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Introduction

L’étude[1] dont nous présentons les résultats dans le présent article s’inscrit dans le prolongement d’une recherche antérieure sur les facteurs influençant l’offre de services dans les deux langues officielles en milieu hospitalier anglophone (Forgues et al., 2011). Cette recherche portait sur des hôpitaux situés dans quatre provinces où l’offre de services devait se faire dans une certaine mesure[2] en français, soit la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l’Ontario et le Manitoba. Dans le cadre de cette recherche, nous envisagions les professionnels de la santé dans leur environnement organisationnel et social. Dans une perspective qui relève des sciences sociales, nous partions de l’hypothèse voulant qu’il ne suffise pas d’embaucher des employés bilingues pour que l’offre de services se fasse en français. S’il s’agit d’une condition certes essentielle, l’offre de services en français dépend d’un contexte organisationnel et social plus large. Notre analyse portait sur les perceptions des professionnels de la santé à l’égard de plusieurs aspects organisationnels et sociaux, allant de l’engagement de la haute direction et des gestionnaires à l’égard de la langue de services, la création de postes bilingues, l’embauche de professionnels bilingues, la formation d’unité de travail comportant des employés bilingues et les formations linguistiques. L’analyse portait également sur les perceptions des employés et employées à l’égard des droits linguistiques, de l’importance d’offrir des services en français et sur la nécessité que leur établissement fasse plus d’effort pour offrir les services en français. Cette étude avait permis de mettre en relief certains obstacles perçus à l’offre de services en français et avait notamment montré l’importance, parmi plusieurs mesures organisationnelles, de l’engagement de la haute direction et des gestionnaires envers l’offre de services dans les deux langues officielles.

L’étude que nous présentons dans le présent article recadre la problématique de la langue des services dans la perspective de l’effectivité des lois linguistiques dans le secteur de la santé. Nous cherchons à comprendre les dimensions juridiques, sociales, organisationnelles et psychologiques qui influencent l’effectivité des lois linguistiques dans le secteur de la santé à partir d’une analyse des perceptions du personnel des établissements de santé. Un autre changement par rapport à notre recherche antérieure réside dans le fait d’inclure des établissements de santé fonctionnant en français en plus de ceux fonctionnant en anglais. Les prochaines sections présentent le contexte sociolinguistique et juridique des lois linguistiques au pays, le concept d’effectivité des lois ainsi que le cadre conceptuel de notre étude, la méthodologie suivie et les principaux résultats de notre étude. Nous terminons avec des implications pratiques et des avenues de recherche futures.

1. Contexte sociolinguistique et juridique

Historiquement, au Canada, dans les espaces publics où les anglophones et les francophones interagissaient, l’anglais était la langue d’usage. La prédominance de l’anglais faisait que les francophones qui communiquaient avec les anglophones, notamment dans le monde du travail, devaient le faire en anglais. Comme le soulignait Monica Heller (1992), l’usage de l’anglais établissait une hiérarchie entre les langues en faveur de l’anglais qui imposait son hégémonie dans les espaces public et économique. Cette hiérarchie entre les langues était à l’image des rapports sociaux de domination entre les groupes anglophones et francophones.

L’expression du nationalisme francophone dans les années 1960, les demandes des francophones d’une meilleure reconnaissance au sein du pays et les débats linguistiques qui s’ensuivent (Martel et Pâquet, 2010) viennent remettre en cause l’hégémonie de l’anglais. Ce qui est vécu dans les années 1960 comme une crise nationale donnera lieu à la mise sur pied de la Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme, dont les travaux s’échelonneront de 1963 à 1971 afin de proposer des solutions pour résoudre cette crise (Lapointe-Gagnon, 2018). L’adoption de la Loi sur les langues officielles en 1969, qui découle des travaux de la Commission, prévoyait entre autres que les membres du public puissent communiquer avec les ministères, départements et autres agences gouvernementales dans la langue officielle de leur choix (Loi sur les langues officielles du Canada, 1970).

La plupart des provinces et territoires se doteront également de lois linguistiques. La province du Nouveau-Brunswick a même devancé le gouvernement canadien en adoptant un peu plus tôt la même année sa Loi sur les langues officielles qui reconnaissait le droit aux membres du public qui le demandent de recevoir les services dans la langue officielle de son choix (Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, 1973)[3].

Au Québec, l’adoption en 1977 de la Charte de la langue française (communément appelée Loi 101) inclut des clauses linguistiques liées à la francisation des milieux de travail. Les travaux de Monica Heller dans le Québec des années 1980 montrent une transformation des pratiques linguistiques à la suite desquelles le français est désormais favorisé dans les échanges en milieu de travail. Ces transformations reflètent l’application de nouvelles règles formelles au sein de certaines catégories d’entreprises[4], mais elles reflètent plus largement une transformation des rapports sociaux entre les anglophones et les francophones à la faveur d’une meilleure reconnaissance des droits linguistiques des francophones.

C’est en 1986 que l’Ontario adopte la Loi sur les services en français qui reconnaissait le droit d’une personne de recevoir les services gouvernementaux en français dans les régions désignées. En 1989, le Manitoba se dote de la Politique sur les services en langue française qui sera encadrée en 2016 par la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine. Le cadre législatif et réglementaire au Manitoba reconnaît le droit des usagers de recevoir les services en français dans des régions ou des établissements désignés. En 2004, la Nouvelle-Écosse adopte la Loi sur les services en français, puis en 2006 le Règlement concernant les services en français qui exige des institutions désignées d’élaborer des plans de services en français et de mettre en place des mesures pour maintenir ou améliorer l’offre de services en français.

Sans passer en revue les lois, politiques et règlements linguistiques de toutes les provinces, nous pouvons noter que leur adoption incite les organisations visées à instaurer des mesures afin que les personnes employées adoptent des règles dans la prestation des services qui rompent avec l’hégémonie de l’anglais, ou ce qu’on appelle l’anglonormativité[5], dont l’influence en milieu francophone minoritaire continue de s’exercer en dehors et au sein de ces espaces publics (Lévesque, 2022). Les francophones subissent une pression pour communiquer en anglais, même dans des espaces publics qui reconnaissent le droit d’utiliser l’une ou l’autre langue officielle. Anne Lévesque parle de double contrainte :

En effet, les francophones qui parlent français dans des contextes anglonormatifs sont souvent étiquetés comme étant difficiles ou se voient attribuer de mauvaises intentions. D’autre part, les francophones qui essaient d’être accommodants et de parler la langue de la majorité font face au ridicule lorsqu’ils ne sont pas capables de parler ou de comprendre au niveau d’un locuteur natif. Aucun choix fait par un francophone n’est un bon choix aux yeux d’un francophobe, car ce ne sont pas les choix des francophones qu’ils déplorent, ce sont les francophones eux-mêmes.

Lévesque, 2022

Le contexte normatif favorisant l’anglais risque de s’observer dans le secteur de la santé. Par exemple, au Nouveau-Brunswick, où le droit de recevoir les services de santé dans la langue officielle de son choix est pourtant reconnu, seulement 36 % des patientes et des patients qui préfèrent utiliser le français ont reçu leurs services dans cette langue dans le réseau de santé Horizon en 2019 (CSNB, 2020, p. 18). Ainsi, la majorité des patients francophones utilisent l’anglais en présence des professionnels de la santé qui s’adressent à eux en anglais. Ce comportement peut se comprendre comme une forme d’accommodement de la part des patientes et des patients francophones, compte tenu du fait qu’ils sont plus nombreux que les anglophones, encore aujourd’hui, à être bilingues (voir tableau suivant).

Pourcentage des personnes de langue maternelle anglaise ou française qui disent connaître l’anglais et le français (recensement 2021)

Pourcentage des personnes de langue maternelle anglaise ou française qui disent connaître l’anglais et le français (recensement 2021)
Source : Statistiques Canada, recensement 2021, produit : 98100171

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Les pratiques linguistiques qui favorisent l’anglais dans les interactions entre locuteurs francophones et anglophones reflètent par ailleurs le degré de vitalité linguistique du groupe minoritaire.

…la présence de membres de l’exogroupe dominant dans le réseau social et la dominance de la langue de l’exogroupe dans les institutions sociales exercent un pouvoir d’attraction sur les membres de l’endogroupe minoritaire. […] Plus la vitalité ethnolinguistique du groupe minoritaire est faible, plus la langue du groupe dominant imprègne tous les milieux de vie et plus elle exerce une emprise sur la socialisation langagière tout entière...

Landry et al., 2005, p. 65

La plus faible vitalité du français par rapport à l’anglais peut expliquer que les francophones soient davantage bilingues que les anglophones. Par ailleurs, elle peut nous aider à comprendre la difficulté d’imposer des pratiques linguistiques qui reflètent le droit des francophones d’utiliser la langue officielle de leur choix. Les normes informelles s’immiscent et persistent dans les espaces organisationnels pourtant assujettis aux lois linguistiques. Les recherches de Matthieu LeBlanc menées dans un milieu de travail du gouvernement fédéral à Moncton, où les francophones constituent pourtant les deux tiers du personnel, illustrent la prédominance de l’anglais dans les communications, alors que les francophones ont le droit d’utiliser le français au travail.

la langue « commune » de travail est l’anglais. […] Entre francophones, c’est sans faille le français qui est employé, sauf pour de très rares exceptions. Il y a toutefois régulièrement convergence vers l’anglais dès lors qu’un interlocuteur anglophone se joint à la conversation.

LeBlanc, 2010, p. 35

Cette étude montre que, même si les organisations sont assujetties à des règles formelles, leurs membres peuvent adopter d’autres normes qui s’en écartent[6]. Ainsi, ces organisations constituent des lieux où se négocie au quotidien l’usage d’une langue ou d’une autre dans les interactions entre les employés et entre ces derniers et les utilisateurs des services.

2. Le concept d’effectivité des lois

Notre étude porte sur des établissements de santé qui doivent offrir des services de santé en français conformément à des modalités qui varient selon les provinces. Quatre provinces sont dotées de lois linguistiques dans le secteur de la santé qui s’appliquent à des hôpitaux[7]. Au Nouveau-Brunswick, les deux réseaux de santé Vitalité et Horizon ont l’obligation d’offrir les services dans les deux langues officielles[8]. En Ontario, les hôpitaux ont l’obligation d’offrir des services en français dans les régions désignées[9]. Au Manitoba, les établissements et les départements désignés doivent offrir leurs services en français « de façon active », c’est-à-dire que « les services en français, qu’ils soient fournis oralement, par écrit ou par voie électronique sont manifestes, facilement disponibles et accessibles au grand public, et de qualité comparable à ceux qui sont offerts en anglais[10] ». En Nouvelle-Écosse, les institutions de santé doivent élaborer des plans qui précisent les services offerts en français et doivent, de manière générale, améliorer l’offre de services en français (French-language Services Regulations, 2006)[11].

Notre étude visait à mieux comprendre l’effectivité de ces lois linguistiques à partir des perceptions du personnel qui offre des services aux patients et aux patientes Avant de présenter les résultats de nos analyses, il nous faut préciser le concept d’effectivité d’une loi[12]. Plusieurs définitions existent de ce concept qui, si elles convergent, se distinguent par certains aspects. Pour Cornu (1987), l’effectivité se définit par le caractère d’une règle de droit qui produit l’effet voulu, qui est appliquée réellement. Pour Lascoumes (1993), il s’agit du degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit. Pour Rangeon (1989, p. 126), ce concept « désigne d’une part un “fait” vérifiable, voire mesurable, celui de l’application, susceptible de degrés (car l’effectivité n’est jamais totale) d’une règle de droit, d’autre part les effets réels de la règle sur les comportements sociaux ». Guy Rocher distingue l’efficacité de l’effectivité d’une loi linguistique. Pour lui, l’efficacité « fait référence au fait [que la loi] atteint l’effet désiré par son auteur ou, si ce n’est celui-là même, à tout le moins un effet qui se situe dans la direction souhaitée par l’auteur et non pas en contradiction avec elle » (Rocher, 1998, p. 134). L’effectivité désigne plus largement « tout effet de toute nature qu’une loi peut avoir » (Rocher, 1998, p. 134).

Dans le cadre de notre étude, une loi est considérée comme étant plus ou moins effective selon le degré de conformité des comportements visés par la loi aux intentions de celle-ci. Une loi est effective si les moyens utilisés pour la faire respecter permettent d’atteindre les objectifs qu’elle vise et si les comportements visés par elle respectent ce que celle-ci prescrit ou interdit. Nous incluons par ailleurs tout autre effet (comportemental ou symbolique) découlant de l’adoption et de la mise en oeuvre de la loi, là aussi afin d’examiner s’il converge vers les intentions de la loi.

3. Les dimensions qui influencent l’effectivité

Nous pouvons penser que le respect d’une loi linguistique demandant aux organisations de santé d’offrir leurs services en français résulte de plusieurs facteurs qui concernent le contexte juridique, l’environnement social, les ressources économiques, les mesures organisationnelles ainsi que les attitudes et les perceptions des professionnels de la santé[13].

Sans prétendre mesurer « objectivement » l’effectivité des lois linguistiques dans le secteur de la santé, nous avons plutôt cherché à mieux comprendre les facteurs pouvant l’influencer à partir d’une analyse des perceptions du personnel des établissements de santé et tenter d’évaluer de leur point de vue (subjectif) leur degré d’effectivité. Nous avons notamment cherché à savoir jusqu’à quel point les individus connaissent la loi linguistique qui s’applique à la langue des services, et à quel point ils la comprennent et comprennent ce qui est attendu d’eux relativement à la langue des services.

Concernant la dimension organisationnelle, nous avons examiné les perceptions des personnes répondantes en ce qui concerne le rôle de l’organisation, des supérieurs immédiats et des collègues dans la mise en oeuvre et le respect de la loi linguistique qui s’applique au secteur de la santé ainsi que les récompenses accordées liées à l’offre de services en français.

Nous avons également considéré les perceptions des personnes répondantes en ce qui concerne leur degré d’accord avec les lois linguistiques ainsi que leurs perceptions vis-à-vis de la protection des droits de la minorité francophone dans le cadre de l’offre des services du système de santé.

La dimension psychologique comprend le sentiment d’obligation (de responsabilité) légale ou morale à mettre en oeuvre et respecter la loi, le sentiment d’efficacité personnelle vis-à-vis de l’offre active de services en français et le sentiment de fierté et d’appartenance ressenti par rapport à son organisation. Le sentiment d’obligation (de responsabilité) légale ou morale fait référence à la conscience professionnelle et à la reconnaissance par l’individu du caractère moral et juridique (Gutmann, 2000) de l’offre active de services en français (ou dans les deux langues officielles)[14]. Le sentiment d’efficacité personnelle fait référence aux croyances des individus quant à leurs capacités à réaliser certaines actions (Bandura, 1986), dans notre cas, l’offre active de services en français (ou dans les deux langues officielles). Le sentiment de fierté et d’appartenance désigne le degré d’attachement et de fierté de l’employée ou l’employé vis-à-vis de l’organisation qui l’emploie et qui l’amène à adopter des comportements bénéfiques pour l’organisation (Dubois, 2005). Selon Boucher et Morose (1990), plus un individu possède un degré élevé de sentiment d’appartenance et de fierté envers son organisation, plus il aura tendance à adopter les valeurs, les normes et les règles de conduite organisationnelles.

3.1. Méthode de collecte de données quantitatives

Notre analyse suppose que les perceptions des professionnels de la santé influencent l’effectivité des lois linguistiques en santé et sont des indicateurs, certes subjectifs, de ladite effectivité. Pour saisir les perceptions et la compréhension des professionnels de la santé à l’égard des lois ou des politiques linguistiques qui s’appliquent à leur établissement, nous avons conçu un questionnaire qui a permis de sonder ces professionnels et professionnelles. Le questionnaire comprenait une série d’affirmations portant sur les aspects juridiques, sociaux, organisationnels et psychologiques en lien avec les lois linguistiques dans le secteur de santé[15]. Treize dimensions ont été mesurées à partir de 89 affirmations qui étaient évaluées sur des échelles de type Likert à 5 points (1 = Tout à fait d’accord et 5 = Tout à fait en désaccord). Ces dimensions sont :

1) l’offre de services en français (ou dans les deux langues officielles) (7 éléments, par exemple « Je fais un effort conscient et délibéré pour offrir des services en français (ou dans les deux langues officielles) dans le cadre de mon travail » et « J’offre toujours des services en français (ou dans les deux langues officielles), peu importe les circonstances »);

2) la connaissance et la compréhension de la loi (8 éléments, par exemple « Je connais la loi/politique linguistique de ma province » et « Je comprends ce qui est attendu de moi relativement à l’application de la loi »);

3) la pertinence et l’appui de la loi (9 éléments, par exemple « Il est nécessaire et important d’offrir des services en français (ou dans les deux langues officielles) » et « Je suis d’accord avec la loi/politique linguistique dans ma province et je l’appuie »);

4) le sentiment d’obligation (responsabilité) légale ou morale pour respecter la loi (6 éléments, par exemple « je me sens moralement obligé(e) d’offrir des services en français (ou dans les deux langues officielles) dans le cadre de mon travail » et « J’ai des responsabilités pour que la loi soit respectée au sein de mon organisation »);

5) la protection des droits linguistiques de la minorité francophone (2 éléments, par exemple « Il est important de protéger les droits de la minorité francophone »);

6) la satisfaction de la clientèle de la langue des services (3 éléments, par exemple « Les usagers du système de santé soulignent régulièrement leur satisfaction quant à l’offre de services en français (ou dans les deux langues officielles » et « L’offre de services en français (ou dans les deux langues officielles) contribue significativement à la satisfaction des usagers du système de santé francophone »);

7) le rôle de l’organisation dans le respect de la loi linguistique (17 éléments, par exemple « Mon organisation a développé des politiques et des programmes qui soutiennent l’application de la loi/politique linguistique de ma province » et « Mon organisation encourage l’offre de services en français (ou dans les deux langues officielles »);

8) le rôle du supérieur immédiat (13 éléments, par exemple « Mon (ma) supérieur(e) immédiat(e) exige que ses employés offrent des services en français (ou dans les deux langues officielles » et « Mon (ma) supérieur(e) immédiat(e) met en place des mesures pour respecter la loi/politique linguistique de ma province »);

9) le rôle des collègues (8 éléments, par exemple « J’offre des services en français (ou dans les deux langues officielles) parce que mes collègues le font » et « Mes collègues de travail considèrent qu’il est important d’offrir des services en français (ou dans les deux langues officielles) »);

10) les récompenses accordées pour offrir les services dans les deux langues ou en français (2 éléments, par exemple « Je suis récompensé(e) si j’offre des services en français (ou dans les deux langues officielles) dans le cadre de mon travail »);

11) le sentiment d’efficacité personnelle (11 éléments, par exemple « J’ai confiance en ma capacité d’offrir des services en français (ou dans les deux langues officielles) dans le cadre de mon travail » et « J’ai toutes les ressources nécessaires pour respecter la loi/politique linguistique de ma province »);

12) le sentiment d’appartenance et de fierté à l’organisation (3 éléments, par exemple « J’éprouve vraiment un sentiment d’appartenance à mon organisation » et « Je suis fier (fière) d’appartenir à mon organisation ») et;

13) la qualité des services offerts (3 éléments, par exemple « La langue de communication contribue à la qualité des services offerts » et « Le respect de la loi est important afin d’offrir des services de qualité »).

Les affirmations pour lesquelles les personnes répondantes devaient indiquer leur degré d’accord représentent des indicateurs de la compréhension et de l’adhésion des professionnels de la santé quant à l’offre de services en français (ou dans les deux langues officielles) ainsi que des constats faits par ces mêmes professionnels concernant les mesures mises en place et l’offre des services en français (ou dans les deux langues officielles) qui est proposée. Donc, plus les réponses tendent vers 1, plus les répondants et les répondantes sont tout à fait en accord avec l’affirmation. À l’inverse, plus la moyenne tend vers le 5, plus les personnes répondantes sont tout à fait en désaccord avec l’affirmation. La valeur 3 signifiant n’être ni d’accord ni en désaccord.

3.2. Participants et participantes

Le calendrier de collecte de données a varié selon les provinces en fonction des processus d’approbation éthique et d’autorisation administrative de chacune. Le sondage a été distribué entre mars 2017 et décembre 2018 au sein de huit établissements, soit les deux régies au Nouveau-Brunswick, un hôpital désigné en Ontario et au Manitoba et quatre hôpitaux ou cliniques en Nouveau-Écosse. Au total, 490 employées et employés en contact avec des patients et patientes ont répondu au sondage, représentant un taux de réponse d’environ 3,6 %. Compte tenu du fait que le sondage a été envoyé à approximativement 14 000 employés, ce taux de réponse est très faible, mais comparable à une étude précédente (Forgues et al., 2011).

Une série de questions démographiques ont été posées dans le sondage afin de permettre la description de l’échantillon. Des questions liées à l’âge, le sexe, la langue maternelle, la langue de communication habituelle, la langue des écoles fréquentées, le poste actuel, la profession et la langue utilisée au travail entre collègues ont été posées. La moyenne d’âge des répondantes et des répondants était de 44 ans et 83,7 % s’identifiaient au sexe féminin. Un peu plus des deux tiers (68,5 %) travaillaient dans un hôpital dont la langue de fonctionnement était l’anglais. Près de 65 % des personnes répondantes étaient de langue anglaise, alors qu’environ 35 % étaient de langue française. Une description sommaire du profil démographique des participants et des participantes au sondage est présentée au tableau 1.

Tableau 1

Description des participants et des participantes au sondage

Description des participants et des participantes au sondage

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3.3. Méthodes d’analyse des données

Des analyses descriptives ont été menées afin d’évaluer le degré d’accord des personnes répondantes aux affirmations. Plus précisément, les moyennes, les écarts-types et les alphas de Cronbach ont été calculés pour chaque dimension et la différence des moyennes a été calculée selon la langue des hôpitaux et des personnes répondantes. Des tests t à deux échantillons ont servi à comparer les moyennes pour identifier si les différences sont statistiquement significatives.

4. Résultats

Le tableau 2 décrit les moyennes, les écarts-types et l’alpha de Cronbach des dimensions à l’étude pour l’ensemble des personnes répondantes. Le tableau 3 décrit les moyennes, les écarts-types et les valeurs t des différences de moyennes pour les personnes répondantes anglophones et les personnes répondantes francophones, alors que le tableau 4 décrit les moyennes, les écarts-types et les valeurs t des différences de moyennes pour les personnes répondantes oeuvrant au sein d’hôpitaux anglophones par rapport aux personnes répondantes oeuvrant au sein d’hôpitaux francophones.

Tableau 2

Moyennes, écarts-types et alpha de Cronbach des dimensions à l’étude

Moyennes, écarts-types et alpha de Cronbach des dimensions à l’étude

Note : 1 = Tout à fait d’accord et 5 = Tout à fait en désaccord

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De façon générale, un examen des résultats globaux permet de constater que les personnes répondantes ont une perception moyennement positive de la majorité des dimensions mesurées. Toutefois, les résultats révèlent que les personnes répondantes ne sont pas forcément en accord avec la pertinence de l’offre de services en français, et donc qu’elles ne l’appuient pas entièrement et que les collègues et les récompenses ne jouent pas nécessairement un rôle important dans leur tendance à offrir des services en français.

Tableau 3

Moyennes, écarts-types et valeurs t des différences de moyenne pour les personnes répondantes anglophones et les personnes répondantes francophones

Moyennes, écarts-types et valeurs t des différences de moyenne pour les personnes répondantes anglophones et les personnes répondantes francophones

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Tableau 4

Moyennes, écarts-types et valeurs t des différences de moyenne pour les personnes répondantes oeuvrant au sein d’hôpitaux anglophones et les personnes répondantes oeuvrant au sein d’hôpitaux francophones

Moyennes, écarts-types et valeurs t des différences de moyenne pour les personnes répondantes oeuvrant au sein d’hôpitaux anglophones et les personnes répondantes oeuvrant au sein d’hôpitaux francophones

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Les personnes répondantes francophones et les personnes répondantes qui oeuvrent au sein d’hôpitaux francophones ont une perception plus positive par rapport à l’ensemble des dimensions que leurs homologues. En effet, des écarts importants s’observent en ce qui a trait aux perceptions liées à chacune des dimensions.

La comparaison des moyennes révèle également des différences importantes entre les personnes répondantes qui oeuvrent au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français par rapport à celles qui oeuvrent au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est l’anglais.

4.1. Offre active de services en français (ou dans les deux langues officielles)

Comparativement à leurs homologues, les personnes répondantes francophones ainsi que les personnes répondantes qui oeuvrent au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français sont plus nombreuses à affirmer qu’elles offrent toujours des services en français (ou dans les deux langues officielles), peu importe les circonstances, et qu’elles sont prêtes à offrir les efforts nécessaires pour respecter la loi ou la politique linguistique en vigueur dans leur province.

4.2. Connaissance et compréhension de la loi

Comparativement à leurs homologues, les personnes répondantes francophones ainsi que les personnes répondantes qui oeuvrent au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français sont plus nombreuses à affirmer connaître et comprendre la loi et que le respect de la loi ou de la politique linguistique de la province concerne la qualité des services offerts. Elles comprennent plus ce qui est attendu d’elles relativement à l’application de la loi et elles savent ce qu’elles doivent faire pour effectuer une offre active des services en français (ou dans les deux langues officielles).

4.3. Pertinence et appui de la loi

Concernant la pertinence et l’appui de la loi ou de la politique linguistique de la province, aucune différence significative n’a été révélée entre les personnes répondantes francophones et les personnes répondantes anglophones, ni entre les personnes répondantes oeuvrant au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français et les personnes répondantes oeuvrant au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est l’anglais. Toutes les personnes répondantes, peu importe leur langue ou la langue de fonctionnement de l’hôpital dans lequel elles travaillent, sont plus ou moins en accord avec et appuient plus ou moins la loi ou la politique linguistique en vigueur. Elles sont plus ou moins en accord qu’il est nécessaire et important d’offrir des services en français (ou dans les deux langues officielles).

4.4. Sentiment d’obligation (responsabilité) légale ou morale

Comparativement à leurs homologues, les personnes répondantes francophones ainsi que les personnes répondantes qui oeuvrent au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français sont plus nombreuses à affirmer se sentir légalement et moralement obligées et responsables d’offrir des services en français (ou dans les deux langues officielles) dans le cadre de leur travail.

4.5. Protection des droits linguistiques

Comparativement à leurs homologues, les personnes répondantes francophones ainsi que les personnes répondantes qui oeuvrent au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français sont plus nombreuses à affirmer que le respect de la loi ou de la politique linguistique en vigueur dans leur province est une question qui concerne les droits des usagers du système de santé et qu’il est important de protéger les droits de la minorité francophone.

4.6. Satisfaction de la clientèle

Comparativement à leurs homologues, les personnes répondantes francophones ainsi que les personnes répondantes qui oeuvrent au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français sont plus nombreuses à affirmer que l’offre de services en français (ou dans les deux langues officielles) contribue significativement à la satisfaction des usagers francophones du système de santé et que ces derniers soulignent régulièrement leur satisfaction quant à l’offre de services en français (ou dans les deux langues officielles).

4.7. Rôle de l’organisation

Comparativement à leurs homologues, les personnes répondantes francophones ainsi que les personnes répondantes qui oeuvrent au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français sont plus nombreuses à affirmer que leur organisation fait les efforts nécessaires et se sentent appuyées par leur organisation pour offrir des services en français (ou dans les deux langues officielles), et que la loi est bien respectée dans leur organisation.

4.8. Rôle des supérieurs immédiats

Comparativement à leurs homologues, les personnes répondantes francophones ainsi que les personnes répondantes qui oeuvrent au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français sont plus nombreuses à affirmer que leurs supérieurs immédiats encouragent et restent vigilants quant au respect et à l’application de la loi ou de la politique linguistique en vigueur dans leur province. Elles affirment également que les dirigeants et dirigeantes de l’organisation s’engagent et exercent activement un leadership pour offrir des services en français (ou dans les deux langues officielles).

4.9. Rôle des collègues

Comparativement à leurs homologues, les personnes répondantes francophones ainsi que les personnes répondantes qui oeuvrent au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français sont plus nombreuses à affirmer que leurs collègues considèrent qu’il est important d’offrir des services en français (ou dans les deux langues officielles), qu’ils sont motivés à prendre les mesures requises pour respecter la loi et qu’ils font des efforts et encouragent les autres à offrir des services en français (ou dans les deux langues officielles).

4.10. Récompenses accordées

Comparativement à leurs homologues, les personnes répondantes francophones ainsi que celles qui oeuvrent au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français sont plus nombreuses à être en désaccord avec l’affirmation qu’elles obtiennent des récompenses lorsqu’elles offrent des services en français (ou dans les deux langues officielles) dans le cadre de leur travail.

4.11. Sentiment d’efficacité personnelle

Comparativement à leurs homologues, les personnes répondantes francophones ainsi que celles qui oeuvrent au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français sont plus nombreuses à affirmer être habituées et avoir une plus grande confiance en leur capacité à offrir des services en français (ou dans les deux langues officielles) dans le cadre de leur travail. Elles affirment également qu’elles sont motivées à prendre les mesures requises pour respecter la loi et qu’elles ont les ressources nécessaires pour le faire.

4.12. Sentiment de fierté et d’appartenance à l’organisation

Comparativement à leurs homologues, les personnes répondantes qui oeuvrent au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français sont plus nombreuses à affirmer qu’elles éprouvent un sentiment d’appartenance et de fierté à leur organisation et qu’elles se préoccupent beaucoup de la bonne image de leur organisation. Aucune différence significative n’a été révélée entre les personnes répondantes francophones et les personnes répondantes anglophones.

4.13. Qualité des services offerts

Comparativement à leurs homologues, les personnes répondantes francophones ainsi que les personnes répondantes qui oeuvrent au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français sont plus nombreuses à affirmer que le respect de la loi ou de la politique linguistique en vigueur dans leur province est une question qui concerne la qualité des services offerts, et que la langue de communication contribue à la qualité des services offerts.

5. Discussion

L’ensemble de ces résultats suggère que des efforts doivent être déployés pour atteindre une meilleure effectivité des lois linguistiques dans le secteur de la santé, notamment chez les personnes répondantes anglophones et les personnes répondantes oeuvrant au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est l’anglais. Même si nous n’avons pas évalué objectivement l’effectivité des lois linguistiques dans le secteur de la santé, les résultats pointent vers une effectivité plutôt mitigée desdites lois et peuvent nous aider à comprendre les facteurs qui contribuent à amoindrir cette effectivité. C’est le cas de l’appui des personnes répondantes aux lois linguistiques et de la reconnaissance de leur pertinence. Ce qui peut surprendre dans le cas de cette dimension, c’est qu’il n’y ait pas de différence significative entre les personnes répondantes francophones et les personnes répondantes anglophones, ni entre les personnes répondantes oeuvrant au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est le français et celles oeuvrant au sein d’hôpitaux dont la langue de fonctionnement est l’anglais. Des efforts semblent devoir être faits quant au rôle que peuvent jouer l’organisation, les collègues et les supérieurs immédiats dans le respect de la loi linguistique ou dans l’offre de services en français (ou dans les deux langues officielles). Des efforts doivent aussi être déployés pour mieux faire connaître la loi et pour accroître le sentiment d’obligation légale et morale du personnel en ce qui concerne l’offre de services en français.

6. Limites de l’étude et avenues de recherche futures

Les résultats de cette étude doivent être interprétés avec prudence, car ils restent sujets à certaines limites. D’abord, il convient de se rappeler que les données recueillies reflètent les perceptions des professionnels de la santé ayant répondu au questionnaire. Ainsi, l’effectivité des lois linguistiques n’a pas été objectivement évaluée. Ensuite, il faut être prudent en ce qui a trait à la généralisation des résultats. Les limites à la généralisation de ces résultats sont dues à l’échantillon de petite taille et aux contextes juridiques qui diffèrent selon les provinces. Le taux de réponse était de 3,6 % (sur 14 000 questionnaires envoyés), ce qui reflète un faible taux, mais qui demeure à l’image de nos études antérieures (Forgues et al., 2011). Précisons, en outre, qu’en raison de la nature descriptive de l’étude, aucune relation de causalité ne peut être déduite entre les dimensions évaluées et l’effectivité des lois linguistiques. Par conséquent, il serait pertinent que de futures recherches emploient plusieurs méthodes de collectes de données afin de mettre en relation les perceptions des professionnels de la santé avec une certaine mesure objective de l’effectivité des lois linguistiques. Par ailleurs, des études en plusieurs temps de mesure permettraient de tester l’évolution des perceptions vis-à-vis de l’offre active des services en français au fil du temps. Finalement, l’étude des perceptions était basée sur l’utilisation d’une source d’évaluation autorapportée, ce qui peut introduire un biais de désirabilité sociale.

Conclusion

En dépit des limites de notre étude, nous considérons que celle-ci apporte un éclairage pertinent sur une dimension importante de l’effectivité des lois linguistiques, à savoir les perceptions des professionnels de la santé à l’égard de divers aspects qui influencent la langue des services offerts. Il importe de mentionner que ce sont les établissements de santé qui sont assujettis aux lois linguistiques et qui doivent mettre en place des mesures et outiller les gestionnaires pour consolider l’offre de service dans la langue choisie par le patient ou la patiente. À cet égard, si les résultats nous indiquent que l’attitude et la disposition des employés demeurent mitigées, le rôle de l’organisation et de leurs supérieurs l’est aussi. Sans un leadership soutenu à l’égard des services en français (ou dans les deux langues officielles), les établissements de santé subissent l’influence des normes linguistiques prévalant dans l’environnement social.

Nous pouvons considérer les établissements de santé comme des espaces organisationnels qui tentent d’implanter des pratiques linguistiques en matière de soins marquant une rupture par rapport aux normes sociolinguistiques observées dans l’environnement social. À l’évidence, les obligations juridiques parviennent difficilement à s’imposer au sein de ces établissements de santé. Ces premiers résultats nous aident à mieux comprendre les perceptions des professionnels de la santé à l’égard de l’offre de services de santé en français ou dans les deux langues. Ils peuvent servir de références pour de futures études qui tenteront d’évaluer les progrès ou les reculs en la matière. Il serait intéressant d’examiner par ailleurs quelles sont les approches employées par les dirigeantes, les dirigeants et les gestionnaires des établissements de santé qui permettent d’atteindre une plus grande effectivité des lois linguistiques en santé.