Abstracts
Résumé
Cette recherche qualitative établit les formes prises par la mauvaise identification professionnelle ressentie par les slashers et comment ils la gèrent. 38 slashers furent interrogés. Les résultats soulignent l’intensité des formes prises par la mauvaise identification professionnelle. Trois stratégies de réponse sont identifiées : la militance, la recherche d’authenticité et la clandestinité. Les slashers sont proactifs pour faire accepter leur identité professionnelle duale et fondent leur réponse sur des ressources relationnelles, économiques et scolaires. Cette recherche contribue à une meilleure compréhension de la dynamique identitaire pour autrui et pour soi et enrichit le débat sur les nouvelles formes d’emplois.
Mots-clés :
- mauvaise identification,
- identité,
- nouvelle forme d’emploi,
- stratégie d’ajustement
Abstract
This qualitative research establishes the forms taken by the professional misidentification felt by slashers and how they deal with it. 38 slashers were interviewed. The results highlight the intensity of the forms taken by professional misidentification. Three response strategies were identified: activism, seeking authenticity and hiding. Slashers are proactive in gaining acceptance of their dual professional identity and base their response on relational, economic and academic resources. This research contributes to a better understanding of the dynamics of identity for others and for oneself and enriches the debate on new forms of employment.
Keywords:
- misidentification,
- identity,
- new form of employment,
- adjustment strategy
Resumen
Esta investigación cualitativa establece las formas que adopta la desidentificación profesional que sienten los slashers y cómo la afrontan. Se entrevistó a 38 slashers. Los resultados ponen de manifiesto la intensidad de las formas que adopta la identificación profesional errónea. Se identificaron tres estrategias de respuesta: activismo, búsqueda de autenticidad y ocultación. Los slashers son proactivos a la hora de conseguir la aceptación de su doble identidad profesional y basan su respuesta en los recursos relacionales, económicos y académicos. Esta investigación contribuye a una mejor comprensión de la dinámica de la identidad para los demás y para uno mismo y enriquece el debate sobre las nuevas formas de empleo.
Palabras clave:
- identificación errónea,
- identidad,
- nueva forma de empleo,
- estrategia de ajuste
Article body
Défini par Alboher (2007) comme l’articulation volontaire de plusieurs activités radicalement différentes, le slashing est une forme d’emplois atypique définie comme : « les emplois qui dérogent au contrat de travail standard qu’est le CDI à temps plein exercé dans les locaux de l’employeur » (Everaere, 2014 : 15) mal connu. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. Le premier est sa récence. Le slashing a quatorze ans. Le second est l’existence d’un flou conceptuel conduisant à une confusion avec une pluriactivité subie (Segond, 2016). Le slashing est une nouvelle forme d’emploi spécifique, non identifiée comme telle jusqu’ici. Cette mauvaise identification professionnelle est globale. Elle affecte des dimensions personnelles et professionnelles liées à des a priori négatifs touchant les nouvelles formes d’emploi (Cappelli et Keller, 2013). Le but de notre recherche est de comprendre comment les slashers gèrent cette mauvaise identification professionnelle.
Nous mobiliserons le cadre théorique de la mauvaise identification (misidentification) développé par Meister et al. (2014). Cette dernière correspond au vécu d’une asymétrie identitaire interne lorsque l’individu pense que « l’une de ses identités est mal prise en compte par son environnement. » (Meister et al., 2014 : 483). Un écart apparaît entre la manière dont la personne se définit au travail et ce que son contexte professionnel perçoit d’elle. L’impact sur la vie privée est important dans le cas du slashing car les sphères professionnelles et privées sont entremêlées (Alboher, 2007). Cette absence de reconnaissance identitaire est difficile pour l’individu confronté à un environnement professionnel complexe comportant une multitude de partenaires le définissant différemment. Nous tenterons de répondre à un double questionnement : Quelles formes prennent les asymétries identitaires internes ressenties par les slashers au travail ? Comment les slashers gèrent-ils leurs asymétries identitaires internes au travail ?
Plusieurs contributions académiques se dégagent. Premièrement, cette recherche éclaire la reconnaissance sociale de l’identité désirée (Caza et al., 2018). Ashforth et Schinoff (2016) soulignent que les connaissances sur la construction par un individu d’un consensus sur la perception de son identité par les tiers avec lesquels il travaille restent embryonnaires. Kira et Balkin (2014) suggèrent que ce processus de reconnaissance sociale de l’identité est complexe, susceptible d’engendrer des dérives comme la suridentification (Dukerich et al.1998). Cette recherche s’intéresse à une situation de mauvaise identification professionnelle pouvant être dissimulée, qui reste peu abordée empiriquement. L’intégration des apports de la sociologie du travail française (Sainsaulieu, 1985; Dubar, 2000) permet d’approfondir l’analyse. Deuxièmement, en étudiant le slashing en France, nous répondons au besoin de clarification conceptuelle sur les nouvelles formes d’emploi (Ashford et al., 2018) en travaillant sur une population précise. Le contexte français caractérisé par un cadre juridique protecteur (Dany, 2003), ralentissant l’émergence de ces formes d’emploi et favorisant leur assimilation à la précarité (Everaere, 2014), permet d’intégrer le contexte institutionnel. Ce faisant, nous répondons au souhait d’Ibarra et Obodaru (2016) de développer des recherches autres qu’anglo-saxonnes sur ces thématiques. Managérialement, cette recherche répond au besoin de comprendre le vécu d’une forme d’emploi en croissance (Pennel, 2017) et difficile à fidéliser (Sève, 2017).
L’article est structuré en quatre parties. Après une contextualisation du sujet, nous présenterons une revue de la littérature et la méthodologie suivie. Nous poursuivrons par la présentation des résultats et leur discussion.
Le Slashing : une forme d’emploi atypique valorisant la réalisation personnelle
Apparu en 2007, le slashing est défini par Alboher (2007) comme une nouvelle forme d’emploi marquée par deux dimensions clés. La première est la pluriactivité. Cette dernière est définie comme : « l’exercice simultané ou successif par une même personne de plusieurs activités professionnelles différentes » (Casaux-Labrunée, 1993 p. 75). L’auteur précise que l’activité professionnelle est « un travail non occasionnel, effectué sous la direction d’un employeur ou de façon indépendante, avec un objectif principalement lucratif » (Casaux-Labrunée, 1993). Benoît et Gerbaux (1999) soulignent que les combinaisons sont multiples : salariat multiple, articulation d’activités réalisées avec le statut d’indépendant, salariat et activité indépendante, fonctionnaire et autoentreprise. Les revenus proviennent des différentes activités réalisées dont l’objet peut être varié. Ces caractéristiques distinguent le slashing de pluriactivités liées à un secteur comme l’agriculture (Tallon et Tonneau, 2012) ou à des formes socialement acceptées comme c’est le cas pour les enseignants-chercheurs. Le slashing touche tous les secteurs sans bénéficier d’une reconnaissance sociale. Les activités articulées sont très différentes. Le terme slash suggère cette séparation. Alboher souligne que le slashing est une constitution de « combinaisons incongrues » (p 123, 2007). La presse professionnelle ignore cette dimension et assimile slashing à pluriactivité. Pour notre part, nous nous référons à la définition d’Alboher (2007) faisant de la séparation et de la simultanéité des activités articulées le fondement du slashing. Il y a une articulation quotidienne et non succession d’activités différentes.
La seconde est le choix par passion. Le slasher peut articuler deux activités de passion ou une avec une autre de raison. Il évite la contrainte économique du marché qui peut exister sur son activité passionnelle grâce aux revenus engendrés par l’activité raisonnable. Les activités articulées peuvent être économiquement peu rentables, mais correspondent à ses passions. Cette réalité multiple est source de confusion. Elle peut faire croire que le slashing est une forme d’emploi subi (Le Goff, 2017). Le slasher ne cherche pas la carrière organisationnelle (Alboher, 2007). L’épanouissement personnel est réalisé dans la pluriactivité.
Nous retiendrons ici la définition suivante du slashing : une pluriactivité articulant plusieurs activités socialement perçues comme très distinctes l’une de l’autre fondées sur la recherche de liberté et de passion.
L’asymétrie identitaire interne : une évaluation de déséquilibre identitaire
Chacun dispose d’une multitude d’identités liées au travail, définies comme : « les aspects de l’identité et de la définition de soi qui sont liés à la participation à des activités professionnelles ou à l’appartenance à des groupes, organisations, professions ou métiers liés au travail » (Dutton et al., 2010 : 266), mobilisables pour sa définition de lui-même.
Cette mobilisation peut être difficile. L’environnement professionnel peut ne pas adhérer à ce que pense la personne d’elle-même. Meister et al. (2014) décrivent alors une situation d’asymétrie identitaire interne définie comme une situation où l’individu pense que « l’une de ses identités est mal prise en compte par son environnement. » (Meister et al., 2014 : 483). Cette évaluation cognitive est complexe. Les auteurs montrent que la personne peut susciter l’émergence de l’asymétrie identitaire en se survalorisant ou en dissimulant une dimension de son identité au travail, ce que ses collègues n’acceptent pas. À l’inverse, elle peut être victime de l’asymétrie, tant ces actions sont mal interprétées. Le concept d’asymétrie identitaire interne rentre en dialogue avec plusieurs cadres théoriques.
Le premier est celui du management de l’impression qui souligne que l’individu cherche à maitriser l’image qu’il donne de lui-même auprès des autres (Gardner et Martinko, 1988). Cette théorie montre que les personnes valorisent l’approbation d’autrui sur une identité maîtrisée. Harlow (2018) souligne que cette théorie survalorise la capacité d’agence des individus. Meister et al. (2014) envisagent l’échec de la gestion de son image. Le deuxième est celui de la self-verification (Swann, 2012) et du self-enhancement (Allport, 1937). La première théorie pointe l’importance de la congruence identitaire entre l’identité pour soi et pour autrui. La deuxième souligne que l’individu valorise un retour positif de son environnement sur son identité. Le concept d’asymétrie identitaire interne retrouve cette préoccupation de cohérence identitaire. Meister et al (2014) décrivent un constat de déséquilibre sur lequel l’individu agit. Le troisième est celui de la sociologie française du travail. Sainsaulieu (1985) souligne que l’individu affirme une capacité de résistance face à un environnement professionnel ne le reconnaissant pas comme il le souhaite. Dubar (2000) enrichit cette perspective. Il souligne la capacité d’agence de l’individu qui se constitue un parcours professionnel dans sa socialisation par le travail, créatrice d’un sentiment d’appartenance à un collectif de référence. Il souligne que l’identité professionnelle résulte de plusieurs transactions entre l’individu et autrui. Cette double transaction identitaire (identité pour soi et identité pour autrui) se retrouve dans le concept d’asymétrie identitaire interne. Les deux concepts traduisent un déséquilibre entre l’image que l’on se construit de soi-même et celle que les autres nous renvoient.
Cependant, des différences existent qui rendent ces cadres théoriques complémentaires et non redondants. Pezé (2012) souligne qu’il existe, dans la compréhension de la dynamique identitaire de Dubar, un postulat sous-jacent d’équilibre instable entre ce qui fait l’unité de soi et ce qui est attribué par autrui. Avec les travaux de Meister et al. (2014; 2017), l’accent est mis sur le déséquilibre entre ces deux dynamiques. Les auteurs soulignent la capacité d’agence des individus confrontés à une reconnaissance par autrui faible de l’identité qu’ils souhaitent avoir. Cette différence est source d’un ajustement vigoureux des individus pour trouver un équilibre qui est difficile à acquérir.
Les travaux de Meister et al. (2014; 2017) nous apparaissent comme décrivant une situation paroxystique de tension identitaire où le déséquilibre entre identité pour soi et pour autrui est élevé. Loin de s’opposer, les recherches de Meister et al. (2014; 2017) et ceux de Dubar (2000) s’articulent. Ils décrivent la difficulté croissante des individus à gérer le processus relationnel de l’identité pour autrui dans des sociétés morcelées professionnellement.
Meister et al. (2014) comprennent l’asymétrie identitaire interne comme un processus. La première étape est son évaluation cognitive. Trois caractéristiques de l’asymétrie identitaire interne l’influencent. La première est son importance. L’absence de reconnaissance de son identité professionnelle par des tiers au travail est un enjeu important pour les individus. La deuxième est la capacité d’agence. L’individu peut agir sur l’identité pour autrui même si des caractéristiques visibles comme le genre laissent moins de possibilités. Enfin, la dernière est la capacité de l’asymétrie identitaire interne à engendrer des effets positifs ou négatifs sur la personne. Elle peut être comprise comme un défi synonyme de développement ou un obstacle source de questionnements. Quelle que soit l’évaluation réalisée, les individus s’adaptent à ce déséquilibre identitaire. La nouveauté d’une identité rend la gestion d’un non-alignement encore plus important dans un contexte professionnel (Ashforth et Schinoff, 2016).
Faire face à l’asymétrie identitaire interne : s’adapter ou demeurer ?
S’appuyant sur Folkman et Lazarus (1984), Meister et al. (2014) distinguent deux stratégies[1] regroupant des tactiques pour répondre à l’asymétrie identitaire : la résolution et le maintien. Avec la première, l’individu cherche la conformité avec la compréhension de son environnement professionnel. Plusieurs tactiques sont développées. Il ajoute, retire, réajuste l’importance qu’il accorde à ses identités pour valoriser celles conformes à la demande de l’environnement. Inversement, l’individu peut croire à sa capacité d’agence. Il communique sur l’identité questionnée. Avec la deuxième, l’individu maintient l’asymétrie identitaire interne. Meister et al. (2017) suggèrent plusieurs tactiques (se cacher, endurer, accepter) et proposent un processus d’ajustement en trois étapes.
La première étape vise à résoudre l’asymétrie par cinq tactiques : rechercher un sponsor, conformer son apparence aux attentes des tiers, ne se définit que professionnellement, se confronter aux tiers à l’origine de la perception d’asymétrie pour constater que sa perception de l’asymétrie identitaire n’est pas valable et modifier sa définition de soi pour se conformer aux attentes de son environnement. La seconde étape voit l’acceptation de l’asymétrie. Quatre tactiques se développent : réévaluer positivement sa situation, blâmer les tiers créant la perception d’une asymétrie identitaire, se constituer un réseau de soutien de personnes confrontées à la même asymétrie identitaire et ignorer l’asymétrie. Dans une dernière étape, la personne échappe à l’asymétrie en se désengageant de l’environnement porteur de l’asymétrie identitaire.
Meister et al. (2014; 2017) rentrent en dialogue avec la littérature existante. Ils soulignent la plasticité dans la gestion de l’asymétrie identitaire interne. Ils montrent aussi, comme la théorie de la self-verification, l’importance des efforts faits par les individus pour se conformer aux attentes de leur environnement. On retrouve aussi les conclusions de la sociologie française du travail. Mobilisant Dubar (2000), Demaret et Gilson (2019) retrouvent cette articulation entre négociation et retrait face à l’absence de reconnaissance de l’identité professionnelle portée par le salarié. Les travaux de Meister et al. (2014; 2017) valident aussi la théorie du self-enhancement (Baumeister, 1989) soulignant les efforts entrepris par les individus pour obtenir une évaluation positive de leur identité de leur environnement.
En montrant que l’individu en quête de reconnaissance identitaire peut accepter la cohérence quel qu’en soit le coût pour lui ou privilégier la recherche d’un avis positif, Meister et al. (2014; 2017) proposent un cadre analytique intégrant les théories de la self-verification et de la self-enhancement. Mobiliser ce cadre théorique pour comprendre l’ajustement des slashers à leur asymétrie identitaire interne, c’est affirmer leur capacité d’agence sans nier les difficultés auxquelles ils sont confrontés tant leur récence complexifie leur travail identitaire.
Les recherches de Meister et al. (2014; 2017) sur les stratégies d’adaptation à l’asymétrie identitaire montrent l’existence d’une alternative entre la résolution et le maintien de cette situation retrouvant la distinction entre l’acceptation et la confrontation posée par les travaux sur le coping. On pourrait donc sur cette base faire l’hypothèse que les slashers s’orienteront plus vers la stratégie de résolution de l’asymétrie identitaire interne tant cette dernière traduit une volonté de conformisme plus facile à tenir dans un contexte sous institutionalisé. Cependant, l’importance de l’identité de slasher pour ces derniers amène à légitimer le choix de la stratégie de maintien. L’identité de slasher est centrale pour eux. Elle correspond à un choix de passion. Le flou entourant la définition du slashing facilite cette orientation. Comprendre les formes prises par les asymétries identitaires internes et leurs stratégies de gestion semble complexe. Mobiliser le cadre théorique de Meister et al. (2014; 2017) apparaît pertinent tant il propose une compréhension ouverte de la gestion du déséquilibre identitaire.
Méthode
Contexte institutionnel de la recherche
En 2017, 88 % des salariés français exercent leur activité en CDI. Penser la flexibilité choisie avec le slashing, est complexe. Le slashing est réduit à une pluriactivité subie (Le Goff, 2017; Richer, 2018). Sans nier l’existence de cette dernière parmi les 2,4 millions de pluriactifs dont 400 000 articuleraient pluriactivité et statuts différents dans leur activité professionnelle (Insee, 2017), une étude réalisée en 2019 par l’Institut Opinionway retrouve cette dichotomie entre pluriactivité subie et souhaitée. Barbe (2017) confirme cette distinction en soulignant que le slashing comporte les deux populations à part égale. Le slashing répond à un besoin de réaliser des projets professionnels ou d’engendrer des revenus complémentaires. La flexibilité n’est donc pas synonyme de précarité. Le slashing en est un exemple. Il témoigne d’un choix de flexibilité. Il apparaît possible d’évaluer le nombre de slashers, répondant à la définition d’Aldoher (2007) à 200 000 personnes.
Echantillon et collecte des données
Entrer en contact avec des slashers est une tâche difficile. Nous avons adopté une stratégie de mise en relation en deux temps. Premièrement, nous nous sommes rapprochés d’une association professionnelle valorisant la pluriactivité. Cette première phase (Mars 2016 — Janvier 2018) nous a permis de comprendre les spécificités juridiques, sociales et économiques du slashing. Ensuite, nous avons pu tester et enrichir notre guide d’entretien auprès de cinq slashers. Deuxièmement, nous avons développé une combinaison d’échantillons en boule de neige et de convenance (Miles et Huberman, 1994) en nous appuyant sur les contacts créés lors de la première étape et sur nos réseaux personnels et professionnels, comme sur des annonces placées sur différents sites de pluriactivité. Nous avons contacté 43 slashers qui ont accepté de participer à cette recherche. Trois n’ont pas pu être joints par la suite malgré plusieurs tentatives. Deux ont été écartés de l’échantillon car ils réalisaient leur pluriactivité dans un même domaine sous un même statut. Notre échantillon est constitué de 38 slashers (23 hommes et 15 femmes), non rémunérés pour ces interviews dont les caractéristiques sont présentées dans le tableau 1.
L’approche en termes de récits de vie (McAdams, 2008) a été retenue. Chaque interviewé a décrit sa carrière jusqu’à maintenant en structurant son récit comme un livre organisé en chapitres. L’interviewé a été amené à organiser son récit autour d’évènements clés. Cette approche a permis d’avoir accès en profondeur au travail identitaire des interviewés (Lutgen-Sandvik, 2008) tout en reconnaissant sa nature contextuelle. Chaque interviewé s’est exprimé librement sur son passé professionnel et les raisons de son choix de carrière dans le slashing. De simples questions de relance ont été posées s’il n’explicitait pas les conditions et défis du slashing ou la manière dont il gérait ses difficultés. Dans douze cas, les interviewés ont souhaité que nous interrompions l’enregistrement pour énoncer des faits qu’ils ne souhaitaient pas voir enregistrés. Malgré notre assurance de confidentialité et d’anonymat, ils sont restés fermes sur cette position. Cela nous a conduit à prendre des notes extensives des propos échangés et à leur fournir une retranscription intégrale afin qu’ils la valident. Cette interaction complémentaire a été riche d’enseignements tant elle nous a permis de densifier la relation avec les interviewés et d’avoir accès à de nouvelles informations. Les entretiens ont duré entre 45 minutes et 140 minutes. Le premier auteur a réalisé deux tiers des interviews et les deux autres auteurs le dernier tiers.
Analyse des données
Toutes les interviews ont été retranscrites et analysées avec le logiciel NVIVO. Nous avons identifié des défis et des questionnements auxquels étaient confrontés les slashers pour ensuite comprendre leurs réponses. Bien qu’entremêlées, l’identification des asymétries identitaires internes liées au statut de slasher et les stratégies développées pour y répondre nous ont permis de les relier à des moments spécifiques de leur histoire de vie. Ici, nous avons utilisé la littérature sur la mauvaise identification. Notre travail ne s’est pas limité à classer les stratégies identifiées, mais aussi à proposer de nouvelles stratégies. Une première classification est apparue après 12 entretiens. Elle constitua une première grille d’analyse enrichie et modifiée par les entretiens suivants. Des allers retours entre les grilles théoriques et les données empiriques collectées firent émerger la typologie finale proposée. Les 8 derniers entretiens la validèrent. Nous avons procédé ensuite à une analyse séparée de chacun des cas afin d’identifier les stratégies et tactiques adoptées par chacun des slashers. Nous souhaitions voir s’ils demeuraient dans une stratégie ou s’ils les enchainaient. Nos analyses, contrairement à celles de Meister et al. (2017) soulignent que les slashers demeurent dans un axe stratégique, suggérant l’existence d’idéaux-types. L’intégration dans l’analyse de dimensions contextuelles et personnelles nous a permis de comprendre la stabilité des stratégies identifiées.
Dans un dernier temps, nous avons tenté de valider nos analyses, conscient de la possibilité de biais projectifs. Nos interprétations des données furent parfois divergentes. Des débats émergèrent. Loin de chercher à les réduire, nous avons dans un premier temps tenté de les enrichir de l’avis de plusieurs slashers comme d’autres chercheurs spécialisés dans les formes atypiques de travail. Nous avons présenté nos résultats à plusieurs associations de slashers contribuant à leur enrichissement. Nos résultats définitifs furent présentés et validés lors de congrès. Cependant, afin de finaliser les débats, lors de divergences persistantes entre deux auteurs, ce qui fut le cas pour cinq verbatims, le dernier auteur a relu le verbatim faisant débat pour donner ensuite son avis. Nous avons cherché à obtenir ce que Kvale (1994) qualifie « d’intersubjectivité dialogique ». Pour cela, la discussion en cas de divergences d’interprétation se poursuivait jusqu’à obtenir un accord entre les trois auteurs. Dans les cinq cas mentionnés cela fut le cas.
Résultats
Comme Meister et al. (2017), nos résultats témoignent d’asymétries identitaires internes centrées sur la personne et son travail.
Des questionnements personnels et professionnels importants
Pour les questionnements personnels, les slashers sont réduits à leur âge et leur genre. Leurs collègues les voient comme des jeunes, compris péjorativement, alors qu’eux-mêmes ne se perçoivent pas comme tels au travail : « Pour plusieurs de mes collègues, je suis un jeune avant d’être un professionnel » (Antoine). Cette jeunesse rime avec immaturité : « Beaucoup trouvent insensé d’articuler professorat de judo et vente de chaudières. Pour eux, cela témoigne de mon immaturité. J’entends souvent l’expression il faut bien que jeunesse se passe ! » (Paul). Le genre est renvoyé à la vie privée : « Plusieurs collègues m’ont dit que je pouvais être slasher car j’avais un mari qui pouvait assurer des rentrées financières régulières » (Elodie).
Leur personnalité est aussi critiquée. Ils sont qualifiés d’opportunistes : « Plusieurs collègues pensent que mon investissement dans la plomberie répond avant tout à un choix d’argent. Je suis un opportuniste alors que ce n’est pas le cas. C’est un projet mûrement construit qui répond à une volonté d’orienter ma vie dans le slashing » (Laurent). D’autres sont décrits comme vénaux : « Mes collègues ne connaissent de la magie que ce qu’ils voient à la télévision dans des spectacles connus. Ils s’imaginent alors que le magicien touche des cachets très importants. Il y a de l’envie qui nait » (Max). Ils se perçoivent compris aussi comme impulsifs : « Il (collègue) pense que je ne réfléchis pas, que je ne fais que faire comme les autres, je suis la mode. C’est très irritant d’être confronté à ce type de réaction quand on fait tout en pensant à l’avance sa carrière » (François).
La force du propos témoigne de l’intensité de l’asymétrie identitaire ressentie. Il y a une inversion entre l’identité pour soi et celle pour autrui : « C’est terrible, vous savez, de faire des efforts, de se dépêcher sans cesse, de jongler avec les emplois du temps et de vous voir dire que vous êtes immature, pas organisé. C’est dur à vivre » (Emma).
Pour les défis professionnels, les slashers sont questionnés quantitativement et qualitativement sur leur travail. Leur environnement doute de leur capacité à pouvoir répondre professionnellement aux attentes d’activités radicalement différentes où aucune synergie n’existe : « Je suis décorateur dans le cinéma et je rédige des scénarii pour le cinéma fantastique. Ces deux activités ne me créent aucun problème entre elles tant parmi mes collègues que mes employeurs. En revanche, je suis aussi médecin généraliste. Là c’est autre chose. Mes patients peuvent ne pas comprendre ces autres activités. Il en va de même de mes confrères pour qui cela ne fait pas sérieux. Certains s’interrogent sur ma capacité à continuer à être un bon praticien » (Jean). S’investir dans deux domaines différents rime avec manque de professionnalisme. Paradoxalement, l’existence même de slashers dans une profession est perçue comme questionnant le professionnalisme : « Dans la magie, les professionnels à plein temps me considèrent comme un faux magicien, un amateur dangereux tant je suis une preuve que l’on peut faire de la bonne magie sans ne faire que cela » (Max).
Les slashers gèrent aussi la crainte d’un manque de flexibilité dans le travail. Des doutes émergent sur la gestion de leurs priorités professionnelles : « Quand vous êtes comme moi une slasher, vos employeurs se demandent s’ils peuvent vraiment compter sur vous. Ils sont dans le doute sur vos disponibilités d’emploi du temps » (Irène). La saisonnalité d’une activité crée un aléa pour l’autre : « Sans que cela ne crée de réels problèmes, mais mes collègues savent que lorsque certains évènements sportifs se déroulent à Paris, je ne pourrai pas me rendre disponible pour assurer le service du soir car je dois être au stade pour faire les reportages photos » (Paul). Ces questionnements personnels sont source de stress : « Voir son investissement professionnel remis en cause, ce n’est pas motivant. On a parfois envie de tout balancer ! … cela fait mal quand même, surtout venant de personnes que l’on estime professionnellement » (Eric).
Les asymétries identitaires internes rencontrées par les slashers proviennent tant des clients que des collègues ou des supérieurs hiérarchiques. Cependant, les acteurs dans l’organisation du slasher sont souvent les plus durs. Ceci s’explique par la plus grande proximité avec les slashers et donc la crainte de devoir supporter les conséquences de travailler avec une personne qui n’est pas totalement investi dans son travail : « Les clients ne supportent pas les conséquences de mon slashing comme mes collègues ou mon responsable. Ils l’acceptent mieux » (Paul).
Des stratégies de réponse radicalement différentes
A la différence de Meister et al. (2017) proposant un processus de réponse aux asymétries identitaires internes articulant résolution et maintien, cette recherche suggère trois stratégies regroupant plusieurs tactiques (Tableau 2). Cette rigidité est liée aux ressources mobilisées par chaque profil (Tableau 3).
La stratégie de militance
Cette stratégie regroupe 14 slashers, 11 hommes et 3 femmes, jeunes (entre 24 et 45 ans) envisageant sereinement leur slashing. Leur combinaison d’activité est stable économiquement : aucune activité n’est déficitaire. Ils disposent de compétences acquises dans l’enseignement supérieur ou une formation technique reconnue dans les deux domaines. Ils interviennent sur des marchés porteurs : « Je suis plombier et enseignant en gestion. Dans les deux cas, il y a une forte demande. Je suis souvent en position de force » (Olivier). La demande excède leur possibilité : « Je suis débordé par les projets. Je suis tiraillé de tous les côtés » (Lei).
Ils s’appuient sur des ressources relationnelles (insertion dans des cercles professionnels), symboliques (valorisation professionnelle par l’attribution de prix, mobilisation pour présenter le slashing) ou économiques (possibilités de nouvelles activités par la mise en relations avec des clients nouveaux) pour asseoir leur slashing sur la durée : « J’ai de nombreux amis dans des cercles très différents. Ils savent ce que je fais et beaucoup me mettent en contact. Pour une bonne part mon activité provient de mon réseau » (Laurent). L’investissement associatif est important et diversifié (politique, humanitaire, religieux). Les slashers ont un fort investissement bénévole, parfois depuis de longues années. C’est le cas d’Olivier qui a fondé une association musicale qui donne chaque année un spectacle et qui est reconnue dans sa commune : « J’ai fondé ce groupe musical avec des amis. C’est très sympa. On se retrouve régulièrement. Ce sont de vrais moments fraternels que permettent le bénévolat » (Olivier). Il rime avec opportunités professionnelles : « j’ai eu un contrat par un contact dans ma chorale. On avait discuté de mes activités quelques mois avant et là cela s’est fait » (Emma). Leur statut juridique sont divers autoentrepreneur, portage, libéral. Le slashing est source de liberté.
Dans la sphère privée, le slashing est compris : « Ma conjointe est entièrement en phase avec mes activités professionnelles » (Mathias). Le slashing peut être vécu en couple. La prise de risque est facilitée : « Nous étions en couple depuis quelques années. Nous n’avions pas encore d’enfants. C’est beaucoup plus simple pour le slashing dans ces conditions » (Louise). Il se développe en première partie de carrière. Le coût d’entrée est faible tant les réalisations professionnelles précédentes restent limitées : « Je suis arrivé au slashing assez vite, après seulement quelques années de salariat. Je crois 6 ou 7 » (Irène).
Le slashing est source de fierté et rime avec avant-garde : « Faire du slashing, c’est encore peu commun en France malgré tout ce que disent les médias » (Emma). Le slasher porte un projet de société plaçant le plaisir au coeur du travail : « Le slashing c’est d’abord le plaisir. On fait ce que l’on aime. On ne se lasse pas vite car on change souvent de lieux de travail et de collègue » (Paul). Il est militant : « Je milite pour le slashing. Mon action ne s’arrête pas à mes contextes professionnels. Je communique sur les blogs. J’ai déjà donné des interviews à plusieurs médias nationaux » (Hervé). Là encore, le slasher réalise un investissement bénévole qui n’a pas cette fois une orientation professionnelle directe. Il s’agit ici d’être un militant défendant une cause avant d’être un professionnel à la recherche d’opportunités professionnelles. Le slasher va au devant de son environnement professionnel, quitte à entrer en confrontation. Il articule actions directes et indirectes.
Trois tactiques sont développées. La première est la promotion du slashing par l’exemplarité professionnelle. L’action est directe. Le slasher surinvestit professionnellement pour prouver sa valeur : « C’est vrai que je travaille beaucoup tant dans le club (tennis de table) que dans le groupe (de chanteur). J’accompagne les jeunes en compétition le weekend, je m’engage dans les instances dirigeantes du club. Je ne compte pas mes heures lors des répétitions et je me montre disponible pour les tournées. Je souhaite que dans les deux sphères, mes collègues ne puissent rien dire sur mon investissement » (Etienne). La deuxième tactique est indirecte. Le slasher se construit un réseau de soutien articulant collègues proches et leaders d’opinions. Il commence par ses collègues : « Je parle du slashing autour de moi au travail. Je dis à quel point je me réalise personnellement. J’incite les gens à se renseigner. Je donne des conseils » (Laurent). Il recherche ensuite les seconds qui appuient l’originalité du slashing dans son environnement professionnel : « Moi j’ai surtout cherché à trouver des personnes que les autres écoutent. Une fois que je les ai identifiées, je me suis rapproché d’elles pour les convaincre de l’intérêt pour l’entreprise d’avoir des slashers » (Louis).
Le slasher a conscience de l’hétérogénéité des niveaux d’acceptation du slashing dans ses environnements professionnels : « Il y a des personnes qui sont déjà presque convaincues que le slashing est une tendance lourde avec laquelle les entreprises doivent composer. Certains sont moins ouverts » (Jacques). Face à ces opposants, le slasher se confronte : « Dans mon entreprise, certains salariés ont dû mal avec la multi-activité. Moi je n’ai pas peur d’engager le débat. Je ne me laisse pas stigmatiser » (Lei). Le slasher considère que la confrontation est constructive : « Discuter, même vivement, ce n’est pas un problème pour moi. Le slashing n’est pas une évidence pour tout le monde. Je suis là pour tenter de convaincre. Je suis optimiste » (Jacques).
Cette stratégie témoigne d’un cercle vertueux du slashing. Ce dernier débute tôt dans la carrière, voire même au démarrage. Le slasher est confronté avec des questionnements identitaires liés à son âge qui rime avec inexpérience et opportunisme. A cela s’ajoutent des menaces identitaires professionnelles soulignant principalement l’impossibilité de gérer les deux activités de front. Face à ces menaces, le slasher bénéficie d’un contexte familial comme professionnel favorable. Sa famille, particulièrement ses parents comme son conjoint ou sa conjointe, acceptent, valorisent le slashing. Professionnellement, il est inséré dans un réseau reconnaissant ses compétences. Ces dernières proviennent à la fois d’un cursus initial solide et de réalisations reconnues par son milieu professionnel. Cette situation le conduit à ne pas avoir d’activité déficitaire. Il n’a pas de contrainte économique à gérer. Sa capacité d’agence est forte lorsqu’il maintient l’asymétrie identitaire. Le slasher se sent assez fort pour continuer à s’identifier comme un slasher malgré les critiques et l’absence de reconnaissance de cette identité par ses environnements sociaux. Il demeure que cette possibilité repose aussi sur une reconnaissance collective provenant de sa famille comme de certains de ses collègues.
La stratégie d’authenticité
Cette stratégie rassemble 10 slashers, 8 hommes et 2 femmes (entre 35 ans à 53 ans) gérant leur slashing en intégrant leur fragilité économique. Leur combinaison d’activités est économiquement déséquilibrée. L’identité professionnelle chronologiquement première dans la vie professionnelle est plus lucrative que la seconde. Un risque est perçu : « C’était risqué cette bascule vers le slashing car mon activité dans le lycée est pérenne. Elle fait vivre ma famille. La vente de bijoux, c’est plus aléatoire comme activité » (Claire). Cette insécurité est augmentée par le différentiel d’expériences et de compétences acquises dans les deux domaines. Alors que dans le premier la personne a investi dans un cursus scolaire important et a acquis de l’expérience par la tenue de plusieurs postes, avec le second, le diplôme fut acquis plus tard tout comme l’expérience qui reste plus limitée. La seconde activité fut longtemps une passion qui est devenue une activité professionnelle plus tardivement dans la carrière professionnelle du slasher. La combinaison salariat/autoentreprise est souvent développée tant elle permet de sécuriser le slasher : « L’autoentrepreneur est un statut que j’apprécie. Cela permet de voir si le projet de slashing est viable » (Claire). Dans plusieurs cas, le slasher expérimente sa capacité à fournir un service qui satisfasse une clientèle en acceptant de donner ce que Ludovic qualifie de « coups de main » : « Au début, j’ai voulu voir si j’étais capable de donner satisfaction à un client. J’ai accepté de donner des coups de main dans mon voisinage. Je voulais voir comment cela se passait. Tout c’est bien passé. Cela m’a été utile. Cela m’a fait mûrir » (Ludovic). Pour autant, le slasher, grâce à sa position favorable dans sa première activité dispose de temps et de moyens pour exercer sa seconde activité sans contrainte.
Ses appuis professionnels sont constitués de quelques liens forts liés à sa première activité. Pour la seconde, les contacts sont rares. Dans sa vie privée, le slashing n’est pas compris. Les parents soulignent le risque. Le conjoint est plus empathique sans être enthousiaste : « Mon épouse ne m’a jamais dit d’arrêter, mais elle ne m’a jamais dit aussi de continuer. Elle est là, je le sais, mais je ne suis pas sûr qu’elle adhère à 100 % au projet » (Hubert). Le slasher est seul. Le slashing est ici une quête vers une identité duale réfrénée par conformisme social ou crainte économique : « Je suis un cadre de la fonction ressources humaines. Avec les années, j’ai progressé dans ce domaine professionnel au point de devenir DRH depuis 8 ans maintenant. J’ai toujours aimé l’informatique aussi. C’est une partie de moi. J’ai créé une structure de service dans le domaine. Elle était en sommeil pendant plusieurs années. Après je l’ai développée en prenant deux salariés. Depuis trois ans, je suis devenu drh à temps partiel et entrepreneur dans mon organisation. J’ai voulu rééquilibrer ma vie » (Adrien). Cette dynamique provient aussi d’une lassitude professionnelle : « Franchement, s’occuper d’enfants c’est bien, mais quand vous arrivez à 50 ans vous désirez avant tout travailler avec des adultes. J’avais déjà il y a cinq ans, décidé d’enrichir mon travail en devenant directeur d’école, mais là, le projet de boulangerie m’a tout de suite plu. Cela a été une bouffée d’oxygène » (Laurence). L’authenticité rime avec épanouissement personnel tant la personne rééquilibre sa hiérarchie identitaire sans délaisser la première identité professionnelle. Le slasher consolide une identité restée secondaire : « Je suis médiateur depuis maintenant plus de 15 ans, mais j’avais une petite activité de serrurerie dans ma famille d’abord puis auprès d’amis. Je me suis mis en autoentreprise pour régulariser la situation » (François). Le slasher ne rompt pas avec son environnement. La démarche est prudente.
La première tactique est la recherche d’informations auprès de modèles de rôle proches. Le slasher optimise ses chances de réussite en s’appuyant sur des personnes ayant réussi à gérer la mauvaise identification : « Avec mon ami, j’ai pu voir comment il faisait pour gérer les interrogations de ses collègues sur sa double activité. J’ai vu quelles stratégies il mettait en place et pour quels résultats. C’est très instructif. J’ai pu m’appuyer sur cette expérience pour mieux gérer mon propre cas » (Hubert). Il développe sa capacité d’agence. Il gagne du temps pour expérimenter diverses possibilités identitaires sans risque : « La présence de X auprès de moi m’a surtout permis de prendre mon temps. J’ai pu me renseigner sur le plan légal, les différentes formes de statuts. J’ai pu aussi discuter avec lui sur les dimensions économiques, la facturation. Il a su me donner des conseils, me donner des adresses. On a pu parler aussi de la gestion de la vie privée. Ne pas faire cela dans la précipitation, c’est capital. Cela permet de prendre de bonnes décisions » (Adrien).
Cette tactique conduit le slasher à élargir son réseau de soutien en intégrant des associations professionnelles et à prendre contact avec des personnes référentes dans le slashing. Il développe ici un investissement bénévole important sans aller jusqu’à devenir un élément incontournable de ses associations. Il s’agit pour lui avant tout d’obtenir de l’information utile. Le slasher renforce son adhésion au slashing : « Et c’est là que j’ai découvert l’association (regroupant des cadres pluriactifs). Nous sommes au début de l’année 2014, j’ai vite fait — j’étais intéressé — j’ai rapidement fait une formation pour aller promouvoir le temps partagé en entreprise, j’ai rencontré des gens avec qui nous partageons le même système de valeurs » (Ludovic).
Cette réussite permet la seconde tactique, appelée dévoilement restreint. Le slasher prend ses précautions. Il cible des collègues proches auprès desquels il a testé dans des conversations informelles leur ouverture à la différence : « Je ne peux pas dire de but en blanc à une personne que je suis magicien. Je vois dans un premier temps sur d’autres sujets d’actualité s’il est ouvert à la diversité. Ensuite je lui évoque que j’aime la magie. Il est alors intéressé. Je lui fais une démonstration et après je lui dis que ce n’est pas qu’une passion. Je lui demande de garder cela secret et jusqu’à présent, cela marche » (Max).
Un second mouvement d’isolement se développe. Il répond à l’existence d’opposants au slashing difficiles à convaincre. Le slasher s’éloigne d’eux : « J’évite au travail les personnes avec lesquelles il est dur de discuter et qui vont sans cesse remettre sur la table mon manque d’investissement dans le travail car je fais une autre activité, ou qui disent que je ne suis pas au niveau car je n’ai pas le temps de me former. La meilleure solution c’est de les éviter » (Paul). Cette tactique peut laisser la place à une autre stratégie de dévalorisation de ses opposants : « Honnêtement, je ne vois pas pourquoi je perdrais mon temps avec ceux qui ne comprennent pas l’évolution de la société. Ce sont des personnes étroites d’esprit, coincées dans leur train-train. Je les y laisse et je continue mon chemin » (François).
Cette stratégie nuance la capacité d’agence du slasher décrite dans le premier cas. Le slashing apparaît plus tardivement dans la carrière des individus, ce qui limite les menaces identitaires sur l’âge, notamment celles centrées sur l’immaturité, mais intensifie celles sur le professionnalisme. L’environnement professionnel est beaucoup plus dur avec un slasher qui provient d’un autre milieu professionnel. Son absence de reconnaissance académique constitue un obstacle majeur à l’acceptation dans son autre milieu professionnel. En outre, sur un plan personnel sa famille accepte sans adhérer son orientation vers le slashing. Il en va de même de ses soutiens professionnels qui existent, mais ne sont pas nombreux. Le slasher n’est donc pas sans ressource sociale pour maintenir son asymétrie identitaire, mais la situation est nettement moins favorable que dans le cas précédent, tant les personnes capables de l’accepter en tant que slasher sont peu nombreuses. La situation peut être mal vécue, tant le slashing est un pari économiquement risqué car l’une des activités n’est pas rentable.
La stratégie de clandestinité
Cette stratégie regroupe 14 slashers, 4 hommes et 10 femmes (entre 27 ans à 54 ans). Leur vision du slashing est négative. Le risque perçu d’échec est fort conduisant à valoriser la discrétion : « Pour moi, le slashing fait peur aux gens. Ils voient surtout que je ne serai pas là, que ce que je fais à côté n’a pas de sens pour eux. Je ne me vois pas les convaincre de changer d’état d’esprit. Je n’en n’ai pas la force et la volonté. J’applique alors le dicton pour vivre heureux vivons cachés » (Pascale). Leur combinaison d’activités est peu rentable : « Je ne m’en sors pas financièrement. C’est très dur en fin de mois » (Jeanne). Souvent (11 cas sur 14), le slasher n’est pas cadre, le confrontant à une hiérarchie contrôlant ses horaires : « Je ne fais pas ce que je souhaite de mon temps. Je dois rendre des comptes. Pour le slashing c’est beaucoup plus difficile » (Michel). Ses environnements professionnels sont peu accueillants. Sans compétences reconnues, il sait son attractivité professionnelle faible : « On ne me connait pas dans mon milieu professionnel. C’est normal car je n’ai pas fait grand-chose jusqu’à présent » (Marianna). Ses interventions sont réalisées en sous-traitance, liées à des pics d’activités. Parfois, il peut même être amené à devoir accepter des prestations au noir. C’est le cas de Luc qui nous décrit comment dans le bâtiment il a dû accepter de réaliser des travaux de maçonnerie sans contrat de travail et dans des conditions de sécurité faibles : « J’ai fait un chantier récemment dans une maison au black. Je n’étais pas le seul à être comme cela. On n’avait pas trop le choix si on voulait travailler. La sécurité des travailleurs n’était pas la priorité du responsable du chantier » (Luc). Son réseau professionnel et associatif est limité : « On ne peut pas dire que j’ai des amis au travail. Je leur rends des services pour lesquels ils me paient et voilà tout » (Baptiste). Dans sa vie privée, le slashing n’est pas compris tant sa famille est marquée par la stabilité dans une activité : « Mes parents sont tous les deux fonctionnaires. La sécurité est donc importante à leurs yeux. Le slashing pour eux, c’est une aberration. Ils font tout pour me dissuader de continuer. C’est parfois pesant » (Emmanuelle).
Enfin, la trajectoire professionnelle avant le slashing est marquée par plusieurs incidents. Le début de carrière est difficile : « J’ai mis quasiment deux ans pour trouver un emploi et en plus à durée déterminée » (Claude). Le slasher a connu le chômage : « J’ai eu un trou d’air dans ma vie professionnelle. Pendant trois ans j’étais en transition, au chômage quoi. Cela vous marque » (Luc). Dans ce contexte délicat, la crainte du rejet par l’environnement professionnel conduit à une réponse destructrice. Un cercle vicieux se développe. Le slasher cache son slashing : « Je sais ce qu’il en coûte de ne pas être dans le modèle. C’est pour cela que je veille à ce que personne ne sache ma double activité. Cela ne pourrait qu’entraîner des incompréhensions, de l’envie » (Claude). Ce faisant, il articule maintien et résolution de l’asymétrie identitaire. Cette dissimulation le fatigue tant il a peur d’être découvert. C’est le cas de ce slasher qui a été confronté avec son employeur à la sortie du métro en tenue de scène alors que chez lui il est consultant : « Cela n’a pas été un moment facile pour moi car j’ai dû lui expliquer ma situation rapidement car j’étais pressé. Il n’a pas trop apprécié que je le traite de la sorte » (Laetitia). Le slasher réévalue cognitivement sa situation en ramenant une activité au statut de passion. Le slashing est relu comme une parenthèse : « Si au début j’avais pensé pouvoir être à la fois brocanteur et dessinateur industriel, j’ai rapidement vu que cela ne pourrait pas le faire. Le marché est trop dur. La brocante redeviendra ce qu’elle était avant mon installation : une passion ! » (Michel). Le slashing devient transition vers un emploi stable : « Le slashing n’est qu’un moment de ma vie. Je fais cela pour avoir assez d’argent pour monter ma boîte de livreurs de pizzas » (Luc).
D’autres fuient : « Pour moi, la seule solution est le départ » (Emmanuelle). Il faut distinguer la fuite réelle, où le slasher se concentre sur une monoactivité, de la situation où la fuite reste un fantasme. Dans le premier cas, un plan est élaboré pour en limiter les coûts : « On ne quitte pas le slashing sur un coup de tête. J’ai fait un bilan de mon vécu et j’ai constaté qu’il y avait plus de désavantages que d’avantages. Je n’y trouve pas mon compte. Alors j’ai décidé de me replier vers l’activité la plus économiquement sûre et surtout celle qui me donne le plus de plaisir. Même si j’aime le monde du spectacle et la danse en particulier, c’est trop de stress, de problèmes en tout genre. J’ai liquidé mes costumes auprès de collègues. Je garde cela comme un loisir. Je fais partie d’une troupe amateure » (Charlie). Dans le second, la fuite reste une hypothèse : « C’est encore un projet. Je sais que je ne resterai pas dans le slashing. Je commence à envisager de partir, mais cela reste flou » (Thibaut). Ces résultats montrent que dans la stratégie de clandestinité le slasher évolue avec le temps. Il conserve l’asymétrie identitaire puis la résout ou envisage de la résoudre.
Cette stratégie montre que le slashing peut être douloureux. L’environnement professionnel et personnel ne reconnait pas l’identité désirée de slasher. Les questionnements personnels sont perçus comme forts et diversifiés. Le slasher se voit réduit à des stéréotypes liés à son âge (immaturité, impulsivité). Professionnellement, il apparaît comme peu fiable et incapable de pouvoir gérer des activités radicalement différentes. Ces questionnements sont d’autant plus difficiles à gérer que le slasher ne dispose pas de soutiens familiaux lui donnant un espace lui permettant d’exister en tant que slasher aux yeux d’autrui. Plus encore, l’équilibre économique de son slashing est incertain, ce qui mine sa confiance déjà mise à mal par une trajectoire professionnelle marquée par des échecs. Cette situation le conduit à devoir accepter de travailler « au noir ». La capacité à maintenir l’asymétrie identitaire est réduite. Pourtant, loin de résoudre l’asymétrie identitaire, comme nous le suggère la littérature dans une telle situation, le slasher choisit ici une option nouvelle, celle de la clandestinité qui traduit une articulation entre le maintien et la résolution. Il y a ici introduction du temps dans l’analyse. Le slasher évolue dans sa réponse à l’asymétrie identitaire. Il entreprend dans un premier temps de maintenir l’asymétrie identitaire avant d’envisager de la résoudre en s’éloignant du slashing. Cependant, il convient ici de noter que si la personne s’éloigne du slashing comme il est défini académiquement, il demeure dans la pluriactivité même si l’une des activités n’engendre plus de revenus.
Discussion
Cette recherche vise à comprendre une nouvelle forme d’emploi atypique : le slashing. Ce dernier s’inscrit dans un débat sociétal opposant précarité subie et flexibilité souhaitée brouillant sa compréhension. Les slashers sont confrontés à une situation de mauvaise identification. Mobilisant le cadre théorique de la mauvaise identification (Meister et al., 2014), nous cherchons à répondre à un double questionnement : Quelles formes prennent les asymétries identitaires internes ressenties par les slashers ? Comment les slashers gèrent-ils leurs asymétries identitaires internes au travail ?
Sur la base de 38 entretiens avec des slashers, cette recherche montre la force des asymétries identitaires les affectant comme la variété des stratégies de réponse. Plusieurs apports se dégagent. Premièrement, répondant à plusieurs appels pour développer des recherches empiriques sur des formes d’emplois atypiques précises (Everaere, 2014; Ashford et al. 2018), ce travail définit académiquement le slashing (Alboher, 2007) le différenciant d’une réduction à une pluriactivité subie (Richer, 2018; Le Goff, 2017) dans un contexte culturel marqué par la préférence pour la stabilité (Ibarra et Obodaru, 2016).
Deuxièmement, en concordance avec les théories du self-enhancement et de la self-verification (Kwang et Swann, 2010), le besoin de congruence entre l’identité pour soi et pour autrui est validé (Ashforth et Schinoff, 2016). La capacité d’agence valorisée par les slashers, tant elle les distingue d’autres formes d’emplois flexibles comme les intérimaires (Glaymann, 2007), est critiquée par leurs collègues. La mauvaise identification repose non sur une incompréhension, mais une lecture différente du slashing. Ces résultats retrouvent ceux de Sainsaulieu (1985) et Dubar (2000) en élargissant leur validité externe à une forme d’emploi récente : le slashing. Plus spécifiquement, cette recherche complète les travaux de Dubar (2000) sur l’identité pour soi et pour autrui en soulignant dans un contexte de tensions extrêmes entre les deux dynamiques que la capacité d’agence de l’individu reste forte. Les proximités entre les concepts d’identité pour autrui et de mauvaise identification sont établies, même si la seconde traduit un déséquilibre plus marqué avec l’identité pour soi que ne le fait le concept d’identité pour autrui.
Troisièmement, cette recherche, en s’appuyant sur la distinction posée par Meister et al (2014; 2017) entre résolution et maintien, retrouve celle avancée par la littérature sur le coping entre l’acceptation et la confrontation (Folkman et Lazarus, 1984). Avec les stratégies de militance et d’authenticité, le slasher maintient l’asymétrie identitaire alors que dans celle de clandestinité il articule maintien et résolution. Ces résultats montrent que les théories du self-enhancement et du self-verification peuvent être validées dans un même contexte (Baumeister, 1989; Kwang et Swann, 2010). Loin de subir les asymétries identitaires internes, le slasher se montre actif dans deux des stratégies identifiées (militance et authenticité). Il maintient son asymétrie identitaire en ne s’ajustant pas aux attentes de son environnement (Meister et al. 2014). Le slasher développe des stratégies proactives envers l’environnement professionnel retrouvant les conclusions du management de l’impression (Gardner et Martinko, 1988).
Cette confrontation s’opère tout au long du processus de négociation identitaire. Les slashers considèrent leur compréhension de leur identité au travail comme prévalant sur celles de leur environnement. Ils utilisent leur capacité d’agence non pas pour s’adapter aux attentes de leur environnement (Meister et al. 2014), mais pour qu’il accepte leur identité désirée. Si plusieurs tactiques identifiées par Meister et al. (2014), comme la recherche d’un mentor, se retrouvent dans les stratégies de militance ou d’authenticité, leur dynamique constructive conduisant à la confrontation ou à la fuite au terme d’un processus marqué par une volonté de compromis n’est pas validée retrouvant partiellement les conclusions de Demaret et Gilson (2019). Le slasher développe une logique de remédiation avec son environnement professionnel où il maintient son identité contestée. Les slashers choisissent le moment et les modalités de la révélation de leur spécificité comme des moyens de le faire ce qui facilite l’efficacité de la stratégie de maintien. Notre travail montre aussi l’existence d’une stratégie défensive fondée sur la clandestinité. Cette stratégie est originale et débouche souvent sur une volonté de fuite du slashing. Elle introduit dans la grille d’analyse de Meister et al. (2014) une dimension temporelle d’évolution. Les slashers articulent maintien et résolution. Cependant, la trajectoire proposée est celle d’une sortie du slashing. Rien ne suggère l’existence d’un cercle vertueux allant de la résolution au maintien. Ce résultat est important car il montre que le slasher ne cherche pas à construire une relation avec un environnement le questionnant. Il préfère fuir, confirmant en cela la théorie du self-enhancement (Allport, 1937, Baumeister, 1989). Ce résultat concorde avec les deux autres stratégies : la reconnaissance identitaire n’est pas aussi consensuelle que le décrivent Meister et al. (2017). Quand il est porteur d’un projet militant ou d’une volonté d’authenticité, il cherche à les faire valider par son environnement. À l’inverse, lorsqu’il ne peut fonder son originalité professionnelle sur de tels fondements, il est confronté à la peur et se retire du processus de reconnaissance identitaire, mettant fin à son identité de slasher. On retrouve aussi ici la relativisation des apports de la théorie du management de l’impression (Harlow, 2018).
Quatrièmement, répondant à l’appel de Meister et al. (2017), cette recherche enrichit la littérature d’une analyse sur les ressources fondant les stratégies de réponse à la mauvaise identification. Cette intégration montre que la stratégie de maintenance repose sur des ressources économiques, relationnelles voire symboliques confirmant des résultats établis dans d’autres contextes de flexibilité comme les intérimaires (Grima et Glaymann, 2012). En leur absence, comme cela est le cas avec la stratégie de clandestinité, le slasher choisit de ne plus l’être. Ces résultats montrent que la capacité d’agence du slasher résulte d’un travail précédant le slashing et entretenu pendant sa réalisation. Le cas de la stratégie d’authenticité montre la difficulté de la constitution de ce socle facilitant le slahing alors que le cas de la stratégie de clandestinité témoigne que son absence constitue un handicap. Ces résultats montrent que si la passion et la liberté fondent le slashing, elles doivent se combiner avec un travail relationnel et technique pour se constituer les bases économiques d’un slashing durable Ce résultat relativise un discours survalorisant la liberté et la passion en montrant l’existence de coûts d’entrée importants sans faire du slashing une autre forme d’emploi atypique contraint.
Conclusion
Pistes de recherches et limites du travail
Plusieurs pistes de recherche émergent de ce travail. La première est celle de la compréhension des interactions entre sphères personnelle et professionnelle. Cette recherche n’en esquisse que les contours. La deuxième serait de tester les trois stratégies de réponse identifiées (la militance, l’authenticité et la clandestinité) dans d’autres contextes ou pour d’autres populations de travailleurs atypiques. Plus encore, il serait intéressant de mener un travail longitudinal pour les valider et explorer des combinaisons de stratégies. Développer une telle architecture de recherche entre en résonance avec la conception de l’identité professionnelle de Sainsaulieu (1985) et Dubar (2000) qui soulignent que l’identité professionnelle est un processus en construction permanent où stabilité et nouveautés s’entrecroisent. On pourrait ici analyser l’évolution des formes juridiques prises par le slashing. Nos données suggèrent que la prudence conduit les slashers à choisir la combinaison salariat autoentreprise lorsqu’un risque économique est perçu alors que le statut d’indépendant traduit une assurance économique. La troisième serait d’approfondir l’influence des traits de personnalité comme le locus de contrôle sur les stratégies de réponse. Enfin, nos données suggèrent l’importance du genre dans l’analyse du slashing. La faible taille de notre échantillon nous conduit à inviter la communauté scientifique à approfondir cet axe de notre recherche.
Plusieurs limites sont présentes. La première reste la validité externe de nos résultats. Ce point est important tant les débats autour de la précarité sont importants en France. Cette recherche n’invite pas à réduire l’emploi atypique aux slashers. Les contours de la population des slashers, leur nombre peut faire l’objet d’un débat. La contrainte économique peut amener un individu à subir la précarité (Grima et Glaymann, 2012). Le cas examiné dans ce travail est spécifique. Nos résultats reposent sur des interviews réalisées auprès de 38 slashers français, majoritairement des hommes, résidant en région parisienne à l’exception de 3 cas. Nous ne pouvons pas prétendre avoir épuisé toutes les situations possibles. Il existe plus de diversité parmi les slashers que celle exposée ici. Notre échantillon demeure de convenance. Au-delà, la nature sensible du sujet nous expose au risque de biais de désirabilité sociale, malgré nos garanties d’anonymat et de confidentialité. Enfin, notre recherche se fonde sur une seule collecte de données ce qui nous permet de cerner imparfaitement la dynamique de réponse sur la durée.
Implications managériales
Plusieurs implications managériales émergent. Premièrement, il conviendrait que les organisations soutiennent leurs slashers avec leurs managers comme leurs collègues tant leur perception de l’identité professionnelle des slashers est capitale pour ces derniers. Pour cela, une formation ou une information sur les spécificités du slashing pourraient les sensibiliser à cette thématique. Des dispositifs de mentorat pourraient aussi être développés pour aider de jeunes slashers. Plus largement, afin de créer un climat favorable au slashing, une communication à l’ensemble du personnel pourrait être initiée.
Deuxièmement, le slashing nous apparaît un outil possible de flexibilité de l’emploi intéressant. D’abord en externe, où à la différence de l’essaimage ou des plans de départs volontaires il permettrait aux organisations de conserver des compétences liées aux slashers tout en garantissant à ces derniers une activité économiquement facilitant la prise de risque dans d’autres projets. Ensuite, en interne, le slashing peut permettre d’insuffler une nouvelle dynamique entrepreneuriale synonyme de coopération interne accrue. Plus encore, cette valorisation peut augmenter l’attractivité de l’organisation auprès de jeunes soucieux d’articuler travail et passion personnelle. Ici, les différences constatées entre les hommes et les femmes nous amènent à penser que des mesures plus favorables pour les femmes seraient pertinentes à développer.
Appendices
Annexe
annexe 1. Guide d'entretien
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Pourriez-vous nous décrire à grands traits votre scolarité ?
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Comment intégrez-vous le marché de l’emploi après cette scolarité ? (Description de ou des activités exercées, plaisir pris à leur exercice)
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Quels furent les postes que vous avez tenus depuis lors ?
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Comment s’expliquent vos mobilités successives ?
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Comment vous définissez vous professionnellement quand vous devez vous présenter à une ou des personnes que vous ne connaissez pas ?
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Pensez vous que cette compréhension de vous-même correspond à celle de vos collègues ?
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En cas d’écart, comment les avez-vous gérés professionnellement ?
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Y a-t-il eu un impact de ces écarts sur votre vie privée ? Si oui comment y avez-vous fait face ?
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Sur quelles ressources avez-vous pu vous appuyer dans ces ajustements ? A quels obstacles avez-vous dû faire face ?
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Pour vous, qu’est ce que le slashing ? Vous définiriez vous comme un slasher ?
Notes biographiques
François Grima est Professeur des Université à l’Université Paris Est Créteil (UPEC) et membre de l’Institut de Recherche en Gestion (IRG). Ses recherches s’inscrivent dans le champ des ressources humaines et portent sur les thématiques de la carrière, des partenaires sociaux et de la religion au travail. Membre de plusieurs associations académiques (AOM, EGOS, AGRH), il est l’auteur de plusieurs articles scientifiques publiés dans des revues francophones et anglophones sur ces thématiques.
Pauline de Becdelievre est Maître de conférences à l’ENS Paris Saclay et membre du laboratoire IDHES. Elle est titulaire d’un doctorat de l’Université Paris 2 Panthéon Assas. Ses recherches en Ressources Humaines portent sur les carrières, les travailleurs indépendants et le monde syndical. Elle a publié plusieurs articles dans des revues comme la Revue de Gestion des Ressources Humaines ou Relations industrielles/Industrial relations. Elle fait partie de nombreuses associations : AOM, EGOS ou encore AGRH.
Ludovic Taphanel est Enseignant-Chercheur au sein de l’école IGS RH à Paris. Ses recherches se concentrent principalement sur les nouvelles formes d’emplois et d’organisations. Il a publié plusieurs articles dans des revues francophones.
Notes
-
[*]
Profesionales multitarea
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[1]
Dans l’ensemble de l’article, nous retiendrons les définitions de Rojot (1994) de la stratégie comme : « … étant le schéma organisateur qui sous-tend les actions, les attitudes et les comportements à l’intérieur du processus de négociation. » et de la tactique comme : « … des mouvements spécifiques sélectionnés dans le but de mettre en oeuvre la stratégie sélectionnée. » (Rojot, 1994, p100-101).
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Appendices
Biographical notes
François Grima is a University Professor at the University of Paris Est Créteil (UPEC) and a member of the Institute of Management Research (IRG). His research is in the field of human resources and focuses on the themes of career, social partners and religion at work. Member of several academic associations (AOM, EGOS, AGRH), he is the author of several scientific articles published in French and English-speaking journals on these themes
Pauline de Becdelievre is an assistant Professor at ENS Paris Saclay and a member of the IDHES laboratory. She holds a PhD from the University of Paris 2 Panthéon Assas. Her research in Human Resources focuses on careers, self-employed workers and the trade union world. She has published several articles in journals such as Revue de Gestion des Ressources Humaines or Relations industrielles/Industrial relations. She is a member of several associations: AOM, EGOS and AGRH.
Ludovic Taphanel is an Associate Professor at the IGS RH school in Paris. His research focuses mainly on new forms of employment and organization. He has published several articles in French-language journals.
Appendices
Notas biograficas
François Grima es profesor universitario en la Universidad de París Este Créteil (UPEC) y miembro del Instituto de Investigación en Gestión (IRG). Sus investigaciones se enmarcan en el ámbito de los recursos humanos y se centran en los temas de la carrera profesional, los interlocutores sociales y la religión en el trabajo. Miembro de varias asociaciones académicas (AOM, EGOS, AGRH), es autor de varios artículos científicos publicados en revistas de habla francesa e inglesa sobre estos temas.
Pauline de Becdelievre es profesora de la ENS de París Saclay y miembro del laboratorio IDHES. Es doctora por la Universidad de París 2 Panthéon Assas. Su investigación en Recursos Humanos se centra en las carreras profesionales, los trabajadores autónomos y el mundo sindical. Ha publicado varios artículos en revistas como Revue de Gestion des Ressources Humaines o Relations industrielles/Industrial relations. Es miembro de varias asociaciones: AOM, EGOS y AGRH.
Ludovic Taphanel es Profesor Asociado en la escuela IGS RH de París. Su investigación se centra principalmente en las nuevas formas de empleo y organización. Ha publicado varios artículos en revistas en francés.