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La gouvernance des villes dans les pays du Sud est un débat d’actualité qui mérite moult attentions, au vu de sa diversité et de sa complexité. Ainsi, les villes du continent africain, même si elles accusent de multiples lacunes, suscitent actuellement un débat scientifique cadrant avec les dynamiques de globalisation touchant les métropoles des pays développés (Marchal et Stébé, 2014). Nous nous intéressons dans cet article aux pratiques d’intervention des parties prenantes (instance constituant l’État, acteurs économiques, acteurs de la société civile) dans les organes délibératifs locaux. Pour cela, l’étude de la prise de décision collective au niveau local sera fondamentale, tant le concept de décision est au coeur de la gouvernance. La décision collective est définie comme un choix fait par un groupe qui s’impose à un ensemble social. Cette notion intègre la délibération, considérée comme une situation de décision collective (Novak et Urfalino, 2017). L’implication de la société civile grâce à ses représentants au niveau des institutions publiques, ainsi que la complexité des affaires publiques et leurs interconnexions ont favorisé l’apparition d’une approche stratégique collaborative et d’une gouvernance de réseau dans les sociétés (Favoreu et al., 2016). De même, d’autres auteurs (Robertson et Choi, 2012) qui ont étudié l’environnement consensuel se sont intéressés aux conditions d’implication des acteurs dans le processus de décision collective. Des études ont porté aussi sur l’influence de l’environnement organisationnel sur les résultats de la participation des parties prenantes aux choix décisionnels (Edelenbos et Klijn, 2006). Des modèles théoriques présentent cette participation comme une nécessité (Bingham, 2006). Dans le même sillage de recherche, Videira et al. (2006) ont porté leur intérêt sur la temporalité et sur les objectifs de cette participation. Le management collaboratif en milieu public prend actuellement un ascendant sur la gestion hiérarchique au niveau local, avec l’apparition d’une gouvernance en réseau de politique publique, et cela, principalement dans les villes où évoluent de multiples acteurs. Nous assistons à un transfert de responsabilité et à une implication plus accrue des municipalités dans le management des villes, formant ainsi avec les fonctionnaires une arène de collaboration (Agranoff et McGuire, 2003 : 43). Le processus de décision dans ces réseaux est décrit comme l’aboutissement d’un accord entre plusieurs acteurs, il est vu comme un consensus où le partage de l’information entre les différents acteurs est capital (Agranoff, 2006). Notre recherche vise à contribuer à une meilleure compréhension de l’influence des parties prenantes dans la prise de décision collective. Le contexte communal dans les villes constitue un terrain d’étude empirique idéal, au vu de la proximité entre décideurs et parties prenantes, ainsi que du champ territorial d’interaction et d’intervention réduit, ce qui permet de cerner les variables expliquant le phénomène étudié. Pour atteindre le but de notre recherche à visée explicative (Grenier et Josserand, 2014), nous opérerons par une étude de cas (Yin, 2014). Ainsi, trois communes de la ville d’Alger sont analysées en profondeur. La première partie de notre article propose un cadre théorique intégrateur, et ce, afin de faire émerger des facteurs explicatifs de l’influence des parties prenantes sur le résultat de la prise de décision collective. Nous présenterons dans la deuxième partie la démarche méthodologique appliquée au cas de la ville d’Alger, ainsi que les résultats obtenus.

Cadrage théorique de la recherche

Éclairage sur la gouvernance publique dans les métropoles d’Afrique

L’approche néo-institutionnaliste est actuellement au centre des théories explicatives de la gouvernance en Afrique (Enguéléguélé, 2008; Gazibo, 2002, 2005). Le néo-institutionnalisme est fondamental dans l’analyse des politiques publiques en Afrique. Trois modèles d’analyse néo-institutionnalistes (du choix rationnel, historique et sociologique) étudient la fonction des institutions dans la détermination des résultats sociaux et politiques, c’est ainsi que les institutions sont vues comme des variables explicatives autonomes (Hall et Taylor, 1997). L’approche néo-institutionnaliste permet la compréhension des interactions entre acteurs considérés comme parties prenantes de l’action publique (Hassenteufel, 2011 : 115). En effet, Lecours (2002 : 4) avance que : « L’ontologie néo-institutionnaliste est constituée d’institutions coexistant avec des acteurs, que ce soient des groupes, des individus, des classes sociales ou des élites politiques. »

À partir des années 1990, une nouvelle forme de gouvernance apparaît en Afrique, caractérisée par une gestion partenariale qui promeut « moins d’État » et intégrant le référentiel du néolibéralisme. Dans ce sillage, l’étude élaborée par Baron et Peyroux (2011) sur les partenariats publics privés à Ouagadougou et à Johannesburg conclut à une redéfinition des rôles de l’État dans le contexte d’une collaboration triptyque regroupant les acteurs privés, publics et associatifs, qui sont vus comme des parties prenantes du service urbain. L’étude souligne que l’intervention du secteur privé est une légitimité qui cadre avec une nouvelle définition des rôles de l’État, ce dernier garde son statut d’autorité publique tout en cherchant à promouvoir la performance économique. Yemmafouo et al. (2019) s’intéressent à la gouvernance urbaine dans une étude empirique de la ville de Bamenda considérée comme la plus grande ville du Cameroun anglophone en termes de population, en touchant à la problématique du transport urbain et particulièrement au processus stratégique d’implémentation du transport routier. L’étude conclut à l’échec du processus d’aménagement urbain en l’absence d’une concertation avec les parties prenantes. Le contexte communal au niveau des villes citées nous amène vers une première conclusion sur l’aspect incontournable de la participation des parties prenantes dans les communes des villes d’Afrique. Un développement théorique suivra notre première conclusion, afin de construire un cadre théorique.

Gouvernance et influence des parties prenantes

La notion d’influence fait partie de l’essence même de la théorie des parties prenantes, cette perception est vue à travers la définition de Freeman (1994), une définition fondamentale à caractère bidirectionnel : « Une partie prenante est un individu ou groupe d’individus qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs organisationnels. »

Le concept de gouvernance est perçu dans la littérature sous trois différentes formes : unicentrique, multicentrique et pluricentrique, dont chacune fait référence à un paradigme (Van Kersbergen et Van Waarden, 2004). La gouvernance pluricentrique aussi dite gouvernance en réseau, et qui est au centre de notre recherche, peut être définie comme l’élaboration et la mise en oeuvre d’une politique publique entre plusieurs parties prenantes échafaudée grâce à une relation de forme réseau où les parties prenantes se présentent comme des acteurs internes et externes au gouvernement (Klijn et Skelcher, 2007). La liaison entre ces acteurs constitue le réseau de gouvernance (Sorensen et Torfing, 2003; Beach, 2009). Le concept de réseau considéré se recoupe avec les réseaux de parties prenantes en faisant référence aux interactions se produisant au niveau des points nodaux, le pouvoir et la légitimité des acteurs vus à partir de la théorie des parties prenantes sont parmi les liens explicatifs à ces interactions (Romestant, 2013). Dans la perspective d’une analyse de réseaux, deux écoles de pensée se distinguent. Celle des réseaux de politiques publiques orientées vers la négociation entre acteurs et le résultat de la décision et celle de l’école des réseaux de collaboration orientée vers le management public. Ces deux écoles sont vues comme complémentaires, et l’un des avantages de l’analyse de réseau est de permettre l’étude de l’influence des acteurs en matière de résultats (Varone et al., 2016).

Pour notre part, nous mobilisons un cadre théorique intégrateur à des fins d’analyse, le modèle développé par Hufty (2011) ainsi que la théorie de l’acteur réseau (Callon, 1986) sont parmi les composants de ce cadre.

Le modèle de Hufty (2011) est une méthodologie permettant d’analyser le processus de gouvernance. Les parties prenantes, sous-entendues dans le modèle, sont supposées détenir une autorité dont la source diverge selon la société. Le modèle explique que le concept de « moins d’État » a conduit à une gouvernance non hiérarchique et que la résolution des affaires publiques s’opère par une gouvernance en réseaux. Ainsi, il est accordé un intérêt particulier à la prise de décision. La méthodologie développée s’intéresse à l’articulation du processus de décision, dans les pratiques de gouvernance. Cinq parties composent l’outil d’analyse qu’est ce modèle : les normes, les acteurs, les points nodaux, les enjeux et le processus.

Trois parties de ce modèle intéresseront notre cadre théorique qui sont : 1) les acteurs considérés comme parties prenantes appréhendées par leurs caractéristiques qui restent à déterminer empiriquement; 2) les normes considérées aussi comme des prises de décisions; 3) les points nodaux vus comme espaces d’interaction d’acteurs et de décisions à l’image des assemblées communales ou municipales pour notre contexte d’étude.

Aussi, la théorie de l’acteur réseau s’avère intéressante pour l’étude des acteurs agissant dans un mode de gouvernance (Le Pennec, Olivaux, 2014), car elle permet une description dynamique des échanges entre parties intéressées. Pour cela, sa mobilisation dans notre cas d’étude, à des fins d’analyse, s’articulera selon les trois phases suivantes (Callon, 1988) : 1) la contextualisation pour identifier les parties prenantes mobilisées dans le processus décisionnel communal; 2) la problématisation qui nous amènera à comprendre l’origine du déclenchement du processus décisionnel; 3) l’enrôlement qui permettra de définir les rôles des acteurs en action.

Facteurs explicatifs potentiels influençant la prise de décision collective

Dans le développement qui suit, l’étude de deux modèles empiriques guidera notre analyse, la recherche menée par Brullot et al. (2014) et celle d’O’Higgins et Morgan (2006). L’étude de Brullot et al. (2014) est fondée sur la caractérisation des acteurs territoriaux, cette caractérisation est de forme individuelle et structurelle, elle se rapporte à des personnes ou à leurs organisations, leurs fonctions, leurs missions, leurs compétences, ainsi qu’aux règles qui régissent ces parties. Le modèle de Mitchell et al. (1997) est fondamental dans cette étude portant sur la gouvernance écologique. Ainsi, la caractérisation des parties prenantes se fait par l’observation des attributs du modèle de Mitchell. Il y a aussi lieu de citer la recherche d’O’Higgins et Morgan (2006) qui ont étudié l’importance des parties prenantes et le niveau d’engagement des organisations politiques envers leurs parties prenantes et qui s’est fondée aussi sur le modèle de Mitchell. Examinons à présent les caractéristiques liées aux parties prenantes en contexte de gouvernance locale. La construction du modèle de Mitchell et al. (1997) s’est faite dans un contexte de firme, mais le modèle de Mitchell s’inspire de la sociologie wébérienne pour définir les deux concepts de pouvoir et de légitimité et aussi d’une sociologie de la domination abordant les agents sur de multiples plans surtout politique et économique, ce qui prédispose ce modèle à s’enchâsser dans un contexte de réseau de gouvernance. Nous allons ci-après présenter les attributs du modèle de Mitchell, qui serviront d’ossature pour la partie empirique.

  • Pouvoir : le concept de pouvoir dans le modèle de Mitchell et al. (1997) est fondé sur les relations sociales entre acteurs, il se situe dans la tradition « wébérienne » impliquant la capacité de certains acteurs à agir sur d’autres, le concept se fond sur trois bases qui sont la coercition, l’utilité et la normativité.

  • Légitimité : le concept théorique de légitimité est proposé dans une définition systémique d’acteurs multiples où les normes, les valeurs et les croyances permettent son opérationnalisation, que les auteurs de l’article reconnaissent être difficiles à percevoir dans un contexte de firme, les bases de cette légitimité sont en trois niveaux, à savoir : le principe individuel, organisationnel et sociétal.

  • Urgence : le caractère statique des attributs pouvoir et légitimité mène Mitchell et al. (1997) à introduire l’attribut urgence qui fait appel au degré de priorité des demandes des acteurs, basé sur la sensibilité du temps de réaction aux requêtes des parties prenantes, ainsi que la criticité de leurs demandes.

L’étude de Brullot et al. (2014) apporte un aménagement au modèle de Mitchell pour élaborer le cadre théorique, ainsi l’attribut intérêt est privilégié pour remplacer l’attribut urgence dans le contexte étudié qui est l’action collective au niveau territorial. Brullot et al. (2014) relèvent l’importance de l’attribut intérêt dans une démarche d’écologie industrielle et territoriale. Ainsi, l’intérêt qui est collectif dans la démarche citée peut être vu comme la somme des intérêts des parties prenantes agissantes. Le modèle se fond sur deux axes d’analyse, l’un est l’identification de l’acteur, le second est l’action collective. L’attribut urgence est vu comme une fonction de hiérarchisation des actions managériales dans une organisation aux multiples liens avec les parties prenantes, ce qui n’est pas le but du processus de concertation mis en oeuvre dans le modèle, qui vise plutôt à identifier les acteurs censés participer à une démarche de gouvernance pour aboutir à leur caractérisation. C’est l’approche par caractérisation, qui fait appel aux attributs pour expliquer le rôle des acteurs au niveau territorial, qui est privilégié. La caractérisation des acteurs dans le modèle de Brullot et al. (2014) fait appel à la grille d’identification des parties prenantes de Mitchell et al. (1997), considérée comme une référence par une majorité de chercheurs (Neville et al., 2011). Par ailleurs, et dans une étude en contexte politique menée en Irlande par O’Higgins et Morgan (2006), la dimension idéologique est décrite par les auteurs comme plus déterminante que les trois attributs du modèle de Mitchell. Le modèle de O’Higgins et Morgan (2006) souligne que les attributs pouvoir, légitimité et urgence ne suffisent pas à eux seuls pour décrire d’une façon complète toute l’importance des parties prenantes pour les organisations politiques.

Nous allons ci-après présenter les deux attributs intérêt et idéologie et dont les concepts serviront la partie empirique :

  • Idéologie : définie comme un système d’opinion (Schaff, 1967), elle se caractérise par un ensemble d’idées et de pensées d’acteurs participant à l’action publique, elle incarne deux dimensions, l’une politique et l’autre territoriale (Arnaud et al., 2006 : 30). Les travaux de Di Méo (2001 : 238) citent le concept « d’idéologie territoriale », et qui est décrit comme une variable clé dans l’édifice territorial et dont la source est la collectivité locale, ajoutant que c’est grâce à ce concept que l’action sociale dans le territoire est établie par le pouvoir politique.

  • Intérêt : cette notion fait référence aux privilèges d’ordre économique, politique ou environnemental dont peuvent jouir des parties prenantes en s’impliquant dans une démarche d’action collective au niveau territorial (Brullot et al., 2014).

Dans un autre registre, la théorie du « self designing organization » montre le lien entre idéologie et rationalité dans la prise de décision (Hedberg et al., 1976 : 47), tout comme les travaux de Starbuck (1982) qui montrent que le résultat peut-être jugé satisfaisant par compatibilité à l’idéologie de l’organisation. Dans une étude sur la prise de décision dans le domaine de la préservation de l’environnement, Lamari et Landry (2003) soulignent toute l’importance de l’idéologie et de l’intérêt dans le paradigme de la rationalité politique (Hoy et Miskel, 1991, cités par Lamari et Landry, 2003), ces attributs sont à mettre à l’actif des organisations encadrant le processus de décision et non à l’actif des porteurs de décision.

Le réseau de politique publique comme cadre intégrateur et explicatif

La gouvernance des réseaux de politique publique permet de percevoir l’approche d’une partie prenante au sein d’un réseau d’acteurs à partir de son potentiel (Rhodes, 1997), ainsi les recherches décrivent une relation entre les attributs individuels des parties prenantes et leurs interactions dans un réseau, ces mêmes attributs sont vus comme des variables indépendantes dans la structure de ce réseau (Sasovova et al., 2010; Foro et al., 2012). Dans la même vision, le potentiel d’influence de la partie prenante au sein du réseau s’explique par la position qu’elle occupe grâce à ces attributs (Knoke et al., 1996 : 19). La multiplicité d’acteurs que suppose un contexte de décision au niveau d’une commune laisse entendre l’existence de relations de pouvoir et d’intérêt entre acteurs tout au long du processus de décision (Christensen et Westenholz, 2000). Les formes de participation des acteurs ont fait l’objet de plusieurs champs de recherche qui ont abouti à la conception de modèles théoriques et autres empiriques. Le niveau de participation d’une partie prenante permet à lui seul de distinguer trois niveaux d’implication selon Green et Hunton-Clarke (2003) qui se décline comme suit : 1) informative; 2) consultative; 3) décisionnelle. Au regard de notre étude qui vise la prise de décision dans les assemblées communales et qui est une forme hiérarchisée de décision, puisqu’indissociable de l’administration locale, la participation décisionnelle nous semble la plus représentative des mécanismes se déroulant entre les parties prenantes, celle–ci sous-entend une implication effective de certains acteurs dans l’atteinte du résultat final de la décision. Ainsi, notre revue de littérature démontre que les attributs intrinsèques aux parties prenantes constituent des facteurs explicatifs aux modes d’influence exercés par ces derniers, dans une gouvernance en réseau, et cela, au vu des liens qui se développent entre acteurs, d’où la pertinence d’un tel type de gouvernance pour expliquer le processus décisionnel au niveau local.

Nous formulons ainsi la proposition de recherche suivante : les parties prenantes agissant dans un contexte communal influencent les résultats des décisions collectives en fonction de leurs attributs.

Méthodologie de la recherche empirique

Méthode et terrain de recherche

L’objectif de notre recherche est d’expliquer l’impacte des attributs des parties prenantes sur le résultat de la prise de décision collective dans un environnement de gouvernance en réseau, d’où une étude à visée explicative. À cette fin, nous allons aborder la partie empirique avec une étude multisite qui est adaptée pour approfondir la compréhension d’une problématique (Miles et Huberman, 1994). Ainsi, nous prônons un design d’une étude de trois cas avec une seule et même unité d’analyse (Yin, 2014). Les cas sont structurés autour de trois communes de la ville d’Alger. Dans un premier temps, nous présentons les communes pour donner un aperçu au lecteur, dans un deuxième temps nous effectuons une analyse du contenu intra-cas, dans un troisième temps nous procédons à une analyse inter-cas, les résultats sont discutés dans un quatrième et dernier temps. Le déroulement des entretiens s’est effectué en deux phases, nous avons mené 16 entretiens semi-directifs entre les mois de novembre et décembre 2020 (Romelaer, 2005), auprès d’élus et d’ex-élus locaux de trois communes urbaines (codées Com 1, Com 2, Com 3). Dans un souci de triangulation des sources de données, une deuxième phase de collectes a eu lieu durant le mois de mars 2022, où nous avons réalisé encore 14 entretiens semi-directifs avec des représentants de l’administration locale, des acteurs de la société civile, des secrétaires généraux de commune (qui sont des membres observateurs dans les assemblées communales). Le choix du nombre d’entretiens a été dicté par l’atteinte d’un niveau de saturation dans le recueil de données (Miles et Huberman, 2003). Les entretiens ont duré d’une heure et demie à deux heures en moyenne, les interviews ont été intégralement retranscrites. Afin de faciliter la condensation et l’analyse des données, nous avons construit des matrices inter-sites (Miles, Huberman et Saldaña, 2013), et cela dans le but de faciliter le repérage des relations récurrentes et explicatives entre concepts. Une visite des différentes structures des assemblées communales étudiées a été réalisée, avec une approche des organes composant ces assemblées, et cela dans le but d’analyser le contexte, en réservant une journée pour chaque commune, ce qui représente presque sept heures par cas. Le découpage des unités d’analyse s’est fait de façon thématique, recherchant ainsi des noyaux de sens (Bardin, 2007). Nous avons procédé par la suite à une analyse intra-cas pour faire ressortir des occurrences, suivie d’une analyse inter-cas en comparant les occurrences, et cela en laissant la possibilité de l’émergence de nouveaux thèmes exprimant les idées des répondants. Nous avons aussi collecté des données secondaires grâce aux articles de presse que nous plaçons en complémentarité des données primaires au sein de notre processus de recherche, les données secondaires nous ont permis d’approfondir notre connaissance du secteur des collectivités territoriales et cela grâce à une meilleure vision sur les activités des élus et un repérage des parties prenantes en présence. Ainsi, nous avons pallié l’incomplétude de certaines données primaires en confrontant notre terrain d’étude à des données secondaires permettant une meilleure compréhension (Baumard et Ibert, 2014). Le guide d’entretien (annexe 1) construit aborde les thématiques suivantes : a) la description de la prise de décision collective dans un contexte de multiplicité d’acteurs; b) la présence des attributs dans le contexte décisionnel communal; c) l’influence des parties prenantes possédant un ou des attributs sur la décision. Ce guide a été adapté au profil des interviewés lors de la deuxième phase d’entretien.

L’étude des modèles de Brullot et al. (2014) et d’O’Higgins et Morgan (2006) nous a permis de dégager cinq attributs intrinsèques aux parties intéressées et qui seront considérées comme des variables à analyser, nous considérons que ce nombre de variables est suffisant pour une meilleure maîtrise de notre analyse en plus de la pertinence significative de ces attributs. Le tableau 1 présente les thématiques de notre enquête ainsi que leurs liens théoriques.

Nous avons aussi réalisé une analyse inductive générale (Thomas, 2006 : 242) du matériau obtenu à partir des 30 entretiens semi-directifs réalisés ce qui a permis d’identifier le processus de décision selon les phases de la théorie de l’acteur réseau présentées dans la revue de littérature, les résultats sont présentés ci-dessous.

Tableau 1

Thèmes, sous-thèmes abordés et relations avec le cadre théorique

Thèmes, sous-thèmes abordés et relations avec le cadre théorique

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Caractéristiques de l’échantillon

L’Algérie est considérée comme le plus grand pays d’Afrique en superficie, avec 58 divisions administratives appelées « wilayas », comprenant 1 541 communes. La ville d’Alger, capitale de l’Algérie, est située dans la wilaya d’Alger qui renferme 57 communes de différentes natures au vu de l’étendue de la surface de cette wilaya. Une diversité qui permet d’observer des territoires urbains, suburbains et ruraux, dans chaque commune siège une assemblée communale composée d’un président et d’un nombre défini d’élus. Nous nous intéressons dans notre étude à trois communes d’Alger de nature urbaine, organisée chacune en une assemblée communale élue, avec une partie des membres de l’assemblée qui exercent comme membres exécutifs qui sont le président de l’assemblée et ses adjoints, et d’autres membres qui siègent lors des délibérations programmées de l’assemblée communale. Le tableau 2 présente les caractéristiques des trois communes étudiées. Nos travaux empiriques sont le fruit de la mobilisation d’un réseau de contacts personnels et professionnels, grâce auquel nous avons pu constituer un échantillon à partir des trois communes (Com 1, Com 2, Com 3) qui est présenté dans le tableau 3.

Tableau 2

Caractéristiques des communes étudiées

Caractéristiques des communes étudiées

La wilaya d’Alger est une collectivité territoriale parmi les 58 formant l’État algérien, elle est considérée institution constitutionnelle, composée de 13 circonscriptions administratives, regroupant 57 communes.

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Résultats

Nous présentons en premier les résultats de la mobilisation de la théorie de l’acteur réseau, par la suite nous exposons les résultats selon les thématiques du guide d’entretien.

Résultats de la mobilisation de la théorie de l’acteur réseau

Dans un premier lieu, et afin de rendre compte d’une description complète du processus de décision, permettant une meilleure compréhension, nous avons fait ressortir les trois phases de mobilisation des parties intéressées. Nous présentons les résultats dans le tableau 4 ci-dessous.

Description de la prise de décision collective dans un contexte de multiplicité d’acteurs

Les formes de décision au niveau communal

Les trois assemblées communales étudiées fonctionnent selon les mêmes principes, les décisions sont programmées sur la base du budget communal. Ces décisions touchent deux volets : le premier volet concerne les préoccupations et besoins des citoyens de la commune en termes d’équipements sociaux et aménagements vitaux (eau, assainissement, environnement, création d’espaces communaux de divertissements et loisirs pour les familles et les jeunes…); le deuxième volet touche le développement local de la commune par l’application des programmes instaurés par le gouvernement au niveau central. Ainsi, les propositions de décision émanent de l’exécutif de l’assemblée communale formée du président et de ses adjoints, tous issus des élections locales et qui s’attellent à appliquer le programme exposé à la société civile au cours des campagnes électorales. La prise de décision obéit à une délibération de l’assemblée communale en présence des élus, ainsi qu’un observateur de l’administration locale, et cela avec un ordre du jour prédéfini et des propositions de décision préétablies qui font appel à un vote majoritaire pour l’adoption des décisions. L’ouverture de la délibération se fait par le président qui expose l’ordre du jour et amorce un débat entre élus. Les divergences d’avis sont exposées pour rapporter les préoccupations de la société civile ainsi que ceux d’acteurs participant à la vie de la commune. L’un des présidents d’assemblée communale évoque ce point : « Nous nous attelons dans les décisions sur deux choses : premièrement, comment décider des dépenses du budget de la commune, et deuxièmement le développement local, pour cela, nous recevons au niveau de notre secrétariat les doléances des citoyens, ainsi que les mouvements associatifs, les autorités nous incitent par voie officielle à être à l’écoute de la société civile dans le cadre de la démocratie participative. »

Tableau 3

Caractéristiques de l’échantillon[1][2][3][4][5]

Caractéristiques de l’échantillon12345

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Tableau 4

Processus de décision étudié selon la théorie de l’acteur réseau

Processus de décision étudié selon la théorie de l’acteur réseau

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Participation de représentants de l’administration locale et d’acteurs de la société civile

Les décisions des assemblées communales font l’objet d’une procédure d’approbation au niveau de l’administration locale. Cette procédure est suivie par le président de l’assemblée, en concertation avec différentes structures locales dont chacune est compétente dans son secteur. La conformité légale des décisions prises au cours des délibérations est le premier aspect permettant de valider le processus de décision, d’autres faces sont analysées par les pouvoirs locaux, à l’image du respect des prérogatives décisionnelles. C’est ainsi que la commune qui est vue comme une structure fonctionnelle est avant tout le noyau du développement local de son territoire, la mission des élus d’une commune est de veiller aux besoins des citoyens dans le cadre de ce développement. La concrétisation de cet objectif doit aller dans le sens des politiques publiques élaborées par le gouvernement et déployées au niveau des collectivités locales. La relation entre les élus de l’assemblée communale et l’administration locale est ainsi régie principalement par le Code des collectivités locales qui prévoit toutes les procédures de gestion au niveau des structures communales.

La participation des citoyens aux délibérations des assemblées communales est permise, mais comme membre observateur sans aucun droit d’intervention au cours des débats qui peuvent survenir pendant la délibération. La proximité qui existe entre les élus et la société civile permet de produire un effet réel par l’écoute des doléances, qu’elles soient par voies officielles ou portées par un membre élu de l’assemblée. Ces préoccupations sont aussi acheminées à travers les commissions communales, qui sont des organes internes à la commune chargée de traiter les dossiers dans les différents secteurs comme la santé, l’éducation, l’environnement, etc. Il est à noter également la participation des entreprises publiques locales (appelées aussi établissements publics) de la wilaya d’Alger comme moyen de mise en oeuvre des décisions locales. Les assemblées communales regroupent aussi des représentants de l’administration locale à l’image des secrétaires généraux de commune, ces derniers ont un rôle d’observateur et n’interfèrent pas dans la prise de décision. Le tableau 5 ci-dessous synthétise des extraits d’interviews dans le cadre d’une matrice inter-sites sur la participation des parties intéressées.

La présence des attributs dans le contexte décisionnel communal

Les attributs pouvoir et légitimité

La prise de décision au niveau des assemblées communales n’est pas vraiment indépendante d’interférences, il existe un lien étroit non apparent entre les délibérations et l’administration locale. Aussi les élus des communes ne voient pas de différence entre les deux concepts, pouvoir et légitimité, ils estiment que les décisions doivent subir une forme de conformité vis-à-vis des lois, tout en estimant que cela relève aussi d’une collaboration qui prend des formes de hiérarchie non déclarée officiellement. Par ailleurs, les élus s’estiment en position de force, car ils représentent le choix des citoyens, mais le pouvoir des autorités locales ainsi que leur légitimité ne sont pas remis en cause. C’est ce qui constitue un lien de travail nécessaire, et ne délimite pas le rôle ou le fonctionnement de l’assemblée communale. Les cadres de l’administration locale que nous avons rencontrés au cours de la deuxième phase d’entretiens estiment qu’un contrôle du processus de décision est légitime, car toute la procédure obéit à une réglementation dont ils sont garants, aussi les décisions des assemblées doivent, selon eux, s’insérer dans les plans de développement prédéfinis par l’exécutif au niveau central. Les membres de la société civile, quant à eux, estiment que les décisions de l’administration locale limitent par moments le champ d’action des élus faisant qu’ils se retrouvent otages de la bureaucratie.

Tableau 5

Matrice inter-sites sur la participation des parties prenantes au processus de décision

Matrice inter-sites sur la participation des parties prenantes au processus de décision

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L’attribut idéologie

Les élus rencontrés ont été unanimes dans leurs perceptions de l’idéologie, ils renvoient le concept d’appartenance idéologique au partage des mêmes idées et de la même perception dans la prise en charge des affaires communales. Ce partage quand il existe a lieu dans l’arène de la décision entre les membres délibérants et les parties intéressées par le processus de décision. Ainsi, pour les élus, cela renvoie à un aspect purement politique, qui sous-entend un partage des mêmes orientations politiques avec les parties prenantes possédant la même idéologie. Il y a lieu aussi de noter l’existence de différences au sein de la même assemblée communale vu que les élus ne partagent pas la même appartenance partisane, mais il y a toujours une majorité qui se dégage et dont est issu le président de l’assemblée. Cette majorité peut faire preuve d’accord ou de désaccords avec le reste des acteurs impliqués dans la prise de décision au niveau local, incarnée par les services de l’administration locale, et bien que les délibérations des assemblées sont cadrées par la loi, le partage des mêmes idéologies, surtout entre le président de l’assemblée et le reste des parties prenantes, offre une meilleure osmose dans le traitement des préoccupations au niveau communal. Il faut aussi noter qu’il existe toujours une domination idéologique dans une assemblée, car le système électoral impose que le président de l’assemblée soit issu de la majorité, ce qui lui offre un certain confort au niveau de l’assemblée, ce même confort n’est pas évident dans les interactions avec l’administration locale qui peut converger ou diverger en termes d’échange et d’avis avec le président de l’assemblée. Il ressort ainsi que l’attribut idéologie est basé concrètement sur le partage d’un choix par une partie intéressée. Les cadres de l’administration locale que nous avons rencontrés au cours de la deuxième phase d’entretiens estiment que les idéologies au niveau de l’administration locale sont le cumul d’expériences dans la gestion des dossiers, que beaucoup d’élus locaux ne possèdent pas, en citant l’exemple d’élus qui n’ont jamais oeuvré dans les collectivités locales, manquant cruellement d’expérience et de pratiques de gestion, et qui par moments n’arrivent pas à concrétiser leurs idées par des pratiques administratives. Les membres de la société civile, quant à eux, estiment qu’il existe un fonctionnement idéologique au sein de quelques administrations, reposant sur le partage de la même appartenance partisane et des mêmes idées dans le cadre du développement local, ce fonctionnement idéologique peut par moments converger avec l’administration locale ou s’opposer totalement.

Les attributs intérêt et urgence

Nos résultats montrent une faible influence de ces deux attributs dans le processus de décision. En effet, les actes décisionnels dans un contexte communal obéissent à une planification et à un ordre du jour et ne font nullement référence aux cas urgents émanant de parties intéressées, nécessitant une prise de décision immédiate, ces cas sont traités à d’autres niveaux de hiérarchie de la ville d’Alger. Aussi, l’attribut intérêt n’est pas vu comme un facteur permettant d’orienter le choix décisionnel pour les élus et ex-élus, pour qui l’orientation des choix suit un intérêt général et non celui d’une partie prenante particulière. Les cadres de l’administration locale que nous avons rencontrés au cours de la deuxième phase d’entretiens estiment que tout ce qui relève des urgences exprimées ou constatées dans la gestion quotidienne relève directement des pouvoirs publics qui déclenchent les leviers nécessaires pour remédier à ces cas. Ils avancent aussi qu’ils ne voient aucun intérêt personnel de l’administration dans le traitement des dossiers, c’est plutôt l’intérêt général des populations qui est recherché, ce dernier doit intégrer les besoins quotidiens des communes. Les membres de la société civile, quant à eux, estiment que les procédures de traitement des urgences sont du ressort de la puissance publique et non des élus de l’assemblée communale qui ne disposent pas des moyens permettant de remédier aux urgences, en effet, les cas urgents exprimés par les populations ou autres parties nécessitent une célérité dans la prise décision ce qui n’est pas le cas des assemblées communales, dont le processus de décision s’étale dans un intervalle de temps relativement long.

Tableau 6

Matrice inter-sites sur la présence et l’effet des attributs dans les délibérations communales

Matrice inter-sites sur la présence et l’effet des attributs dans les délibérations communales

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Effet des parties prenantes possédant un ou des attributs sur le résultat des décisions de l’assemblée communale

La perception ressentie chez les élus interviewés de l’influence des acteurs extérieurs à l’assemblée communale dans le processus de décision reflète en premier lieu l’effet de l’attribut pouvoir, chacun des élus y voit un degré d’influence. Nous avons même relevé une vision reflétant une sensation d’interférence dans la mission de l’élu. De même, nous avons noté qu’elle relevait chez d’autres élus d’une procédure administrative classique à laquelle ils étaient soumis. Aussi, nous avons relevé chez quelques élus locaux l’existence d’une indifférence terminologique, entre le pouvoir et la légitimité d’un acteur administratif local. Par ailleurs, l’appartenance idéologique est vue par les élus comme incarnant les mêmes percepts surtout d’ordre politique, qui renvoie par moments aux politiques publiques formulées au niveau de l’État, et qui s’acheminent de l’échelon central vers le local. Les cadres de l’administration locale que nous avons rencontrés au cours de la deuxième phase d’entretiens estiment que le pouvoir et la légitimité leur sont conférés par la force de la loi et que leurs interventions ne constituent nullement un empiétement aux prérogatives des élus, les fonctionnaires de l’administration publique estiment que les pratiques de vérification et de contrôle font partie des missions et des tâches classiques qu’exerce l’administration. Les membres de la société civile, quant à eux, estiment que le champ de travail des assemblées doit être plus élargi et moins contrôlé afin de permettre un développement local propre à chaque commune qui peut disposer librement de son budget.

Quant aux attributs urgence et intérêt, le traitement des données fait ressortir qu’ils sont inopérants dans le déroulement des délibérations, ils peuvent ainsi être considérés comme des variables sans effet sur le résultat décisionnel collectif.

Le tableau 6 ci-dessous synthétise des extraits d’interviews dans le cadre d’une matrice inter-sites sur la présence et l’effet des attributs dans les délibérations communales.

Discussion

Nos résultats contribuent à faire avancer les connaissances sur la relation entre les résultats des délibérations et l’effet des attributs des parties prenantes agissant dans un réseau d’action publique local.

Premièrement, notre étude apporte des éléments de connaissance sur les dynamiques existantes entre acteurs, et conduisant à la prise de décision locale, et cela grâce à la mobilisation de la théorie de l’acteur réseau qui démontre une certaine synergie avec la gouvernance en réseau.

Nous remarquons aussi que le cadre d’analyse de Hufty (2011) est pertinemment compatible avec notre contexte d’analyse pour les trois volets : acteurs, normes et points nodaux. De même, nous avons montré l’existence d’acteur influençant grandement la validation des prises de décisions, les normes du modèle de Hufty peuvent être interprétées comme des décisions exécutoires, et les points nodaux comme des noeuds d’interaction entre les décideurs et les parties prenantes, ces points nodaux peuvent être vus à travers les assemblées communales. L’analyse de l’influence des attributs intrinsèques aux parties prenantes montre que trois attributs parmi les cinq objets de l’analyse ont un effet significatif permettant de changer le résultat de la décision par une interaction sur la validation du processus décisionnel, ou un enrichissement au cours des délibérations. Nos résultats montrent aussi que les attributs pouvoir et légitimité requièrent un intérêt central dans la prise de décision incluant une participation des parties prenantes dans des processus décisionnels relevant de politique publique (Bérard, 2013), mais dans une résolution différente des concepts perçus empiriquement par d’autres recherches (Winstanley et al., 1995; Beach, 2009; Gomes et al., 2010; Shepherd et Pryke, 2014; Joubert et al., 2014). Selon nos résultats les attributs pouvoir et légitimité sont reliés par une relation de forme et de fond qui corrobore avec l’approche sociologique de Bourdieu (2001), pour qui la légitimité incarne une mise en relation avec une position qui permet d’exercer le pouvoir. Cette mise en relation est décrite par Bourdieu comme une légitimation formant un processus. Cela nous amène à inclure l’attribut pouvoir comme une sous-partie de l’attribut légitimité dans une analyse dynamique du processus de décision collective. Nos résultats montrent aussi une coproduction de décisions entre les élus locaux et les pouvoirs publics locaux, les décisions prises sont revêtues du caractère de la légitimité politique (Bouquet, 2014), car elles sont prononcées par les élus du peuple sous un couvert légal, ce n’est finalement qu’un choix démocratique obéissant aux lois, elles poursuivent une légitimation sociale des politiques publiques de l’État, c’est l’exigence de justification. Cela rejoint la généralisation de la pratique de gouvernance dans les pays du Sud, avec une nécessité d’adapter les politiques publiques aux préoccupations de la société civile, en impliquant différentes parties prenantes qu’elles soient vues chacune à part ou en réseau. Cette généralisation côtoie les pratiques d’intervention de l’État. Grâce à ces premiers résultats, il apparaît que les fondements théoriques des deux attributs, pouvoir et légitimité, dans le modèle de Mitchell, suivent d’autres courants de pensée (Weber, 1947; Pfeffer, 1981; Suchman, 1995; Dahl, 1957; Etzioni, 1964; Wood, 1991).

Nos résultats concernant les attributs légitimité et pouvoir rejoignent aussi les travaux de Boudon et Bourricaud (1994 : 32), les deux attributs ainsi vus font référence au concept d’autorité, définie comme suit :

« On parle de l’autorité d’une personne, d’une institution, d’un message, pour signifier qu’on leur fait confiance, qu’on accueille leur avis, leur suggestion ou leur injonction, avec respect, faveur, ou du moins sans hostilité ni résistance, et qu’on est disposé à y déférer. » Ce résultat abonde dans le sens sociologique de l’autorité qui est généralement considérée comme un pouvoir légitime (Coenen-Huther, 2005).

Figure 1

Représentation du processus de décision étudié

Représentation du processus de décision étudié

Les flèches en pointillés indiquent une faible influence ou une non-décision

Les flèches en traits continus indiquent l'existence d'une influence ou d'une prise effective de décision

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Notre recherche met la lumière sur deux aspects de la prise de décision (voir figure 1), les décisions exécutoires et les décisions non exécutoires. En effet, la réglementation permet à l’autorité locale de désapprouver des délibérations de l’assemblée communale. Le rôle des commis de l’État à la tête de la circonscription administrative, dont dépend la commune, est perçu comme déterminant par les élus, faisant que les décisions adoptées deviennent non exécutoires. La désapprobation touche des délibérations qui portent sur des aspects définis par le Code des collectivités territoriales et la nullité des délibérations est aussi définie par la loi. Cela se caractérise par la possibilité de rendre les actes de la collectivité territoriale qu’est la commune non exécutoires. Ce rejet des décisions s’exerce par un contrôle de légalité et une vérification de conformité des actes adoptés au cours de la délibération, avec les dispositions législatives et réglementaires. Ce processus de décision peut être vu comme la production d’une « non-décision » de la part des gouvernants. Il peut être analysé dans le « paradigme standard » de la légitimité (Dobry, 2003), dont le fondement majeur est la polarité légitimité/calcul rationnel.

Sur cette conception peuvent être fondés l’autorité de l’administration locale et son pouvoir. Sur ces bases, le réseau d’action publique local est à domination bureaucratique, cette domination se définit selon Weber (2013 : 44) par : « La possibilité de contraindre d’autres personnes à infléchir leur comportement en fonction de sa propre volonté », Weber voit en l’administration une autorité de domination. Ce modèle bureaucratique peut être interprété comme un mode d’organisation et l’exercice du droit comme un instrument d’action publique. La partie prenante ici, qui est l’administration locale, apparaît plus influente que les élus locaux censés prendre les décisions. Dans cette organisation, les décisions ne sont pas vues comme des actions mécaniques, elles rentrent dans un cadre qui instaure une légalité qui réduit les conduites aléatoires. Concernant le concept d’idéologie, nos travaux rejoignent les résultats d’O’Higgins et Morgan (2006), qui place ce concept comme incontournable dans la relation d’influence que jouent les parties prenantes engagées, le concept que nous cernons ici est celui d’une conception théorique, philosophique et politique produisant des politiques publiques (Hardy, 2006). Ces dernières sont mises en oeuvre au niveau local par une succession de décisions visant une implémentation d’une politique publique locale généralement mûrement réfléchie au niveau central et qui se déploie dans un contexte d’idées partagées par plusieurs acteurs (Négrier, 2008). Nous avons aussi relevé l’effet a posteriori dans le traitement des actions des assemblées communales de la part des administrateurs publics, et qui perçoivent les choix décisionnels des assemblées comme judicieux ou non, par rapport à une même compatibilité idéologique, ce qui rejoint les résultats de Starbuck (1982) sur l’effet des interactions idéologiques dans les organisations. Un autre résultat de notre recherche confirme que la gestion au niveau des villes dépend particulièrement de la réglementation qui est considérée comme un instrument qui résulte d’une association entre le management collaboratif et une approche politique dans la gestion des affaires publiques (Agranoff et McGuire, 2003 : 125).

Conclusion

La recherche entreprise au sein de la ville d’Alger visait un objectif exploratoire qui est l’étude de la participation des parties prenantes dans la gouvernance d’une collectivité territoriale, en portant notre intérêt à la prise de décision collective dans des communes de cette ville. La littérature montre que différents acteurs prennent part au processus décisionnel. De même, le modèle de Mitchell étudié en contexte de gouvernance suggère que les attributs des parties prenantes permettent d’expliquer leurs rôles dans un contexte de gouvernance. Ainsi, nous avons cherché à comprendre les mécanismes de participation des parties prenantes dans un contexte de réseau de politique publique en nous intéressant à ces attributs. Notre contribution principale est de proposer un modèle dynamique basé sur une redéfinition des attributs pouvoir, légitimité et idéologie pour expliquer l’effet des parties prenantes sur le résultat de la prise de décision collective, et cela selon deux formes, la première est la prise de décision sous influence de différentes parties prenantes et la seconde est la non-décision sous influence de la puissance publique comme partie prenante unilatérale. Notre modèle propose ainsi un enrichissement de la connaissance sur les configurations de participation des parties prenantes dans un contexte de réseau de gouvernance, grâce à une approche par les attributs des parties intéressées, qui caractérisent ces derniers. Outre l’apport théorique, cette recherche présente également des apports managériaux. En effet, nos résultats montrent qu’une partie prenante qui possède un attribut ou plus se positionne différemment par rapport au processus de décision. La connaissance de ces attributs est un facteur déterminant pour le décideur public positionné au sein d’un réseau d’action publique, ainsi que pour un acteur participant au processus de décision, et cela, en matière de définition de la stratégie publique. Aussi, le modèle développé est intéressant pour une meilleure approche de la gestion territoriale, et qui entraîne de nos jours une implication impérative de plusieurs acteurs. En effet, la connaissance de la nature des liens entre parties intéressées et autorité publique locale est un atout certain pour une bonne gouvernance. Malgré la richesse des enseignements de cette étude, la généralisation des résultats est pénalisée par l’étude unique d’une seule ville d’Afrique, ainsi que les biais d’une étude qualitative, en particulier l’accès aux données et la subjectivité du chercheur. Au regard de nos résultats, il conviendra de mener des études qualitatives dans d’autres villes d’Afrique. L’implication des parties prenantes dans la gouvernance incite à comprendre encore plus l’articulation de cette influence, ainsi que les facteurs susceptibles d’expliquer le déroulement du processus pour une meilleure compréhension des démarches décisionnelles. Aussi, l’exploration d’autres caractéristiques des parties prenantes pourrait aussi être étudiée.