans nos données, nous les trouvons dans la littérature scientifique sur le sujet (Andersen et al., 2020; Ryfe, 2005; Corbett et Le Dantec, 2019; Bos et van der Does, 2021). Ainsi, nous souhaitons démontrer que ces problèmes d’inclusion ne peuvent pas être séparés des questionnements sur le mode d’expression dans la délibération, et donc d’un questionnement sur la langue, et que cela est particulièrement mis en évidence dans le cadre d’un gouvernement local se déclarant officiellement bilingue.
À la Ville de Moncton, on a créé une plateforme de démocratie numérique appelée Jasons Moncton, ou Let’s Chat Moncton, selon la langue choisie. Ces deux noms différents font en réalité référence à des plateformes distinctes : la partie francophone ne communique absolument pas avec la partie anglophone, ce qui fait advenir les deux groupes linguistiques comme deux entités indépendantes. De plus, on constate assez rapidement que l’activité sur la partie anglophone est nettement supérieure à l’activité sur la partie francophone, ce qui peut, du moins en partie, s’expliquer par le caractère numériquement majoritaire des citoyens et citoyennes de la ville se déclarant anglophones.
Nous avons tout d’abord abordé cette plateforme en contexte de démocratie délibérative, en nous interrogeant sur la manière dont vont pouvoir délibérer ensemble les citoyennes et citoyens à l’aide de ce nouveau dispositif. Or en observant son usage, il nous est apparu que la délibération entre citoyens ne semble pas être la vocation de cette plateforme. Nous pouvons ici nous appuyer sur une échelle, telle que celle d’Arnstein (1969), qui permet d’établir une typologie des outils de démocratie en se fondant sur le degré de pouvoir attribué aux citoyens et leur niveau d’engagement réel dans le processus décisionnel. Dans notre cas, il s’agit plutôt d’un outil de consultation, c’est-à-dire une situation intermédiaire dans laquelle les citoyens n’ont pas de pouvoir décisionnel réel. La plupart des exercices démocratiques sont en fait des consultations du public, ou simplement de la vulgarisation d’informations liées à la Ville. De plus, la majorité des commentaires ne sont pas publics, il s’agit concrètement de messages envoyés aux fonctionnaires de la Ville.
La majorité des personnes interrogées dans notre étude ne semble pas avoir remarqué cette frontière entre la partie francophone et anglophone, mais d’autres expriment un désaccord profond avec ce mode de fonctionnement. Néanmoins, malgré cette expression d’une conscience parfois aigüe de la situation, il s’agit d’un problème constamment relégué au second plan. Nous nous sommes donc interrogées sur la raison de cette relégation. En effet, si on traite la plateforme dans son intégralité, cette séparation linguistique saute aux yeux et pourrait être une priorité. La priorisation d’un enjeu dans une administration publique peut relever de différents facteurs à la fois politiques, stratégiques ou organisationnels. Cette absence de priorisation lors de l’ingénierie du dispositif, mais aussi après la mise en place de la plateforme, sous-tend une valeur inférieure donnée à l’aspect linguistique. Celui-ci reste considéré comme géré uniquement à l’aide de la traduction, produisant un effet de « cases cochées » par la présence d’informations identiques présentées dans les deux langues. La question de la délibération ici n’est pas du tout prise en charge dans la mise en place administrative de la plateforme de démocratie numérique. L’aspect linguistique serait comme dépolitisé dans sa gestion par l’administration publique. Grâce à la Charte de bilinguisme, il ne serait donc plus un enjeu urgent ni pour l’administration ni pour les élus, puisqu’il serait géré par un appareil administratif de traduction qui offre une visibilité aux deux langues. La valeur accordée aux discours sur la gestion linguistique dans l’administration publique diminuerait paradoxalement par les gestes de traduction systématique.
2. Discussion
2.1 Les plateformes de démocratie plurilingues : une possibilité?
Dans notre étude de cas, nous avons observé que les plateformes dites « bilingues » sont en fait deux plateformes séparées où la communication entre communautés linguistiques n’est pas prévue. Or on peut se poser la question : comment concevoir et mettre en oeuvre une plateforme de démocratie plurilingue efficace?
D’après le cadre théorique de Peled (2021) sur lequel nous nous sommes appuyées précédemment, le débat plurilingue permettrait d’assurer le partage du même espace démocratique, et le fait de pouvoir utiliser la langue dans laquelle un locuteur se sent le plus à l’aise pour communiquer permet de rétablir une égalité relative dans l’accès à la parole. Cependant, tel que nous l’avons démontré, l’accès à la parole n’est pas le seul enjeu, car il s’agit non seulement d’un accès théorique et concret, mais aussi de l’accès à une écoute et à une compréhension de la part des acteurs gouvernementaux.
Mais qu’est-ce que cela signifie finalement de « pouvoir communiquer » en contexte délibératif? Il devient nécessaire de définir cette notion avant d’envisager des solutions que pourraient apporter les acteurs gouvernementaux. La communication dans la tradition habermasienne, que nous avons survolée en introduction, est un transfert d’idée d’une personne à une autre, ce qui ensuite provoque une réflexion et la quête d’une solution commune se fondant sur des informations de qualité et une réflexion rationnelle. Il s’agit ici d’une vision très simpliste de l’interaction humaine, comme nous l’avons déjà souligné. Cependant, nous partirons de ce point en nous demandant tout d’abord quelle est la nature de ce qui doit être communiqué en contexte délibératif, avant de dépasser ce cadre pour nous interroger sur la manière dont cela peut être communiqué.
Les travaux sur l’inclusivité en délibération (Peled, 2021; Corbett et Le Dantec, 2019; Bos et van der Does, 2021) proposent l’idée que des expériences et des perspectives sociales devraient pouvoir être communiquées. Les plateformes de démocratie numérique devraient donc permettre ce type d’expression, mais aussi la possibilité de recevoir une réponse. Les travaux portant sur les plateformes de démocratie numérique mettent en avant la nécessité d’obtenir une interaction avec les autorités gouvernementales (Manoharan et Ingrams, 2018; Corbett et Le Dantec, 2019) Ainsi, il s’agirait d’organiser un partage de l’espace démocratique pluriculturel et inclusif permettant de se confronter directement à la difficulté de communication entre acteurs gouvernementaux et citoyens, et entre citoyens, au sein de l’espace numérique.
Les travaux de Cabrera (2022) argumentent pour une possibilité de délibération écrite à l’aide d’une traduction dite « hybride », qui consisterait en une première traduction rapide établie par machine, suivie d’une deuxième traduction vérifiée par un traducteur. Il s’agirait donc de faire coexister les messages écrits sur la plateforme dans leur forme originelle, suivie d’une traduction automatique, vérifiée ensuite par une personne. Les avantages qui y sont associés sont la rapidité et la fiabilité. De plus, la vérification humaine permet de traduire des messages qui auraient été écrits de façon non standard. Cela pourrait être une tentative de prendre en charge les problèmes posés par l’impensé de « la » langue que nous avons évoquée plus haut.
Théoriquement, ce modèle pourrait être soumis à expérience dans le cadre municipal. Cela nécessite néanmoins un engagement et des moyens nettement plus importants que ceux alloués à la plateforme dans notre étude de cas à la Ville de Moncton. En effet, l’avantage premier de la plateforme, relevé par les acteurs que nous avons interrogés, se trouve essentiellement dans son caractère économique et pratique. De plus, jusqu’à quelle échelle est-il possible de réaliser un tel modèle plurilingue? En effet, les travaux de van den Berg et al. (2020) soulignent le fait que la participation publique, et ce même sur les plateformes numériques supposément accessibles et pratiques, touche seulement une assez petite minorité citoyenne. Ainsi, si on reprend notre étude de cas, en mettant dans un même espace le « côté anglophone » et le « côté francophone » de la plateforme Jasons Moncton, il serait possible d’organiser une traduction hybride, dans la mesure où le nombre de participants est très bas. Les acteurs gouvernementaux que nous avons interrogés ont souvent mentionné le sondage ayant compté le plus de participation, soit 600 réponses. Dans une ville qui compte plus de 75 000 habitants selon son site officiel (Ville de Moncton, s.d.), c’est relativement peu. Cela sous-entend que, la plupart du temps, les participations sont nettement en dessous de ce nombre; d’autant plus qu’il s’agissait d’un sondage, donc de réponses à des questions prédéfinies, et non d’une participation citoyenne constituée de messages individuels. À cette échelle, la proposition de Cabrera (2022) semble réalisable, mais si le nombre de participants ou de messages échangés augmente, il serait intéressant de voir si cette option est toujours possible dans le cadre municipal.
Après avoir examiné cette possibilité, nous pouvons aussi nous poser la question des effets que ce mode de fonctionnement pourrait avoir sur les personnes issues des minorités linguistiques considérées comme bilingues. Accepteraient-elles de se confronter à de potentielles difficultés de communication en passant par ce qui a été défini comme leur langue première, alors que ces personnes pourraient dire directement ce qu’elles veulent en passant par ce qui a été défini comme la langue majoritaire? Mais penchons-nous d’abord sur ce que cela signifie qu’être bilingue dans notre cadre. Selon l’Encyclopédie canadienne (2022), le bilinguisme est « la faculté de communiquer (ou le fait de communiquer) dans les deux langues officielles du Canada, l’anglais et le français ». Dans notre étude de cas, la notion de bilinguisme est donc très spécifique. La plupart de nos participantes et participants se déclarent bilingues. Nous observons cependant une tendance générale à préférer employer l’anglais pour s’exprimer en public, et ce, même pour nos participants s’identifiant comme francophones. Ces personnes affirment préférer ne pas passer par l’interprétation afin d’être en maîtrise de ce qu’elles disent, dans cette langue qu’elles maîtrisent. La construction du contexte minoritaire acadien a été étudiée d’un point de vue historique (Boudreau et Urbain, 2014), mais aussi de rapports de force plus administratifs (Dubois, 1999; LeBlanc, 2014). Un participant soulève notamment ce rapport de force dans ce qu’il pense être un particularisme acadien de conformité au modèle anglophone :
P13 |
Moi je suis AcadienX (.) donc on a toujours vécu avec les deux langues mais ça a toujours été quand même la pratique que si on était dans un groupe de quatre personnes (.) puis il y avait une personne qui pouvait pas bien parler français normalement (.) comme façon normale (.) probablement on aurait notre réunion en anglais |
Il s’agit d’une situation de minorisation linguistique bien connue en sociolinguistique. Ce type de minorisation a été longtemps pensé à l’aide du concept de diglossie (Matthey, 2021), c’est-à-dire une situation où une langue est parlée seulement dans certains contextes, et écrasée par une ou plusieurs autres, dans d’autres contextes. Dans notre cadre, la francophonie dite « acadienne » s’est constituée en tant qu’entité au 19e siècle. À l’époque, les revendications tournaient autant autour de la religion catholique que de la langue (Boudreau et Urbain, 2014; Boudreau, 2021). Ainsi, cette francophonie se conçoit comme un lieu de revendication identitaire à plusieurs dimensions. Si on reprend notre notion de « marché linguistique », l’instauration du bilinguisme officiel à partir de ces revendications identitaires et culturelles a augmenté la valeur à la langue française (LeBlanc, 2008), mais celle-ci reste faible par rapport à l’hégémonie anglophone, considérée « langue des affaires » par plusieurs de nos participants et participantes.
Ainsi, les lieux de délibérations plurilingues pourraient paradoxalement forcer les citoyens qui maîtrisent les deux langues à se conformer à la langue majoritaire. Cela pourrait exercer une pression sur les sujets bilingues, tout en minorisant ainsi encore plus ceux qui ne maîtrisent pas la langue de délibération implicite et qui sont obligés d’employer les moyens plurilingues mis en place. En effet, on ne peut pas forcer un citoyen à s’exprimer dans la langue qu’on estime être sa « langue maternelle » : cela relèverait de l’ethnolinguistic cornering (Møller et Jørgensen, 2013), c’est-à-dire une assignation arbitraire d’une « ethnie » à une langue, et c’est tout aussi absurde et symboliquement violent que forcer une conformité à un modèle dominant. Ainsi, l’outil de démocratie numérique doit aussi se confronter aux enjeux de pouvoir inhérent aux enjeux linguistiques pour pouvoir fonctionner en pratique.
Conclusion
Dans cette étude, nous nous sommes penchées sur le cas particulier de la Ville de Moncton et ses outils de démocratie numérique, en nous concentrant notamment sur sa plateforme participative. Nous proposons une approche qui met au centre la perspective linguistique dans l’étude des systèmes administratifs et des outils démocratiques, particulièrement dans le cadre de la démocratie numérique qui est vouée à prendre de l’ampleur dans un monde de plus en plus connecté. En effet, l’aspect linguistique représente un enjeu à la fois politique et administratif, ayant des conséquences sociales importantes. Il s’agit donc de prendre en compte les pratiques langagières comme entrant dans des dynamiques politiques, sociales et de pouvoir, et de s’y confronter directement afin de rendre les outils démocratiques plus efficaces et inclusifs. Par nos travaux, nous proposons de remettre en question la non-problématisation de l’aspect linguistique et l’idéalisation de la notion de langue et de communication entre citoyens. Nous envisageons ainsi l’importance de prendre en compte l’enjeu linguistique dans la mise en place des outils démocratiques, surtout en contexte de renouvellement par l’essor du numérique.
En termes de recherches futures, il pourrait être intéressant de faire une description plus exhaustive des différents outils de démocratie numérique ayant été instaurés dans d’autres cadres et avec d’autres objectifs. Une comparaison pourrait être fructueuse afin de comprendre la manière dont chacun peut prendre en compte le facteur linguistique, et les effets de cette prise en compte dans la participation citoyenne.
Dans la même lancée comparative, il pourrait aussi être fructueux de se pencher sur les motivations derrière le choix d’un outil et de la gestion du facteur linguistique. Comment les objectifs démocratiques, les outils et la prise en charge du facteur linguistique s’articulent-ils? Il s’agirait alors de mener une recherche de plus grande ampleur sur différentes études de cas, ou de rassembler des travaux autour de la même problématique.
On pourrait aussi se demander s’il est possible d’étudier le facteur linguistique à l’aide d’une approche par les outils (Hood et Margetts, 2007) : quelles fonctions démocratiques remplissent quels types de plateforme et avec quelle prise en charge du facteur linguistique? Cela permettrait de prendre en compte le facteur linguistique comme un effet à part entière de l’intégration démocratique de ces outils, et ainsi de le remettre au centre dans une approche par les outils.
Appendices
Annexe
Conventions de transcription
Les conventions de transcription utilisées sont inspirées des conventions ICOR, mais largement simplifiées et adaptées. Ainsi :
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Les transcriptions suivent l’orthographe conventionnelle, mais restent fidèles aux paroles prononcées (syntaxe orale, répétitions, mots tronqués)
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X marque l’anonymisation d’un élément (identité de genre, âge ou autres données personnelles)
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(.) marque des pauses courtes dans le discours
Notes
-
[1]
https://www.moncton.ca/fr/ma-municipalite-loeuvre/langues-officielles
-
[2]
Déclaration du conseil municipal de la Ville de Moncton, signée par Brian F. P. Murphy (maire) et Barbara A. Quigley (greffière) (Moncton, 2002).
-
[3]
Les pseudonymes attribués aux participants sont constitués de la lettre P (pour participant ou participante) suivie d’un numéro attribué arbitrairement. De plus, nous avons choisi d’utiliser une version extrêmement simplifiée de la convention de transcription orthographique ICOR, mise à jour en 2013 (icor, 2013).
-
[4]
Site officiel du gouvernement canadien : https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/services/comment-droits-proteges/guide-charte-canadienne-droits-libertes.html
-
[5]
Déclaration du conseil municipal de la Ville de Moncton (Moncton, 2002).
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