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De nombreux territoires dans le monde cherchent à encourager la dynamique entrepreneuriale pour promouvoir le développement de sociétés entrepreneuriales (Audretsch et al., 2019; Audretsch, 2019). L’enjeu est de favoriser le développement économique en s’inspirant de réussites emblématiques comme la Silicon Valley. Ainsi, les pouvoirs publics proposent des incitations et des dispositifs pour favoriser l’émergence et le développement d’EE. Les acteurs de l’accompagnement se sont saisis de cette métaphore pour désigner un espace (biotope) et une communauté (biocénose) engagés dans une dynamique entrepreneuriale. Cette thématique trouve un large écho dans la littérature académique comme en témoignent les nombreuses études systématiques et bibliométriques (Cao et Shi, 2020; Malecki, 2018; Theodoraki et al., 2022; Wurth et al., 2021). Les travaux de Moore (1993) sur l’écosystème d’affaires sont présentés comme précurseurs. Pour autant, dans le champ de l’entrepreneuriat, des auteurs (Dubini, 1989; Van de Ven, 1993) ont invité à relier l’activité entrepreneuriale au contexte sous un angle territorial et systémique.

Un large courant s’intéresse à la structuration des écosystèmes, en faisant ressortir les attributs caractéristiques (Isenberg, 2011; Spigel, 2017; Stam et Van de Ven, 2021). Ce courant offre une lecture approfondie pour comprendre les éléments constitutifs de l’écosystème et comment ils interagissent et influencent la dynamique entrepreneuriale (Spigel, 2017). Pour autant, il reste assez analytique (Stam et Van de Ven, 2021) et ne permet pas de saisir l’émergence et la transformation des écosystèmes (Roundy et al., 2018; Cao et Shi, 2020). Pour combler ce manque, plusieurs auteurs (Han et al., 2021; Sheriff et Muffatto, 2018; Roundy et al., 2018; Cloutier et Messeghem, 2021; Messeghem et Cloutier, 2023) suggèrent de revenir aux fondements de l’approche systémique, en s’inspirant de la littérature sur les systèmes complexes adaptatifs (complex adaptive systems - CAS). Toutefois, peu de ces auteurs font référence aux travaux fondateurs de Simon et aux notions de quasi-décomposabilité et de redondance des systèmes complexes qui invitent à décomposer les écosystèmes sous forme de sous-systèmes. Phillips et Ritala (2019), sont précurseurs dans le contexte des écosystèmes d’innovation et d’affaires. Ils soulignent l’intérêt d’apprécier la structure des systèmes complexes sous la forme de hiérarchie de sous-systèmes, sans pour autant mobiliser les notions de quasi-décomposabilité et de redondance, introduites par Simon (1965) et sans approfondir cette question. Les travaux de Messeghem et Cloutier (2022, 2023), à travers une perspective évolutionniste, montrent qu’il s’agit d’une voie de recherche prometteuse. Par ailleurs, si certains travaux dans la littérature sur les écosystèmes entrepreneuriaux (EEs) évoquent la notion de sous-écosystèmes, ils ne proposent aucune justification théorique à cette décomposition (Dubina et al., 2017; Harrington, 2017; Malecki, 2018; Scheidgen, 2021; Theodoraki et Catanzaro, 2022; Theodoraki et Messeghem, 2017). Un sous-écosystème peut être défini comme un sous-système de l’EE caractérisé par une identité et une logique d’action. Ces sous-écosystèmes créent les conditions de la dynamique entrepreneuriale que nous définissons comme la capacité de l’écosystème à générer la création d’entreprises à potentiel de croissance au sein d’un territoire. Nous proposons de relier ces deux courants de littérature (Cloutier et Messeghem, 2022; Messeghem et Cloutier, 2023) pour proposer une représentation de l’EE sous la forme d’un système complexe adaptatif répondant aux principes de quasi-décomposabilité et de redondance de Simon (1965). Autrement dit, dans quelle mesure la théorie des systèmes complexes adaptatifs, enrichie des principes de quasi-décomposabilité et de redondance, permet-elle de combiner une lecture structurelle et dynamique des EEs sous forme des sous-écosystèmes ?

L’objectif de cet article est d’une part d’enrichir l’approche des systèmes complexes adaptatifs (Roundy et al., 2018; Han et al., 2021) en introduisant les notions de quasi-décomposabilité et de de redondance et d’autre part de proposer une modélisation de l’EE sous forme de sous-écosystèmes, en combinant une lecture structurelle et dynamique.

Il convient de préciser le niveau d’analyse retenu. De nombreux auteurs invitent à se centrer sur un niveau infranational (subnational) (Evenhuis, 2017; Malecki, 2018). Selon Malecki (2018), l’échelle locale est la plus appropriée pour étudier les EEs. Certains auteurs défendent une lecture multi-niveaux (Audretsch et al., 2019; McAdam et al., 2016; Theodoraki et Messeghem, 2017). Dans cet article, nous privilégions l’échelle locale en nous plaçant à un niveau méso. Nous serons amenés à tenir compte des interactions avec les autres niveaux dans la mesure où chaque niveau est imbriqué (« nested ») dans l’autre (Audretsch et al., 2019; Wurth et al., 2021). Pour faire ressortir les sous-écosystèmes, nous allons proposer une grille de lecture, adaptée à notre niveau d’analyse, qui permet d’apprécier la dynamique entrepreneuriale dans un territoire (Scaringella et Radziwon, 2018). Cette recherche retient un mode de raisonnement abductif. Notre modélisation est le fruit d’aller-retour entre la littérature et notre terrain. Pour exposer cette modélisation, nous allons nous appuyer sur une étude de cas exploratoire et illustrative menée dans le territoire de Montpellier (Sud de la France). Si cet écosystème contribue à faire émerger des entreprises innovantes, celles-ci s’inscrivent assez peu dans des stratégies de forte croissance et leur contribution au développement régional est très mesurée.

Dans une première partie, nous proposons d’élaborer une représentation de l’EE sous forme de sous-écosystèmes en nous appuyant sur la littérature des systèmes complexes adaptatifs. Nous exposons ensuite la méthodologie qualitative exploratoire qui vise à analyser le « quoi » par la mise en lumière des sous-écosystèmes et le « comment » par la mise en exergue des modes d’interaction. La troisième partie détaille les résultats de l’étude en mettant en exergue la structuration de l’EE sous-forme de sous-écosystèmes et sa dynamique autour du triptyque gouvernance, interaction et coévolution. Enfin, nous concluons cet article par une discussion des résultats et une mise en évidence des limites et des perspectives.

Représentation de l’écosystème entrepreneurial

Les travaux récents mettent en exergue les limites des approches analytiques des EEs (Stam et Van de Ven, 2021; Roundy et al., 2018; Cloutier et Messeghem, 2022). Après avoir mis en évidence l’apport de la perspective des systèmes complexes adaptatifs et des travaux de Simon (1962) pour une représentation renouvelée de l’EE, nous mettrons en lumière l’intérêt d’une lecture en termes de sous-écosystèmes.

Perspective des systèmes complexes adaptatifs

De nombreux auteurs (Roundy et al., 2018; Han et al., 2019; Haarhaus et al., 2020) soulignent l’intérêt de s’appuyer sur les systèmes complexes adaptatifs pour comprendre la dynamique de l’EE. Roundy et al. (2018), suggèrent ainsi de retenir six propriétés : l’émergence à travers l’auto-organisation, des frontières distinctes mais ouvertes, des composants complexes, des dynamiques non linéaires, une adaptabilité à travers des interactions dynamiques et une sensibilité aux conditions initiales. Han et al. (2019) s’inspirant de cette modélisation mettent en évidence les conditions d’un EE viable en prenant l’exemple de Zhongguancun, l’un des écosystèmes les plus dynamiques en Chine. Ces travaux sont intéressants pour apprécier la dynamique de l’EE mais ont tendance à mettre au second plan la structuration de l’EE. La représentation de l’écosystème dans ces approches reste globale (Han et al., 2019) et ne conduit pas une décomposition du système comme le suggère Simon (1962) qui n’est d’ailleurs pas mobilisé par ces auteurs.

Ritala et Philips (2019, p. 4) suggèrent combler ce manque en s’intéressant aux écosystèmes d’innovation : « Le concept de hiérarchie au sein de systèmes complexes, aboutissant à la formation de sous-systèmes au sein d’un système plus large, est bien établi (Simon, 1962) ». Pour autant, ces auteurs n’approfondissent pas les travaux de Simon (1965) et ne font pas référence aux notions de quasi-décomposabilité et de redondance qui sont importantes pour proposer une modélisation de l’EE sous forme de sous-écosystèmes.

La quasi-décomposabilité correspond à la décomposition d’un système en sous-ensembles. Un système est quasi-décomposable s’il est possible d’isoler des sous-systèmes qui interagissent faiblement entre eux, quand tous les éléments sont susceptibles d’interagir entre eux. Selon Simon (1962, p. 474), « (a) dans un système quasi-décomposable, le comportement à court terme de chacun des sous-systèmes de composants est approximativement indépendant du comportement à court terme des autres composants; (b) à long terme, le comportement d’un composant quelconque ne dépend que de manière agrégée du comportement des autres composants ». Dans un EE, différents types d’acteurs interagissent, pour autant ils sont indépendants à court terme, tout en étant interdépendants à plus long terme. Par exemple, les universités et les entreprises peuvent être amenées à interagir, pour autant ces organisations restent indépendantes en poursuivant leur logique d’action. Cloutier et Messeghem (2021) mobilisent cette notion pour apprécier l’évolution des écosystèmes sous forme de sentier de dépendance écosystémique et montrent comment les écosystèmes peuvent se structurer de façon dynamique sous formes de sous-écosystèmes.

La redondance s’apprécie par la répétition de caractéristiques. Pour Simon (1962, p. 481), la redondance permet une représentation simplifiée de système complexe : « La plupart des structures complexes trouvées dans le monde sont extrêmement redondantes, et nous pouvons utiliser cette redondance pour simplifier leur description ». La redondance peut être mise en perspective avec la notion de variété qui exprime au contraire la richesse du système (Sheriff et Muffatto, 2018). Dans le champ des sciences sociales, Luhmann (1999, p. 62) souligne cette différence : « Par Variété, nous désignons la multiplicité et la diversité des éléments d’un système et par Redondance, la mesure dans laquelle la connaissance d’un élément nous permet de deviner les autres sans devoir faire appel à des informations supplémentaires ». Dans un EE, la redondance peut s’apprécier par la similarité des logiques d’action et des formes d’organisation. A notre connaissance, cette caractéristique n’a pas été mobilisée pour étudier les EEs.

Pour une lecture dynamique de l’EE sous forme de sous-écosystèmes

La littérature sur les EEs s’est intéressée à leur structuration, en privilégiant deux perspectives, l’une dominante, en termes de facteurs (éléments, composants, attributs ou domaines) (Isenberg, 2011; Spigel, 2017; Stam et Van de Ven, 2021), et l’autre émergente, en termes de sous-écosystèmes (Harrington, 2017; Malecki, 2018; Scheidgen, 2021; Theodoraki et Catanzaro, 2022; Theodoraki et Messeghem, 2017). Elles partagent la même filiation théorique, en faisant référence à la théorie des systèmes complexes de Simon (1962) de façon explicite (Van de Ven, 1993; Stam et Van de Ven, 2021; Cloutier et Messeghem, 2022; Messeghem et Cloutier, 2023) ou implicite (Malecki, 2018; Roundy et al., 2018; Wurth et al., 2021). La définition d’un système organisationnel complexe permet d’envisager ces deux lectures : « By a hierarchic system, or hierarchy, I mean a system that is composed of interrelated subsystems, each of the latter being, in turn, hierarchic in structure until we reach some lowest level of elementary subsystem » (Simon, 1962, p. 468).

Il existe dans la littérature plusieurs modélisations systémiques qui explicitent les facteurs contribuant à la dynamique entrepreneuriale dans un territoire. Pour souligner le rôle de l’environnement, Van de Ven (1993) a introduit le concept d’infrastructure entrepreneuriale qui renvoie à des composantes structurelles en interaction qui contraignent et facilitent l’entrepreneuriat. De nombreux auteurs considèrent qu’il est à l’origine du concept d’EE (Cohen, 2006; Malecki, 2018). Cohen (2006, p. 2-3), l’un des premiers à avoir utilisé ce terme, fait référence explicitement aux interactions entre les composantes de l’infrastructure entrepreneuriale dans sa définition : « Les EEs représentent un ensemble diversifié d’acteurs interdépendants au sein d’une région géographique qui influencent la formation et la trajectoire finale de l’ensemble du groupe d’acteurs et potentiellement de l’économie dans son ensemble […]. Les EEs évoluent grâce à un ensemble de composantes interdépendantes qui interagissent pour créer de nouvelles entreprises au fil du temps ».

Dans cette même veine structurelle, des travaux ont cherché à caractériser les écosystèmes autour de grandes catégories, appelées attributs (Spigel, 2017), domaines (Isenberg, 2011) ou encore éléments (Stam et Van de Ven, 2021). Ces travaux défendent une lecture causale en affirmant que ces éléments déterminent l’activité entrepreneuriale (Spigel, 2017; Stam et Van de Ven, 2021). Stam et Van de Ven (2021) vont jusqu’à construire un modèle causal de l’EE. Cette représentation de l’écosystème sous forme de facteurs permet de faire ressortir les éléments saillants, mais elle présente un caractère analytique. Cette « stratégie analytique des systèmes » (Stam et Van de Ven, 2021, p. 826) peut trancher avec la lecture dynamique et systémique propre à la notion d’EE (Mack et Mayer, 2016; Roundy et al., 2018). Comme le soulignent Roundy et al. (2018, p. 1), la « production d’une liste d’attributs » n’est pas suffisante « pour comprendre les EEs et comment ils émergent ». Ces auteurs suggèrent de revenir aux fondements de l’approche systémique sous l’angle de la complexité (Manson, 2001), en défendant une approche sous forme de systèmes complexes adaptatifs. Ces travaux permettent de justifier une perspective systémique et ouvrent la voie à une modélisation sous forme de sous-écosystèmes (Phillips et Ritala, 2019; Stam et Van de Ven, 2021).

Cette voie de recherche émergente transparaît dans les travaux qui proposent d’analyser l’écosystème sous forme de sous-systèmes (Dubina et al., 2017; Scheidgen, 2021) ou de sous-écosystèmes (Harrington, 2017; Malecki, 2018; Theodoraki et Catanzaro, 2022). L’intérêt de cette approche est de montrer que la dynamique d’évolution du système est liée à celle de ses sous-ensembles et de leurs interactions. Harrington (2017, p. 10) définit les sous-écosystèmes comme « des écosystèmes au sein de l’écosystème qui sont adaptés à des industries, des technologies ou des domaines d’intérêt spécifiques ». Autrement dit, certains sous-écosystèmes ont un caractère structurant et conditionnent la dynamique de l’écosystème en transition. La littérature a eu tendance à mettre l’accent sur deux sous-écosystèmes structurants : l’écosystème de connaissances et l’écosystème d’affaires (Clarysse et al., 2014; Dubina et al., 2017; Gratacap et al., 2017). S’ils jouent un rôle central (Malecki, 2018), ils ne révèlent qu’une partie de la structure de l’EE (Spigel, 2017). L’enjeu est de mettre en lumière les sous-écosystèmes qui contribuent à la dynamique entrepreneuriale de par leur rôle structurant. Notre approche méthodologique et notre étude empirique doivent nous permettre de proposer une modélisation de l’EE sous la forme de sous-écosystèmes structurants.

Pour apprécier la dynamique de l’EE, nous proposons de nous centrer sur trois caractéristiques largement utilisées dans la littérature sur les EEs : la gouvernance, les interactions et la coévolution (Roundy et al., 2018; Cao et Shi, 2020; Han et al., 2021). La CAS aborde la question de la gouvernance sous l’angle de l’auto-organisation en remettant en question l’idée d’une gouvernance hiérarchique dans laquelle un acteur central parviendrait à peser de façon déterminante sur l’évolution de l’EE. La gouvernance dépend de différentes parties prenantes et de leur engagement dynamique (Cao et Shi, 2020). Cao et Shi (2020) évoquent l’idée d’une coordination multipolaire qui dépend du cycle de vie de l’EE. Lors des phases d’émergence, une gouvernance hiérarchique peut contribuer à impulser une dynamique entrepreneuriale dans un territoire. En phase de maturité, une gouvernance relationnelle finit par s’imposer dans une logique de co-construction (Colombelli et al., 2019). La notion d’interaction est une caractéristique essentielle des EEs (Spigel, 2017; Cao et Shi, 2020) et au coeur de la CAS. Elle est abordée sous l’angle des dynamiques non linéaires et de l’adaptabilité. Les interactions entre les composantes de l’EE favorisent des boucles de rétroaction (Brown et Mason, 2017). Comme le soulignent Roundy et al. (2018, p. 4), « en plus de la complexité qui découle des interactions non linéaires des composants d’un système, ces interactions peuvent également produire une adaptabilité ». Les interactions entre les acteurs, les organisations ou les réseaux permettent de faire émerger collectivement des solutions aux problèmes auxquels l’EE peut être confronté. Par exemple, pour renforcer l’attractivité vis-à-vis des investisseurs, plusieurs acteurs de l’écosystème peuvent co-construire des actions collectives comme des événements favorisant les rencontres entre start-up et investisseurs. La troisième caractéristique pour apprécier la dynamique d’un EE est la notion de coévolution. Elle apparaît dans la littérature comme une caractéristique majeure des EEs (Stam et Van de Ven, 2019; Han et al., 2021; Hou et Shi, 2021) même si Roundy et al. (2018) n’y font pas référence explicitement. Han et al. (2021) dans leur étude enrichissent le modèle de la CAS en intégrant cette dimension d’inspiration évolutionniste et très présente dans le champ de la biologique et de l’écologie (Kauffman et Johnsen, 1991). La coévolution s’apprécie entre des espèces différentes qui interagissent. Elle peut être vue comme la somme des transformations induites par l’évolution commune de ces espèces. Dans un EE, la coévolution peut s’observer à l’intérieur et entre les sous-écosystèmes en termes de compétences, de valeurs voire de vision.

Une méthodologie qualitative exploratoire

Cette recherche par raisonnement abductif est basée sur une méthodologie qualitative à partir d’une étude de cas exploratoire et illustrative, méthode particulièrement adaptée à l’analyse des concepts émergents, non linéaires ou peu étudiés dans la littérature (Dana et Dana, 2005; Miles et Huberman, 2003; Yin, 2018). Cette démarche permet d’étudier l’écosystème de manière holistique et d’analyser sa dynamique et sa complexité (Yin, 2018). L’objectif n’est pas d’analyser les relations dynamiques de chaque sous-écosystème de manière fine, mais plutôt d’illustrer et d’explorer le « quoi » par la mise en exergue des différents types de sous-écosystèmes et le « comment » par la mise en évidence de la dynamique de l’EE.

Présentation du cas

Pour répondre à notre problématique, nous avons choisi de nous centrer sur la Métropole de Montpellier. Le choix du terrain se justifie par la richesse des acteurs et des facteurs et par le lancement d’initiatives originales (Cohen, 2006). Selon l’INSEE, Montpellier, 7ème plus grande ville de France, est une aire urbaine de 607 896 habitants (281 613 habitants pour la ville), caractérisée par une forte croissance démographique (taux de croissance annuel moyen de +1,3 %) et par sa jeunesse (les moins de 30 ans représentent 43 % de la population). Montpellier concilie un EE dynamique et une situation économique difficile avec un taux de chômage particulièrement élevé (21,5 %). Classé 5ème site français dans le domaine de la recherche (avec 7 500 chercheurs, 70 000 étudiants, 8 pôles de compétitivité et plusieurs centres R&D), le territoire a adopté depuis 30 ans une politique ambitieuse en termes d’innovation et d’entrepreneuriat. Il s’est doté en 1987 d’un incubateur d’innovation qui a été classé en 2018, 2ème incubateur mondial (le BIC de Montpellier élu en 2007 meilleur incubateur technologique mondial par l’organisme international InBIA et classé 2ème incubateur mondial en 2018 par UBI Global). Il bénéficie depuis 2014 du label Métropole FrenchTech, attribué par l’Etat aux EEs les plus dynamiques en France, en termes de mobilisation des entrepreneurs, de levées de fonds ou encore de nombre de start-ups en forte croissance. Cet écosystème est en phase de transition au sens de Colombelli et al. (2019, p. 509), car il est « caractérisé par l’émergence d’une variété complexe de mécanismes de rétroaction sociaux, culturels, politiques et économiques, qui peuvent soutenir ou décourager les processus de dépendance au sein du réseau d’acteurs ». Selon ces auteurs, cette phase intermédiaire est en termes de gouvernance à mi-chemin entre le mode hiérarchique et le mode relationnel et implique une dimension dynamique et d’adaptation constante.

Collecte des données

La collecte de données repose sur 48 entretiens semi-directifs avec les acteurs majeurs de l’EE de l’aire métropolitaine (36 entretiens au sein de la Métropole de Montpellier et 12 au sein de la Région Languedoc-Roussillon) (Tableau 1). La sélection des répondants s’est basée sur leur localisation dans la Métropole de Montpellier, leur appartenance à l’EE local ou leur collaboration étroite avec un acteur territorial.

TABLEAU 1

Distribution des 48 entretiens semi-directifs

Distribution des 48 entretiens semi-directifs

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L’observation historique de l’activité entrepreneuriale régionale a été approfondie par les entretiens semi-directifs, qui se sont déroulés entre juin 2013 et novembre 2014, à l’aide d’un guide portant sur les caractéristiques organisationnelles de l’acteur interviewé (services, spécificités, stratégie, etc.) et de l’EE (composition, interaction avec d’autres acteurs, types des relations, etc.). Les entretiens ont été réalisés en face à face, enregistrés (en additionnant plus de 65 heures d’enregistrement audio avec une durée moyenne de 82 minutes), retranscrits et codés à l’aide du logiciel Nvivo12 (Bazeley et Jackson, 2013). Par ailleurs, nos données ont été complétées avec des données secondaires permettant leur triangulation (visites de sites, observation participante et non participante à des réunions, à des événements et à des groupes de travail au sein de l’écosystème, sources secondaires et veille documentaire basée sur des sites spécialisés, brochures, rapports annuels, communiqués de presse, archives, etc.). Cette approche a permis de valider davantage les résultats de notre recherche (Jick, 1979).

Analyse des données

Le traitement des données a été réalisé grâce à l’analyse de contenu thématique (verticale et horizontale) qui permet de structurer le texte par entretien, en faisant émerger des thèmes et de repérer les récurrences du corpus total (Gavard-Perret et Helme-Guizon, 2008; Miles et Huberman, 2003). L’analyse des données a été organisée en deux étapes : un codage primaire sur le thème de l’EE (structuration, interactions, représentation générale) et un codage secondaire intégrant la modélisation sous forme de sous-écosystèmes et de dynamique de l’EE.

Dans une phase de décontextualisation, les noeuds ont été créés en utilisant un codage ouvert qui a permis l’identification des concepts émergents et leur regroupement. Ainsi, dans la phase de recontextualisation, un codage axial a permis le tri, le regroupement et la réorganisation des codes en cherchant des similarités ou des différences parmi eux dans le but de créer des thèmes génériques. En parallèle, nous avons synthétisé les principaux codes afin d’analyser le grand nombre des données et présenter de manière structurée nos résultats (Figure 1).

Figure 1

Grille de codage

Grille de codage

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Structure et dynamique de l’EE sous forme de sous-écosystèmes

Pour apprécier la structuration de l’EE sous la forme de sous-écosystèmes, nous allons mettre l’accent sur la quasi-décomposabilité et la redondance. Nous mettrons ensuite en lumière la dynamique de l’écosystème à travers la gouvernance, les interactions et la coévolution.

Structuration de l’EE

La quasi-décomposabilité de l’écosystème sous forme de sous-écosystèmes

L’analyse a permis de mettre en évidence quatre sous-écosystèmes structurants : i) le sous-écosystème d’affaires; le sous-écosystème de connaissances; iii) le sous-écosystème institutionnel et iv) le sous-écosystème d’accompagnement entrepreneurial.

Le sous-écosystème d’affaires regroupe tous les acteurs économiques et toutes les actions mises en oeuvre par les entreprises pour développer des projets communs au service de la croissance, de l’innovation et du développement de filières. Il faut noter la présence d’acteurs majeurs notamment dans le domaine high tech. Dès 1965, IBM a fait le choix de s’installer à Montpellier. Les implantations de Dell, dans les années 1990, ou récemment d’Alstom Grid, ont ensuite consolidé la mutation numérique du territoire montpelliérain. Pour autant, les relations entre grandes entreprises et startups restent assez peu développées. Pour y répondre, des initiatives ont été lancées pour favoriser ces relations dans le cadre de la FrenchTech. La diversité de l’écosystème d’affaires offre de nombreuses opportunités de collaboration pour les entrepreneurs. Un entrepreneur accompagné détaille ces collaborations et mises en relation « des centaines d’acteurs externalisés sont intervenus dans le projet par le biais de prestations externes (avocats, experts comptables, cabinets de consultants, spécialistes du domaine de la santé pour définir la stratégie, prestataires spécialisés en développement informatique, aide à la création du site internet, accès à une base de données sécurisées notamment la CNIL etc.) ».

Le sous-écosystème de connaissances est composé d’Universités, d’Écoles et d’organismes de recherche, qui contribuent à la création et au développement de nouvelles connaissances et vise à mettre en oeuvre des actions pour favoriser leur diffusion. La Métropole de Montpellier bénéficie d’un écosystème de connaissances très dynamique avec un pôle universitaire et la présence des principaux centres de recherche, tels que l’INRAE ou le CNRS. Le but de ce sous-écosystème est de sensibiliser et former à l’entrepreneuriat et à l’innovation, de pré-accompagner les étudiants, de transférer et valoriser les connaissances scientifiques ainsi que de commercialiser les technologies. Il est caractérisé par une diversité d’acteurs et par une forte coordination favorisée à travers des structures comme les Pôles Etudiants Pour l’Innovation, le Transfert et l’Entrepreneuriat (PEPITE) ou les Sociétés d’Accélération de Transfert Technologique (SATT). Le responsable d’un organisme académique témoigne que « nos missions incluent à la fois de l’information, de la sensibilisation, de la formation en entrepreneuriat et du pré-accompagnement des porteurs de projet ».

Le sous-écosystème institutionnel fait référence aux décideurs politiques, administrations, agences et autres structures qui contribuent à la définition et à la mise en oeuvre de la politique entrepreneuriale. Sous l’impulsion de Georges Frêche Maire de Montpellier de 1977 à 2004, puis Président de la Région Languedoc-Roussillon de 2004 à 2010, une politique entrepreneuriale a été menée avec volontarisme et constance. Pour la plupart des acteurs interrogés, les décideurs politiques locaux assument le pilotage de l’écosystème. Leur objectif est d’encourager la création d’entreprises innovantes à travers différents dispositifs. La Région, renforcée par la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) du 7 août 2015, mobilise des moyens notamment européens dans le cadre de la Stratégie de Smart Spécialisation, en retenant comme axe stratégique de développement : l’entrepreneuriat et l’innovation. Un institutionnel confirme que « la 3 S [Stratégie de Smart Specialisation] va contribuer au schéma régional de développement de l’économie et de l’innovation sans faire abstraction des programmes opérationnels, puisque tous ces éléments doivent être complémentaires et coordonnés ».

Le sous-écosystème de l’accompagnement entrepreneurial fait référence aux acteurs de l’accompagnement en lien avec les trois autres sous-écosystèmes structurants. Chaque sous-écosystème contribue à faire émerger des structures hybrides pour favoriser la dynamique entrepreneuriale. Ce sous-écosystème est lié à la volonté des acteurs de créer un environnement favorable à la création et au développement de nouvelles entreprises. Cette volonté commune a donné lieu à plusieurs initiatives et notamment à la création des réseaux d’accompagnement qui permettent de structurer et de fédérer les acteurs d’accompagnement entrepreneurial. Le réseau Synersud illustre bien cette dynamique collaborative. Créé en 1999, il a été fusionné avec le réseau Rezopep pour donner naissance au réseau d’incubateurs et de pépinières d’Occitanie, RésO IP+ en 2018. Ces acteurs jouent un rôle décisif en renforçant la mise en réseau, l’accès à des ressources humaines et financières et en favorisant les dynamiques d’apprentissage. La mobilisation de ces différents acteurs est indispensable au développement et à la réussite d’un projet innovant dans une logique d’innovation collective. Selon un coordinateur de réseau « le travail de la structure d’accompagnement correspond à la mise en relation avec les institutionnels, avec les financeurs et avec les réseaux. Il s’agit d’une interface avec tous ces gens-là ».

La redondance comme moyen de délimitation des sous-écosystèmes

Le principe de redondance fait référence à la similitude de l’offre proposée par opposition à la variété qui fait référence à sa diversité. Un coordinateur du réseau d’accompagnement souligne que les acteurs ont développé des offres similaires « nous avons un système d’accompagnement qui est très concentré. Nous nous rendons compte que sur les quatre-vingts pourcents du corps business tout le monde fait la même chose ». Cette similitude de l’offre donne parfois lieu à une répétition des services proposés et à des prestations dupliquées. Le chargé d’affaires d’un incubateur académique indique que « c’est du co-accompagnement. C’est eux [l’autre structure d’accompagnement] qui nous envoient les projets pour qu’on monte une collaboration dans la recherche. Si le projet est suffisamment mûr et s’il nous correspond, il va avoir un accompagnement doublon mais ça se fait de façon intelligente ». La redondance de l’écosystème correspond à sa dimension formelle ou formalisable, c’est-à-dire l’ordre répétitif qui permet à l’écosystème de se reproduire et d’assurer son bon fonctionnement. Ainsi, le principe de redondance est le résultat de la mutualisation d’outils et la formalisation des processus entrepreneuriaux. Un institutionnel confirme que « la Région a mis en place cet outil avec l’ensemble des partenaires de terrain et cet outil est utilisé pour formaliser les différents entretiens de l’accompagnement qui ont lieu entre le chargé d’affaires et l’entreprise accompagnée ». Pour assurer le bon fonctionnement de l’écosystème, une démarche participative de tous les acteurs est nécessaire. Un institutionnel du développement économique affirme qu’« au départ, lorsque le premier schéma régional de développement économique a été mis en oeuvre, il a été une démarche très participative avec des structures de terrain, puisqu’elles ont toutes contribué à la construction des outils qui existent à l’heure actuelle ». Par ailleurs, les sous-écosystèmes sont caractérisés par une identité et une culture spécifique. Néanmoins, les acteurs souhaitent créer des connexions entre eux, même si la tâche est complexe. Par exemple, la directrice d’un incubateur évoque les différences culturelles entre les sous-écosystèmes de connaissances, d’accompagnement entrepreneurial et d’affaires « l’université est présente, très importante et pourrait nous aider à aller beaucoup plus loin, mais il y a tellement d’écarts entre nos cultures respectives : entre celle de l’université, la nôtre (de l’accompagnement entrepreneurial) et celle de l’entreprise qui a encore une culture différente. Avant de relier les trois, il y a du travail ». Ce témoignage illustre également la question de l’ouverture des frontières entre les sous-écosystèmes.

La dynamique de l’EE

Ce paragraphe met en lumière la dynamique de l’EE à travers trois dimensions : la gouvernance, l’interaction et la coévolution.

La première dimension est liée à la dynamique de la gouvernance des acteurs qui fait référence aux modes de décisions (top-down et bottom-up) au sein de l’écosystème. Les acteurs publics, en particulier la Région, peuvent souhaiter influencer la structuration de l’écosystème. Un responsable du développement économique de la Région confirme qu’« on va assumer le rôle de coordinateur et d’animateur. Évidemment ça ne peut pas se faire sans les partenaires. C’est l’idée-même de chef de file ou de chef d’orchestre […]. Dans l’EE, les politiques publiques peuvent s’inscrire comme étant à l’origine de la constitution d’un environnement favorable à l’entrepreneuriat ». Pour autant, les acteurs peuvent également contribuer à cette orchestration de l’écosystème. La directrice d’une structure de transfert de technologie témoigne que « des arbitrages sont faits et qu’il y aura peut-être des regroupements et des repositionnements de structures sur une offre plus resserrée, qui permettra la diminution de la concurrence ».

La deuxième dimension concerne l’interaction entre les acteurs et leur complémentarité. La directrice d’une structure de transfert de technologie affirme que « nous travaillons systématiquement en co-accompagnement avec les autres membres du réseau. Nous n’intervenons jamais seuls parce qu’à ce stade, l’accompagnement économique est aussi important que l’accompagnement technologique ». En parallèle, un consultant privé nous décrit que « [les acteurs d’accompagnement] sont prescripteurs de nos prestations et nous recommandent. Ils peuvent être partenaires dans le sens où nous travaillons ensemble sur des missions et où nous faisons intervenir des avocats et des experts comptables pour la partie financière ». Du point de vue de la fréquence des interactions, les acteurs de l’EE se rencontrent régulièrement afin de construire une relation de confiance et de pouvoir optimiser les processus d’accompagnement. Une accompagnatrice de l’incubateur académique indique que « nous nous croisons très souvent, lors des manifestations sur la création d’entreprises, sur les salons etc. Tous les acteurs sont là, c’est l’occasion d’échanger, de se parler, de s’inviter mutuellement à nos revues de projets ». Les interactions entre les acteurs se caractérisent également par la co-opétition, qui se traduit par des relations simultanées de coopération et de compétition. La coopération est présente dans le territoire comme en témoigne la directrice d’une structure de transfert de technologie « les gens travaillent en bonne intelligence et ils montent des actions communes ». En parallèle de ces actions qui permettent de mettre en évidence les spécificités et atouts du territoire, il existe une compétition entre les acteurs principalement liée au manque de ressources financières, selon le responsable d’une structure d’accompagnement « aujourd’hui, il y a forcément de la concurrence parce que nous avons un gâteau “les subventions”, qui diminue ou reste identique, alors qu’il y a plus de monde qui vient manger dessus et forcément les parts sont plus petites ».

La dernière dimension fait référence à la dynamique de coévolution des acteurs et de leurs interactions dans le temps. Ce mode contribue à la création d’une compétence collective au sein du territoire et d’une vision convergente à long terme. Selon le témoignage d’un accompagnateur en innovation « si l’on revient sur l’écosystème local, l’ancien maire de Montpellier (Georges Frêche) fait le constat en prenant la Mairie, que nous n’avons pas de grands comptes […]. Donc, il y a 30 ans, il a pris le virage afin que tout soit fait pour l’innovation. Pourquoi ? Parce qu’ici nous avons la matière grise, nous avons beaucoup de labos de recherche dans beaucoup de domaines. Il faut exploiter cela et en faire un atout économique régional ». Pour réussir ce pari « il faut une philosophie globale qui soit dans l’air de l’open innovation et du travail collaboratif » (selon le coordinateur du réseau d’accompagnement) et « avoir un objectif commun, de faire grandir la région, d’un point de vue économique, avec des structures qui ont des fonctionnements différents. L’objectif est que nous convergions tous dans le même sens avec nos propres règles de fonctionnement » (Institutionnel). Cette vision convergente est illustrée par une spécialisation concomitante des acteurs et des secteurs d’activités, ce qui contribue à renforcer l’adaptabilité de l’écosystème. La Stratégie de Smart Spécialisation a été l’opportunité pour le territoire d’engager une réflexion sur les secteurs au coeur de la compétitivité du territoire. Tous les acteurs ont été mobilisés pour construire une stratégie commune. Les représentants des sous-écosystèmes de connaissances et d’affaires ont été très actifs dans les groupes de travail, de même que le sous-écosystème de l’accompagnement entrepreneurial. Enfin, pour assurer un fonctionnement optimal de l’écosystème, il est nécessaire que chacun puisse trouver sa place et contribuer à créer de la valeur pour le territoire. Un entrepreneur confirme l’importance de trouver sa place afin de co-exister avec les autres acteurs, en s’engageant dans une démarche collaborative créatrice de valeur au sein de l’écosystème « en connaissant très bien ce milieu-là, son fonctionnement, les pratiques, les méthodes et les finalités, nous avons pu trouver notre place dans cet écosystème et apporter la valeur ajoutée de nos façons de faire, essentiellement en faisant le lien entre collectivités, citoyens et industriels, au travers de processus participatifs ». Une adaptation aux spécificités de chaque région est également nécessaire afin de répondre au mieux aux besoins des entreprises, selon un acteur financier « nous sommes là pour nous adapter et travailler en partenariat avec les régions, les présidents de région et la Bpifrance et ce en fonction des territoires, des secteurs prioritaires, des choix politiques et du tissu industriel. Cela permet d’imaginer des produits adaptés à notre environnement ».

Ces trois dimensions mettent en lumière la nature dynamique et complexe de l’écosystème (Figure 2). Elles concernent tant les sous-écosystèmes que l’écosystème dans son ensemble.

Figure 2

Représentation dynamique de l’écosystème

Représentation dynamique de l’écosystème

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Discussion : Modélisation de l’EE sous forme de sous-écosystèmes

Notre étude empirique fait ressortir quatre sous-écosystèmes structurants. La littérature sur les écosystèmes nous permet de mettre en lumière les principales logiques d’action qui caractérisent ces sous-écosystèmes (Tableau 2). Il semble ainsi possible de mettre en évidence trois sous-écosystèmes qui créent les conditions structurelles nécessaires à la dynamique entrepreneuriale, c’est-à-dire qui créent les conditions nécessaires au processus de poursuite de nouvelles opportunités d’affaires. Au croisement de ces sous-écosystèmes émerge un sous-écosystème constitué d’organisations hybrides comme des incubateurs, des accélérateurs voire des pôles de compétitivité (Hussler et al., 2013; Roundy, 2017) que l’on peut qualifier de sous-écosystème de l’accompagnement entrepreneurial (Theodoraki et Messeghem, 2017). Si chaque sous-écosystème est caractérisé par sa logique d’action, les frontières entre ces sous-écosystèmes sont poreuses et la richesse de l’écosystème tient aux interactions entre ces sous-écosystèmes qui se révèlent interdépendants.

TABLEAU 2

Synthèse de la littérature sur les EEs sous forme de sous-écosystèmes

Synthèse de la littérature sur les EEs sous forme de sous-écosystèmes

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La logique d’affaires fait référence aux acteurs et aux activités déployées pour créer ou co-créer de la valeur (Adner, 2017; Moore, 1993; Gratacap et al., 2017; Jacobides et al., 2018). Elle apparaît comme un réseau d’entreprises caractérisé par une proximité. D’autres travaux mettent l’accent sur les relations de co-opétition entre les entreprises (Moore, 1993, 1996; Ben Letaifa et Rabeau, 2012; Gratacap et al., 2017; Theodoraki, 2020). Pour Clarysse et al. (2014), l’écosystème d’affaires se différencie de l’écosystème de connaissances par l’orientation donnée aux marchés et aux opportunités. Certaines entreprises focales, qualifiées de « hub » ou « keystone », y jouent un rôle central en contribuant à la mobilité de la connaissance, à l’appropriabilité de l’innovation, à la stabilité des réseaux et à la poursuite de nouvelles opportunités d’affaires (Ben Letaifa et Rabeau, 2012; Clarysse et al., 2014; Iansiti et Levien, 2004).

La logique académique fait référence aux acteurs qui contribuent au développement de connaissances par la recherche et au développement du capital humain par la formation (Hayter et al., 2018; Regele et Neck, 2012). Dubina et al. (2017) parlent de sous-système d’innovation ou de recherche ou R&D. Selon Clarysse et al. (201, p. 1165), les universités et les organismes publics de recherche jouent un rôle décisif dans la dynamique d’innovation : « Les liens à la fois entre les entreprises et les universités et les organismes de recherche publics ainsi que la forte mobilité de la main-d’oeuvre entre les différents acteurs facilitent l’apprentissage collectif et accélèrent la diffusion de l’innovation ». Au sein de la littérature sur les EEs, un courant de recherche s’est ainsi développé autour des EEs universitaires (Hayter et al., 2018; Regele et Neck, 2012; Theodoraki et al., 2018). Ces EEs sont des moteurs essentiels pour la diffusion des connaissances (« knowledge spillover ») et le développement économique territorial (Belitski et Heron, 2017).

La logique institutionnelle joue un rôle décisif en facilitant ou en contraignant la dynamique entrepreneuriale (Guerrero et Urbano, 2017; Acs et al., 2018; Cao et Shi, 2019). Les décideurs politiques, à travers leurs modes de gouvernance et leurs systèmes d’incitation, jouent un rôle de catalyseur (Froehlicher et Barès, 2013). Ils créent les conditions nécessaires en générant des infrastructures indispensables à la création de connaissances nouvelles, à leur diffusion et au développement d’activités économiques nouvelles à potentiel de croissance. Bien que dans les écosystèmes en émergence ou en transition l’intervention des décideurs politiques pour améliorer leur attractivité reste essentielle, d’autres travaux soulignent l’importance de modes de gouvernance bottom-up ou laisser-faire (Isenberg, 2011, Colombelli et al., 2019; Pustovrh et al., 2020). La perspective évolutionniste se situe à l’intersection des approches descendantes (top-down) et ascendantes (bottom-up) et suggère que comme les dynamiques dans les écosystèmes naturels évoluent au fil du temps, les EEs sont des réseaux dynamiques et autorégulés composés d’une variété d’acteurs différents, avec des interactions complexes (Colombo et al., 2019).

La logique d’accompagnement vise à pallier les difficultés rencontrées par les entreprises émergentes, notamment dans leurs accès aux ressources. Ainsi, au croisement de ces sous-écosystèmes, un sous-écosystème structurant prend forme, le sous-écosystème d’accompagnement entrepreneurial. Theodoraki et Messeghem (2017) proposent de le définir comme un système comprenant des acteurs qui contribuent à soutenir des entreprises en phase d’émergence ou de développement. Ce sous-système est caractérisé par un fort degré d’hybridation et un apprentissage collectif (Fabbri et Charue-Duboc, 2013). McAdam et al. (2016) défendent également cette idée d’hybridation dans leur modèle multi-niveau. Ces initiatives peuvent être portées par le monde académique (incubateurs académiques, structures de transfert, etc.), par les pouvoirs publics (pépinières, pôles de compétitivité, etc.) ou encore par les grandes entreprises (accélérateurs). Les interactions entre ces acteurs sont essentielles et prennent très souvent la forme de relations coopétitives (Ben Letaifa et Rabeau, 2012; Theodoraki, 2020). Des relations compétitives peuvent s’observer dans la sélection des projets. La crédibilité de ces acteurs repose sur la capacité à sélectionner et à accompagner des projets prometteurs (Goswami et al., 2018). Ces acteurs peuvent également avoir intérêt à collaborer pour faciliter leur accès aux ressources, aux réseaux et à l’innovation ouverte (Pustovrh et al., 2020). Les pouvoirs publics peuvent inciter à la mise en place d’actions de coordination. La figure 3 propose une modélisation sous forme de sous-écosystèmes. La dynamique entrepreneuriale apparaît au coeur du modèle comme le fruit des interactions entre les quatre sous-écosystèmes.

Conclusion

S’il existe dans la littérature de nombreuses modélisations de l’EE, elles manquent le plus souvent d’une assise théorique. La perspective des systèmes complexes adaptatifs permet une représentation originale sous forme de sous-écosystèmes. Nous nous sommes interrogés sur la question de recherche suivante : dans quelle mesure la théorie des systèmes complexes adaptatifs, enrichie des principes de quasi-décomposabilité et de redondance, permet-elle de combiner une lecture structurelle et dynamique des EEs sous forme des sous-écosystèmes ? Nous avons répondu à cette question en nous appuyant sur les principes fondateurs de Simon (1962) et la littérature sur les EEs afin de mettre en évidence quatre sous-écosystèmes structurants qui contribuent à la dynamique entrepreneuriale dans un territoire. Le cas de Montpellier s’est révélé particulièrement pertinent pour mettre en lumière la structuration et toute la complexité d’un écosystème caractérisé par un dynamisme en termes de création d’entreprises et par de réelles difficultés en termes de développement économique.

Figure 3

Modélisation de l’écosystème sous forme de sous-écosystèmes

Modélisation de l’écosystème sous forme de sous-écosystèmes

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Cette recherche présente des implications théoriques et managériales. D’un point de vue théorique, cette recherche permet de revisiter la représentation de l’EE. Nous dépassons la lecture structurelle sous forme d’attributs (Spigel, 2017). En nous appuyant sur les contributions notamment de Roundy et al. (2018) et de Stam et Van de Ven (2021), nous montrons qu’elle présente un caractère analytique et pas suffisamment dynamique (Cao et Shi, 2020). Comme le suggèrent plusieurs auteurs (Phillips et Ritala, 2019; Stam et Van de Ven, 2021), nous revenons aux travaux fondateurs de Simon (1962) sur les systèmes complexes adaptatifs (Han et al., 2021; Phillips et Ritala, 2019; Roundy et al., 2018; Stam et Van de Ven, 2021), pour proposer une représentation sous forme de sous-écosystèmes (Dubina et al., 2017; Harrington, 2017; Malecki, 2018; Scheidgen, 2021; Theodoraki et al., 2022). L’originalité de notre approche tient dans la prise en compte de deux caractéristiques mises en avant par Simon (1962) : la quasi-décomposabilité et la redondance, qui, à notre connaissance, n’ont pas été mobilisées dans la littérature sur les EEs. Cette lecture offre des perspectives intéressantes pour représenter les EEs et comprendre leur évolution (Mack et Mayer, 2016; Harrington, 2017). Plus précisément, nous avons proposé de retenir quatre sous-écosystèmes structurants : d’affaires, de connaissances, institutionnel et d’accompagnement entrepreneurial. Les interactions entre les trois premiers sous-écosystèmes créent les conditions de l’émergence du sous-écosystème d’accompagnement entrepreneurial. Nos résultats montrent le caractère hybride et transversal de ce dernier sous-écosystème (Hussler et al., 2013; McAdam et al., 2016; Roundy, 2017). La deuxième contribution de cette recherche tient à la mise en évidence de la dynamique de l’EE à partir du triptyque gouvernance, interaction et coévolution. Dans la littérature, Cao et Shi (2019) ont proposé une modélisation dynamique de l’EE qui fait référence aux deux premières dimensions. La prise en compte de la coévolution permet de souligner l’importance du développement d’une vision convergente et d’une compétence collective pour soutenir la dynamique entrepreneuriale.

Cette recherche présente également des apports managériaux, notamment pour les décideurs politiques qui souhaitent faire émerger ou développer des EEs dans leur territoire. La réplication de réussites emblématiques n’est qu’une illusion (Isenberg, 2011). L’enjeu est de tenir compte des spécificités de chaque territoire. L’analyse par les sous-écosystèmes fait ressortir les conditions de la dynamique entrepreneuriale, à partir d’une lecture holistique et idiosyncratique. La réussite de l’écosystème repose aussi bien sur chaque sous-écosystème que sur leurs interactions. Le modèle proposé permet une cartographie de l’écosystème et peut servir à alimenter une réflexion collective sur les atouts et les faiblesses d’un territoire. L’enjeu est de parvenir à construire une vision partagée et à construire une dynamique de gouvernance et d’interaction qui soit la plus favorable à la dynamique entrepreneuriale.

Cette recherche présente des limites qui offrent des perspectives de recherche. Nous avons retenu un seul territoire pour apprécier la pertinence de notre modélisation sous forme de sous-écosystèmes. Il serait intéressant de mener une étude comparative en comparant des écosystèmes de taille équivalente, en France et à l’étranger pour mieux comprendre le rôle de chaque sous-écosystème et le rôle des interactions. Ensuite, nous n’avons pas testé la relation entre les caractéristiques des sous-écosystèmes et la performance de l’écosystème. En s’inspirant notamment des travaux de Stam et Van de Ven (2021), un programme de recherche prometteur se dessine pour évaluer les sous-écosystèmes et leurs influences sur la dynamique entrepreneuriale. Enfin, les données collectées ne nous ont pas permis de mener une étude historique de l’EE. L’approche en termes de sous-écosystèmes offre des perspectives de recherche très prometteuses pour comprendre les trajectoires des écosystèmes (Mack et Mayer, 2016; Radinger-Peer et al., 2018). En effet, comme le souligne Harrington (2017), la multiplication des sous-écosystèmes est un indicateur du degré de maturité des écosystèmes. Certains auteurs défendent l’idée d’un cycle de vie (Auerswald et Dani, 2017; Cantner et al., 2020) ou d’un sentier de dépendance des EEs (Radinger-Peer et al., 2018; Cloutier et Messeghem, 2022 ). Il serait intéressant de prolonger cette question de recherche en montrant comment l’évolution des sous-écosystèmes et des interactions pèsent sur les trajectoires des écosystèmes.