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En juin 1972, à l’initiative de la Suède, l’Organisation des Nations Unies organisait la première conférence pour l’environnement. De cette manifestation désormais connue sous le nom de Conférence de Stockholm était ressortie une liste de huit constats et de vingt-six principes qui constituent, aujourd’hui encore, une feuille de route à l’adresse non seulement des États mais également des organisations publiques ou privées. La mise en cause des activités industrielles dans la dégradation de l’environnement apparaît notamment dans le quatrième constat en ces termes : « dans les pays industrialisés, les problèmes de l’environnement sont généralement liés à l’industrialisation et au développement des techniques ». Parmi les principes, en lien avec notre étude, nous portons notre attention sur le quatorzième et le quinzième : ceux-ci mettent en exergue le rôle de la rationalisation et de la planification afin de parvenir à des actions plus efficaces en matière de protection environnementale. Ces principes, consistant pour les acteurs à se fixer des objectifs précis puis à mesurer régulièrement les progrès accomplis dans leur réalisation, ont été par la suite renforcés par les accords de Kyoto (1997) puis ceux de Paris (2015). L’heure n’est ainsi plus aux intentions et aux initiatives éparses, mais à une action volontariste, à la fois coordonnée et efficace. A cet égard, la norme ISO 26000 fournit un cadre d’actions à l’usage des organisations dont l’ambition est d’oeuvrer pour le bien commun en limitant leur impact environnemental tout en préservant les conditions de leur prospérité. Capron et Quairel-Lanoizelée (2016) estiment que les lignes directrices définies pour l’application de cette norme offrent l’avantage de donner la possibilité de concilier les visions Anglo-saxonne et Européenne de la responsabilité sociétale des entreprises. Capron et Quairel-Lanoizelée (2016) indiquant que cette conciliation repose sur le fait que « la référence au développement durable satisfera les Européens, tandis que la référence à l’éthique sera approuvée par les Américains » (p. 21). Quittant la scène morale pour se concentrer sur une approche opératoire, l’évaluation des performances apparaît désormais comme l’un des leviers majeurs dans la lutte contre le changement climatique. Au niveau des organisations, la limitation des externalités négatives en matière d’environnement est de plus en plus souvent intégrée au coeur de leur stratégie au titre de leur responsabilité sociétale (Havard & Ingham, 2018; Roy, Boiral & Paillé, 2013; Schill et al., 2018). Concrètement, des organisations de plus en plus nombreuses se donnent pour objectif de réduire leur empreinte carbone. En France, par exemple, l’ADEME, en lien avec les politiques publiques mais aussi pour répondre aux initiatives spécifiques de certaines organisations, propose une méthodologie visant à mesurer ses émissions carbones, à se fixer des objectifs et à mettre en place un plan d’actions planifiées (bilans-ges.ademe.fr).

Les services RH jouent un rôle crucial dans la mise en oeuvre de ces démarches pro-environnementales (Amrutha & Geetha, 2020; Havard & Ingham, 2018). Ceux-ci ont pour mission de décliner ces objectifs stratégiques environnementaux au niveau des différents salariés. De nouvelles pratiques sont ainsi développées afin de favoriser leur participation aux actions environnementales de leur organisation. La présente étude se situe dans le prolongement d’une série de travaux relativement récents sur les effets de la GRH pro-environnementale sur les comportements pro-environnementaux des salariés (Renwick, Redman & Maguire, 2013; Tang et al., 2018). Ces recherches se réfèrent pour la plupart à la théorie des échanges sociaux (Blau, 1964) dans le cadre de laquelle les comportements pro-environnementaux constituent une forme de réciprocité face à des pratiques RH perçues comme une forme de soutien de la part de l’organisation (Cantor, Morrow & Montabon, 2012; Lamm, Tosti-Kharas & King, 2015; Ramus & Killmer, 2007). Ces recherches ont surtout mis en avant des formes d’autonomie et d’encouragements visant à permettre aux salariés d’entreprendre leurs propres actions sous la forme d’initiatives individuelles (Gatignon-Turnau, Puech & Fabre, 2018; Ramus & Killmer, 2007). Or, sans coordination et sans suivi, ces actions en restent bien souvent au stade de quelques initiatives ponctuelles et éparses sur la base desquelles le projet stratégique environnemental de l’organisation s’essouffle rapidement (Milliman & Clair, 1996).

Notre recherche a pour objectif de montrer le rôle crucial de ces pratiques RH, relativement peu étudiées, visant à évaluer des performances individuelles et collectives en matière de protection environnementale. Définies et mesurées par Tang et al. (2018) sur la base des premiers travaux de Jackson et al. (2011), de Renwick et al. (2013) et de Zibbaras et Coan (2015), celles-ci consistent à la fois à établir des objectifs individuels et collectifs et à mesurer leur degré de réalisation. Les systèmes d’évaluation ont effectivement pour objectif d’améliorer les performances à travers un retour d’information sur l’efficacité des efforts jusque-là entrepris, ce feedback participant au renforcement des apprentissages et des motivations (Bazer & Sulsky, 1990). La méta-analyse de Pichler (2012) montre cependant que l’intégration de ces pratiques d’évaluation au sein des systèmes d’échanges sociaux entre le salarié et son organisation dépend du contexte social et de la qualité des relations entre l’évaluateur et l’évalué. Suivant les travaux en GRH pro-environnementale, nous intégrons la qualité de la relation entre évaluateur et évalué tout d’abord en termes de soutien organisationnel aux initiatives environnementales (Cantor et al., 2012; Lamm et al., 2015), puis en termes de soutien par ailleurs apporté par le supérieur à ces mêmes initiatives (Cantor, Morrow & Blackhurst, 2015; Paillé et al., 2019; Ramus & Steger, 2000). Notre modèle de recherche intègre le soutien de l’organisation en tant que transformation médiatrice suivant laquelle le salarié rejoint les orientations stratégiques de cette dernière. Notre modèle inclut ensuite le soutien du supérieur comme une condition utile, voire nécessaire, pour que cette articulation des performances organisationnelles et individuelles devienne effective. Nous parlons d’une médiation modérée au sens défini par Hayes (2018).

Notre recherche s’appuie sur les réponses d’un échantillon composé de 384 salariés français caractérisés par un maximum de diversité sociodémographique et issus d’organisations variées. C’est, à notre connaissance, la première fois qu’une étude sur les comportements pro-environnementaux est menée auprès d’une population française. Nous soulevons ce faisant la question des contingences culturelles. Les variables étudiées pourraient être liées à certaines façons de penser, de parler et d’agir propres à la culture nationale ainsi considérée. C’est pourquoi nous conclurons nos analyses par une mise en perspective des résultats obtenus par rapport aux caractéristiques de la culture française. Nous questionnerons ainsi les limites de notre recherche en termes de généralisabilité de nos résultats, tout en ouvrant la réflexion pour de futures recherches sur la dimension culturelle des comportements pro-environnementaux.

Nous commençons par une présentation de la littérature sur la GRH pro-environnementale, avec un focus sur l’évaluation, puis définissons les soutiens permettant d’inscrire cette dernière dans le cadre des échanges sociaux. Nous présentons notre méthode et nos résultats, puis prolongeons la discussion sur l’importance pour les organisations de fixer à leurs salariés des objectifs environnementaux spécifiques et de mesurer leur réalisation afin de passer à un niveau supérieur de concrétisation de leurs intentions stratégiques en la matière.

Revue de littérature et hypothèses

Evaluation, soutien organisationnel et comportements proenvironnementaux

La réalisation des stratégies organisationnelles en matière de protection de l’environnement passe par leur déclinaison sur le terrain au niveau de chaque service et chaque poste (Ramus & Killmer, 2007). La pleine participation de chaque salarié est considérée comme nécessaire pour produire des résultats significatifs (Remmen & Lorentzen, 2000). La recherche en GRH pro-environnementale utilise différents termes pour désigner le comportement des salariés consistant à contribuer volontairement à la protection de l’environnement : comportement de citoyenneté organisationnelle pour l’environnement, comportement pro-environnemental au travail, comportement environnemental, comportement environnemental volontaire sur le lieu de travail ou éco-initiatives. Dans le cadre de cette étude, nous retenons le terme de comportement pro-environnemental, cette terminologie nous apparaissant comme la plus neutre conceptuellement. Boiral et Paillé (2012) ont constaté un fort consensus au sein de cette littérature concernant le caractère individuel et discrétionnaire de ces comportements. Ces auteurs identifient trois types de comportements associés : les éco-initiatives, définies comme des comportements discrétionnaires et des suggestions pour améliorer les pratiques et les performances environnementales; l’engagement éco-civique, qui correspond à la participation volontaire aux programmes et activités environnementales de l’organisation, et l’éco-assistance, se référant à la volonté d’aider les collègues à mieux intégrer les considérations environnementales dans leur travail.

La GRH met en oeuvre la stratégie de l’entreprise en matière de protection de l’environnement en incitant les salariés à adopter les comportements pro-environnementaux ci-dessus décrits. Une littérature principalement anglo-saxonne s’est développée autour de ce principe (Renwick et al., 2013, 2016; Tang et al., 2018) : la GRH pro-environnementale consiste à intégrer les problématiques environnementales tout au long du cycle d’emploi des salariés (Zibarras & Coan, 2015). De l’embauche à la fidélisation, cette GRH met l’accent sur l’amélioration de la capacité et des motivations à participer au projet de leur organisation en matière d’environnement (Jabbour, Santos & Nagano, 2010; Renwick et al., 2013). Cette participation, permise par l’autonomie et la responsabilisation, repose sur les connaissances tacites qu’ont les salariés des processus de production (Boiral & Paillé, 2012), sur leurs suggestions d’amélioration (Govindarajulu & Daily, 2004) et sur les pressions qu’ils exercent sur leur organisation pour qu’elle réponde aux enjeux écologiques (Berry et Rondinelli, 1998).

Notre étude se focalise sur les pratiques d’évaluation des performances environnementales. Ces pratiques font partie, avec quelques autres comme les systèmes de récompense (Jabbour et al., 2010), des pratiques RH pro-environnementales les moins étudiées. En effet, de façon relativement implicite, la littérature sur la GRH pro-environnementale a d’abord considéré qu’une fois l’intention environnementale posée au niveau stratégique de l’organisation, l’impulsion devait venir des salariés (Berry & Rondinelli, 1998), l’idée étant de développer une culture organisationnelle favorisant la prise d’initiatives environnementales des salariés (Ramus & Killmer, 2007; Renwick et al., 2013). Suivant cette approche, il n’est pas surprenant que ces pratiques d’évaluation, compte tenu de leur visée plus centralisatrice, n’aient pas, dans un premier temps, suscité autant d’intérêt que les pratiques participatives. L’évaluation des performances environnementales est définie par Tang et al. (2018, p. 4) comme le fait, pour l’organisation, « d’évaluer les résultats environnementaux des salariés tout au long du processus opérationnel de façon à mesurer leur contribution aux objectifs organisationnels ». L’évaluation consiste ainsi à proposer à chaque salarié ou groupe de salariés des objectifs spécifiques visant à décliner sur le terrain les orientations stratégiques organisationnelles. L’évaluation de l’atteinte de ces objectifs permet de responsabiliser les salariés vis-à-vis des conséquences de leurs actions pro-environnementales (Milliman & Clair, 1996). Ces objectifs sont formulés sous la forme d’indicateurs à partir desquels il devient possible d’évaluer les performances, mais aussi les contre-performances de chacun en matière d’environnement. Ces systèmes d’évaluation sont au coeur des meilleures pratiques recensées par Milliman et Clair (1996). Elles figurent dans les inventaires de Renwick et al. (2013) et de Tang et al. (2018), mais leurs effets sur les comportements pro-environnementaux n’ont à ce jour, à notre connaissance, pas encore été empiriquement examinés.

Comme la plupart des pratiques RH pro-environnementales, l’évaluation des performances se situe dans la lignée des pratiques RH à haut potentiel d’engagement (Delaney & Huselid, 1996; Guest, 2001), ces dernières ayant pour fondement la théorie des échanges sociaux. Sur la base des travaux de Mauss (1925), Blau (1964) a établi que l’échange social engendre une obligation personnelle de retourner les dons reçus. Des pratiques RH relativement variées, telles que l’autonomie, la responsabilisation, l’information, la formation ou encore l’équité des récompenses, peuvent être perçues par les salariés comme soutenant leur bien-être, et favorisent des réciprocités sous la forme de comportements allant au-delà des minimas contractuellement établis. Selon Pichler (2012), l’évaluation des performances peut potentiellement s’inscrire dans cette logique d’échange social. Cette évaluation peut ainsi être vue tour à tour comme un élément d’apprentissage et une façon d’améliorer sa performance. La psychologie cognitive montre que la plupart des apprentissages dépendent de feedbacks permettant d’apprendre de ses erreurs et de renforcer les comportements les plus efficaces (Mory, 2004). Cette évaluation formalise le lien entre les efforts investis et les résultats obtenus, ce qui constitue une condition fondamentale des processus motivationnels (Van Eerde & Thierry, 1996). Ces évaluations sont, dans certains cas, reliées à l’équité des récompenses, mais elles peuvent aussi se suffire à elles-mêmes : une évaluation négative peut-être ressentie comme une sanction, une évaluation positive comme une forme de reconnaissance du travail accompli (Jawahar, 2007).

Cependant, la méta-analyse de Pichler (2012) souligne le caractère particulièrement contingent des effets de l’évaluation; il arrive ainsi que cette dernière soit mal acceptée. Pichler (2012) souligne l’importance du contexte social dans lequel les systèmes d’évaluation sont introduits. Dans le cadre de notre recherche, nous intégrons cette acceptation à travers les liens entre les pratiques d’évaluation et leur perception comme un soutien perçu de l’organisation aux initiatives environnementales.

Le soutien organisationnel aux initiatives environnementales est au coeur d’une part importante des recherches sur les effets des pratiques RH pro-environnementales. Les recherches sur la GRH pro-environnementale avaient dans un premier temps utilisé le concept d’Eisenberger et al. (1986), avant d’explorer une forme plus spécifique de soutien organisationnel perçu aux initiatives environnementales. La définition utilisée dans cette recherche est celle de Lamm et al. (2015, p. 209), qui la décrivent comme « la conviction des employés de la valeur de l’organisation pour leurs contributions à la protection de l’environnement ». Selon Cantor et al. (2012), cette forme de soutien organisationnel transmet un signal spécifique et explicite sur la valeur que l’organisation accorde aux comportements pro-environnementaux. Nous nous appuyons sur cette littérature pour affirmer que le soutien organisationnel aux initiatives environnementales repose sur un déplacement de la cible du soutien du bien-être des employés vers les considérations de l’employeur pour la protection de l’environnement (Cantor et al., 2012). Le soutien organisationnel aux initiatives environnementales apparaît ainsi fondamentalement différent du soutien organisationnel au bien-être du salarié développé par Eisenberger et al. (1986) dans la mesure où il inclut l’environnement en tant que tiers bénéficiaire. Cantor et al. (2012) et Lamm et al. (2015) constatent des relations significatives entre ce soutien et les comportements pro-environnementaux.

Combinant l’approche des systèmes d’évaluation des performances de Pichler (2012) en termes d’échanges sociaux et cette relation plus spécifique entre soutien organisationnel et performances environnementales, nous formulons l’hypothèse suivante :

Hypothèse 1. L’évaluation des performances a un effet indirect sur les comportements pro-environnementaux à travers la médiation du soutien organisationnel.

L’effet modérateur positif du soutien du supérieur

L’un des principaux résultats de la méta-analyse de Pichler (2012) sur l’efficacité des dispositifs d’évaluation des performances porte sur le rôle clé joué par le contexte social. Cette indication concerne le contexte organisationnel mais aussi la relation avec le supérieur. De la qualité de cette dernière dépend le sentiment recherché d’obligation mutuelle, de soutien et d’échange de ressources utiles à chacun. Alors que Pichler (2012) aborde la qualité de cette relation en termes d’échange entre leader et membre (LMX), sur la base des recherches actuelles en GRH pro-environnementales (Cantor et al., 2015; Paillé et al. 2019), nous la mesurons en termes de soutien perçu du supérieur aux initiatives environnementales.

Au cours des dernières années, le soutien perçu du superviseur aux initiatives environnementales a reçu presque autant d’attention que le soutien environnemental de l’organisation. S’appuyant sur Bass (1988), l’étude fondamentale de Ramus et Steger (2000) a évoqué l’influence du soutien des superviseurs à l’innovation sur les comportements pro-environnementaux. Cantor et al. (2012, p. 37) définissent plus explicitement et plus spécifiquement ce soutien perçu comme « la conviction de l’employé que le superviseur fournit aux subordonnés les ressources et les commentaires nécessaires pour participer aux initiatives environnementales ». Dans la présente étude, afin de développer une conceptualisation en cohérence avec le soutien de l’organisation aux initiatives environnementales introduit dans le cadre de notre première hypothèse, nous adaptons la définition de Lamm et al. (2015) comme suit : « les croyances spécifiques des employés quant à la valeur que leur superviseur accorde à leur contribution à la protection de l’environnement ». Cantor et al. (2012; 2015) décrivent le superviseur comme un agent social influent jouant un rôle crucial dans la promotion des comportements pro-environnementaux. Paillé et al. (2019) considèrent ce soutien comme une forme d’approbation sociale qui encourage les salariés à prendre des initiatives pour l’environnement, avec un effet sur les comportements pro-environnementaux dépendant de la confiance qu’ils accordent à leur supérieur.

Notre modèle de recherche (figure 1) repose sur l’idée que le soutien du supérieur en matière environnementale constitue une condition pour que la médiation formulée dans notre première hypothèse puisse se réaliser. Nous situons cette médiation sur le second segment de cette médiation, sur la relation entre le soutien organisationnel et les comportements pro-environnementaux. Nous revisitons ainsi une dialectique de longue date évoquée entre les politiques GRH en RH et leur déclinaison locale par le supérieur (Vandenberghe & Bentein, 2009). Cantor et al. (2012) ont montré, d’une part, que la perception du soutien du supérieur a un effet positif sur la perception du soutien organisationnel et, d’autre part, que le soutien organisationnel a un effet sur l’engagement et les comportements environnementaux. Plus récemment, Cantor et al. (2015) ont montré que le soutien du supérieur agit comme médiateur de l’effet de la politique environnementale des organisations sur ces comportements.

Dans le cadre de la présente étude, nous faisons valoir que la politique environnementale et l’invitation du salarié à participer à la protection de l’environnement émanent des niveaux stratégiques de l’organisation et que c’est elle qui suscite une transformation sous la forme d’une adhésion (Lamm et al. 2015; Ramus & Killmer, 2007). Le supérieur apparaît comme un facilitateur (Paillé et al., 2019), son accompagnement conditionne plus qu’il n’initie le projet environnemental. Dans ce sens, la capacité perçue du supérieur à fournir les moyens et les ressources nécessaires est régulièrement pointée dans les recherches comme un facteur critique de l’engagement environnemental des subordonné(e)s (Robertson et Barling, 2015). Il a été démontré que l’engagement pro‑environnemental dans les tâches de travail quotidiennes des employé(e)s est modulé par le soutien environnemental fourni par leurs supérieurs immédiats. Les employé(e)s qui perçoivent un soutien environnemental élevé de leur supérieur s’engagent plus que ceux et celles qui perçoivent un soutien environnemental faible (Han, Wang et Yan, 2019). En conséquence,

Hypothèse 2. Le soutien perçu du supérieur aux initiatives environnementales modère la médiation du soutien de l’organisation entre évaluation des performances et comportements environnementaux des salariés.

Méthodologie

Collecte des données, échantillon et participants

Le recueil des données a été effectué sous la forme d’un « web survey ». Ce type de recueil est selon Callegaro, Manfreda et Vehovar (2015) particulièrement adapté à des modèles de recherche causale tels que le nôtre, le but étant de démontrer que la structure causale identifiée reste constante indépendamment du contexte. Nous avons ainsi cherché à constituer un échantillon de salariés caractérisés par un maximum de diversité sociodémographique, et issus d’organisations les plus variées possibles. Nous avons recouru à des informateurs suivant la méthode dite de la « boule de neige », cette dernière constituant l’une des pratiques les plus fréquentes en matière de web survey (Callegaro et al., 2015). Nous avons ainsi demandé à 75 salariés issus de trois groupes de formation continue en cours du soir de diffuser notre questionnaire auprès de leurs réseaux professionnels et personnels. Une invitation à participer était formulée sous la forme d’un courriel reprenant les objectifs de l’étude, les garanties de confidentialité et un lien vers le questionnaire. De multiples procédures de contrôle ont été mises en place afin de garantir la fiabilité des données ainsi recueillies : en amont, l’emphase a été mise sur la sincérité des réponses, nous avons mis en place une traçabilité des questionnaires par rapport aux informateurs et avons effectué des contrôles post hoc de la vraisemblance des patterns de réponses observés. Les informateurs eux-mêmes ne devaient pas répondre au questionnaire. Nos 75 informateurs nous ont permis d’accéder à 384 répondants, soit un ratio de 5,14. L’échantillon (N = 384) est constitué de répondants travaillant dans des entreprises privées (58,3 %), des organisations publiques (24,7 %) et parapubliques (17,4 %). La moyenne d’âge est de 37,04 ans (écart-type = 8,31) et l’expérience moyenne de présence dans le poste est de 8,1 ans (écart-type = 8,19). L’échantillon est constitué de 56,8 % de femmes et 43,2 % d’hommes. Leur statut est pour 61 % employés, 14 % cadres intermédiaires, et 25 % managers.

Figure 1

Modèle de recherche

Modèle de recherche

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Mesure des concepts

Les pratiques RH d’évaluation des performances environnementales ont été mesurées à l’aide de l’échelle des quatre items de Tang et al. (2018) (α = 0,87, ex. : « Mon organisation nous fixe des objectifs en matière de protection de l’environnement »). Comme pour les autres variables de notre étude, nous avons utilisé une échelle de Lickert à cinq modalités. Dans le cas des pratiques d’évaluation des performances environnementales, la valeur 1 « pas du tout d’accord » correspondait à une absence totale de ces pratiques, les autres modalités indiquant une gradation progressive vers une implémentation complète. Les comportements pro-environnementaux ont été mesurés avec l’échelle à six items de Boiral et Paillé (2012) (α = 0,93, ex. « Je mène volontairement des actions et initiatives en faveur de l’environnement dans le cadre de mes activités de travail au quotidien »). Le soutien organisationnel perçu et le soutien perçu du supérieur aux initiatives environnementales ont été tous les deux mesurés à l’aide des quatre items de l’échelle Lamm et al. (2015) (α = 0,92, ex. : « Mon organisation montre de l’intérêt lorsque ses salariés font des efforts en faveur de l’environnement »; α = 0,94, ex. : « Mon supérieur montre de l’intérêt lorsque je fais des efforts en faveur de l’environnement »).

Analyse des données

L’analyse des données suit trois étapes. La première consiste à s’assurer que les données à partir desquelles sont réalisées les analyses ne sont pas sous l’influence d’un biais de variance commune trop important (Podsakoff et al., 2003). La technique retenue pour vérifier le biais de variance commune dans cette recherche est celle qui consiste à ajouter un facteur latent au modèle de mesure (Eichhorn, 2014).

La deuxième étape consiste à examiner le modèle de mesure. L’objectif est de s’assurer de la consistance interne, de la validité convergente des données ainsi que de leur validité discriminante. Cette étape repose sur un ensemble de préconisations à suivre et définies par Anderson et Gerbing (1988), Fornell et Larcker (1981), Hair et al. (2010) et Hu et Bentler (1995). Les deux premières étapes ont été effectuées avec le logiciel AMOS 19.

La troisième étape consiste à tester le modèle de recherche représenté dans la Figure 1. Ce modèle propose d’examiner dans quelle mesure le soutien environnemental fourni par le supérieur immédiat modère l’effet indirect exercer par les pratiques RH d’évaluation des performances environnementales sur les comportements pro-environnementaux transmis par le soutien environnemental de l’organisation. Plusieurs formes et méthodes d’intégration existent pour tester un effet modérateur dans un contexte de médiation, ou inversement une médiation dans un contexte de modération. Ces différentes méthodes offrent toutes des avantages et des inconvénients (Edwards & Lambert, 2007; Sardeshmukh & Vandenberg, 2017). Dans cette étude, l’analyse des processus conditionnels est privilégiée parce qu’elle permet en même temps de combiner les analyses résultant d’une médiation et d’une modération (Hayes, 2018). Les analyses des processus conditionnels ont été réalisées à l’aide du programme MACRO Process sous SPSS développé par Hayes (voir http://afhayes.com). Ce programme permet de tester une large gamme de modèles différents qui peuvent être sélectionnés en fonction des besoins de la recherche dans la boîte de dialogue dédiée. Dans le cas de la présente recherche il s’agit du model 14 qui permet de tester le degré auquel le modérateur (le soutien environnemental du supérieur immédiat) renforce l’effet indirect (pratiques RH d’évaluation des performances environnementales → soutien environnemental de l’organisation → comportements pro-environnementaux). Dans le cadre des analyses des processus conditionnels, l’effet calculé est un point d’estimation qui est considéré comme significatif lorsqu’il se situe à l’intérieur d’un intervalle de confiance (fixé à 95 % dans le cas de cette recherche) qui ne contient pas la valeur 0.

Résultats

Biais de variance commune

Selon Eichhorn (2014), pour conclure à l’absence d’un biais de variance commune, il faut que le facteur commun ajouté au modèle de mesure contribue à moins de 50 % de la variance expliquée. Pour toutes les variables manifestes, les résultats du modèle de mesure avec inclusion du facteur latent indiquent que la valeur significative de la contribution factorielle du facteur latent sur chaque indicateur du modèle de mesure est de 0,305 (t = 3,98; p < 0,001). La valeur au carré de 0,305 est de 0,093. Ce résultat correspond à une variance du facteur commun de 9,3 % nettement inférieure à 50 %. Nous pouvons ainsi conclure que nos résultats ne sont pas artificiellement surestimés par un biais de variance commune trop élevé.

Modèle de mesure

Le modèle de mesure s’ajuste bien aux données (χ2 (227) = 299,4; p < 0,001, NNFI = 0,96; CFI = 0,97; RMSEA = 0,06) et surpasse largement les autres modèles possibles (tableau 1). La validité convergente des mesures utilisées est confirmée à la fois par les alphas de Cronbach, tous supérieurs à 0,70, et par les indices de variance moyenne extraite, tous supérieurs au seuil 0,50 (tableau 2). Concernant la validité discriminante, les corrélations bilatérales entre les différentes variables du modèle apparaissent modérées, à l’exception de celle entre les deux soutiens qui surpasse légèrement le seuil habituellement retenu de 0,70. Cependant, suivant la procédure établie par Farnell et Larcker (1981), nous constatons que la moyenne des VME des deux variables ((0,74 + 0,80)/2 = 0,77) surpasse le carré de leur corrélation (0,73 × 0,73 = 0,53), nous pouvons ainsi conclure à la validité discriminante de notre modèle.

Tableau 1

Analyse factorielle confirmatoire

Analyse factorielle confirmatoire

Notes : CPE, comportements pro-environnementaux; le Modèle à 4 facteurs correspond au modèle de mesure; Dans le modèle à 1 facteur unique, tous les indicateurs chargent sur le même facteur; Dans le modèle à 2 facteurs, les indicateurs des CPE chargent sur le premier facteur, les indicateurs des deux formes de soutien et des pratiques RH chargent ensemble sur le deuxième facteur; Dans le modèle à 3 facteurs, les indicateurs des deux formes de soutien chargent sur le même facteur; les CPE et la pratique RH d’évaluation chargent sur leur facteur respectif);

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Avant de passer à l’étape de la vérification des hypothèses, nous avons cherché à vérifier si les données étaient normalement distribuées. Pour ce faire, le test de Kolmogorov-Smirnov a été réalisé. Les résultats indiquent que toutes les variables de la recherche présentent une distribution non-normale, car le seuil de significativité est inférieur à.05 (évaluation des performances D(384) =.13, p <.001; soutien environnemental du supérieur D(384) =.13, p <.001; soutien environnemental de l’organisation D(384) =.15, p <.001; comportements pro-environnementaux, D(384) =.13, p <.001).

Tableau 2

Corrélations, variances moyennes extraites et fiabilités internes

Corrélations, variances moyennes extraites et fiabilités internes

Note : ** p < 0,01. CPE, Comportements pro-environnementaux; α, alpha de Cronbach; VME, variance moyenne extraite; la variance partagée est reportée entre parenthèses.

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En conséquence, la méthode d’estimation du maximum de vraisemblance a été retenue pour les analyses subséquentes car cette méthode permet d’obtenir de très bonnes estimations mêmes lorsque les données ne sont pas distribuées normalement (Chou et Bentler, 1995). Egalement, la technique du bootstrapping qui est au coeur du processus des analyses conditionnelles est tout à fait appropriée lorsque les données montrent une distribution non-normale (Edwards et Lambert, 2007).

Test des hypothèses

L’hypothèse 1 suivant laquelle l’effet des pratiques RH d’évaluation des performances sur les comportements pro-environnementaux des employés était transmis par le soutien organisationnel aux initiatives environnementales est vérifiée. L’effet indirect est significatif dans la mesure où l’intervalle de confiance (IC) fixé à 95 % n’inclut pas la valeur 0 (coefficient standardisé = 0,083; erreur standard = 0,032; IC 95 % = 0,070, 0,218). Le test d’inférence réalisé avec le test de Sobel confirme que l’effet indirect est significatif (z = 5,55; SE = 0,03; p < 0,001). En complément, l’effet direct de l’évaluation sur les comportements pro-environnementaux est également significatif (coefficient standardisé = 0,103; erreur standard = 0,048; IC 95 % = 0,075, 0,198).

Tableau 3

Résultats du test de médiation (Hypothèse 1)

Résultats du test de médiation (Hypothèse 1)

Note : VI, variable indépendante; VD, variable dépendante

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Tableau 4

Résultats de la Médiation modérée et du test d’inférence (Hypothèse 2)

Résultats de la Médiation modérée et du test d’inférence (Hypothèse 2)

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L’hypothèse 2 est également validée. Celle-ci indiquait que l’effet indirect posé dans l’hypothèse serait conditionné à un niveau élevé de soutien perçu du supérieur aux initiatives environnementales. Les résultats du modèle 14 de Hayes montrent que l’effet indirect de l’évaluation des performances sur les formations environnementales sur l’engagement environnemental par l’intermédiaire du soutien organisationnel est significativement modéré par le soutien du supérieur. Ainsi l’effet indirect est significatif lorsque le soutien environnemental du supérieur est perçu comme élevé (coefficient standardisé = 0,142; erreur standard = 0,039; IC 95 % = 0,070, 0,218), et non significative lorsque le soutien du supérieur est perçu comme faible (coefficient standardisé = 0,023; erreur standard = 0,039; IC 95 % = -0,055, 0,100).

Figure 2

Représentation de l’effet indirect conditionnel

Représentation de l’effet indirect conditionnel

Représentation de l’effet indirect conditionnel des pratiques d’évaluation sur les comportements pro-environnementaux transmis par le soutien environnemental de l’organisation aux différents niveaux de soutien environnemental perçu du soutien du supérieur immédiat

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Enfin, les résultats de l’hypothèse 2 sont confirmés par l’indice de médiation modérée qui est le test d’inférence approprié mis au point par Hayes (2015) et dont la valeur doit être différente de 0. Le résultat du test démontre que l’effet de la modération médiatisée est significatif (indice = 0,059; erreur standard = 0,021; IC 95 % = 0,018, 0,100). La figure 2 donne une représentation graphique à partir de la technique de Johnson Neyman qui permet d’afficher la région de significativité en plus du point d’estimation (Hayes, 2018). Ainsi, il est visuellement montré que l’effet indirect exercé par l’évaluation des performances perçues sur les comportements pro-environnementaux des employé(e)s par l’entremise du soutien environnemental de l’organisation tend à se renforcer à des niveaux élevés du soutien environnemental du supérieur.

Discussion

L’objectif de cette étude était d’examiner les potentialités de l’évaluation des performances environnementales en prenant en compte, suivant les recommandations de Pichler (2012), le contexte social et relationnel, ici mesuré à travers les soutiens de l’organisation et du supérieur aux initiatives environnementales. Cette étude est, à notre connaissance, la première à tester empiriquement les effets de ces pratiques sur les comportements pro-environnementaux des salariés; la première également à combiner les effets du soutien de l’organisation et de celui du supérieur sous la forme d’une médiation modérée.

Evaluation des performances, soutien et comportements pro‑environnementaux

Le premier intérêt de notre étude porte sur les effets directs et indirects des pratiques RH en lien avec l’évaluation des performances environnementales sur les comportements des salariés. Ce résultat permet de dépasser une conception générale suivant laquelle les comportements pro-environnementaux resteraient de purs comportements de citoyenneté, au sens de Organ (1986). Définis par leur caractère non sanctionnable et non récompensable, ces comportements seraient en quelque sorte non mesurables et, ce faisant, ingérables. Cette approche des comportements pro-environnementaux commence cependant à être débattue, certaines études évoquent la possibilité de coordonner et systématiser les initiatives environnementales des salariés à travers des reconnaissances, voire des récompenses, (Paillé & Meija-Morelos, 2019). Ces approches considèrent ainsi une forme d’entre-deux entre performance in-role et performance extra-role. Notre étude va dans ce sens en montrant que le fait de décliner les objectifs organisationnels en objectifs individuels, puis de donner aux salariés un retour d’information sur leur degré d’accomplissement, peut être tout aussi motivant qu’une totale autonomie (Mory, 2004; Van Eerde & Thierry, 1996). Des approches behavioristes aux approches cognitivistes, le retour d’information est considéré comme une condition importante pour tout apprentissage. C’est pourquoi, il nous semblerait ainsi intéressant, suivant les recommandations de Delaney et Huselid (1996), que de futures recherches examinent, dans le domaine de la protection environnementale, les synergies possibles entre les pratiques d’évaluation et les pratiques en lien avec la formation. D’une façon plus générale, ces pratiques d’évaluation nous situent dans la lignée de ce mouvement visant à inscrire la protection de l’environnement dans le cadre d’actions mieux planifiées et contrôlées afin de servir plus efficacement et durablement cette cause (Milliman & Clair, 1996).

Le second résultat d’intérêt de notre étude est la médiation du soutien organisationnel perçu aux initiatives environnementales. Notre étude montre que l’acceptation des systèmes d’évaluation pro-environnementaux passe par sa perception et son interprétation par le salarié comme une invitation de la part de l’organisation à participer activement à ses orientations stratégiques en matière de protection environnementale. La protection de l’environnement constitue un engagement altruiste (De Dreu & Nauta, 2009). La relation entre l’organisation évaluatrice et le salarié évalué apparaît moins frontale que d’ordinaire (Pichler, 2012) dans la mesure où elle s’inscrit au coeur d’un projet conjoint au service d’une tierce cause. Le soutien organisationnel aux initiatives environnementales (Cantor et al., 2012; Lamm et al., 2015) se révèle ainsi profondément différent du soutien au bien-être des salariés (Eisenberger et al., 1986). L’organisation affichant son soutien aux initiatives fait part de ses attentes, ce soutien constitue une proposition. Cette interprétation et son acceptation par le salarié en tant que soutien constituent une forme d’adhésion au projet environnemental de l’organisation. L’évaluation prend alors le sens d’un moyen au service d’une fin d’efficacité dans la réalisation de cet objectif commun. Ce soutien donné par l’organisation, puis reconnu et accepté comme tel par le salarié, participe, en référence aux travaux de Mauss (1925), à la construction d’un lien social plus intense entre les deux.

Troisièmement, ces liens entre les pratiques RH d’évaluation, le soutien organisationnel aux initiatives environnementales et les comportements pro-environnement requièrent, également, de façon sine qua non, le soutien du supérieur hiérarchique. Le rôle clé du supérieur était présent dès les premiers travaux en GRH pro-environnementale (Ramus & Stegel, 2000). Notre médiation modérée constitue cependant une forme plus explicite des relations entre ce soutien et celui apporté par l’organisation. Ce rôle modérateur plutôt que médiateur du soutien du supérieur repose sur le fait que ce n’est généralement pas le supérieur qui lance le projet environnemental, mais l’organisation. Le supérieur constitue avant tout un intermédiaire supposé relayer la vision, les objectifs et les valeurs de l’organisation qu’il représente (Vandenberghe et Bentein, 2009). L’absence de soutien du supérieur aux initiatives apparaît ainsi comme une rupture dans cette chaîne de transmission. Son retrait, sa non-participation constituent une ambiguïté, une forme de contradiction par rapport à l’ambition affichée au niveau organisationnel. Nos résultats montrent que ce manque de soutien est de nature à démotiver les salariés.

La dimension culturelle de la GRH verte en question

L’un des enjeux de cette étude était d’étendre la recherche sur la GRH verte au sein de la littérature francophone. Nous voulions également élargir l’objet d’étude à la population française. Au terme de ce travail, il nous semble utile d’aborder la question des contingences culturelles. Dans la suite, ces considérations sont abordées selon deux perspectives : d’une part à travers une première mise en perspective de nos résultats par rapport aux résultats d’études ayant utilisé les mêmes outils de mesures auprès d’autres populations; d’autre part en interprétant nos résultats à la lumière des travaux de d’Iribarne (2012) sur les caractéristiques de la culture française concernant les codes éthiques et les modes de management.

Parce que nous avons utilisés des outils préalablement validés dans le cadre de recherches antérieures, nous pouvons établir quelques points de comparaison avec des résultats obtenus avec des échantillons issus d’autres cultures. Concernant le soutien organisationnel perçu aux initiatives environnementales, nous avons obtenu des moyennes similaires à celles identifiées par Lamm et al. (2015) sur un échantillon américain (2,22 contre 2,25). Nos alphas confirment la bonne consistance de ce construit (.93 et 94). Les corrélations entre ce soutien et les comportements pro-environnementaux sont également tout à faire similaires entre ces deux études (0,34 contre 0,28). Cependant, la comparaison reste limitée du fait que ces dernières utilisaient des mesures différentes de cette variable expliquée. De même, notre mesure du soutien du supérieur aux initiatives environnementales s’appuyait sur une application du questionnaire de Lamm et al. (2015) à cette cible, alors que les autres études utilisaient des mesures plus spécifiques. Enfin, la mesure des pratiques d’évaluation utilisée était celle récemment développée et testée par Tang et al. (2018) auprès d’une population chinoise. A ce stade nous pouvons simplement constater la consistance des items à travers des alphas de niveaux similaires (0,84 pour Tang et al., 2018; 0,87 pour notre étude). D’une façon générale, notre modèle dans son ensemble, et plus particulièrement son volet évaluation, n’ont pas encore fait l’objet d’études similaires dans d’autres contextes culturels.

Dans l’attente d’une réplication dans le cadre d’autres cultures, nous pouvons poursuivre l’analyse de la dimension culturelle de nos travaux suivant une approche plus interprétative, nous pouvons confronter nos résultats aux caractéristiques généralement attribuées à la culture française en matière de management et de relation de travail. Les travaux récents de D’Iribarne (2012) offrent une vision ciblée sur les différences entre cultures en matière de management et de GRH, à travers les questions aussi fondamentales que l’autorité, la coopération, la gestion des conflits et la conscience professionnelle. La question des codes éthiques tout d’abord, particulièrement en lien avec la citoyenneté environnementale, est, selon d’Iribarne, abordée de façon différente entre américains et français. Les américains ont tendance à se fondre dans leur communauté de travail et à en partager sans condition les valeurs et les normes. Les Français de leur côté gardent une certaine distance vis-à-vis du collectif, leur participation résulte d’une démarche plus personnelle, pour ne pas dire individuelle. L’application des normes et des règles doit, dans ce contexte, être négociée. Les systèmes d’évaluation apparaissent ainsi quelques peu frontaux dans le contexte français privilégiant l’autonomie. Alors que les américains adoptent une approche essentiellement contractuelle suivant laquelle les contenus du travail sont précisément établis, en France, l’accent est généralement mis sur une délégation permettant au « collaborateur » d’exprimer ses compétences. Nos résultats font sens au regard de ces problématiques avec un soutien aux initiatives environnementales de la part de l’organisation, nécessairement transmis pas la hiérarchie, les deux constituant une façon de négocier et de mieux faire accepter ces nouvelles pratiques plus directives. Ces soutiens « adoucissent » ainsi ces systèmes d’évaluation.

Ces comparaisons et ces interprétations soulèvent, à ce stade, plus de questions qu’elles n’apportent de réponses, appelant ainsi d’autres recherche. Cette dimension culturelle n’a, jusque-là, que peu été prise en compte, la littérature considérant, de façon implicite, une certaine universalité des attitudes et comportements en matière de protection de l’environnement. Or, ces réalités sont en grandes parties liées à des éléments de cognition sociale et à des valeurs en lien avec l’autodiscipline et les responsabilités personnelles qui nécessairement impliquent un rapport aux autres, et ce faisant, une dimension culturelle. Tout aussi importante, la dimension culturelle du management et des relations hiérarchiques modifie sans doute de façon très importante la façon les pratiques d’une GRH verte peuvent être implantées. Ainsi, la validité externe et la réplicabilité de nos résultats à d’autres pays sont en partie limitées par ces contingences culturelles. Il devient, selon nous, urgent d’entreprendre de véritables programmes de recherche internationaux permettant de comparer de systématiques les construits et leurs relations entre les différentes cultures.

Conclusion

Cette étude confirme l’importance de l’évaluation environnementale en montrant que, moyennant un accompagnement combinant des soutiens aux niveaux organisationnels et managériaux, elle favorise les comportements pro-environnementaux des salariés. Sur le plan pratique, cette étude coïncide avec le besoin de dépasser les initiatives individuelles éparses au profit de formes d’actions plus coordonnées. Il est vrai que l’évaluation est une pratique à double tranchant impliquant un risque non négligeable de rejet. Une communication appuyée non seulement des projets stratégiques environnementaux développés (Schill et al., 2018), mais aussi du soutien organisationnel apporté afin de donner le sens d’une volonté partagée de contribuer efficacement à la protection environnementale, facilite certainement l’acceptation et l’appropriation de ce dispositif. Cependant, notre étude rappelle qu’au coeur de ce projet environnemental, l’implication du supérieur hiérarchique reste la clé du succès. Nos résultats montrent ainsi que le manque de soutien de la part du supérieur aux initiatives environnementales annihile les effets du soutien organisationnel. Nos résultats ne permettent pas, en revanche, de comprendre les raisons d’un tel retrait. S’agit-il, de la part du supérieur, d’un manque d’intérêt, d’un doute sur la sincérité de la démarche de l’organisation ou encore d’une défiance relevant de problèmes autres que le projet environnemental. Des approches qualitatives permettraient sans doute de mieux comprendre le sens de ce manque de soutien et, partant de là, d’envisager des façons de mieux accompagner les supérieurs eux-mêmes, comme le suggèrent Havard et Ingham (2018).

Notre étude apporte des contributions importantes à la recherche en GRH pro-environnementale, mais n’est pas sans limites, et appelle d’autres recherches. En dehors des questions liées à la dimension culturelle des phénomènes étudiées abordées dans la discussion, d’autres limites peuvent être ici considérées. Même si le test du biais de variance commune apporte des garanties limitant le risque d’un gonflement artificiel des résultats, la technique utilisée dans cette recherche offre moins de robustesse que d’autres technique, telle que notamment le recours à la technique du marqueur. Egalement, le design du recueil des données utilisé reste de type transversal. Il serait intéressant, par la suite, de suivre la façon dont les comportements pro-environnementaux évoluent, afin non seulement de confirmer le sens des causalités examinées, mais aussi pour pouvoir mesurer des formes de persévérance. Tel est en effet l’un des enjeux majeurs de la GRH pro-environnementale, car, comme le relèvent Milliman et Clair (1996), les actions des organisations en faveur de l’environnement restent trop souvent ponctuelles et éparses et n’ont pas de suite. Or, la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique sont des ambitions nécessairement inscrites dans la durée. La question de l’évaluation des performances en lien avec la persévérance nous ramène aux principes 14 et 15 de la conférence de Stockholm de 1976 : planifier et rationaliser des changements à moyen et à long termes.

Les actions en faveur de l’environnement concernent l’ensemble de la planète, mais se situent en grande partie au niveau local. Elles prennent souvent la forme de comportements individuels situés au sein d’une communauté donnée. Chaque entreprise peut mobiliser ses salariés et les inciter à participer à l’effort mondial, en fonction des lois, mais aussi de ses représentations sociales et culturelles du pays dans lequel elle se situe. Nous avons ouvert notre réflexion en restituant nos résultats dans le contexte culturel français dont sont issus nos répondant et avons, ce faisant évoquer la dimension culturelle des comportements pro-environnementaux. Il conviendrait, selon nous, que toutes les études intègrent une telle mise en perspective des résultats obtenus en fonction de la culture de la population étudiée. De façon plus spécifique, nous appelons à la mise en place d’études comparatives entre des échantillons issues de différentes cultures aboutissant à des recommandations pratiques mieux ajustées aux différents contextes nationaux.