Abstracts
Résumé
La minorité francophone au Canada s’est longtemps battue pour faire valoir son droit à l’éducation, qui est notamment garanti par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Durant le processus de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, le Réseau pour le développement de l’alphabétisme et des compétences (RESDAC) et d’autres leaders des communautés francophones ont proposé et obtenu que l’engagement du gouvernement fédéral envers l’éducation des minorités porte plus largement sur l’apprentissage tout au long de la vie, ce qui inclut l’apprentissage en contextes formel, non formel et informel. C’est donc un nouveau paradigme qui s’impose désormais à cet égard, et pour l’État fédéral et pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Mots-clés :
- Droit à l’éducation,
- compétences,
- apprentissage,
- formel,
- non formel
Abstract
Canada’s Francophone minority has fought long to assert its right to education, guaranteed under Section 23 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms. During the process of modernizing the Official Languages Act, the Réseau pour le développement de l’alphabétisme et des compétences (RESDAC) and other leaders of Francophone communities proposed (and received assent) that the commitment of the federal government to minority education should focus more broadly on lifelong learning, which includes learning in formal, non-formal and informal contexts. In this respect, a new paradigm is now required, both for the federal government and for official language minority communities.
Keywords:
- right to education,
- skills,
- learning,
- formal,
- non-formal
Article body
Au 21e siècle, nous vivons dans des sociétés dites du savoir, qui se caractérisent par des transformations accélérées des connaissances, des technologies, des structures sociales et économiques, des pratiques, des normes et règles du jeu... Dans un tel monde, nul ne peut se limiter aux connaissances acquises à l’enfance. L’apprentissage devient une nécessité tout au long de la vie, pour tous et toutes. Il s’agit d’un continuum de besoins d’apprendre que ressentent les individus, auquel doit correspondre un continuum de ressources et de services qui leur permettent de satisfaire ces besoins.
Cet apprentissage vise le savoir, mais aussi les habiletés (savoir-faire) et les attitudes (savoir-être) qui ensemble composent les compétences. La compétence est une capacité d’agir et elle permet aux individus de se comporter de façon appropriée dans les différents contextes qu’ils rencontrent, de nouer des relations avec les autres, d’élever leurs enfants, de travailler, d’utiliser les nouveaux outils numériques, de se réaliser, de s’engager dans leur milieu, de participer au devenir, au vivre-ensemble et au rayonnement de leur communauté.
1. Le développement des compétences
Le développement des compétences est à ce point important qu’on lui attribue aujourd’hui le statut de nouveau paradigme. Il a en effet amené une multitude d’institutions publiques et d’organisations privées ou communautaires à élaborer des cadres de compétences qu’elles prescrivent à leurs publics respectifs. Par exemple, une étude comparative d’une soixantaine de cadres révèle qu’ils partagent de nombreux points communs, que l’on pourrait qualifier de compétences du 21e siècle (Institut de coopération en éducation des adultes, 2023).
Le développement des compétences est une responsabilité des individus, des familles, des institutions éducatives, des gouvernements et des entreprises, mais aussi des communautés et de leurs organismes. La francophonie canadienne en situation minoritaire est donc interpellée par ce nouveau paradigme. L’injonction de se mettre en mode apprentissage tout au long de la vie pour tous et toutes et au développement des compétences est d’une grande pertinence pour elle.
La francophonie canadienne compte pour ce faire sur un réseau d’écoles, d’institutions et d’organismes qui offrent des services et des ressources pour l’éducation et la formation formelle en français. Mais ce continuum est aujourd’hui enjoint à se repenser, car ce ne sont plus seulement les institutions éducatives qui sont appelées à jouer un rôle, mais tous les organismes qui animent et assurent la vitalité des communautés francophones. Une étude récente a dénombré environ 850 de ces organismes, qui représentent une grande diversité de lieux potentiels d’apprentissage (FCFA, 2022).
La Loi sur les langues officielles, modifiée en 2023, est désormais un instrument sur lequel peut s’appuyer la minorité francophone dans cet élan, comme le précise son article 41(3) :
Engagement — apprentissages dans la langue de la minorité
41(3) Le gouvernement fédéral s’engage à renforcer les possibilités pour les minorités francophones et anglophones de faire des apprentissages de qualité, en contexte formel, non formel ou informel, dans leur propre langue tout au long de leur vie, notamment depuis la petite enfance jusqu’aux études postsecondaires.
2. Les contextes formel, non formel et informel
Les contextes d’apprentissage mentionnés à l’article 41(3) ne sont pas formulés de façon très intuitive, mais ils reprennent une typologie qui est en usage depuis quelques décennies dans les organisations internationales, telles que l’Institut de l’UNESCO pour l’apprentissage tout au long de la vie (2012), l’OCDE (Werquin, 2012) ou le Conseil de l’Europe (2014). Il s’agit de catégories analytiques qui n’ont pas pour objet de désigner des réalités empiriques distinctes, mais d’illustrer la complexité et la complémentarité des besoins et des occasions d’apprendre dans la réalité contemporaine :
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Le contexte d’apprentissage formel est celui où l’individu apprend de façon structurée et reçoit une reconnaissance formelle de ses apprentissages sous forme de titres (diplômes, certificats, etc.) délivrés par des établissements scolaires, collégiaux et universitaires.
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Le contexte d’apprentissage non formel est celui dans lequel l’individu apprend de façon intentionnelle et structurée, par exemple en milieu de travail, dans les organismes communautaires ou même dans les activités parascolaires en milieu éducatif, sans toutefois obtenir de reconnaissance formelle.
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Le contexte d’apprentissage informel est celui dans lequel l’individu apprend de façon autonome, sans structure ni reconnaissance formelle, par exemple par la lecture, la discussion ou l’observation, en milieu de travail, dans son milieu familial, dans sa vie citoyenne et communautaire ou dans ses loisirs.
3. Les cadres de compétences actuels répondent-ils aux besoins de la minorité francophone?
À l’initiative du RESDAC, la Table nationale sur l’éducation (TNÉ) (FNCSF, s.d.) a entrepris de redéfinir le continuum de l’éducation afin d’y inclure l’apprentissage tout au long de la vie et le développement des compétences. Elle a abouti à la formulation suivante (PGF consultants, 2023) :
Du même souffle, la TNÉ a examiné attentivement le modèle des Compétences pour réussir (voir Figure 1), proposé par le gouvernement du Canada en 2021. Il s’agit des compétences « nécessaires pour participer, s’adapter et s’épanouir dans l’apprentissage, le travail et la vie » (Gouvernement du Canada, 2023).
La francophonie en situation minoritaire participe à la vie sociale et à la prospérité économique du Canada et on peut supposer que, de façon générale, les personnes d’expression française ressentent les besoins exprimés dans le modèle des Compétences pour réussir. Cependant, ce modèle est formulé pour répondre aux besoins de la majorité des Canadiens et Canadiennes. Il ne prend pas en compte tous les besoins spécifiques des individus vivant en situation linguistique minoritaire.
4. Les Compétences pour s’épanouir
Les communautés francophones connaissent en effet une certaine fragilité, qui est marquée entre autres par un déclin démographique, une insécurité linguistique et de faibles niveaux de littératie, des particularités qui s’ajoutent aux défis socioéconomiques et environnementaux pesant plus largement sur la société canadienne. Elles doivent assumer une résilience de plus en plus forte pour y faire face, s’organiser pour agir collectivement, se donner des instruments de gouvernance communautaire, cultiver le vivre-ensemble dans des communautés fragiles, certes, mais qui se complexifient à vue d’oeil, créer et innover constamment pour se perpétuer comme collectivité de langue, de culture et d’identité francophones.
La TNÉ a ainsi proposé une charte complémentaire, composée de quatre Compétences pour s’épanouir, qui répondent spécifiquement à ces besoins et enjeux propres aux communautés francophones (voir Encadré 2)
Ces Compétences pour s’épanouir répondent à ces conditions et enjeux de la vitalité des communautés francophones et relèvent de la relation de l’individu avec sa communauté. Elles sont formulées en lien avec la réussite de l’individu, mais elles recoupent et dépassent les Compétences pour réussir. En s’ajoutant à ces dernières, elles traduisent les capacités requises d’un individu d’expression française afin qu’il puisse agir dans le contexte minoritaire qui lui est propre, en s’appuyant sur des connaissances, un savoir-faire et un savoir-être. En se combinant, ces compétences peuvent contribuer à développer le savoir-devenir des individus, c’est-à-dire leur capacité à saisir les changements en cours, à se projeter dans l’avenir et à rehausser leurs compétences afin de tirer parti des nouvelles donnes. Les Compétences pour s’épanouir permettent l’épanouissement « par et pour » les personnes d’expression française. Elles peuvent aussi permettre à leur communauté de savoir-rayonner au-delà de leur milieu.
5. Sommet national sur l’apprentissage pour la francophonie canadienne
Voilà beaucoup de changements à envisager pour relever les défis qui s’offrent à la francophonie canadienne. Pour prendre acte de ce changement de paradigme et en orchestrer une prise en charge collective, le RESDAC, en collaboration avec les membres de la TNÉ et sous le patronage de la Commission canadienne de l’UNESCO[2], a convoqué le Sommet national sur l’apprentissage pour la francophonie canadienne à Ottawa les 4, 5 et 6 mars 2024[3].
Le Sommet a réuni environ 300 leaders de la francophonie à Ottawa, auxquels s’ajoutent plusieurs participations virtuelles. Le Sommet a été orchestré selon deux angles d’approches consécutifs : comprendre et agir collectivement. Il a permis aux participants et participantes de suivre un fil rouge qui les a amenés à mieux saisir la problématique 🡢 de l’apprentissage tout au long de la vie 🡢 du développement des compétences 🡢 et des contextes formel, non formel et informel; de prendre connaissance du modèle 🡢 des Compétences pour réussir et d’approfondir celui 🡢 des Compétences pour s’épanouir. Ensuite, le fil rouge les a amenés à envisager la possibilité d’agir collectivement en transformant leur milieu de travail 🡢 en organisation apprenante, et leur milieu de vie en 🡢 communauté apprenante; pour enfin signer un 🡢 engagement individuel à donner suite au Sommet en participant aux grands efforts pour l’apprentissage qui devront être mis en chantier.
Pour alimenter leur réflexion, les participantes et participants ont pu s’appuyer sur les témoignages d’une grande variété de personnes-ressources, dont :
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des leaders des organismes francophones membres de la TNÉ;
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une délégation de l’Institut de l’UNESCO pour l’apprentissage tout au long de la vie (UIL) et de la Commission canadienne de l’UNESCO;
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des représentantes d’Edmonton, seule ville apprenante de l’UNESCO au Canada;
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des personnes représentantes de l’Institut de coopération en éducation des adultes (ICÉA);
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des personnes apprenantes de tout âge;
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des personnes qui se démarquent par leur innovation;
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des spécialistes en sciences sociales, andragogie et droit;
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des artistes de la scène, de la musique et de l’image;
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des exposantes et exposants qui sont déjà engagés dans des chantiers innovants, en reconnaissance des compétences, en mobilisation des familles et dans tout le continuum de l’apprentissage;
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des grands témoins.
Ils ont aussi mis la main à la pâte, selon l’approche des laboratoires vivants, et envisagé des idées de projets pour concrétiser une prise en charge collective de l’apprentissage tout au long de la vie.
6. Un droit ou une obligation
Le droit à l’apprentissage est une notion intéressante, reconnue à l’échelle internationale. La Loi sur les langues officielles impose maintenant l’obligation du gouvernement fédéral d’appuyer les minorités francophone et anglophone dans leurs efforts d’apprentissage, mais elle ne garantit pas un droit, du moins pas pour l’instant, selon une opinion juridique émise durant le Sommet. Par contre, un tel droit est rarement offert sur un plateau d’argent, il est quasiment toujours arraché par la société civile, à force de recherche, de revendications, de démarchage politique et de recours juridiques. L’acquisition de ce droit appartient donc à la minorité, à sa résilience et à son effort concerté à cet effet.
7. La reconnaissance des compétences
L’un des chantiers qui ont été annoncés durant le Sommet est la plateforme francobadges[4] de reconnaissance des connaissances et compétences, à l’initiative conjointe du RESDAC et de l’ICÉA. Cette plateforme numérique en français permettra de délivrer, stocker et promouvoir les badges reconnaissant les acquis des individus en contexte non formel ou informel. La plateforme sera gérée par une entreprise d’économie sociale, s’inscrivant ainsi dans une perspective du bien commun. Une version beta de la plateforme est en ligne afin de recueillir les rétroactions des usagères et usagers potentiels.
8. Les suites…
De nombreux chantiers, à diverses échelles, ont été suggérés et consignés durant le Sommet. Lors des discussions plénières, il a été dit à plusieurs reprises que l’apprentissage et le développement des compétences ne sont pas la responsabilité des seuls organismes qui se vouent à l’éducation et la formation. On a aussi noté l’enthousiasme d’agir qui régnait chez la plupart des personnes participantes, mais en rappelant avec sagesse que sans le leadership d’organismes centraux, comme le RESDAC ou la Fédération des communautés francophones et acadienne, ces chantiers risquent de ne jamais lever du sol. Comme l’a si bien dit Denis Desgagné, directeur général du RESDAC : « Nous sommes allés jusqu’au Sommet et, de ce point d’observation, nous avons vu ce qui nous attend et ce que nous avons à faire ». À suivre, donc…
Appendices
Notes
-
[1]
M. Johnson a participé comme membre du cabinet Socius recherche et conseils, puis de PGF consultants, à l’accompagnement du RESDAC et de la Table nationale sur l’éducation dans la démarche qui est présentée dans ce texte.
- [2]
-
[3]
https://resdac.net/event/sommet-national-sur-lapprentissage/
-
[4]
FrancoBadges : https://francobadges.wordpress.com
Bibliographie
- European Centre for the Development of Vocational Training (2014). Terminology of European education and training policy (2e édition). CEDEFOP. https://www.cedefop.europa.eu/files/4117_en.pdf
- Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) (2022, octobre). Éviter le point de rupture. Des organismes francophones en santé pour des communautés en santé [mémoire de positionnement présenté dans le cadre du renouvellement du Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028, préparé en collaboration avec les cabinets PGF consultants et Socius recherche et conseils].
- Fédération nationale des conseil scolaires francophones (FNCSF) (s.d.). La Table nationale sur l’éducation. https://fncsf.ca/table-nationale-sur-leducation/
- Gouvernement du Canada. (2023). Compétences pour réussir. En apprendre davantage sur les Compétences. Emploi et Développement social Canada. https://www.canada.ca/fr/services/emplois/formation/initiatives/competence-reussir/comprendre-individus.html
- Institut de coopération en éducation des adultes (2023, 12 octobre). Recension de compétences pour le RESDAC. Présentation des balises utilisées dans le cadre de l’exercice de correspondance mené par l’ICÉA et réflexions sur les compétences pour s’épanouir définies par le RESDAC. ICÉ.
- Institut de l’UNESCO pour l’apprentissage tout au long de la vie (2012). Lignes directrices de l’UNESCO pour la reconnaissance, la validation et l’accréditation des acquis de l’apprentissage non formel et informel. UIL. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000216360_fre
- PGF consultants (2023, 7 novembre). Le développement des compétences dans la francophonie canadienne : une réflexion stratégique [préparé pour le RESDAC, Ottawa].
- Werquin, P. (2012). Reconnaître l’apprentissage non formel et informel : résultats, politiques et pratiques. OCDE. https://www.cicic.ca/docs/oecd/rnfil.fr.pdf
Législation
- Loi sur les langues officielle, L.R.C. 1985, ch. 31, 4e suppl. https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/O-3.01/section-41.html