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A l’ère d’une concurrence globale croissante, le nombre de joint-ventures internationales (JVI) entre des multinationales étrangères et des firmes locales a considérablement augmenté au cours des dernières décennies (Nippa et Reuer, 2019). La JVI se traduit par la mise en commun de la totalité ou d’une partie des ressources de partenaires de différentes nations afin de réaliser des synergies financières et opérationnelles (Gaur et al., 2018). Cette forme particulière constitue une voie de développement privilégiée par les multinationales pour pénétrer les marchés émergents et partager les coûts et risques associés au nouvel environnement économique (Kwok et al., 2019; Dong et al, 2019).

Malgré leur potentiel de gain, les JVI demeurent intrinsèquement instables (Beamish, 2013; Mayrhofer et al 2016; Liu et al, 2020) avec un taux d’échec avoisinant les 50 % (Prévot et Meschi, 2006; Dan et Zondage, 2016). Outre les difficultés inhérentes à cette forme d’alliance, les JVI implantées dans les pays émergents rencontrent souvent le problème de l’instabilité politique et économique de l’environnement, ce qui explique un taux d’échec plus important que celui des JVI implantées dans les pays développés (Luo, 2007; Fang et Zou, 2010; Meschi et Wassmer, 2013). La survie de ces JVI est encore plus menacée par la propagation de la Covid-19 et ses conséquences négatives et sans doute encore plus fortes sur les économies émergentes. Celles-ci se retrouvent alors exposées à d’autres types de risques liés à la mise en oeuvre de mesures de confinement strictes ainsi qu’à des bouleversements sociétaux, économiques et technologiques épineux.

La question de l’instabilité et de la terminaison des JVI a fait l’objet d’un vif débat. Alors que certains auteurs associent l’instabilité à des facteurs internes liés à la JVI et aux partenaires (e.g. Triki et Mayrofer, 2016; Larimo et al, 2016; Ben Jemaa-Boubaya et al., 2020); d’autres l’associent à des facteurs externes relatifs à l’environnement (Barkema et Vermeulen, 1997; Meschi et Ricco, 2008). Cette situation conduit les partenaires vers la terminaison de la JVI, soit par dissolution (Hu et al, 2020), soit par cession (Rajan et al, 2020). D’autres chercheurs encore estiment que l’instabilité revêt le sens de changements majeurs sans atteindre celui de la rupture (Blodgett, 1992). Dans ce sens, la terminaison constitue une démarche planifiée par les partenaires, ne signifiant pas nécessairement l’échec de la JVI (Prévot et Meschi, 2006). Le croisement entre ces différentes approches nous amène à conclure que la stabilité définie à partir de l’absence de changement(s) majeur(s) (reconfiguration structurelle ou renégociation) ne représente pas une mesure significative du résultat ou du potentiel de développement de la JVI (Hamel, 1991). Ceci est particulièrement vrai pour les cas de JVI où l’apprentissage organisationnel par absorption de compétences stratégiques constitue un objectif fondamental. Dans cette perspective, la JVI est une forme transitoire qui sera modifiée ou terminée dès lors que l’objectif de l’apprentissage est atteint (Hamel, 1991). Bien que de ce point de vue les JVI sont clairement instables, d’autres JVI peuvent continuer à exister et à prospérer pendant une longue période; les partenaires continuent mutuellement à tirer profit de la relation (Beamish et Inkpen, 1985) grâce à un développement permanent de ressources et de compétences complémentaires (Park et Ungson, 1997).

Malgré la richesse de la littérature, des travaux récents (e.g. Gomes et al, 2016; Nippa et Reuer, 2019; Rajan et al, 2020; Ali et al, 2021) ont repéré des failles théoriques et méthodologiques dans la littérature, recommandant ainsi d’adopter de nouvelles démarches afin de compléter les travaux existants. Sur le plan théorique, bien que les facteurs de stabilité des JVI soient multifacettes, la majorité des travaux de recherche s’est appuyée, soit sur les facteurs internes, soit sur les facteurs externes. A notre connaissance, peu d’études ont croisé les deux types de facteurs afin d’étudier leur impact sur la stabilité d’une JVI (Kwok et al, 2019), ce qui limite leur capacité à expliquer les taux élevés d’instabilité de ces relations.

Aussi, peu d’attention a été accordé à l’évolution dans le temps des concepts clés entourant ce volet de recherche notamment la dépendance, l’apprentissage organisationnel et la convergence stratégique (Gomes et al, 2016; Nippa et Reuer, 2019), comparativement aux concepts de la culture (Liu et al, 2020) ou de la confiance (Ali et al, 2021). Grâce à leur caractère dynamique et évolutif, ces trois concepts ont la capacité d’illustrer le degré de compatibilité et de complémentarité entre les partenaires de la JVI dans le temps, et par conséquent, d’évaluer la qualité collaborative caractérisant son contexte interne. Comme le souligne Doz (1996), il serait difficile d’interpréter les résultats stratégiques et opérationnels d’une JVI si l’on ne connait pas la nature des interactions entre les participants au processus qui génère ces résultats.

Sur le plan méthodologique, les études empiriques quantitatives à large échantillon dominent la recherche sur ce sujet, comparativement aux études qualitatives et longitudinales. D’autant plus, la majorité de ces recherches porte principalement sur le contexte asiatique (Rajan et al, 2020; Ali et al, 2021; Kwok et al, 2019; Gomes et al, 2016; Fang et Zou, 2010). La zone Afrique du Nord/Moyen-Orient demeure néanmoins peu explorée, notamment après l’avènement du printemps arabe en Tunisie (janvier 2011) qui a accentué la perturbation des institutions, du climat des affaires et du volume des IDE. Ces perturbations ont ouvert une nouvelle ère d’incertitude politique et économique dans le pays, ce qui amène un nombre croissant de chercheurs à souligner la nécessité d’investiguer ce terrain d’étude (Triki, 2015; Triki et Mayrhofer, 2016). Partant de ces différents constats, nous menons cette recherche afin d’approfondir la compréhension des facteurs de stabilité des JVI opérant dans un environnement incertain. Ainsi, notre étude vise à répondre à la question de recherche suivante : « comment les partenaires parviennent-ils, dans un environnement incertain, à maintenir la stabilité de leur JVI et quels sont les facteurs internes et externes qui y contribuent ? ». Pour répondre à ces interrogations, nous avons été amenés à faire des choix théoriques et méthodologiques. Sur le plan théorique, nous avons tenu compte du contexte interne (lié aux partenaires et à la JVI) et du contexte externe, afin d’observer l’influence des facteurs relatifs à chaque type de contexte sur la stabilité des JVI. Sur le plan méthodologique, nous nous sommes inscrits dans une perspective d’analyse dynamique en optant pour une démarche qualitative basée sur une étude longitudinale de 7 cas de JVI entre des entreprises tunisiennes et des multinationales sur une période de 10 ans (2006-2016).

Les résultats de notre recherche mettent en évidence les contributions suivantes. Premièrement, nous contribuons à la littérature sur les facteurs de stabilité des JVI en forgeant un lien entre les facteurs liés au contexte interne et les facteurs liés à l’environnement, dans la continuité des travaux de Kwok et al. (2019). Deuxièmement, nous répondons aux critiques faites aux études antérieures de ne pas avoir intégré ces facteurs dans une perspective dynamique (Gomes et al, 2016) pour étudier leur évolution au cours de la relation, ainsi que les causes et les conséquences de ces évolutions. Troisièmement, nous contribuons à la littérature traitant les conséquences d’un environnement incertain sur la stabilité d’une JVI (Barkema et Vermeulen 1997; Meschi et Riccio, 2008; Triki et Mayrhofer, 2016) en apportant des réponses complémentaires à la controverse théorique existante autour de ce sujet. Ainsi, nous mettons en lumière le rôle fondamental de la stabilité du contexte interne d’une JVI, constitué par une convergence stratégique, un apprentissage collectif et une dépendance symétrique entre les partenaires, dans l’affrontement de l’incertitude de l’environnement.

Dans ce qui suit, nous présentons un modèle conceptuel comportant trois propositions conçues sur la base d’une revue de littérature préalablement discutée. Ensuite, nous exposons le protocole de recherche adopté et les résultats. Enfin, nous discutons les principaux résultats et mettons en lumière les principales contributions académiques et managériales de cette recherche, ses limites et ses perspectives.

Cadre théorique

La stabilité des joint-ventures internationales

Les joint-ventures internationales sont définies par Chen et al. (2009, p. 1133) comme « des entités légalement indépendantes constituées par deux ou plusieurs sociétés mères de différents pays qui partagent des participations et des rendements conséquents ». Plus précisément, celles-ci font référence à une forme particulière d’alliance stratégique entre entreprises impliquant la participation symétrique ou asymétrique d’une multinationale dans le capital d’une entreprise locale existante et opérationnelle afin de pallier les difficultés liées à la pénétration d’un marché émergent caractérisé par des particularités économiques, politiques ou culturelles difficilement maîtrisables (Chen et Hennart, 2004). 

Il existe deux approches distinctes pour appréhender le concept de l’instabilité dans la littérature. La première approche, dite statique, est axée sur les résultats, c’est-à-dire le sort final de la JVI (transformation en acquisition, rachat ou liquidation). La deuxième approche, dite dynamique, est orientée processus. Celle-ci appréhende l’instabilité de la JVI par rapport aux changements de structure de propriété (renégociations des contrats, reconfigurations organisationnelles majeures). Dans notre recherche, nous appréhendons la stabilité des JVI par rapport au développement permanent des ressources et compétences complémentaires des partenaires (Beamish et Inkpen, 1985), contribuant au maintien et à la prospérité de la relation.

Plusieurs facteurs internes et externes concourent à la stabilité de ces relations. Les facteurs internes regroupent les facteurs liés aux partenaires et à la JVI, comme la structure (Parkhe, 1993), la confiance (Park et Ungson 1997), l’apprentissage organisationnel (Yan, 1998), la dépendance (Hotho et al., 2015), la convergence stratégique (Luo, 2002) et la compatibilité culturelle (Barkema et Vermeulen 1997). En revanche, les facteurs externes concernent la politique gouvernementale du pays d’accueil, le niveau d’instabilité politique et économique (Blodgett, 1992) ou encore le risque pays (Meschi et Riccio, 2008).

Malgré l’abondance des travaux de recherche sur la stabilité des JVI, peu d’études ont abordé cette question de manière empirique d’un angle multifacette, tenant compte à la fois du contexte interne et externe de la relation (Lehiany et Chiambaretto, 2014; Kwok et al., 2019). Pour pallier cette lacune, cette recherche se propose d’étudier les facteurs de stabilité liés au contexte interne et à l’environnement externe de la JVI. 

Les facteurs liés au contexte interne de la JVI

Pour analyser la stabilité du contexte interne de la JVI, nous allons nous concentrer sur trois facteurs, à savoir : la convergence stratégique, l’apprentissage organisationnel et la dépendance pour les raisons suivantes. Premièrement, le caractère dynamique de ces trois concepts et leur capacité à illustrer la variation du degré de compatibilité (convergence stratégique) et de complémentarité (apprentissage et dépendance) des partenaires au cours du cycle de vie de la JVI répondent aux exigences de la perspective dynamique dans laquelle s’inscrit cette recherche. Deuxièmement, ces mêmes facteurs sont considérés comme une solution potentielle à la manifestation de comportements opportunistes (Das et Rahman, 2010; Fang et Zou, 2010; Larimo et al., 2016). Troisièmement, l’exploitation de ces facteurs pour approfondir la compréhension de la stabilité des JVI dans le cadre d’une perspective dynamique est fortement recommandée par les travaux récents (Gomes et al, 2016; Nippa et Reuer, 2019; Rajan et al, 2020).

L’apprentissage organisationnel

L’apprentissage organisationnel a fait l’objet de controverses théoriques quant à sa contribution dans l’accélération du processus d’instabilité et de dissolution des JVI. D’après Hamel (1991), l’apprentissage organisationnel inscrit les partenaires dans une course à l’apprentissage et réduit à terme l’importance stratégique de la JVI. Dans ce cas précis, l’apprentissage peut constituer un facteur d’instabilité (Inkpen, 1995), d’où la nécessité de mettre en place des mécanismes de contrôle et de protection. D’autres auteurs soulignent, au contraire, que l’apprentissage organisationnel constitue un véhicule de collaboration synergétique et de développement de nouvelles connaissances au profit des deux alliés (Das et Teng, 2000). Dans un environnement incertain, les partenaires doivent faire preuve d’engagement mutuel afin de consolider les acquis et de proposer des solutions adaptées (Fang et Zou, 2010). 

Dans le cadre de notre recherche, nous nous focalisons sur deux types d’apprentissage à savoir, l’apprentissage unilatéral (« absorptive learning ») et l’apprentissage collectif (« joint learning »). Selon Fang et Zou (2010), l’apprentissage unilatéral dépend de la capacité de l’un des partenaires à comprendre, assimiler et utiliser la connaissance de l’autre. Dans les économies émergentes, la JVI constitue, pour le partenaire local, une opportunité d’internalisation de compétences clés en matière de R&D et d’innovation, et pour la multinationale, une opportunité d’internalisation de connaissances institutionnelles et culturelles locales. De son côté, l’apprentissage collectif renvoie à la capacité des partenaires à créer une nouvelle base de connaissances communes et à l’institutionnaliser dans le contexte de la JVI (Fang et Zou, 2010). D’après ces auteurs, pour assurer la réussite d’une JVI confrontée à un environnement incertain, les partenaires doivent enrichir conjointement le capital commun de ressources et compétences. Dans la même veine, Yao et al. (2013) soulignent que le développement permanent de connaissances complémentaires constitue un pilier pour le développement de nouveaux produits. Ainsi, l’apprentissage collectif est considéré comme générateur de nouvelles connaissances indispensables pour faire face à l’incertitude environnementale des économies émergentes et renforcer la stabilité de la JVI (Pak et al., 2015).

La dépendance

Le concept de la dépendance sous ses différentes formes a suscité l’intérêt de plusieurs travaux de recherche traitant le sujet des JVI (Pfeffer et Nowak, 1976; Fredrich et al, 2018). L’initiation des échanges inter-partenaires est à l’origine de la création de la dépendance. D’après Pfeffer et Nowak (1976), la dépendance d’un partenaire A par rapport à un partenaire B est directement proportionnelle aux motivations d’investissement de A dans les objectifs visés par B. La dépendance dans ce cas est inversement proportionnelle à la disponibilité de ces objectifs en dehors de la relation A-B. 

Deux formes de dépendance régissent les rapports entre les partenaires, à savoir la forme symétrique et la forme asymétrique. Une dépendance asymétrique a lieu quand un partenaire « dominé » a besoin, pour la réalisation de ses propres objectifs, des ressources détenues par son partenaire « dominant » (Dikmen et Cheriet, 2014). Cette forme de dépendance peut causer des conflits résultants de la manifestation de comportements opportunistes par l’entreprise en position de force. Une dépendance symétrique a lieu quand les deux partenaires sont mutuellement dépendants et manifestent le même besoin de préserver la JVI (Kemp et Ghauri, 2001), ce qui favorise leur convergence stratégique (Kwok et al., 2019).

La dépendance est un concept dynamique qui peut évoluer durant la relation partenariale grâce à l’apprentissage organisationnel et à l’internalisation des compétences et savoir-faire nouveaux par l’un des partenaires (Hotho et al., 2015). Une dépendance asymétrique augmente les risques d’opportunisme et les tensions autour du partage des connaissances stratégiques, réduisant la chance de stabilité de la JVI (Fredrich et al, 2018). En revanche, une dépendance symétrique développe les liens entre les partenaires, réduit la course à l’apprentissage et renforce la stabilité de la JVI (Ali et al, 2021). Il s’agit, comme le précisent Ali et Larimo (2016), d’un mécanisme de « self-control » qui s’installe pour inhiber les comportements opportunistes et la recherche d’intérêts individuels, car les deux partenaires perdront la valeur réelle de leurs actifs spécifiques si la relation prend fin prématurément (Chang et al, 2020; Ali et al, 2021). Dans un contexte incertain, les partenaires ayant une dépendance symétrique vont donc chercher à se partager les connaissances les plus précieuses et à mettre en place des solutions drastiques pour limiter les pertes et équilibrer les gains (Kwok et al., 2019). Dès lors, la complémentarité des ressources, croisée à une dépendance symétrique, constitue un contexte favorable pour la stabilité de la JVI (Hennart et Zeng, 2005).

La convergence stratégique

La convergence stratégique peut être définie comme le degré de compatibilité entre les objectifs spécifiques des partenaires et les objectifs communs de la JVI (Chang et al, 2020; Hu et al, 2020). Celle-ci influence la disponibilité des ressources et des compétences nécessaires pour le bon déroulement de l’activité de la JVI. D’après Gaur et al, (2011), la convergence stratégique peut influencer le développement de l’apprentissage organisationnel et la qualité relationnelle entre les partenaires. Les tensions internes, la rivalité et les comportements opportunistes sont le résultat de la divergence stratégique (Chang et al, 2020; Ben Jemaa-Boubaya et al., 2020).

La convergence stratégique est souvent le fruit d’un contexte de collaboration favorable à l’engagement mutuel, à la prise en considération des intérêts collectifs et au partage des risques et des gains. D’après Inkpen (1995), la convergence stratégique et opérationnelle entre les partenaires est nourrie par la qualité du transfert de connaissances clés et constitue, par conséquent, un facteur de stabilité des JVI (Triki et Moalla, 2013; Ben Jemaa-Boubaya et al., 2020). Toutefois, l’incertitude de l’environnement peut influencer les choix stratégiques des partenaires et l’importance qu’occupe la JVI dans leur portefeuille d’activité (Prévot et Meschi, 2006). Grâce à cette variable, les alliés seront capables de trouver des solutions adaptées (Kwarteng et al, 2018) et de développer des réponses appropriées aux exigences d’un environnement incertain (Yao et al., 2013). En d’autres termes, ils seront amenés à s’appuyer les uns sur les autres et à ajuster rapidement leurs orientations stratégiques pour mieux affronter l’environnement (Gaur et al, 2011).

Les facteurs liés à l’environnement externe

Pour assurer leur développement sur les marchés émergents, les multinationales s’engagent le plus souvent dans des JVI avec des partenaires locaux (Wang et al., 2017; Kwok et al., 2019). Bien qu’ils soient attractifs et dotés de nombreux atouts aux yeux des investisseurs étrangers, les marchés émergents sont considérés comme complexes et incertains (Luo, 2007; Fang et Zou, 2010; Meschi et Wassmer, 2013). En effet, ces marchés se caractérisent par des transformations massives dans les institutions sociales, économiques et politiques. Ces caractéristiques sont susceptibles d’influencer la performance des JVI développées dans ce contexte (Nippa et Reuer, 2019), le choix du mode d’entrée de la multinationale (Meschi et Riccio 2008), les décisions stratégiques des partenaires (Peng et al., 2008) ainsi que leurs décisions organisationnelles et managériales (Pinkham et Peng, 2017). Dans la même perspective, d’autres auteurs mettent l’accent sur le fait que l’environnement des économies émergentes se caractérise par des changements institutionnels continus et des contraintes réglementaires (Oguji et Owusu, 2021); une incertitude politique et une dégradation des conditions économiques (Delios et Henisz, 2003) ainsi que l’importance de la corruption (Meschi et Riccio, 2008).

Compte tenu de l’incertitude de l’environnement des économies émergentes, de nombreux auteurs se sont penchés sur l’étude de ses effets sur la stabilité et la survie des JVI. Ces études ont toutefois fait l’objet de controverse théorique et abouti à des résultats mitigés (Tableau 1). A ce titre, de nombreux travaux de recherche (e.g. Meschi, 2005; Meschi et Riccio, 2008; Triki et Mayrhofer, 2016) mettent en évidence que l’incertitude de l’environnement du pays d’accueil peut avoir des incidences négatives sur la stabilité des JVI et entrainer progressivement leur dissolution. Celle-ci est susceptible de détériorer la qualité collaborative des partenaires, d’augmenter le coût de gouvernance de la JVI et d’affecter négativement sa performance (Luo, 2007). D’autant plus, collaborer dans un environnement incertain peut amener les partenaires d’une JVI à adopter des comportements opportunistes (Das et Teng, 2000). Les alliés peuvent alors violer les conditions du contrat initial et rechercher des bénéfices unilatéraux (Zhang et al, 2017), ce qui affecte la stabilité de leur relation (Meschi et Riccio, 2008; Hennart et Zeng, 2005; Larimo et al., 2016). En outre, il serait difficile pour les partenaires de prendre des décisions appropriées et de prévoir leurs actions futures en raison d’une insuffisance d’informations fiables (Meschi, 2005). Dans de telles circonstances, la multinationale devient plus dépendante de son partenaire local en raison de sa connaissance et de sa maîtrise des spécificités de l’environnement (Meschi, 2005; Luo, 2007).

Tableau 1

Impact de l’incertitude de l’environnement externe sur la stabilité de la JVI

Impact de l’incertitude de l’environnement externe sur la stabilité de la JVI

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En revanche, Kwok et al., (2019) soulignent que, dans un environnement incertain, les partenaires doivent réagir rapidement et efficacement, en impliquant mutuellement de nouvelles ressources pour maintenir leur relation. Selon les auteurs, une vision partagée peut affaiblir l’effet de l’incertitude environnementale sur l’opportunisme du partenaire étranger. Ainsi, l’évolution des contraintes environnementales peut conduire à de nouvelles exigences en matière de compétences et de ressources, voire influencer les choix stratégiques des partenaires concernant la JVI (Jiang et al, 2017). Les partenaires qui n’ajustent pas leurs choix stratégiques au regard de ces nouvelles contraintes risquent de voir leur performance décroitre et la survie de leur JVI menacée (Marino et al., 2008).

En se basant sur la revue de la littérature présentée ci-haut, nous pouvons considérer que la convergence stratégique, l’apprentissage organisationnel et la dépendance peuvent affecter la stabilité du contexte interne de la JVI. Ces facteurs représentent, en outre, un levier pour la stabilité d’une JVI opérant dans un environnement incertain. Ainsi, nous proposons un modèle conceptuel qui repose sur les trois propositions de recherche suivantes :

P1. La dépendance symétrique dépend de l’apprentissage collectif et de la convergence stratégique. 

P2. La convergence stratégique, l’apprentissage collectif et la dépendance symétrique constituent le levier d’un contexte interne stable.

P3-a. Lorsque le contexte interne est stable, la capacité de la JVI à faire face aux menaces d’un environnement incertain est renforcée.

P3-b. Lorsque le contexte interne est instable, la capacité de la JVI à faire face aux menaces d’un environnement incertain est fragilisée.

Figure 1

Le modèle conceptuel de la recherche

Le modèle conceptuel de la recherche

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Dans ce qui suit, nous présentons le contexte et les choix méthodologiques de notre recherche.

Contexte d’étude et protocole de recherche

Choix du terrain d’étude

Pour répondre à notre question de recherche, nous avons choisi d’étudier le cas des JVI nouées entre des entreprises tunisiennes et des multinationales. Ce choix a été motivé par plusieurs raisons aussi bien académiques que pratiques. D’un point de vue académique, peu de recherches ont été menées sur les JVI implantées dans la zone Afrique du Nord/Moyen-Orient (Triki et Mayrhofer, 2016; Dikmen, 2012; Cheriet et al., 2007), notamment le contexte tunisien (Cherbib, 2010). D’un point de vue pratique, l’avènement du printemps arabe a permis de définir le contexte tunisien comme étant incertain (Rapports de la banque mondiale, 2014)[1]. Avant la chute du régime de Ben Ali, le pays, nid à touristes, était stable et ses chiffres économiques étaient acceptables. Depuis le 14 janvier 2011, la Tunisie a connu une forte instabilité politique, sociale et économique qui a été accentuée par les événements survenus dans les pays voisins, notamment la Libye. Ainsi, la croissance économique a connu des fluctuations en dents de scie pour atteindre 2,5 % en 2018. Aussi, l’impact de la révolution sur les entreprises locales et étrangères implantées sur le territoire tunisien a été grand et les problèmes rencontrés sont devenus multiples, ce qui a précipité la cessation d’activités et le désinvestissement de beaucoup de firmes étrangères. Selon les rapports de l’OCDE (2020)[2], le poids des IDE dans l’économie tunisienne est passé de 9,4 % en 2006 à 1,5 % en 2016.

Collecte des données

Compte tenu de notre objectif de recherche, nous avons eu recours à une étude qualitative fondée sur l’analyse de 7 cas de JVI nouées entre des entreprises tunisiennes et des multinationales. Ces dernières ont choisi de participer dans le capital des premières avec une répartition majoritaire, minoritaire ou égale. En poursuivant les recommandations de Wacheux (1996) selon lesquelles la validité d’une étude est discutée par les régularités et les différences engagées dans les situations étudiées, notre sélection de chaque cas a été faite dans le but de trouver des résultats similaires (réplication littérale) et des résultats différents (réplication théorique) et d’accroître ainsi la validité externe de notre étude (Yin, 1994). Les cas sélectionnés respectent aussi les critères jugés indispensables par Hlady-Rispal (2002) à savoir, la représentativité, la variété et le potentiel de découverte (voir annexe 1). Pour faire face aux risques de résultats trop simplistes et à la complication issue du traitement et de la généralisation des résultats, Eisenhardt (1989) stipule que le nombre de cas à étudier doit être compris entre quatre et dix. Dans notre recherche, le nombre de cas retenu tient compte de cette recommandation et respecte ainsi les principes de saturation et de réplication (Yin, 1994).

Le tableau 2 présente les caractéristiques de notre échantillon. Nos répondants ayant exigé de préserver leur anonymat ainsi que celui de leurs entreprises, les cas sont désignés de 1 à 7.

Suivant les recommandations de Eisenhardt (1989) qui estime que les données qualitatives recueillies par entretien et/ou observation sont nécessaires pour comprendre la réalité d’une organisation et appréhender sa dynamique, nous avons réalisé des entretiens semi-directifs auprès des principaux acteurs des deux partenaires de la JVI. L’objectif est de confronter et de comparer les discours des différents interviewés afin d’éviter le biais lié à une appréciation ou un point de vue unilatéral fourni par une seule source d’information. La collecte d’informations a été faite sur une période de 10 ans (2006-2016) caractérisée par un axe de temps symétrique Pré et Post-révolution. Ce protocole de collecte nous a permis d’apprécier le contexte interne et externe de la JVI et d’évaluer la stabilité de la relation. Ainsi, pendant la première vague d’entretiens, nous avons présenté les objectifs de la recherche en mettant l’accent sur les motivations des partenaires, la nature des apports et le mode organisationnel. Durant la deuxième vague, l’accent a été mis sur la nature des interactions entre les partenaires, le degré d’engagement et d’implication dans la JVI, la nature de l’apprentissage, les nouveaux projets et investissements en commun. Durant la troisième et dernière vague, nous avons abordé les répercussions du changement des conditions environnementales sur l’activité de la JVI, les solutions mises en place, ainsi que l’intérêt de maintenir la relation.

Le nombre d’entretiens réalisés entre 2006 et 2010 s’est élevé à 43, complétés par 41 entretiens entre 2010 et 2016. La durée moyenne des entretiens effectués était de deux heures faisant un total de 168 heures. Ces entretiens ont été enregistrés et intégralement retranscrits afin d’éviter la prise de notes et de rendre les données collectées exhaustives et plus fiables. Nous avons tenu à interviewer les mêmes personnes au moins deux fois afin de bénéficier des informations relatives à la dynamique de la convergence, de l’apprentissage et de la dépendance au cours du temps. Dans un souci de triangulation (Yin, 1994), les 7 cas de JVI étudiés mobilisent des données secondaires à la fois internes (documents d’entreprise, captures d’écrans) et externes (internet, extraits de presse). Les données collectées ont été analysées à l’aide du logiciel NVIVO 7, ont fait l’objet d’un double codage (inter et intra cas) et d’une analyse thématique conformément aux recommandations de Miles et Huberman (2003).

Tableau 2

Présentation de l’échantillon

Présentation de l’échantillon

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Tableau 3

Présentation des entretiens effectués

Présentation des entretiens effectués

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Résultats

L’analyse des cas retenus sur une période de 10 ans (2006-2016) nous a permis d’identifier les leviers d’un contexte interne stable et de comprendre, ainsi, comment les partenaires sont-ils parvenus à maintenir la stabilité de leur JVI malgré un environnement incertain. Notre analyse longitudinale a été établie selon un axe temporel caractérisé par deux périodes clés : la période pré-révolution (du démarrage de la relation jusqu’à 2010) et la période post-révolution (de 2011 à 2016).

Analyse des cas pendant la période Pré-révolution

Les principales caractéristiques de la période pré-révolution sont : 1) un environnement externe considéré comme stable jusqu’à en 2010; et 2) tous les cas de l’échantillon ont atteint en moyenne dix ans d’existence en 2010. L’analyse des cas retenus pendant cette période nous a permis d’observer l’évolution de l’orientation stratégique, de l’apprentissage organisationnel et de la dépendance au cours des dix premières années. Ainsi, nous distinguons entre deux types de contexte interne caractérisant les JVI étudiées : le contexte 1 spécifique aux cas n° 1, 3 et 6; et le contexte 2 spécifique aux cas n° 2, 4, 5, et 7.

Tableau 4

Présentation des caractéristiques du contexte interne des 7 cas de JVI pendant la période Pre-Révolution

Présentation des caractéristiques du contexte interne des 7 cas de JVI pendant la période Pre-Révolution

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Contexte 1. Divergence stratégique, apprentissage unilatéral et dépendance asymétrique

L’analyse des données sur la période pré-révolution nous a permis d’observer une évolution de la convergence stratégique vers une divergence stratégique et une invariabilité de l’apprentissage unilatéral et de la dépendance asymétrique pour les cas 1, 3 et 6 (voir annexe 2).

Au début de la relation, le contexte interne de la JVI a été caractérisé par une convergence stratégique, une dépendance asymétrique et un apprentissage unilatéral basé sur un transfert de savoir-faire par le partenaire étranger vers le partenaire local. Grâce aux capacités d’absorption et à la qualité du transfert des connaissances, les deux partenaires ont réussi, dès le début de la relation, à fabriquer des produits conformes aux normes internationales, à les commercialiser sur le marché local et à bénéficier mutuellement d’une bonne part de marché. Un apprentissage unilatéral au profit du partenaire local prend ainsi place, conduisant à une situation de dépendance asymétrique entre les deux alliés.

Au cours du temps et au fur et à mesure que la relation se développe, de nouveaux besoins en matière d’investissements émergent pour faire face à une compétition féroce. La dépendance asymétrique entre les deux partenaires n’a fait que ralentir leur réactivité en matière de prise de décisions tant opérationnelles que stratégiques. Cette situation a impacté négativement le niveau initial de la convergence stratégique entre les deux partenaires qui a évolué naturellement vers une divergence stratégique pour les trois cas étudiés. Dans cette perspective, la non-conformité entre les orientations stratégiques et opérationnelles des deux partenaires a conduit vers l’émergence d’une atmosphère conflictuelle et la fragilisation de la relation, ce qui a impacté négativement le potentiel de sa croissance.

Contexte 2. Convergence stratégique, apprentissage collectif et dépendance symétrique

L’analyse des données des cas 2, 4, 5 et 7 a révélé que les partenaires ont réussi, au cours des dix premières années de la relation de JVI, à maintenir leur convergence stratégique et à faire évoluer l’apprentissage unilatéral vers un apprentissage collectif et la dépendance asymétrique vers une dépendance symétrique (voir annexe 3).

La convergence stratégique entre les partenaires peut être évaluée par le niveau d’engagement et d’investissement mutuels au sein de la JVI. La convergence stratégique a accéléré l’évolution de l’apprentissage unilatéral vers un apprentissage collectif. Ce dernier s’appuie sur de multiples échanges et interactions entre les deux parties, conduisant à la création d’une dynamique collaborative à forte valeur ajoutée. En effet, les capacités d’absorption du partenaire local étaient conformes aux attentes de la multinationale. Cette situation a encouragé les partenaires à élargir, ensemble, la gamme de produits disponibles sur le marché local et à entreprendre de nouveaux projets. Dans la même perspective, les apports de l’apprentissage collectif ont converti progressivement la dépendance asymétrique en une dépendance symétrique. Le potentiel de croissance de la JVI a incité les deux partenaires à adopter des comportements collaboratifs et à investir ensemble dans les activités futures de la joint-venture.

Analyse des cas pendant la période Post révolution

L’analyse des données relatives à la période post révolution permettent de comprendre comment les partenaires des JVI étudiées sont parvenus à maintenir la stabilité de leur relation malgré l’incertitude de l’environnement causée par l’avènement du printemps arabe. La consultation de plusieurs articles de presse[3] met l’accent sur des scènes de violences urbaines, d’incendies, de pillage de commerces et d’affrontements avec les forces de police, ce qui a mis en danger les entreprises locales et étrangères implantées en Tunisie. Notre retour sur le terrain fait ressortir que la qualité du contexte interne aide les partenaires à développer des atouts stratégiques et à se protéger contre les menaces environnementales. En effet, la convergence stratégique aide les partenaires à développer des capacités organisationnelles permettant de cerner les principales sources de perturbations et de développer des réponses adaptées aux nouvelles exigences concurrentielles. Ce constat ressort dans les cas n° 2, 4, 5 et 7. Ensemble, les partenaires réfléchissent aux différentes options stratégiques qui leur permettent d’adapter leur offre commerciale aux évolutions environnementales. Grâce à un contexte interne caractérisé par une convergence stratégique ainsi qu’une dépendance symétrique résultante d’un apprentissage collectif développé au cours du temps, les deux partenaires consolident leurs forces pour maitriser les nouvelles conditions et atténuer les effets négatifs du changement. La qualité du contexte interne constitue, ainsi, une fondation solide à l’instauration de bonnes manoeuvres pour les partenaires d’une JVI opérant dans un environnement incertain. 

En dépit de la situation critique par laquelle passe la Tunisie depuis plus de 8 ans maintenant, l’analyse de nos résultats a démontré que les partenaires de 4 cas de JVI sur 7 (cas 2, 4, 5 et 7) convergent vers le choix de maintenir la relation partenariale. En revanche, les partenaires des cas 1, 3 et 6, opérant dans un contexte caractérisé par des conflits d’intérêts et des comportements opportunistes en raison d’une divergence stratégique nourrie par une dépendance asymétrique et un apprentissage unilatéral, ne voient pas l’intérêt d’engager mutuellement de nouvelles ressources et de consolider leur relation pour faire face aux menaces de l’environnement (voir annexe 4).

Tableau 5

Présentation des caractéristiques du contexte interne et du résultat des 7 cas de JVI Post-Révolution

Présentation des caractéristiques du contexte interne et du résultat des 7 cas de JVI Post-Révolution

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Discussion

Dans le prolongement des travaux de recherche en management international traitant le sujet des JVI évoluant dans un contexte incertain (Triki, 2015; Triki et Mayrhofer, 2016; Larimo et al, 2016; Song, 2020), cette étude vise à approfondir la compréhension des conditions de stabilité de ces relations à partir de l’analyse de trois facteurs clés à caractère dynamique, à savoir : la convergence stratégique, l’apprentissage organisationnel et la dépendance. Les résultats d’une étude longitudinale conduite entre 2006 et 2016 sur le cas des JVI implantées en Tunisie font ressortir :

  • L’existence d’une relation itérative entre la convergence stratégique, l’apprentissage organisationnel et la dépendance. Cette relation se développe au cours de la relation et alimente la stabilité du contexte interne de la JVI. Plus les partenaires sont stratégiquement convergents et mutuellement engagés pour répondre aux besoins de la JVI et du marché, plus le potentiel d’évolution de l’apprentissage unilatéral vers un apprentissage collectif et de la dépendance asymétrique vers une dépendance symétrique est élevé. Dans un environnement incertain, l’apprentissage collectif constitue un réservoir de nouvelles connaissances permettant aux partenaires de faire face aux défis d’un changement institutionnel (Fredrich et al, 2018). L’apprentissage collectif et la dépendance symétrique réduisent le risque de comportements opportunistes et de tensions concernant le partage de connaissances clés (Fredrich et al, 2018; Hu et al, 2020) et encouragent la réflexion autour des intérêts communs à court et à long terme (Ali et al, 2021). Ces spécificités offrent aux partenaires un contexte interne stable permettant d’atténuer les effets négatifs et de surmonter les difficultés d’un environnement incertain. En revanche, plus les partenaires sont stratégiquement divergents et unilatéralement engagés pour répondre aux besoins de la JVI et du marché, plus le niveau de l’apprentissage unilatéral et de la dépendance asymétrique reste inchangé. Par conséquent, le niveau de compatibilité stratégique et de complémentarité sera faible, ce qui fragilise les capacités organisationnelles des partenaires à fournir une réponse adaptée aux nouvelles exigences de l’environnement (Gaur et al, 2011; Hu et al, 2020).

  • Un environnement incertain ne peut influencer la stabilité d’une JVI que lorsque le contexte interne est fragilisé par une divergence stratégique associée à une dépendance asymétrique et un apprentissage unilatéral. Dans un tel contexte, les partenaires font face à des complexités organisationnelles et à un faible niveau de flexibilité, susceptibles de fragiliser leur capacité à affronter les effets négatifs d’un environnement incertain et de catalyser l’instabilité de la JVI (Wang et al., 2017; Kwok et al., 2019). D’autant plus, ces conditions les contraignent à revoir leurs choix stratégiques, à mobiliser de nouvelles ressources et à trouver de nouvelles solutions pour maintenir leur avantage concurrentiel (Hu et al, 2020; Ali et al, 2021).

Nous expliciterons dans la figure ci-dessous, l’impact de la qualité du contexte interne de la JVI sur les effets d’un environnement incertain ainsi que la stabilité de la relation partenariale.

Figure 2

Le contexte interne : levier de la stabilité des JVI dans un environnement incertain

Le contexte interne : levier de la stabilité des JVI dans un environnement incertain

Proposition validée forme: 2252807.jpg P : Propostion

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Conclusion

Malgré leur avantage potentiel et leur popularité, les JVI sont reconnues par leur nature complexe et leur taux élevé d’instabilité. Ce travail de recherche vise à élargir la compréhension des conditions de stabilité des JVI opérant dans un environnement incertain, à partir d’une étude longitudinale de 7 cas de JVI entre entreprises tunisiennes et multinationales. Les résultats de notre recherche mettent en évidence les contributions théoriques et empiriques suivantes.

Premièrement, nous contribuons à la littérature sur les facteurs de stabilité des JVI en forgeant un lien entre les facteurs liés au contexte interne (JVI et partenaires) les facteurs externes liés à l’environnement. Dans cette perspective, nous faisons progresser les connaissances existantes sur la nature des JVI en examinant leur relation avec l’environnement dans la lignée de nombreuses recherches antérieures (e.g. Lehiany et Chiambaretto, 2014; Kwok et al., 2019; Nippa et Reuer, 2019). En établissant théoriquement et en étudiant empiriquement comment l’incertitude de l’environnement se répercute sur la stabilité des JVI, notre article élargit les modèles conceptuels antérieurs sur l’instabilité de ces relations (e.g. Yan, 1998). 

Deuxièmement, nous contribuons à la littérature en abordant les facteurs de stabilité d’une JVI dans une perspective dynamique, ce qui permet de répondre à l’appel de nombreux chercheurs de mener des recherches longitudinales sur l’évolution des facteurs de stabilité d’une JVI dans le temps (Gomes et al, 2016). Notre étude met en lumière la nécessité d’étudier l’instabilité en tant que processus dans lequel l’apprentissage, la dépendance et la convergence stratégique des partenaires changent avec le temps, et d’enquêter les causes de ces changements. Les processus dynamiques et les changements qui leur sont associés sont également des facteurs importants pour déterminer la stabilité de la JVI.

Troisièmement, nous établissons théoriquement et validons empiriquement que ces trois facteurs (c’est-à-dire l’apprentissage organisationnel, la dépendance symétrique et la convergence stratégique) sont complémentaires et interdépendants et affectent la stabilité d’une JVI évoluant dans un environnement incertain. Encore une fois, nous soulignons le rôle de l’apprentissage collectif dans la stabilité des JVI face à un environnement incertain, ce qui rejoint les résultats des travaux antérieurs (Fang et Zou, 2010; Yao et al., 2013; Pak et al., 2015). Ainsi, nous contribuons à la littérature existante en mettant l’accent sur le rôle central d’un contexte interne stable, basé sur un apprentissage organisationnel collectif, une dépendance symétrique et une convergence stratégique entre les partenaires, dans l’affrontement de l’incertitude de l’environnement.

Sur le plan empirique, notre étude permet de répondre à l’appel de nombreux chercheurs d’investiguer une zone géographique faisant l’objet de peu de travaux de recherche, à savoir la zone Afrique du Nord/Moyen-Orient, notamment après l’avènement du printemps arabe (Triki, 2015; Triki et Mayrhofer, 2016). Ainsi, nous démontrons que la dégradation des conditions environnementales et l’incertitude dans laquelle plonge la Tunisie suite à la révolution ne peut altérer la stabilité d’une JVI dont le contexte interne est stable.

Sur le plan managérial, nos résultats permettent de faire des recommandations en matière de management d’une JVI pour faire face aux menaces d’un environnement incertain et maximiser les chances de sa prospérité. Les managers doivent reconnaitre l’importance d’un contexte collaboratif nourri par une relation itérative entre la convergence stratégique, la dépendance symétrique et l’apprentissage collectif. En effet, nous démontrons que les JVI qui ont réussi à prospérer dans un environnement incertain sont celles caractérisées par un contexte collaboratif stable. Ce dernier fournit aux partenaires des conditions favorables à la détection et à l’exploitation de nouvelles opportunités permettant de faire face aux menaces d’un environnement incertain. La mise en place d’une action collective basée sur la combinaison des atouts et le partage de l’expertise de chaque partie conduit les partenaires vers un apprentissage collectif. Ce dernier reflète une dimension comportementale à forte valeur ajoutée qui permet d’atteindre les objectifs communs de la collaboration. Les managers des JVI doivent en outre démontrer qu’ils sont en mesure de répondre à leurs attentes respectives. Cette attitude conduit à la convergence stratégique et au développement de liens entretenus par une communication répétée renforçant leur dépendance symétrique. Dans de telles conditions, les partenaires vont compter davantage l’un sur l’autre pour atteindre leurs objectifs. Enfin, les managers des JVI doivent prendre les mesures nécessaires pour développer des solutions innovantes. A ce titre, ils peuvent favoriser une atmosphère qui inspire et renforcer le degré de collaboration conjointe basée sur la continuité des échanges et des investissements spécifiques. Les actions collectives sont nécessaires pour les partenaires opérant dans un environnement incertain étant donné qu’elles leur permettent d’exploiter de nouvelles opportunités incontournables pour la dépendance symétrique et la convergence stratégique. Comme le révèle cette étude, ces facteurs sont dynamiques et évoluent tout le temps. Pour cela, les partenaires doivent bâtir leur JVI sur une base solide et mettre en place, de manière continue, des mécanismes et procédures connus et partagés par tous pour éliminer toute discordance susceptible d’empoisonner l’ambiance collaborative et d’affecter le potentiel des complémentarités, afin de de mieux survivre aux périodes de forte incertitude environnementale.

Notre travail de recherche ne manque toutefois pas de limites. La première limite est liée à l’appréciation de la stabilité du contexte interne de la JVI où nous l’avons limité à l’apprentissage collectif, la dépendance et la convergence stratégique. Une voie de recherche future serait d’élargir le spectre et d’apprécier la qualité du contexte interne en intégrant, à titre d’exemple, la compatibilité culturelle, le degré d’asymétrie entre les partenaires et l’appréciation des gains. La deuxième limite est relative à notre choix d’évaluer l’incertitude de l’environnement externe uniquement sur la base de dimensions politique et économique. Une voie de recherche future serait d’apprécier l’incertitude environnementale à partir de la récente crise sanitaire liée à la Covid-19 et d’étudier ses conséquences sur la stabilité et la survie des JVI implantées dans les marchés émergents. La troisième limite est liée au choix méthodologique qui ne permet pas la généralisation des résultats. Une autre piste envisageable serait donc de tester à grande échelle les résultats de cette recherche afin de valider notre appréciation de la qualité du contexte interne et son effet modérateur de l’impact d’un environnement externe turbulent et instable.