Abstracts
Résumé
Comment se prennent les décisions dans des contextes où il faut agir rapidement et où la moindre erreur peut remettre en cause l’intégrité d’une organisation et de ses membres ? Que se passe-t-il d’autre part si les acteurs de niveaux hiérarchiques différents ne convergent pas rapidement sur la compréhension de la situation et sur les priorités à définir ? L’analyse de la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima Dai Ichi (Japon, 2011) révèle que le recours aux interactions entre différents niveaux hiérarchiques peut conduire à des résultats contrastés en termes de fiabilité, contrairement aux propositions de l’approche sensemaking (Weick, 1993). L’étude détaille différents processus de décision permettant d’améliorer la fiabilité des interactions.
Mots-clés :
- prise de décision,
- situation d’urgence,
- complexité,
- interactions,
- fiabilité
Abstract
How are decisions made in contexts where action must be taken quickly and where the slightest error can call into question the integrity of an organisation and its members? What happens, on the other hand, if actors at different hierarchical levels do not quickly converge on an understanding of the situation and on the priorities to be defined? The analysis of the Fukushima Dai Ichi nuclear power plant disaster (Japan, 2011) reveals that the use of interactions between different hierarchical levels can lead to contrasting results in terms of reliability, contrasting with the proposals of the sensemaking approach (Weick, 1993). The study details different decision processes to improve the reliability of interactions.
Keywords:
- decision making,
- emergency,
- complexity,
- interactions,
- reliability
Resumen
¿Cómo se toman decisiones en contextos en los que hay que actuar con rapidez y en los que el más mínimo error puede hacer peligrar la integridad de una organización y sus miembros? ¿Qué ocurre, por otra parte, si los actores de diferentes niveles jerárquicos no convergen rápidamente en la comprensión de la situación y en la definición de las prioridades? El análisis de la catástrofe de la central nuclear de Fukushima Dai Ichi (Japón, 2011) revela que recurrir a interacciones entre los diferentes niveles jerárquicos puede conducir a resultados contrastados en términos de fiabilidad, en contraste con las propuestas del enfoque sensemaking (Weick, 1993). El estudio detalla diferentes procesos de decisión que permiten mejorar la fiabilidad de las interacciones.
Palabras clave:
- toma de decisiones,
- emergencia,
- complejidad,
- interacciones,
- fiabilidad
Article body
Ce travail s’intéresse à la prise de décision dans des situations spécifiques caractérisées par un niveau élevé de complexité, une pression de temps, un risque d’irréversibilité critique aussi nommées les situations CTI (Complexity, Time pressure, Irreversibility) (Le Bris, Madrid, Martin, 2019). Ce type de situation suppose une prise de décision rapide car l’absence d’action peut remettre en cause la capacité de survie d’une organisation. De plus, la moindre erreur dans la prise de décision peut conduire à un seuil d’irréversibilité critique[1] et atteindre l’intégrité d’une organisation et de ses membres. Ceci est particulièrement vrai pour certains types d’organisation comme les organisations hautement fiables (Highly Reliable Organizations, HRO) pour lesquelles “the first error will also be the last trial” (Weick & Sutcliffe, 2011 : 20). Dans de telles configurations, le décideur est confronté à un risque de saturation cognitive du fait du nombre d’informations et de signaux qu’il doit intégrer en un laps de temps très court. Ces limites individuelles (Simon, 1947; Oliver et al. 2017) pourraient être contournées par des interactions avec les membres de l’équipe, principe qui est au coeur de l’approche sensemaking (Saleh, Marais, Bakolas, & Cowlagi, 2010; Weick, 2001). Ces interactions permettent une compréhension commune de la situation (Weick, Sutcliffe & Obstfeld, 2005) notamment en situation critique quand les acteurs se trouvent confrontés à un événement « cosmologique » (Weick, 1993) avec une perte totale de repères, typiques des contextes extrêmes (Hallgren et al., 2018). Cependant, ces interactions peuvent être perturbées par des communications interrompues ou distanciées. De plus, interagir peut prendre du temps notamment quand les conclusions entre les acteurs impliqués dans le processus de décision ne convergent pas sur les priorités à définir, particulièrement cruciales en situation CTI. Ainsi, dans certaines situations (avec une contrainte de temps, une complexité élevée et un risque d’irréversibilité critique) et pour une organisation exigeant un haut niveau de fiabilité (HRO), le recours aux interactions pourrait conduire à des résultats contrastés en termes de fiabilité. Ces éléments nous conduisent donc à approfondir l’approche sensemaking en nous attachant à détailler les différents processus d’interactions selon les niveaux de la chaîne hiérarchique. Il s’agit alors d’identifier, au sein d’une organisation hautement fiable en situation CTI sous quelles conditions ces interactions sur les différents niveaux hiérarchiques peuvent être sources de fiabilité. Afin d’étudier ce point, nous avons retenu le cas de la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima Dai Ichi (2011) au Japon. Les données recueillies à partir des entretiens conduits entre le Directeur de la centrale nucléaire et les députés japonais ont été largement précisées et détaillées (Guarnieri et al., 2018) permettant un travail d’analyse portant sur le mode sélectif du processus d’interactions conduit par le Directeur selon les niveaux hiérarchiques. Cela interroge les enjeux et les difficultés du processus de sensemaking selon les niveaux hiérarchiques concernés. À partir d’une démarche inductive, nous interrogeons donc l’approche sensemaking en situation de crise majeure en faisant un focus sur ces différents types d’interactions. L’article est structuré de la façon suivante : dans la première section, nous présentons et discutons différents cadres conceptuels mobilisés pour l’étude de la prise de décision en situation critique. La section 2 présente et justifie le cas étudié ainsi que l’approche méthodologique retenue. La section 3 expose les principaux résultats qui sont ensuite discutés en section 4. Les limites de ce travail ainsi que les possibilités de recherches futures sont présentées en conclusion.
Cadrage conceptuel
Processus de décision en situation CTI
Le processus de décision en situation d’incertitude a déjà été étudié par de nombreux travaux. Ainsi dans la théorie des jeux (Von Neumann et Morgenstern, 1944), les interactions du décideur avec d’autres acteurs peuvent s’inscrire dans des logiques très différentes (Nash, 1951; Luce et Raiffa, 1989; Von Neumann et Morgenstern, 1944). Un décideur peut en effet se comporter de façon coopérative ou non coopérative (Kelley et Stahelski, 1970) et son comportement va être influencé par l’environnement et le contexte dans lequel il agit (D’Estaintot et Batifoulier, 2005). De plus, ce comportement coopératif ou non d’un acteur est lié au sens qu’il donne à la situation et à la tâche qu’il doit accomplir. En outre, la coopération est aussi favorisée par des interactions verbales ou non verbales (Insko et al., 1993). Si cette approche normative de la prise de décision est intéressante pour étudier la prise de décision en situation d’incertitude, elle peine, compte tenu de ces postulats concernant notamment la rationalité substantive du décideur, à répondre à quelques interrogations : en situation dynamique et réelle, les experts n’ont pas le temps d’évaluer toutes les alternatives (espace, temps…) (Jones et Gross, 1996) et cette approche ne rend pas compte de la complexité des situations (Kobus, Proctor & Holste, 2001), ni de l’incomplétude et de l’imperfection des informations (Chauvin, 2003). La prise en compte des limites des capacités cognitives du décideur dans des contextes d’informations incomplètes et complexes est en revanche intégrée dans les travaux du courant Naturalistic Decision Making (NDM). Ce courant étudie la prise de décision dans des contextes dynamiques et incertains mais à partir de situations réelles en analysant comment des acteurs expérimentés, travaillant de façon individuelle ou collective prennent des décisions (Zsambok, 1997). Le modèle Recognition-Primed Decision (RPD) (Klein, 1997) issu de cette approche explique justement comment des experts, qui font face à des choix, génèrent et évaluent des options de façon sérielle, et non pas concurrente, en considérant que la première option est d’emblée, une option plausible, choisie sans comparer toutes les options possibles. Quand une option est évaluée, l’évaluation repose sur une simulation mentale de ses conséquences. Endsley (2000) a étendu ce modèle dans ses travaux sur la « Situation Awareness ». Ainsi la compréhension de la situation en cours permet de mieux comprendre sur quoi s’appuient les prises de décisions d’experts confrontés à des situations de crise (Chauvin, 2003). La reconnaissance de la situation est au centre de ce mécanisme décisionnel : elle justifie la recherche d’informations avec un va-et-vient d’évaluation de la situation et soulève ainsi l’enjeu des processus d’interactions. Mais si les travaux d’Endsley (2000) abordent des champs d’application variés comme le sport, la météo ou encore l’éducation, ils ne portent pas spécifiquement sur les contextes de crises. Les spécificités de ces dernières sont en revanche abordées dans l’approche décisionnelle par les heuristiques définies comme des règles simples réduisant les coûts cognitifs (Khatri et Ng, 2000; Shah et Oppenheimer, 2008). Les heuristiques confèrent des avantages susceptibles d’être importants dans des contextes de crise tels que l’amélioration de l’efficacité de la prise de décision et la réduction de l’effort cognitif (Shah et Oppenheimer, 2008). Elles offrent en effet l’avantage de rationaliser les processus analytiques des décideurs, en particulier dans des contextes managériaux complexes (Bazerman et Moore, 2009 : 6). Ainsi, en utilisant une faible partie de l’information disponible (Bingham et Eisenhardt, 2011), ces heuristiques peuvent apporter une réponse efficace à la surcharge d’informations que l’on retrouve notamment dans des contextes extrêmes (Hallgren et al., 2018). Les mécanismes heuristiques semblent donc particulièrement adaptés pour des décideurs confrontés à des situations de complexité élevée et nécessitant d’agir rapidement. Ces heuristiques peuvent cependant comporter des biais conduisant à des erreurs de compréhension de la situation et donc de prise de décision non pertinente (cf. par exemple Bazerman et Moore, 2009; Tversky et Kahneman, 1974). On parle ainsi de biais de disponibilité de l’information, de confirmation, d’ancrage, d’ambiguïté ou encore de substitution d’attribut (Kahneman & Klein, 2009). Il convient de noter que les risques d’irréversibilité critique ne sont pas explicitement pris en compte dans les approches décisionnelles précédemment citées ce qui est problématique en situation CTI en général et particulièrement pour les organisations hautement fiables.
Les risques de biais dans le processus de raisonnement ainsi que de décision pouvant conduire à des irréversibilités critiques sont par contre plus explicitement pris en compte dans l’approche sensemaking (Weick, Sutcliffe, 2001). Zhu et al. (2021) rappellent ainsi que le processus de sensemaking nécessite 1) des informations qui déclenchent le processus 2) des informations (indices) qui indiquent et confirment des explications plausibles. Ils expliquent aussi que la prise de conscience du décideur est rétrospective, car il construit sa propre histoire/cadre de manière cyclique et itérative pour assembler les informations reçues. Et cette prise de conscience dépend de l’interaction entre les personnes, la situation et les connaissances (Klein et al. 2006). Dans le processus de sensemaking, chaque individu fabrique en effet du sens en interaction avec les personnes qui l’entourent, qui agissent avec lui. La confrontation des subjectivités peut ainsi permettre de révéler des indices manqués, de dévoiler des erreurs de raisonnement, de créer - par le dialogue - une interruption du flux de l’activité pour reconsidérer l’action (Laroche, Steyer, 2012). L’approche théorique du sensemaking explique que les interactions entre les membres d’une organisation leur permettent de co-construire une compréhension commune de la situation (Weick, Sutcliffe, Obstfeld, 1999). Cette approche est particulièrement intéressante pour notre sujet d’étude car elle fait écho aux organisations que nous étudions, les HRO, qui se caractérisent notamment par une tolérance nulle à l’erreur du fait des risques d’irréversibilité critique (Weick & Sutcliffe, 2007) (Weick, Sutcliffe & Obstfeld, 1999; Weick & Sutcliffe, 2007).
Influence des contextes sur la prise de décision
Les processus de décision dans des contextes à haut niveau de complexité, de pression temporelle avec un risque d’irréversibilité critique CTI (Complexity, Time pressure, Irreversibility) (Le Bris, Madrid, Martin, 2019) comportent trois caractéristiques principales : 1) ils requièrent un niveau élevé de fiabilité, car les erreurs de décision peuvent conduire à des conséquences catastrophiques et irréversibles pour l’organisation, 2) ils exigent pour maintenir l’intégrité du système une prise de décision rapide, 3) ils nécessitent de dépasser une approche réductionniste qui s’avère peu adaptée à la compréhension de situation complexe (Anderson, 1999; Boisot, McKelvey 2010). Boisot et McKelvey (2010) définissent la complexité par l’émergence d’événements inattendus et inhabituels dans une zone spatio-temporelle donnée, de sorte que ces événements peuvent interagir et rendre les valeurs des indices difficiles à interpréter. La complexité augmente en effet le niveau d’incertitude de la situation et rend beaucoup plus difficile, voire impossible, l’anticipation des trajectoires. Hollander (1964), Hannah et al. (2009) ont par exemple montré que les contextes extrêmes, au niveau individuel, sollicitent les ressources psychologiques des acteurs et notamment celles du leader. Ils peuvent affecter leur lucidité dans la prise de décision du fait de cette charge émotionnelle accrue (Kapucu, 2006). Au niveau de l’équipe, ce contexte situationnel peut agir sur la qualité des interactions car une situation de forte incertitude contribue à une charge forte d’émotion perturbant la compréhension entre les individus (Kapucu, 2006), l’interprétation des acteurs de la situation (Ciborra, 1996) ou encore leur coordination (Weick, 1998) ce qui peut nuire à la capacité de résilience organisationnelle - les interactions figurant parmi les quatre sources de résilience organisationnelle (Weick, 1993). Hallgren et al. (2018) expliquent que les contextes extrêmes peuvent ainsi exercer une pression de temps, d’incertitude et de complexité susceptibles d’entraîner l’effondrement des rôles organisationnels (Hannah et al. 2009; Weick, 1993). Roberts et al. (1994) et Weick (1993) convergent ainsi sur la nécessité de mettre en place un niveau de vigilance collective dans les organisations de haute fiabilité, complété d’un système d’interactions efficace entre le décideur et les membres de l’équipe (Saleh, Marais, Bakolas & Cowlagi, 2010; Weick, 2001). Cependant, les interactions en présentiel ne sont pas toujours possibles dans la pratique, si par exemple il existe des dysfonctionnements de communication. De plus, interagir peut requérir du temps alors que la situation nécessite d’agir très rapidement. Enfin, interagir peut venir perturber la prise de décision surtout si les conclusions entre individus ayant un pouvoir de décision au sein de la chaîne hiérarchique ne convergent pas. Ces différentes remarques nous conduisent ainsi à préciser notre interrogation initiale de recherche et à formuler la question suivante : sous quelles conditions, au sein d’une organisation hautement fiable fonctionnant en mode dégradé, les interactions entre les différents niveaux d’une ligne hiérarchique peuvent être sources de fiabilité ou au contraire peuvent venir perturber le processus de sensemaking et finalement la fiabilité de la prise de décision en situation CTI ?
Méthodologie
Présentation du cas étudié
Le 11 mars 2011, la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ici a été confrontée à un séisme de magnitude 9 qui a été suivi par un tsunami avec des vagues de plus de 11,5 à 15,5 mètres de haut, dépassant le dimensionnement des 6 unités de la centrale nucléaire, ce qui n’avait jamais été envisagé. Le séisme a aussi déclenché des explosions d’hydrogène et une dispersion d’éléments radioactifs dans 3 des 6 unités provoquant des dommages irréversibles et conduisant à un processus de démantèlement qui devrait demander 30 à 40 ans de travaux.
Présentation des données
Notre analyse s’est principalement appuyée sur la traduction de l’entretien du Directeur de la centrale nucléaire, Masao Yoshida, dans le cadre d’une enquête indépendante lancée par Naoto Kan, le Premier ministre japonais que retranscrit un document de 400 pages. Le témoignage a été rendu public par le gouvernement japonais en septembre 2014 et traduit par des chercheurs de MINES ParisTech (Guarnieri et al., 2018). Afin d’améliorer la fiabilité, nous avons triangulé l’analyse en consultant les enquêtes publiques médico-légales entreprises par divers organismes d’experts internationaux régissant l’industrie nucléaire (Yin 2009 : 42). Nous avons choisi d’étudier un cas unique avec différents niveaux de responsabilité d’acteurs suivant une segmentation temporelle de la situation comprenant différentes séquences clés que sont : la phase précédant le tsunami (séquence clé 0), l’explosion du 1er réacteur (séquence clé 1), après cette 1ère explosion quand le coeur de l’unité est endommagé (séquence clé 2) et enfin la phase de recalage de la situation qui montre le travail de rehiérarchisation des priorités par le directeur pour éviter une aggravation de la situation (séquence clé 3). L’objectif est de comparer l’évolution du processus de décision et des mécanismes d’interactions sur la ligne hiérarchique dans une logique de maîtrise d’événements perturbateurs extrêmes pour chacune de ces 4 séquences.
Méthodes de collecte et de traitement des données
Pour répondre à notre question de recherche, cette approche s’est faite selon trois principales étapes.
Étape 1 : Identification des principales séquences de l’accident et des décisions prises depuis le tremblement de terre (11/03/2011) jusqu’à l’arrêt du dernier réacteur (20/03/2011),
Étape 2 : Identification des interactions des acteurs du terrain selon 3 niveaux de responsabilité :
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Niveau N-1, les subordonnés (opérateurs sur le site et superviseurs de la salle de contrôle),
-
Niveau N : le Directeur de la centrale (cadre supérieur), la cellule de crise sur site et une cellule de crise hors site (TEPCO), la cellule de pilotage TEPCO,
-
Niveau N+1/N+2 : les membres du conseil d’administration de TEPCO hors site et acteurs qui ont une autorité hiérarchique hors site (représentants gouvernementaux et locaux).
Notre approche porte également sur la façon dont les décideurs interagissent entre eux et notamment la façon dont le Directeur de la Centrale (niveau N) essaie progressivement d’identifier les différents biais qui interviennent dans sa prise de décision en interagissant avec les niveaux N-1 et N+1/N+2[2].
Étape 3 : Identification d’un sous-ensemble de décisions sur la base du tableau de données de base. Pour cela, des données préliminaires ont été extraites et analysées en précisant la nature et le niveau de périmètre des tâches (tâches locales et principalement techniques/ou tâches plus élargies et relevant d’arbitrage sur les priorités) en relation avec le processus d’interactions des acteurs selon leur niveau de responsabilité. Cette étape a pris en compte les séquences décisives constituant des points de bascule - seuils critiques au-delà desquels une petite perturbation peut modifier l’état d’un système (Lenton et al., 2008) - par rapport au seuil d’irréversibilité critique de la situation.
Les séquences ont donc été caractérisées par 4 critères (Figure 1) : (1) une dimension temporelle (période); (2) un état situationnel relatif à un point de bascule possible entre la dégradation ou l’amélioration de la situation appelé seuil d’irréversibilité critique (SIC); (3) des modalités d’interactions entre acteurs de différents niveaux sur site et hors du site; (4) des choix décisionnels du Directeur de niveau N, sur site.
Figure 1
Caractérisation d’une séquence clé
Méthodes d’analyse des données
L’entretien retranscrit (corpus de données de 400 pages) a été analysé en premier lieu à l’aide du Logiciel N’vivo (v.12.2.0.443 plus). Les auteurs ont sélectionné dans l’entretien, les séquences les plus illustratrices des moments clés de la gestion de la catastrophe. Ils ont ensuite étudié les données relatives aux décisions décrites dans chacune des séquences clés sélectionnées ce qui a donné lieu à un travail de codage. Selon les recommandations méthodologiques pour rendre compte de la méthodologie de codage d’Ayache et Dumez (2011), la démarche a consisté à mobiliser un cadre conceptuel (celui du sensemaking) permettant l’identification de catégories, en choisissant comme unité d’analyse l’unité de sens (Allard-Poesi, 2003; Glaser & Strauss, 1967), celle-ci étant mobilisée dans les travaux qui s’attachent à découvrir, analyser et caractériser des phénomènes ou des processus (Bardin, 1993) correspondant à notre objet d’étude. En outre, considérant que les biais possibles d’interprétation inhérents à une étude qualitative liés à la subjectivité du chercheur peuvent avoir des conséquences négatives sur la fiabilité des résultats (Savall et Zardet, 2004), a été retenu le principe de l’intersubjectivité contradictoire avec la méthode du double codage (Miles et Huberman, 2003) faite par l’équipe de chercheurs. Et pour éviter le risque d’éliminer tout ce qui pouvait constituer une découverte, tous les faits qui ne « collaient » pas avec le cadre théorique (Ayache, Dumez, 2011) et se priver d’éléments riches cachés dans le matériau et qui ont toute chance de le demeurer si on adopte la démarche du codage à visée théorique (Point & Voynnet-Fourboul, 2006), les auteurs sont restés ouverts à l’émergence de nouvelles catégories (Miles et Huberman, 2003) en relevant les dissonances du codage (Ayache, Dumez, 2011) ce qui nous a permis de faire émerger une catégorie dans le matériau étudié (correspondant à un autre mode de décision relatif aux méta-règles).
Présentation des variables
Variable Repères situationnels (signaux)
Pour chaque décision relative à la construction de sens, ont été relevées l’identification, la sélection et l’interprétation par le décideur des repères situationnels (signaux). Cette classification de faisceaux d’indices relevés par les acteurs en situation a été identifiée à partir des données permettant de comprendre comment le Directeur les a utilisées en relation avec ses décisions clés. En s’inspirant des travaux de Klein (1993), de Morgan, Frost et Pondy (1983 : 24) sur le concept de « contextual rationality », les repères situationnels sont identifiés comme des dispositifs permettant de développer une capacité de rationalité située. Le codage de cette variable figure en annexe 1.
Variable Interactions
le sensemaking s’intéresse à la manière dont les individus construisent, à partir de leurs interactions, une compréhension des situations complexes leur permettant d’agir de manière plus opportune (Weick, 1993). Ce processus de sensemaking a été étudié à travers les interactions entre le décideur et les acteurs de la situation (N-1, N, N+1 et N+2). L’analyse cherche à voir si le résultat des interactions permet une convergence d’opinions sur les priorités (CP), l’allocations des ressources (AR) et l’identification d’un risque d’irréversibilité (RI). De même l’étude cherche à préciser si le processus d’interactions est efficace compte tenu de la nécessité d’agir rapidement. Le codage de cette variable figure en annexe 1.
Variable Efficacité de la décision
L’efficacité a été évaluée en fonction de la façon dont les choix de décision augmentent ou réduisent la proximité temporelle d’un état d’irréversibilité critique (Haselton et al., 2009). Un impact positif a été déduit lorsque les décisions ont permis de s’éloigner du seuil d’irréversibilité critique. Un impact négatif a été déduit lorsque la décision a augmenté la proximité de l’irréversibilité critique. Le codage de cette variable figure en annexe 1.
Résultats
Analyse des décisions sur des séquences clés de la situation
Pour chacune des 4 séquences clés retenues, nous précisons les critères qui les caractérisent, les interactions qui ont eu lieu au cours de chaque séquence en distinguant les différents niveaux hiérarchiques et si ces interactions ont permis ou non de compenser les biais et de construire du sens pour le décideur en situation (N).
Séquence clé 0 : le tsunami
Tableau 1
Caractérisation de la séquence clé 0
Les évènements décrits de cette séquence (Annexe 2) font ressortir la grille d’analyse suivante :
Commentaires séquence 0 (Tab. 2) : des dysfonctionnements d’interactions sont relevés entre les niveaux N-1 et N en situation (sur site) et des difficultés d’interactions surviennent entre plusieurs niveaux (N-1 et N) (à T0) du fait des moyens de communications dégradés, elles sont associées à un défaut d’interactions ascendantes entre niveau N-1 et N, quand les opérateurs (N-1) ne referment qu’une des deux vannes d’alimentation du coeur sans prévenir la cellule de crise (Niveau N). Ces mêmes opérateurs (Niveau N-1) font un diagnostic erroné (ils concluent que l’IC ne fonctionne pas) du fait d’une erreur de manipulation (fermeture vanne). Il y a des interactions ascendantes (N-1 vers N) mais leur interlocuteur au sein de la cellule de crise (Niveau N) ne saisit pas l’urgence de la situation et la demande n’est pas prise en compte entraînant de nouvelles interactions défaillantes. Le périmètre de discussion relève d’un problème localisé et technique, aucun dispositif ne vient compenser les biais d’asymétrie d’information; l’évènement est inattendu, les signaux sur la situation ne sont ni disponibles ni fiables, l’impossibilité de leur interprétation conduit donc à un manque de repères situationnels et ne permet pas au décideur (N en situation) de construire du sens et d’avoir une Big Picture de la situation. Il existe des interactions entre le directeur (N) vers la cellule de crise de TEPCO (NAS, 2014, 115) (Niveau N hors site) qui remonte les informations au gouvernement (Niveau N+2 hors site) conformément aux dispositions légales en vigueur (NAIIC, 2012c, 19), mais elles ne permettent pas davantage de compenser la perte de sens.
Relevé des interactions séquence O : La grille d’analyse des variables (Tab.2) présente ce qu’il ressort de la Séquence 0 avec différenciation des niveaux hiérarchiques : en contexte CTI, avec une perte totale de repères situationnels, quand les interactions entre acteurs en situation à différents niveaux de responsabilité sur site (N-1/N sur site) dysfonctionnent - et même si les interactions avec les niveaux de responsabilité supérieurs fonctionnent (N sur site et N+1/N+2) - cela rend impossible la capacité du décideur à construire du sens, ce qui nuit à l’efficacité de la décision rapprochant l’unité du seuil d’irréversibilité critique.
Tableau 2
Grille d’analyse de la séquence 0 à partir des variables étudiées
Séquence clé 1 : une décision erronée du Directeur sur les priorités
Tableau 3
Caractérisation de la séquence clé 1
Les évènements décrits de cette séquence (Annexe 2) font ressortir la grille d’analyse suivante :
Commentaires séquence 1 (Tab. 4) : sans interagir avec les acteurs de niveau N-1 en situation (sur site), le directeur (N) décide de gérer en priorité l’unité 2 par rapport à l’unité 1, il manque d’informations fiables sur l’état du système central (incertitude). Or l’absence d’informations sur l’état de l’unité 2, avec l’incomplétude et l’ambiguïté des informations sur cette unité 2 a été associée à une absence d’interactions descendantes avec l’équipe en situation qui n’a pas été sollicitée par N. Cela s’est traduit par une erreur de diagnostic et donc par une décision erronée. Le périmètre de discussion relevait d’un problème localisé et technique et aucun dispositif n’est venu compenser les biais. Les signaux (repères) sur la situation étant incomplets et ambiguës, il était très difficile pour le directeur (N) d’en avoir une signification et de construire du sens lui permettant un diagnostic éclairé.
Relevé des interactions séquence 1 : La grille d’analyse des variables (Tab. 4) présente ce qu’il ressort de cette séquence 1, avec différenciation des niveaux hiérarchiques : en contexte CTI, avec une absence et un défaut de repères situationnels, quand les interactions entre acteurs en situation à différents niveaux de responsabilité sur site (N-1/N sur site) ne permettent pas, d’une part d’avoir des repères situationnels fiables et d’autre part d’avoir des informations réactualisées (le directeur ne resollicite pas les opérateurs sur l’unité 1), cela nuit à la capacité du décideur à construire du sens et donc à l’efficacité de sa décision rapprochant l’organisation du seuil d’irréversibilité critique.
Tableau 4
Grille d’analyse de la séquence 1 à partir des variables étudiées
Séquence clé 2 : Erreur de décision portant sur l’arrêt du système de refroidissement d’urgence unité 1
Tableau 5
Caractérisation de la séquence clé 2
Les évènements décrits de cette séquence (Annexe 2) font ressortir la grille d’analyse suivante :
Commentaires séquence 2 (Tab. 6) : en étape 1, il y a bien des interactions descendantes entre N et N-1 en situation pour vérifier l’état de la tranche 1. Cependant du fait du caractère hors cadre de l’événement, les opérateurs ne sont pas en mesure d’établir un diagnostic fiable de l’état du réacteur et donc de remonter des informations robustes vers le directeur (N) et notamment une information clé sur le niveau d’eau dans la cuve du réacteur (état + évolution de situation du réacteur). Il s’en suit un diagnostic erroné des opérateurs (Niveau N-1 sur site) et des décisions erronées (N-1 sur site). Le périmètre de discussion relevait d’un problème localisé et technique, aucun dispositif n’est venu compenser les biais. Il est à noter l’existence d’interactions du centre de crise hors site (Préfecture) (N+1 hors site) vers les populations pour évacuer.
Étape 2, une insuffisance d’interactions apparait entre le directeur (N) et les opérateurs (N-1 en situation). En effet, le directeur (N) ne re-sollicite pas les opérateurs en situation (N-1) sur l’état du système de refroidissement de l’unité. Sa représentation de la situation n’est donc pas actualisée. Son diagnostic sur la situation en cours ne peut être juste ce qui ne peut conduire qu’à une décision inadaptée alors qu’avec la complexité de la situation, il convenait d’agir rapidement. L’absence d’interactions descendantes et ascendantes (opérateurs non sollicités) n’a pas permis une juste appréciation de la situation sur les priorités, l’allocation des ressources et l’identification des points d’irréversibilité critique. Le périmètre de discussion relevait d’un problème localisé et technique, aucun dispositif n’est venu compenser les biais
Étape 3 : il y a une absence d’interactions de N vers N-1 en situation extrême (incertitude, complexité, plus grande proximité des points d’irréversibilité critique), les opérateurs n’interagissent ni avec les responsables, ni avec les experts, ni avec les sous-traitants car matériellement ils ne le peuvent pas. L’un d’entre eux (N-1) pose donc un diagnostic erroné. La décision est totalement inefficace et rapproche la centrale du seuil d’irréversibilité critique avec une impossibilité de convergence sur les priorités. De plus, même avec la possibilité de communiquer, il n’y a pas eu d’interactions de N-1 (opérateurs) vers N (directeur) sur la fermeture de la vanne pour arrêter l’injection d’eau. Plus de 3 heures ont été nécessaires pour identifier les conséquences de cette fermeture de vanne, laquelle a entraîné des dommages matériels irréversibles. Pas d’interactions sur le problème, dont les conséquences en font un problème élargi et global, aucun dispositif d’échange, de redondance d’informations, d’essais de convergence des représentations, n’est venu compenser les biais.
Tableau 6
Grille d’analyse de la séquence 2 à partir des variables étudiées
Relevé des interactions séquence 2 : La grille d’analyse des variables (Tab. 6) présente ce qu’il ressort de cette séquence 2, avec différenciation des niveaux hiérarchiques : en étape 1 : en contexte CTI, si les repères situationnels ne sont pas robustes, même quand les interactions entre les acteurs en situation à différents niveaux de responsabilité sur site (N-1/N sur site) fonctionnent, cela conduit à une incapacité du décideur en situation à construire du sens et donc à une décision erronée, rapprochant l’organisation du seuil d’irréversibilité critique (SIC). En étape 2 : en contexte CTI, avec un défaut de repères situationnels et des interactions entre acteurs en situation à différents niveaux de responsabilité sur site (N-1/N sur site) insuffisantes, cela rend impossible l’interprétation de la situation et donc la construction de sens ce qui nuit à l’efficacité de la décision rapprochant l’organisation du SIC. En étape 3 : en contexte CTI, en l’absence de repères situationnels, quand les interactions entre les acteurs en situation à différents niveaux de responsabilité sur site (N-1/N sur site) sont insuffisantes cela entraîne une impossibilité d’interpréter les signaux pour construire du sens ce qui nuit à l’efficacité de la décision et rapproche l’organisation du SIC.
Séquence clé 3 : Divergence de points de vue sur priorités unité 1 Vs unité 2
Tableau 7
Caractérisation de la séquence clé 3
Les évènements décrits de cette séquence (Annexe 2) font ressortir la grille d’analyse suivante :
Commentaires séquence 3 (Tab. 8) : Dans la nuit du 11 au 12 mars, le directeur (N) sur site interagit avec ses équipes (N et N-1) sur site pour qu’ils réfléchissent ensemble sur le problème de pression qu’ils ne comprennent pas. Les interactions fonctionnent entre les acteurs sur site (N) mais certaines informations restent uniquement au niveau du site (N) « Il y a des choses qui étaient relayées et puis d’autres... Par exemple, je suis ici. Les collaborateurs viennent au rapport ici. On échange sur ce qui se passe. Ça, ça ne passe pas dans le micro. Ensuite, dans le cadre officiel de surveillance, on fera un rapport...encore à part. (p.137) …Mais la radioactivité était trop forte pour qu’on puisse entrer. Et c’est là qu’enfin on s’est rendu compte à quel point c’était difficile. Mais on n’arrivait pas à faire passer le message au siège ou à Tokyo.... Eux se contentaient de dire faites vite, faites vite. …C’est là où il y a un réel décalage entre ceux qui sont véritablement sur le terrain, ceux qui sont quand même proches du terrain, comme la cellule de crise, et ceux qui sont vraiment loin du terrain, par exemple le siège. (p.138) ». Il y a eu un décalage de représentation de la situation entre les acteurs du siège (N+1 hors site) qui annoncent en conférence de presse que l’état du réacteur 2 était plus préoccupant alors que sur site, le directeur et ses équipes (Niveau N) se disent qu’au vu des données, la situation du réacteur 1 est plus critique. Ils communiquent au siège (N+1, hors site) sur ce point mais du fait d’une situation qui évoluait très vite, il y a eu un décalage sur la représentation de la situation entre les acteurs sur site et hors site. Il y a bien eu des interactions du directeur N sur site vers les opérateurs N-1 sur site, relatives aux priorités concernant par exemple la sécurité des opérateurs (interdiction de s’approcher du réacteur 1) mais aussi sur la priorité à donner à l’unité 2 par rapport à l’unité 1. Par contre, il y a eu un réel décalage entre la représentation de N+1 hors site et celle du directeur N. La décision prise par ce dernier, qui allait à l’encontre de ce que demandait le niveau N+1 a dans les faits permis de s’écarter du seuil d’irréversibilité critique. Les interactions descendantes entre acteurs en situation sur le site, du directeur (N) vers les opérateurs (N-1, sur site) fonctionnaient par rapport aux consignes portant sur le problème devenu global. Les interactions horizontales entre le directeur (N) et la cellule de crise (N) en situation fonctionnaient aussi pour envisager des solutions au problème de refroidissement. Face à la pluralité des informations sur l’état des 5 réacteurs, le directeur (N) sur site 1) a fait un état de situation en scannant les points de vulnérabilités et l’allocation des ressources sur les priorités liées au refroidissement des réacteurs, 2) a interagi avec la cellule de crise (N) sur site pour envisager différentes solutions et 3) a sollicité les experts de la cellule de crise (N sur site). Le directeur (N) a interagi sur le problème (devenant un problème élargi) avec la cellule de crise (N) pour permettre la construction du sens à l’aide de repères situationnels, pour compenser les biais et avoir la « Big Picture » sur la situation. Mais face aux divergences d’opinions sur les priorités et l’allocation des ressources entre N (sur site) et N+1 hors site, le Directeur a cessé d’interagir avec le niveau N+1 hors site expliquant que ces interactions l’empêchaient de se concentrer sur les actions à mener venant bruiter l’interprétation des signaux situationnels pour construire du sens.
Relevé des interactions séquence 3 : La grille d’analyse des variables (Tab. 8) présente ce qu’il ressort de cette séquence 3, avec différenciation des niveaux hiérarchiques : en contexte CTI, il y a eu nécessité, pour le directeur, d’interrompre les interactions avec les niveaux hiérarchiques supérieurs (N+1) car cela introduit du « bruit ». Par contre, quand les interactions entre acteurs en situation à niveaux de responsabilité différents ou équivalents fonctionnent sur site (N-1/N sur site) et s’appuient sur des repères situationnels fiables, cela rend possible leur interprétation et donc une possibilité de construire du sens ce qui favorise l’efficacité de la décision et éloigne l’organisation du seuil d’irréversibilité critique.
Discussion et principaux enseignements tirés
Cette discussion s’organisera autour de deux principales thématiques; tout d’abord ce qui peut être retiré de l’analyse des interactions en contexte CTI, puis ce que nous enseigne le cas Fukushima sur la prise de décision en contexte CTI pouvant faire l’objet de recherches futures.
Tableau 8
Grille d’analyse de la séquence 3 à partir des variables étudiées
Les interactions dans des contextes CTI
Par rapport au questionnement sur le cadre théorique du sensemaking (Weick, 1993), les interactions en situation CTI, même si elles peuvent être sources de fiabilité dans la prise de décision, ne permettent pas toujours de construire du sens et peuvent même venir bruiter la compréhension de la situation pour le décideur. Ces interactions sont ainsi abordées à travers 3 configurations : une 1ère configuration relative aux difficultés d’interagir entre niveaux N-1 et N liée à la difficulté d’identifier des repères situationnels robustes. Une 2ème configuration concerne les interactions entre niveaux N-1 et N lorsque existent des repères situationnels robustes et une 3ème configuration relevant des possibilités d’interagir entre niveaux N et N+ 1 mais avec des divergences sur la hiérarchisation des priorités.
Configuration 1 : difficultés d’interagir entre niveaux N-1 et N et mobilisation de repères situationnels peu robustes
L’analyse du cas de Fukushima révèle que pour les acteurs des niveaux N-1 et N présents sur le site, les interactions ne sont pas systématiquement en présentiel : le décideur étant situé dans la cellule de crise, armée au sein de la centrale, est à distance des différents réacteurs de la centrale qu’il ne voit pas. La représentation qu’il se fait de la situation dépend donc des informations qui lui sont fournies par les différents tableaux de bords de la cellule de crise et par les acteurs opérationnels (N-1). Ces derniers interagissent avec le Directeur (N) parfois en présentiel dans la cellule de crise, mais le plus souvent ces interactions se font à distance et de façon discontinue, les opérationnels étant au plus près des réacteurs. Les interactions permettent donc au décideur de reconstruire mentalement du sens uniquement si 1) les opérationnels N-1 peuvent lui transmettre des informations et 2) si les informations transmises reposent sur des repères situationnels robustes puisque le Directeur ne dispose ni d’éléments visuels, ni d’éléments sonores concernant le déroulement réel de la situation. Les résultats de la séquence 0 mettent ainsi en avant une perte totale de repères et en même temps de nombreux aléas dans les interactions entre acteurs de niveau N-1 et N. Ces 2 points rendent impossible la construction de sens pour le décideur. Pour les séquences 1 et 2 (étapes 2 et 3), les défauts d’interactions entre acteurs en situation perturbent également la possibilité de construire du sens et lorsque ces interactions deviennent possibles (souvent du fait de processus de bricolage des acteurs), la difficulté à identifier les repères situationnels robustes va finalement compromettre la construction du sens et la possibilité de prendre une décision adaptée à la situation. Ces éléments viennent donc nuancer l’approche sensemaking de Weick (1993) considérant les interactions comme sources de fiabilité; ils montrent en effet d’une part que les interactions ne sont pas toujours possibles selon les caractéristiques de la situation, d’autre part qu’elles ne se font pas toujours en présentiel, et enfin que lorsque ces interactions sont possibles, un défaut d’identification voire de transmission de repères situationnels robustes nuit à la possibilité de construire du sens.
Configuration 2 : possibilités d’interagir entre niveaux N-1 et N et repères situationnels robustes
Les résultats d’analyse de la séquence 3 révèlent l’importance des interactions entre les acteurs en situation (N-1) qui travaillent sur des périmètres d’intervention restreints avec les acteurs de niveaux N. Ces interactions ont en effet permis au décideur (N) d’élargir le champ de vision pour tendre vers une Big Picture grâce à l’interprétation de repères situationnels transmis par les acteurs en situation (N-1). Plus précisément, le Directeur (N) a sollicité les experts de la cellule de crise (N en situation), lesquels avec l’aide de repères situationnels transmis par les opérateurs du site (N-1), vont rendre possible la construction de sens (Laroche, Steyer, 2012). Cela a conduit à une décision efficace du Directeur (N) dans un contexte d’incertitude (radioactivité inexplicablement élevée) et de complexité. L’ensemble des éléments relatifs aux configurations 1 et 2 nous conduisent à formuler la proposition suivante :
Proposition 1 : En situation CTI, au sein d’une HRO fonctionnant en mode dégradé avec un risque élevé d’irréversibilité critique, la possibilité de construire du sens pour un décideur est contingentée d’une part par l’existence d’interactions qui fonctionnent en priorité avec d’autres acteurs en situation (niveau N-1 et N) et d’autre part par la transmission par ces derniers de repères situationnels robustes.
En effet, bien que présent sur site, le décideur est dans la cellule de crise et de ce fait ne voit pas directement ce qui se passe, n’entend pas et n’interagit pas nécessairement en présentiel et de façon continue avec ses collaborateurs. Il doit donc reconstruire mentalement la situation de crise à partir des informations qui lui sont transmises de façon spontanée ou à sa demande.
Configuration 3 : Possibilités d’interagir entre niveau N et N+1 et divergence sur la hiérarchisation des priorités
Les résultats de la séquence 3 soulignent que les interactions peuvent venir perturber la possibilité de construire du sens pour le décideur en situation (N) car elles peuvent donner lieu à des conflits dans la prise de décision notamment entre des acteurs qui ne sont pas en situation et qui relèvent de niveaux de responsabilité supérieurs (Niveau N+1/N+2 hors site). À titre d’illustration, les résultats de la séquence 3 montrent que les interactions entre le comité de direction - CEO et 1er ministre (Niveau N+1, N+2) - et le Directeur (N) sont venues bruiter la gestion de la situation par le Directeur de la centrale (N) du fait de désaccords sur les prises de décision portant sur les priorités à suivre et l’allocation des ressources (p. 193, « bruits parasites »). Cela explique les interruptions volontaires par le Directeur (niveau N sur site) avec les acteurs hors site et de niveaux N+1 et N+2. Ces résultats nuancent l’apport des interactions en situation de crise en mettant en évidence que les interactions, au sein de la ligne hiérarchique, peuvent aussi venir perturber la capacité du ou des décideurs à construire du sens. Ceci est d’autant plus sensible quand l’objet de ces différends entre niveaux hiérarchiques (N, N+1, N+2) portent sur la définition des priorités, l’allocation/réallocation des ressources et/ou sur le choix des modes opératoires permettant de faire face à la crise et d’éviter des irréversibilités critiques dans un contexte où l’urgence nécessite une prise de décision rapide, seul moyen de s’écarter du seuil d’irréversibilité critique et d’éviter de provoquer des conséquences catastrophiques. Ces éléments nous conduisent à formuler la proposition suivante :
Proposition 2 : En situation CTI, au sein d’une HRO fonctionnant en mode dégradé avec un risque élevé d’irréversibilité critique, les processus d’interactions entre acteurs de niveaux hiérarchiques différents et qui ne sont pas tous en situation peuvent venir perturber plutôt que favoriser la construction de sens du décideur qui est en situation et nuire à la fiabilité de ses décisions.
L’émergence de méta règles au service du processus décisionnel
L’étude des différentes séquences met aussi en avant que le Directeur, face aux difficultés qu’il a rencontrées, réévalue constamment sa stratégie de sélection et de traitement des signaux (repères situationnels). Il construit ainsi progressivement ce que nous proposons d’appeler une approche méta cognitive. Cette cognition sur la cognition permet d’élaborer progressivement des méta règles (Cox, 2005). Ces dernières favorisent le développement d’une vision holistique et globale de la situation - une « Big Picture » - en situation d’urgence. Cette méta cognition serait ainsi susceptible d’aider les décideurs à identifier et à répondre rapidement aux problèmes critiques émergents en contexte CTI. L’étude des différentes séquences du cas Fukushima - depuis la séquence 0 jusqu’à la séquence 3 - souligne en effet que le Directeur de la Centrale se rend progressivement compte que le mode de décision qu’il mobilise ne lui permet pas d’avoir l’intelligence de la situation. Pour éviter un effondrement de sens, il développe progressivement une approche méta cognitive qui le conduit à définir des méta règles qui régissent un ensemble de règles de niveau inférieur. L’étude de cas met en avant que ce mode de décision émergent correspond à un processus de décision, sous la forme d’un processus continu (cf Tab.9) s’organisant autour de trois dimensions :
Si les caractéristiques de cette construction émergente devront être confirmées et étayées par de futures recherches notamment par l’étude d’autres cas extrêmes et si possible à partir du recueil de témoignages d’acteurs relevant de différents niveaux hiérarchiques étoffant la compréhension du phénomène étudié, elles nous amènent aussi à suggérer la proposition suivante :
Proposition 3 : En situation CTI, au sein d’une HRO fonctionnant en mode dégradé, la mobilisation de méta règles (suivant un processus continu) atténue le risque d’effondrement de sens et facilite l’identification et la hiérarchisation plus rapide de repères situationnels pertinents et fiables.
Tableau 9
Dimensions du processus de décision émergent relatif aux méta règles (avec illustrations)
Conclusion
En situation d’incertitude, la capacité pour un décideur d’interagir avec d’autres acteurs est considérée comme une caractéristique centrale de fiabilité dans la prise de décision permettant de co-construire une intelligence de la situation (Weick, Roberts, 1993). Ce papier propose d’approfondir cette proposition dans le cas des situations à niveau élevé de complexité, de pression de temps et avec un risque d’irréversibilité critique (situations CTI). Plus précisément, notre recherche cherche à comprendre sous quelles conditions les interactions entre les différents niveaux d’une chaîne hiérarchique peuvent être sources de fiabilité ou au contraire venir perturber le processus de sensemaking et finalement nuire à la fiabilité de la prise de décision en situation CTI au sein d’une HRO. Nos travaux mettent ainsi en avant que d’une part, en situation CTI, les interactions ne sont pas toujours matériellement possibles. D’autre part, ces interactions ne se font pas toujours en présentiel, ni de façon continue. La co-construction de sens entre plusieurs acteurs s’en trouve ainsi affectée. Dans ce processus, lorsque les interactions sont effectivement activées et qu’elles se font en distanciel, elles risquent de générer une division du travail entre les opérationnels et le ou les décideurs. En effet, les acteurs opérationnels peuvent prendre des décisions relevant de leur domaine d’intervention; les échanges avec le niveau N ne se faisant pas toujours de façon continue, ils peuvent transmettre des informations à la demande expresse du décideur mais ils peuvent aussi décider de transmettre (ou pas) certaines informations relevant de leurs prises d’initiative. Le processus d’interactions étant discontinu, les acteurs opérationnels peuvent aussi oublier de transmettre des informations qui peuvent se révéler par la suite, essentielles. Or le décideur se doit d’agréger ces informations pour avoir une intelligence globale de la situation (Big Picture) qui lui permettra de définir ses priorités et affecter des ressources. Rappelons qu’en situation de crise, le décideur se trouve le plus souvent dans la cellule de crise, il n’interagit donc pas toujours en présentiel avec les opérateurs (N-1) qui sont les seuls à voir et entendre ce qui se passe au plus près de la situation : seule la robustesse des informations transmises à sa demande ou de façon spontanée conditionne sa compréhension de la situation. Enfin, les interactions du décideur (N) avec le niveau hiérarchique supérieur peuvent traduire de profondes divergences sur la hiérarchisation des problèmes à résoudre, l’affectation des ressources et donc les décisions à prendre. Le cas de Fukushima étudié est un bel exemple de ces tensions. L’étude du processus de sensemaking suppose donc d’étudier finement les caractéristiques des interactions entre les différentes composantes de la chaîne hiérarchique dans la mesure où elles ne se font pas toujours en présentiel et peuvent être de plus discontinues. Elles ne conduisent donc pas systématiquement et nécessairement à une même représentation de la situation à gérer dans l’urgence entre les différents niveaux de la ligne hiérarchique. Cet article comporte évidement des limites principalement du fait qu’il s’agit d’un seul cas d’étude et d’une seule source de données provenant du Directeur de la Centrale. Les données collectées et leurs interprétations doivent donc être interprétées avec prudence. Plusieurs interrogations restent notamment en suspens concernant les prises de décisions critiques du Directeur, celles qui concernaient de possibles points d’inflexion dans la gestion de la crise. Ainsi quelles ont été à ces moments-là les interactions entre le Directeur de la centrale et son cercle de proximité notamment les membres de la cellule de crise ? Quels étaient les contenus de ces interactions ? Y avait-il convergence/divergence sur le diagnostic des décisions à prendre en urgence ? Le poids du déshonneur lié à l’échec a-t-il conduit le Directeur à omettre des divergences d’opinions ? Ces interactions ne sont pas précisément détaillées dans les comptes rendus du Directeur de la centrale et cela est surprenant. Plusieurs conjectures peuvent ici être formulées. Tout d’abord, le Directeur a pu avoir une stratégie de protection de ses collaborateurs en endossant seul la responsabilité de décisions qui ont pu être contraires à ce que lui demandait sa direction générale; dans ce cas, sa restitution serait partielle et ne rendrait pas compte de la production collective de sens. Il est cependant tout aussi envisageable que le rapport à l’autorité de la culture japonaise ne favorise pas cet échange du Directeur avec ses collaborateurs notamment quand il s’agit de décisions critiques. Cette deuxième conjecture soulignerait alors que la construction de sens et les décisions qui en ont découlées sont syncrétiques au cas étudié, inscrit dans la culture japonaise. Enfin, le rapport ayant été commandé par le chef de l’exécutif japonais, le Directeur aurait pu omettre certaines informations. Cela signifierait donc que des enjeux politiques sont venus biaiser la restitution des informations. Cette troisième conjecture doit néanmoins être nuancée car les analyses du Directeur sont très critiques sur les décisions qui lui étaient proposées par le CEO de l’entreprise exploitante TEPCO, les divers experts mandatés et le bureau du Premier ministre Japonais. Parmi les limites aussi à évoquer, la mobilisation d’un cadre conceptuel peut s’apparenter à un instrument de centration et de délimitation. Mais il ne fonctionne pas non plus systématiquement comme des oeillères (Miles et Huberman, 2003, p.46) car les chercheurs peuvent revoir leurs cadres conceptuels, les préciser et permettre l’émergence de nouveaux cadres conceptuels (Smith et Keith, 1971) ce qui a été le cas dans cette étude. Ce travail ouvre enfin des voies de recherche futures notamment sur l’importance des processus de méta cognition dans la gestion des situations CTI comme sur le rôle que pourraient avoir les méta-règles, pour un décideur face au risque d’effondrement de sens et d’irréversibilité critique. Cet article souligne donc également l’intérêt d’étudier plus finement les possibilités et limites de mise en place de boucles de décisions plus courtes en contexte CTI, donnant plus d’autonomie aux acteurs locaux pour qu’ils puissent prendre des initiatives et agir plus rapidement. Cependant, donner une autonomie totale des acteurs locaux est difficilement envisageable. L’enjeu central est donc d’arriver à préciser les domaines dans lesquels les prises d’initiatives locales sont possibles tout en bornant cette prise d’initiative sur des points clés. Le maintien d’un dialogue sur ces points clés entre les acteurs locaux et le décideur reste un enjeu majeur, ce dialogue permettant en effet de garder une cohérence globale à l’action ainsi que de nourrir la « Big Picture » du décideur.
Appendices
Notes biographiques
Dr Sophie Le Bris est maître de conférences en sciences de gestion à l’Université de Bretagne Occidentale après 16 années passées à l’École navale en tant que responsable de la formation académique au leadership. Elle mène des activités de recherche sur la prise de décision dans des contextes de crise sur des terrains d’études variés mais liés à des enjeux de prise de décision et de fiabilité (militaire, médical, nucléaire…). Elle est titulaire de la chaire Résilience et LeaderShip depuis sa création en 2018. Elle est depuis 2022, responsable adjointe du laboratoire LEGO sur le site de Brest.
Dr. Dominique Philippe Martin est Professeur Émérite à l’IAE de l’Université de Rennes (France) et membre du CREM - UMR CNRS 6211. Ses recherches portent sur les domaines de la prise de décision et du leadership dans des environnements complexes, de la stratégie et du transfert de connaissances des universités. Il est actuellement conseiller scientifique de la chaire « Leadership & Resilience ». Il a publié dans des revues de gestion en anglais et en français, notamment dans Technological Forecasting and Social Change, Review of Managerial Science, Journal of High Technology Management Research, Finance Contrôle Stratégie, Revue de Gestion des Ressources Humaines.
Notes
-
[1]
Le seuil d’irréversibilité critique correspond au seuil au-delà duquel 1) l’intégrité du système piloté est remise en cause ce qui 2) neutralise la capacité de toute action future du décideur sur le pilotage de ce système.
-
[2]
L’Annexe 4 donne une illustration de la structure utilisée comme grille d’analyse des données
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Appendices
Biographical notes
Dr Sophie Le Bris is an Associate Professor in Management Sciences at the University of Western Brittany (France) after 16 years at the French Naval Academy, where she was in charge of the academic leadership training. Sophie Le Bris conducts research on decision-making in crisis situations in a variety of fields, all of which are linked to decision-making and reliability issues (military, medical, nuclear, etc.). She has held the Resilience and LeaderShip chair since its creation in 2018. Since 2022, she has been deputy head of the LEGO laboratory at the Brest site.
Dr Dominique Philippe Martin is Emeritus Professor at the School of Business and Administration of Rennes University (France) and member of the research laboratory CREM – UMR CNRS 6211. His research covers the areas of decision-making and leadership in complex environments, strategy and knowledge transfer from Universities. He is scientific adviser of the “Leadership & Resilience” chair and has published in English and French management journals in particular in Technological Forecasting and Social Change, Review of Managerial Science, Journal of High Technology Management Research, Finance Contrôle Stratégie, Revue de Gestion des Ressources Humaines.
Appendices
Notas biograficas
El Dr. Sophie Le Bris es profesora titular de Ciencias Empresariales en la Université de Bretagne Occidentale. Tras tras 16 años en la École navale como responsable de la formación académica en liderazgo. Sophie Le Bris investiga sobre la toma de decisiones, normalmente en situaciones de crisis, en diversos campos relacionados con la toma de decisiones y las cuestiones de fiabilidad (militar, médico, nuclear, etc.). Ocupa la cátedra Resilience and LeaderShip desde su creación en 2018. Desde 2022, es jefa adjunta del laboratorio LEGO en la sede de Brest.
El Dr. Dominique Philippe Martin es Catedrático Emérito del IAE (Instituto de Administración de Empresas) de la Universidad de Rennes (Francia) y miembro del laboratorio de investigación CREM – UMR CNRS 6211. Su investigación abarca la toma de decisiones y liderazgo en entornos complejos, la estrategia, y la transferencia de conocimiento de universidades a empresas. Es asesor científico de la cátedra “Liderazgo y Resiliencia” y ha publicado en revistas de gestión en inglés y francés, especialmente en Technological Forecasting and Social Change, Review of Managerial Science, Journal of High Technology Management Research, Finance Contrôle Stratégie, Revue de Gestion des Ressources Humaines.
List of figures
Figure 1
Caractérisation d’une séquence clé
List of tables
Tableau 1
Caractérisation de la séquence clé 0
Tableau 2
Grille d’analyse de la séquence 0 à partir des variables étudiées
Tableau 3
Caractérisation de la séquence clé 1
Tableau 4
Grille d’analyse de la séquence 1 à partir des variables étudiées
Tableau 5
Caractérisation de la séquence clé 2
Tableau 6
Grille d’analyse de la séquence 2 à partir des variables étudiées
Tableau 7
Caractérisation de la séquence clé 3
Tableau 8
Grille d’analyse de la séquence 3 à partir des variables étudiées
Tableau 9
Dimensions du processus de décision émergent relatif aux méta règles (avec illustrations)