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Au cours des années 1990, la position économique de la Chine en Afrique s’est considérablement renforcée. Elle est aujourd’hui considérée, selon (Kernen; Vulliet, 2007 : 69) comme une « puissance africaine ». Ce succès est le fait à la fois des stratégies de l’Etat chinois et des entrepreneurs chinois[1]. Pour (Aurégan, 2016), « depuis le milieu des années 1990, on assiste à la progression des relations multilatérales et bilatérales entre la Chine, le continent africain et les Etats qui le composent ».

En 2009, l’amélioration des relations diplomatiques entre la Chine et de nombreux pays africains, lui a permis de devenir, le premier partenaire commercial de l’Afrique (Aurégan, 2016). Pour (Li, 2019 : 2), « En 2019, le volume des échanges Chine-Afrique était de 208,7 milliards de dollars américains, soit une augmentation de 2,2 % par rapport à l’année précédente ».

Après une longue période de suspension, les relations diplomatiques entre la Chine et le Sénégal ont été rétablies en 2005. Ainsi, la Chine s’est positionnée comme un partenaire stratégique du Sénégal en soutenant le Plan Sénégal Emergent (PSE) initié par le gouvernement (ANSD, 2019). « Le volume des échanges commerciaux entre le Sénégal et la Chine s’établit, en 2019, à 2,5 milliards de dollars » (FOCAC, 2020[2]). Cela témoigne du dynamisme des relations entre la Chine et le Sénégal. Elle devient ainsi le deuxième partenaire du Sénégal derrière la France. Toutefois, ces constats doivent être nuancés. Pour (Correia, 2011 : 354), à la différence des pays comme l’Afrique du Sud, l’Algérie et l’Angola, « les analyses disponibles montrent clairement que le Sénégal n’est pas un partenaire commercial majeur de la Chine ».

Pour (Bredeloup, 2008) cité par (Correia, 2011 : 356), « ... l’arrivée sur le marché sénégalais des commerçants chinois (...) contribue à la recomposition de certaines filières économiques ». Ils proviennent essentiellement de la province de Henan. Certains ont été mandatés par l’Etat chinois (ils entretiennent de bonnes relations avec l’ambassade); d’autres ont un lien de parenté avec un membre du personnel de la société Henan Construction implantée au Sénégal[3]; d’autres encore sont des aventuriers à la recherche d’opportunités et d’un cadre de vie décent.

D’après (Kernen; Vulliet, 2008), il est difficile d’estimer le nombre de Chinois installés au Sénégal. Toutefois, on peut raisonnablement dire qu’ils sont entre 1000 et 2000. Les commerçants chinois sont essentiellement cantonnés dans la capitale sénégalaise. A Dakar, ils sont regroupés le long de l’Allée Papa Gueye Fall et dans son prolongement, le boulevard du général de Gaulle. Ce regroupement sur cette allée, communément appelée « Allée du Centenaire », les rend « visibles », contrairement aux autres communautés (syro-libanaises, maliennes, gambiennes et autres). Ils évoluent principalement dans le commerce de gros et de détail de vêtements et autres (sacs, breloques, etc.), de produits capillaires et de vaissellerie. L’installation des commerçants chinois dans la capitale du Sénégal permet la création d’une économie de réseau essentiellement informelle. Ils approvisionnent les commerçants locaux (vendeurs à la sauvette, à l’étal, etc.) qui se chargent de la distribution de leurs produits dans les autres quartiers de Dakar et les régions du Sénégal. Les commerçants chinois emploient des jeunes sénégalais qui sont en « front office ». Ces employés, sans contrat de travail, facilitent la communication en langue nationale entre les clients et les commerçants chinois (Aurégan, 2015). Les produits « made in China », certes, de moindre qualité, sont adaptés aux besoins des populations. Pour (Kernen et Mohammad, 2014 : 117), « L’arrivée des produits chinois marque une vraie rupture, en ce sens qu’elle contribue à la massification, la diversification et l’accélération de la consommation en Afrique. Par le biais des produits chinois, ces sociétés entrent dans la consommation de masse ».

La présence des commerçants chinois au Sénégal est diversement interprétée : i) pour l’état, les conditions d’entrée des chinois et des marchandises en provenance de la Chine sont claires et protègent les acteurs locaux; ii) pour les acheteurs, la présence des chinois permet d’accéder à un ensemble de marchandises variées à des prix compatibles avec leur pouvoir d’achat; iii) pour les employés, cette présence permet de disposer d’un revenu mensuel afin de subvenir aux besoins de la famille; iv) pour les petits commerçants, ambulants ou à l’étal, l’arrivée des commerçants chinois permet à une tranche de la population, particulièrement précarisée, d’avoir du travail et enfin; v) pour les commerçants locaux évoluant dans le même créneau que les chinois, cette présence participe à une « concurrence déloyale ». Ainsi, l’arrivée des produits « made in China » sur le marché national serait responsable de la faillite de nombreux commerçants sénégalais évoluant dans la « friperie » ou sur le même segment que les commerçants chinois. Ces diverses interprétations font naître des stéréotypes ou des clichés de différentes natures : « les chinois offrent des produits de mauvaise qualité », « les chinois contournent la loi et fraudent le fisc », « les chinois ne s’intègrent pas à la population », « les chinois exploitent les jeunes », les « chinois proposent des produits accessibles aux populations », « ce sont les chinois qui me permettent de nourrir ma famille ».

Nous nous proposons dans cet article de décrire, premièrement les perceptions des commerçants et autres acteurs sénégalais, suite à la présence des chinois dans les espaces commerciaux sénégalais et, deuxièmement de mettre en évidence l’impact de l’activité commerciale de ces derniers sur l’économie sénégalaise. Pour cela, nous allons mobiliser la théorie réaliste des conflits de groupe (Sherif, 1966)[4] et la théorie du contact pour discuter des comportements quotidiens des acteurs du secteur du commerce sénégalais face à la présence chinoise. Nous étudierons également la manière dont cette présence les affecte. (Sherif, 1966) a établi que les stéréotypes apparaissent lorsque nos intérêts sont menacés. Selon cette théorie, c’est la compétition produite par les conflits d’intérêts qui engendre cette stéréotypisation (Sherif 1966). L’approche microéconomique sera également mobilisée dans la mesure où plusieurs acteurs sont mis en relation dans un marché concret. Cela permettra de discuter des rapports entre offreurs et demandeurs.

Notre recherche utilise une approche qualitative. Celle-ci est adoptée lorsqu’on veut comprendre des processus. A cet effet, nous avons réalisé des entretiens semi-directifs avec les acteurs intervenant dans le secteur du commerce (commerçants chinois, commerçants ambulants, vendeurs à l’étal, commerçants sénégalais, employés des commerçants chinois, Etat, et Association des commerçants et des consommateurs) et ceux concernés par les activités économiques organisées sur l’Allée du centenaire à Dakar. Notre recherche tente de répondre aux questions suivantes : Quelles sont les perceptions des commerçants locaux et autres acteurs de ce secteur face à la présence chinoise ? Quels sont les impacts socioéconomiques de la présence chinoise sur le commerce et les espaces commerciaux au Sénégal ?

Pour répondre à ces interrogations, une revue de littérature présentée de prime abord nous permet d’élaborer le cadre théorique mobilisé pour cette recherche. Ensuite, les choix méthodologiques sont justifiés. Enfin, les résultats sont présentés et discutés.

Revue de la littérature

Plusieurs auteurs, souvent anthropologues, se sont intéressés aux activités des commerçants chinois en Afrique (Bourdarias, 2009); (Dobler, 2009); (Haugen; CarlingMa-Mung, 2009). Au-delà des clivages entre commerçants, la présence chinoise a opéré une nouvelle organisation de l’activité économique au Sénégal (Bredeloup, 2008). Des réactions mitigées en ont été produites et conduisent à des perceptions variées des acteurs locaux du secteur du commerce.

Présence chinoise et réactions des acteurs locaux du secteur du commerce

La conférence de Bandoeng de 1955 a engendré le cadre de coopération politico-économique Chine-Afrique, suite auquel la Chine a commencé à s’intéresser particulièrement à l’Afrique en y entrevoyant des possibilités et des potentialités bénéfiques à plusieurs niveaux. Ainsi, au travers de différentes réformes affectant les entreprises et leurs statuts juridiques ainsi que les institutions, et entre le premier et le sixième forum de la coopération sino-africaine (FOCAC) tenue à Johannesburg en 2015, l’aide octroyée à l’Afrique par la Chine est passée, selon (Aurégan, 2015), de 5 à 60 milliards de dollars, faisant de la Chine le deuxième partenaire commercial de la plupart des pays de l’Afrique francophone, après la France. Le Sénégal participe à cette « mondialisation par le haut », parce que sa position géographique dans la sous-région est géopolitiquement stratégique pour la Chine (Correia, 2011).

Le nombre de chinois au Sénégal est relativement faible[5] comparativement aux syro-libanais, puisque le Sénégal n’a rétabli ces relations diplomatiques avec la Chine qu’en 2005[6]. Leurs profils sont variés, même si la majorité provient de la province de Henan[7]. Dans leur majorité, les commerçants chinois sont arrivés au Sénégal parce qu’ils connaissaient un employé de la Société Henan Chine implantée au Sénégal, ou alors c’étaient des aventuriers en quête d’opportunités d’affaires. « Rares sont les petits entrepreneurs qui ont choisi leur pays d’accueil ou même choisi d’aller en Afrique » (Aurégan, 2016 : 78).

Les premiers commerçants chinois à s’installer sur l’Allée du Centenaire à Dakar, sont arrivés au début des années 2000 (Kernen; Vulliet, 2008). Ils étaient peu nombreux et cantonnés dans des domaines d’activités marginaux tels que le commerce des vêtements, des chaussures, des accessoires de modes, des mèches de cheveux, etc. La plupart d’entre eux occupaient des boutiques où ils y vivaient.

Dans les échoppes, les chinois sont en arrière-plan et approuvent les transactions après qu’ils ont laissé la latitude au personnel sénégalais de négocier avec les acheteurs. Ce mode de fonctionnement est souvent source de nombreux conflits liés aux incompréhensions entre les parties (Kernen; Vulliet, 2008).

De nos jours, les produits chinois inondent les marchés africains. Par exemple, leurs produits « bon marché » sont adaptés aux besoins d’une population pauvre au Sénégal. Toutefois, cette présence chinoise suscite chez les petits commerçants, les réseaux syro-libanais et bien d’autres commerçants des craintes, voire de la jalousie. Les premiers, vivant de petites activités informelles, de revente et de distribution, craignent la concurrence qui va s’intensifier. Les deuxièmes, ayant autrefois le quasi-monopole sur la commercialisation des produits vendus par les chinois, sont obligés de revoir leur stratégie de prix, car les prix de leurs produits étaient très souvent hors de la portée du consommateur moyen (Kernen; Mohammad, 2014).

Dans tous les cas, la présence chinoise en Afrique et plus particulièrement au Sénégal permet à une large proportion des populations d’accéder à des produits qu’elles n’auraient pas pu s’acheter. Cette présence participe à ce que (Kernen, 2014) appelle la « mondialisation par le bas » d’autant qu’à son avis, la particularité des chinois consiste à s’adresser à des populations qui n’avaient pas auparavant accès à certains types de produits. Grâce à l’organisation de leurs activités, les commerçants chinois créent une véritable économie de réseau en organisant la distribution de leurs produits autour de revendeurs (à l’étal, à la sauvette) disséminés sur l’étendue du territoire national. Ce sont tous ces arguments qui font dire au président de l’Association des Consommateurs du Sénégal (ASCOSEN) que c’est une chance d’avoir une communauté chinoise vendant des produits à des « prix raisonnables ».

Il faut signaler que la présence chinoise dans un pays comme le Sénégal a eu des effets négatifs sur des industries. Elle a quasiment fait disparaître l’industrie textile (Bredeloup, 2008) et déstabilisé l’artisanat. Et les organisations patronales et syndicales s’indignent et font preuve d’amertume face à ces pratiques chinoises. Ces organisations incriminent leurs comportements qu’elles qualifient de « déloyaux » vis-à-vis des acteurs sénégalais. Selon (Correia, 2011 : 357), « Les organisations patronales prétendaient sauver le commerce sénégalais en pointant la concurrence déloyale, les activités clandestines, la mauvaise qualité et la toxicité des produits chinois, mais elles se sont heurtées à une absence de solidarité des consommateurs et au silence complice d’un gouvernement enchanté par le partenariat avec les chinois ».

Perceptions des commerçants chinois et des acteurs du commerce au Sénégal

En 2004 déjà, plus de 300 boutiques de commerçants chinois opéraient dans la capitale sénégalaise (Bredeloup et Bertoncello 2006). Dans d’autres travaux, ces chiffres sont revus à la baisse. Par exemple, (Kernen; Vulliet, 2008) estiment le nombre de magasins entre 138 et 158 pour l’année 2005. Quant à (Diop, 2009 : 410), il a indiqué que, sur 147 magasins répertoriés sur le boulevard de l’Allée du Centenaire, 125 étaient occupés par des commerçants chinois. (Marfaing; Thiel, 2013), ont aussi dénombré 270 boutiques sur trois principaux axes de la capitale sénégalaise : l’Allée Papa Gueye Fall, les avenues Faidherbe et Petersen (Marfaing; Thiel, 2013 : 144). Dans cette logique, (Kernen, 2014) souligne que « Les boutiques (…) chinoises s’insèrent (…) dans des secteurs où des commerçants aux origines diverses sont présents depuis longtemps » car, dans l’espace commercial sénégalais, on dénombre des commerçants libanais, syriens, indo-pakistanais, maliens, gambiens, chinois, etc.

Les conditions d’entrée et d’exercice du commerce par les chinois, au Sénégal, apparaissaient floues et de nombreux commerçants locaux et organisations patronales et syndicales s’en sont plaints. Cette situation « floue » a fait naître des « rumeurs » servant les intérêts des commerçants sénégalais et des regroupements patronaux et syndicaux qui les représentent. Ce fut le cas des rassemblements de 2004 et 2008 au Sénégal dénonçant « la concurrence déloyale subie par les commerçants locaux » et « l’inaction du gouvernant sénégalais » face au péril « jaune ». Dans un registre parallèle, l’ASCOSEN encourage la présence chinoise. Elle estime que, par rapport aux produits proposés par les locaux, ceux vendus par les commerçants chinois sont plus accessibles aux populations ayant de faibles revenus.

Au-delà des rumeurs qui circulent sur la présence chinoise au Sénégal (rumeurs sur leur arrivée au Sénégal, sur l’approvisionnement en marchandises, sur les facilités qu’on leur octroie, sur le nombre de boutiques ouvertes, etc.), les activités de ces commerçants chinois impactent positivement les économies africaines à bien des égards. S’appuyant sur un vaste réseau permettant l’écoulement de leur production, ils impliquent de nombreux acteurs tels que les jeunes sans emplois, les revendeurs et les distributeurs. Ainsi, utilisant une « approche par le bas », les chinois et les différentes parties intéressées « (…) apportent un nouvel éclairage sur ces processus de « mondialisation par le bas », en constante interaction avec un cadre plus formel, par le biais de contournements et de bricolages » (Kernen, 2014 : 14). Chaque acteur du réseau est encastré dans le légal et l’illégal, dans la mesure où les revendeurs par exemple sont libres de négocier les prix, les marges et même la qualité des produits.

Le fait que les produits « made in China » au Sénégal entrent en concurrence avec des produits qui étaient déjà commercialisés sur les marchés par les commerçants locaux a créé des tensions ou accentué la concurrence (Simen, 2015). L’arrivée de ces produits « bon marché » a détruit des industries (comme le textile, l’artisanat, etc.) et entraîné la fermeture de plusieurs magasins détenus par les sénégalais.

De façon générale, la présence chinoise au Sénégal a eu des conséquences tant positives que négatives sur l’activité économique. Cet impact est à la fois économique (création d’emplois, développement d’activités, génération de revenus, recomposition de filières, fraude) et social (création d’activités, corruption).

Nature des relations entre les commerçants chinois et les commerçants locaux

Au cours de la dernière décennie, les relations commerciales entre la Chine et l’Afrique ont affiché un dynamisme saisissant. (Aurégan, 2016), souligne à cet effet qu’« entre le lancement de la politique de Going Out en 1993 et le sixième Forum de Coopération Chine-Afrique (FOCAC) de décembre 2015, la Chine est (…) passée par d’innombrables temps forts[8] » (Aurégan, 2016 : 187).

Ce dynamisme est porté par de petits entrepreneurs qui écoulent facilement des produits « made in China ». Dans de nombreuses artères des villes africaines, les commerçants chinois se sont imposés dans l’environnement des affaires (Gaye, 2014). L’implantation de ces derniers a été favorisée par l’amélioration des relations diplomatiques entre la Chine et l’Afrique et par la faiblesse des institutions. Par ailleurs, les commerçants chinois entretiennent avec leurs homologues locaux des relations de différentes natures en fonction des retombées de la présence chinoise sur leurs activités.

Selon Sherif (1966), pour comprendre le comportement entre les groupes, il faut procéder à une analyse des relations entre les groupes. Ainsi, dans les relations entre les différents groupes en présence dans le secteur du commerce, trois types de relations peuvent être identifiés face à la présence des commerçants chinois. Ces relations peuvent être complémentaires, collaboratrices ou compétitives (Haugen, 2011) et se caractérisent dans le contexte sénégalais comme suit :

  • Des relations de complémentarité : Les commerçants chinois au Sénégal entretiennent avec un ensemble de revendeurs (à l’étal, à la sauvette) et un personnel sénégalais d’appoint des relations de complémentarité. Au-delà de cette complémentarité, les commerçants chinois ont initié une organisation pragmatique et réaliste qui a favorisé une sorte de division des tâches. Les chinois sont propriétaires des boutiques et d’un vaste réseau d’approvisionnement en Chine; les revendeurs et le personnel sénégalais utilisés dans les boutiques facilitent l’écoulement des produits du fait de leur bonne connaissance du marché local. Ainsi, revendeurs sénégalais et chinois tissent une relation permettant pour les premiers d’avoir une activité générant des revenus et pour les deuxièmes d’écouler leurs produits.

  • Des relations de coopération : Pour (Sisbane; Azzi, 2001), le conflit entre des groupes opposés peut s’atténuer si les deux groupes sont amenés à développer des relations de coopération pour atteindre un but commun. (Shérif, 1966) a démontré que la coopération intergroupe crée plus d’empathie et de compréhension et moins de biais pro-endogroupe que la compétition. Toutefois, le simple contact entre les membres des groupes en conflit ne suffit pas à réduire l’hostilité. Pour y parvenir, un objectif commun aux deux groupes doit exister et pour lequel, ils doivent mener une action collective nécessitant une certaine unité. Par conséquent, ils doivent collaborer pour atteindre ce but[9]. Ce type de relation concerne les vendeurs ambulants et les vendeurs sur les étals qui achètent donc chez des commerçants chinois pour revendre en l’état.

  • Des relations de concurrence : Ce type de relation concerne les commerçants, les membres des organisations professionnelles, comme l’UNACOIS, qui sont opposés à la présence des chinois et qui exigent leur retrait du marché. La concurrence exercée par les commerçants chinois a créé une atmosphère pleine de suspicion et de méfiance chez les autres commerçants locaux. Cette rivalité se joue essentiellement sur la maîtrise du rapport qualité/prix.

Le cadre théorique

La présence des commerçants chinois au Sénégal suscite des perceptions variées de la part de leurs homologues sénégalais, mais aussi des autres acteurs du secteur du commerce (population, organisations patronales et syndicales). Tantôt ces perceptions sont favorables pour une catégorie d’acteurs (petits revendeurs, jeunes employés dans les boutiques de chinois), tantôt défavorables pour une autre catégorie (les commerçants sénégalais, syro-libanais opérant sur le même créneau que les chinois, les organisations syndicales).

Les antagonismes mentionnés dans les relations entre les commerçants chinois et leurs homologues sénégalais peuvent être analysés en empruntant à la sociologie des conflits. Ainsi, lorsque les objectifs de groupes (ici des commerçants chinois, des commerçants sénégalais et autres acteurs du secteur) sont divergents, des conflits peuvent subvenir et déboucher sur des comportements négatifs envers d’autres groupes, entraînant des stéréotypes négatifs et auto-entretenus. Au contraire, lorsqu’ils sont compatibles, des comportements positifs de soutien vont être induits. De plus, les groupes qui sont remarquables et visibles sont plus susceptibles d’être qualifiés de concurrents (Esses et al., 1998). S’appuyant sur ces opinions, nous allons voir si les perceptions des commerçants sénégalais et des autres acteurs du secteur du commerce sont fondées sur des intérêts compatibles avec ceux des commerçants chinois.

Ces différents groupes étant en relation, nous postulons qu’une meilleure façon d’améliorer la collaboration entre des groupes en conflit est d’établir des contacts réguliers tout en respectant les conditions du marché. Une telle démarche éviterait d’avoir des attitudes négatives ou des prédispositions à adopter des comportements négatifs envers des membres d’un autre groupe sur la base d’une généralisation erronée et rigide. Certes, ces hypothèses sont discutables, mais nous cherchons simplement à savoir comment les contacts vont influencer les perceptions des commerçants sénégalais et d’autres acteurs. Nous utilisons la théorie du contact pour explorer les dispositions des commerçants sénégalais qui peuvent ne pas avoir des perceptions négatives. Malgré les distinctions entre les théories, leurs prédictions ne sont pas incompatibles et se complètent pour expliquer les relations complexes entre les groupes qui ont des acteurs différents, des stratégies différentes et sont de culture différente.

La collecte et le traitement des données

Les perceptions des commerçants locaux et d’autres acteurs du commerce au Sénégal et l’impact socio-économique de la présence chinoise dans ce secteur justifient le fait d’avoir l’opinion de chaque acteur. Nous avons choisi de relayer ce que vivent les acteurs (commerçants et autres acteurs institutionnels) au quotidien. Le choix d’une méthode qualitative justifie bien notre démarche.

Pour les besoins de la recherche, des entretiens semi-directifs ont été réalisés. Deux questions ont été posées. L’une portait sur l’impact de la présence des commerçants chinois sur la société et l’économie sénégalaise, et l’autre s’intéressait aux perceptions des commerçants interrogés face à la présence des commerçants chinois. Les données recueillies ont été enregistrées, puis retranscrites. Des données complémentaires issues de la presse quotidienne locale, d’Internet et des discussions non structurées avec des experts sur la relation Sénégal-Chine ont été utilisées.

Pour travailler sur la deuxième question, nous avons utilisé la méthode des récits de vie. Cette dernière permet la recherche du sens donné par les acteurs sur leurs comportements et les perceptions face à la présence des commerçants chinois (Ozcaglar-Toulouse, 2009). Ainsi, les récits de vie des populations et consommateurs de produits chinois, des commerçants ambulants, des commerçants à l’étal, des commerçants sénégalais et chinois ont été interprétés. Nous avons jugé utile de demander aux personnes interrogées de nous décrire, dans le temps, les faits ayant motivé ou justifié leurs perceptions.

Les entretiens, d’une durée de 30 à 75 minutes, ont donné lieu à un corpus de 75 000 mots interprétés au travers de codes émergents issus des travaux de (Sherif, 1966) et complétés par des entretiens auprès d’autres acteurs de l’UNACOIS, de l’ASCOSEN, du Groupement Economique Sénégalais (GES), des acheteurs et du personnel employé dans les magasins chinois et ayant donné lieu, après retranscription, à un corpus de 25 000 mots. Nous avons réalisé une triangulation empirique entre un corpus principal, un corpus secondaire et des codes émergents tirés de la littérature. Afin de réduire les biais cognitifs et de conformité, les entretiens et l’exploitation ont été réalisés par groupe de deux.

Lors de la constitution des récits de vie, nous avons encouragé les acteurs à exposer leurs perceptions vis-à-vis des commerçants chinois, à décrire l’évolution de leur commerce avant l’arrivée des chinois et les répercussions éventuelles de leur présence sur leurs activités. Comment ont-ils été impactés par l’arrivée des commerçants chinois ? Pour les acteurs institutionnels, nous avons réalisé des entretiens non structurés en fonction de la particularité de chaque institution. Les approches de réponses nous ont permis de mieux comprendre les rapports de force en présence.

La population concernée par cette recherche réside à Dakar. Un échantillon de convenance de 28 personnes a été retenu dans la capitale sénégalaise suivant deux critères : être commerçant exerçant à Dakar, évoluant dans le même créneau que les commerçants chinois de l’Allée du Centenaire. D’autres acteurs ont été interrogés : une personne représentant l’UNACOIS, l’ASCOSEN et le GES, trois personnes employées par les Chinois dans leurs magasins, quatre commerçants chinois et deux acheteurs des produits « made in China » sur l’Allée du Centenaire. Notre échantillon est ainsi constitué d’acteurs variés du secteur du commerce au Sénégal (Tableau 1).

Les informations recueillies ont fait l’objet d’une analyse de contenu et sont présentées sous formes de verbatim.

Résultats

Impacts de la présence des commerçants chinois sur l’économie sénégalaise

La présence des commerçants chinois a été diversement appréciée par les acteurs du secteur du commerce au Sénégal, du fait d’informations pas toujours fondées qui ont circulé sur l’arrivée et l’exercice de l’activité des commerçants chinois. Ce climat de suspicion créé par ces informations a conduit à des commentaires négatifs et à des récriminations pour les uns, ainsi qu’à des encouragements pour les autres acteurs locaux du secteur du commerce au Sénégal. D’après notre corpus de données, la présence des commerçants chinois a eu un impact à plusieurs niveaux :

Sur la concurrence

Pour de nombreux commerçants sénégalais, il est difficile de faire face à la concurrence des commerçants chinois qui peuvent pratiquer des prix compétitifs car, leur gouvernement facilite et encourage l’immigration en mettant en place des politiques de subventions. Puisque, « dans l’esprit des dirigeants chinois, l’immigration est devenue une partie de la solution pour faire baisser la pression démographique, la surchauffe économique, la pollution » (Michel; Beurret, 2008 : 16). Même si tous les commerçants chinois ne sont pas concernés par une telle politique, c’est un argument fort avancé par les commerçants locaux qui demandent aussi à être protégés. Comme le souligne (Melka, 2020), « Même si les liens entre l’Etat chinois et « ses » entreprises sont plus distants, plus complexes que par le passé, diverses interactions demeurent ».

Les commerçants locaux pointent également du doigt le fait que les commerçants chinois ont des pratiques inappropriées. En témoignent les déclarations d’un des répondants : « Ils viennent ou envoient leurs employés dans nos boutiques par simple curiosité afin de savoir ce que nous vendons (…). Ils filment nos modèles achalandés et après vont les reproduire en Chine pour ensuite inonder le marché local » (entretien avec un vendeur de vêtements). Ces pratiques illégales affichent même des conséquences sur l’artisanat. Par exemple, en dépit de la qualité supérieure des produits locaux dans le métier de tisserand, les consommateurs sénégalais préfèrent les « mêmes » produits fabriqués en masse en Chine et importés au Sénégal. La conséquence est la réduction du chiffre d’affaires des artisans, voire la disparition de ces métiers. De manière générale, le secteur artisanal est victime de « la contrefaçon organisée par les commerçants chinois, qui reproduisent en plusieurs exemplaires des modèles de tableaux, de vêtements traditionnels, d’objets d’art pour les écouler sur le marché sénégalais sans qu’aucune autorité ne daigne intervenir » (entretien avec un commerçant sénégalais membre de l’UNACOIS).

Tableau 1

Notre échantillon

Notre échantillon

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Par contre, les commerçants chinois expriment aussi des inquiétudes : « Quand on a commencé, l’activité était rentable, mais depuis, c’est devenu difficile (…). On a beaucoup de compatriotes qui ont fermé leurs boutiques pour investir dans l’hôtellerie ou la restauration » (entretien avec un commerçant chinois). Cette situation s’explique par le fait que de nombreux commerçants sénégalais achètent en Chine. Comme l’explique un autre répondant : « (…). Ces commerçants maîtrisent le marché sénégalais (…) nous on croule sur les charges et on doit s’appuyer sur eux (les acteurs sénégalais) pour écouler nos produits » (entretien avec un commerçant chinois).

Sur la recomposition de certaines filières économiques avec des incidences sur les prix de vente aux consommateurs

La présence et le développement de la friperie au Sénégal ont provoqué la déclinaison de l’industrie textile du pays. En effet, les propos d’un responsable en sont corroboratifs : « De nombreuses entreprises, à l’instar de la Sotexka ou de la Nouvelle société de textile du Sénégal, ont fermé, car ne pouvant rivaliser avec les tarifs proposés par les produits made in China » (entretien avec le représentant de l’UNACOIS). En outre, en réduisant les prix du marché et en jouant sur la variété des produits, les marchands chinois ont réussi à attirer, d’une part, de nombreux consommateurs sénégalais dont le pouvoir d’achat est relativement faible et, d’autre part, les revendeurs y ont trouvé leur intérêt quant aux prix de vente proposés par les échoppes chinoises.

Sur le développement d’une véritable économie informelle

Les commerçants chinois sont en contact avec un réseau de revendeurs indépendants et des commerçants locaux. Ils travaillent en relation avec des vendeurs ambulants (qui sont essentiellement jeunes), des vendeurs à l’étal (qui s’approvisionnent chez les chinois et qui peuvent vendre devant la boutique du chinois qui les approvisionne). Les relations entretenues avec ces acteurs s’effectuent très souvent dans l’informel. Ainsi, les commerçants chinois emploient de nombreux jeunes qui sont en relation directe avec les acheteurs. Ces jeunes sont sans contrat, mais utiles dans la vente des produits chinois. La présence chinoise favorise le développement d’une économie opaque qui échappe au contrôle des autorités.

Sur la corruption

Le réseau parallèle développé du fait de la présence chinoise permet le développement de la corruption. Pour le représentant de l’UNACOIS, « les Chinois réussissent à corrompre pour obtenir ce qu’ils veulent des autorités ».

Sur les autres communautés de commerçants exerçant au Sénégal

Les marchands syro-libanais évoluant sur les mêmes créneaux que les chinois sont fortement impactés par la présence chinoise au Sénégal. L’un d’entre eux exprime son constat : « Avant, je me rendais en Chine au moins trois fois par an et je négociais directement avec les fournisseurs chinois (…). Aujourd’hui, certes, on continue d’importer de la Chine, mais des quantités plus faibles (…). D’ailleurs, je pense de plus en plus diversifier mes sources d’approvisionnement (…). Mais ce n’est pas facile » (entretien avec un commerçant libanais). L’activité commerciale des chinois au Sénégal a eu aussi un impact sur les commerçants provenant des pays frontaliers du Sénégal : Mali, Gambie, Guinée Conakry. Pour une commerçante malienne, « (…) avant, j’achetais mon Bazin riche[10] à Bamako et revenais le vendre sur Dakar (…). Certes, le produit est cher parce que la teinture est artisanale, mais il se vend bien. Maintenant, les chinois le fabriquent et l’importent de Chine (…). Difficile de les concurrencer » (entretien avec une commerçante).

La présence chinoise au Sénégal a suivi le développement des relations politiques, économiques et commerciales. Cette implantation des commerçants chinois au Sénégal s’appuie sur deux piliers : le réalisme (et non le respect des règles); une stratégie de concentration basée sur le développement d’une économie de réseau avec différents acteurs. L’agglutination dans une même zone ou sur un même lieu leur offre la sécurité et leur permet de lutter contre l’isolement. De même, l’organisation en réseau leur assure une meilleure insertion dans l’économie locale.

Les acteurs en présence et leurs attitudes face à la présence des commerçants chinois

Les acteurs du commerce au Sénégal

La plupart des commerçants chinois de l’Allée du Centenaire ont séjourné dans les provinces comme Henan, Fujian ou dans la capitale de la Chine Pékin avant de se rendre à Dakar. D’autres ont eu une expérience dans d’autres pays africains avant de se décider à venir à Dakar. Depuis les années 2000, cette communauté chinoise vivant au Sénégal commercialise une multitude de produits manufacturés aussi divers que des vêtements, des mèches à cheveux, des chaussures, des sandales, des pagnes, du parfum, des jouets, des petits portraits à l’effigie des marabouts, des horloges ou des ustensiles de cuisine qui ont été confectionnés en Chine. Ils sont distribués au Sénégal à des prix adaptés aux portefeuilles des populations ayant des revenus faibles ou moyens. L’installation de certains commerçants chinois sur cette Allée du Centenaire est durable. Selon un commerçant ambulant, « Ils ont acheté la plupart des maisons ou rez-de-chaussée, ou les patios ou garages de l’Allée du Centenaire pour les besoins de leur commerce et, pour certains, pour y vivre ».

Les commerçants chinois qui ont choisi de venir s’installer au Sénégal estiment que ce pays regorge d’opportunités commerciales. Un interviewé nous en apporte la preuve : « Je suis ici pour gagner de l’argent pour ma famille, en particulier pour mes enfants (…) » (entretien avec un commerçant chinois). La plupart des commerçants chinois se sont positionnés sur les produits « bon marché ». Ainsi, une partie des acteurs du commerce de ce type de produits (de bazar) est devenue leur alliée, tandis qu’une autre, notamment les commerçants proposant des gammes de produits supérieurs, milite en faveur du frein de l’activité des chinois qui imposent au secteur une rude concurrence. Certains commerçants chinois sont arrivés par la voie officielle (après le rétablissement des relations diplomatiques). D’autres sont arrivés en utilisant différents « réseaux familiaux, des courtiers ou avec la complicité de fonctionnaires sénégalais » (entretien avec un représentant de l’UNACOIS). Presque tous ont l’intention de réinvestir leurs revenus en Chine. L’attitude des commerçants chinois est confirmée par Correia (2011 : 355) pour qui, on reproche souvent aux commerçants chinois « de transférer tous [leurs] bénéfices vers la Chine et, par là, de ne rien investir dans le pays d’accueil ».

Pour écouler leurs marchandises, les commerçants chinois travaillent avec un ensemble d’acteurs.

Des employés des échoppes et boutiques chinoises

Ce sont essentiellement des jeunes qui ont été embauchés (sans contrat de travail) et qui servent d’interface entre le commerçant chinois et les acheteurs et autres revendeurs : « Ce sont des anciens vendeurs avec qui nous avons travaillé et en qui nous avons confiance » (entretien avec un commerçant chinois). Les commerçants chinois n’occupent pas le devant de la scène dans leurs boutiques. Ils sont à l’arrière-plan pour valider le dénouement de la transaction, et ce, parce qu’ils ne parlent pas wolof[11], et il est difficile pour eux de communiquer avec le public.

Des commerçants ambulants

Ce sont essentiellement des jeunes, sans emploi ni formation, cherchant à gagner leur vie en faisant du commerce. Ils facilitent l’écoulement des marchandises sur le territoire national à des conditions avantageuses pour eux : « Avec l’existence des magasins chinois à Dakar, je viens une fois par semaine pour acheter des vêtements et sacs afin d’aller les revendre avec de bonnes marges » (entretien avec un commerçant ambulant). Leur présence amplifie le commerce chinois. Et, lorsqu’ils appartiennent à une confrérie religieuse (mourides ou Baye Fall[12]), le réseau de ces commerçants se trouve encore plus amplifié. Ces revendeurs constituent un des piliers de la pérennité des activités commerciales chinoises. Pour cela, de nombreuses facilités leur sont offertes : meilleurs prix de gros offerts, possibilités de prendre la marchandise et de payer de manière différée.

Des acheteurs/revendeurs à l’étal

Ces acheteurs/revendeurs riverains ont leurs étals près des boutiques chinoises. Ils constituent une source d’encombrement de l’Allée du Centenaire. On y retrouve essentiellement les femmes. Leurs relations avec les commerçants chinois reposent sur la « confiance » et souvent ils se rendent mutuellement service. Selon une commerçante à l’étal, « Souvent, mon stock de marchandises est terminé (…) et je vais prendre dans la boutique du Chinois pour mes clients ». (Entretien avec une commerçante à l’étal).

Des acheteurs

Les acheteurs estiment que les produits proposés par les chinois, certes de moins bonne qualité, sont adaptés aux besoins des populations. Le faible prix des produits proposés par les chinois et la flexibilité des chinois, dans l’organisation de leurs réseaux de vente à toutes sortes d’acheteurs, des quantités variées facilitent les transactions et offrent la possibilité à de nombreux jeunes d’avoir une activité. Ce constat est appuyé par l’ASCOSEN qui soutenait que « les pratiques des chinois n’étaient pas plus illicites que celles des commerçants et marchands sénégalais. Il se trouve simplement que les chinois se sont bien accommodés au contexte sénégalais » (Président de l’ASCOSEN).

Des commerçants sénégalais

Ces acteurs estiment que la présence des commerçants chinois leur est préjudiciable. Deux catégories de ces commerçants sénégalais peuvent être identifiées : une première directement en concurrence avec les chinois sur le même créneau (vêtements, chaussures, sacs, etc.) et s’approvisionnant également en Chine, et une seconde active sur des produits de gammes supérieures et s’approvisionnant en Turquie, à Dubaï et/ou en Chine. Les commerçants sénégalais farouchement opposés à la présence des commerçants chinois ont attiré l’attention de l’opinion publique sur la mauvaise qualité des produits et la concurrence déloyale qu’ils entretiennent en affirmant que les chinois ne payaient pas les impôts comme il se doit : « Ils ne respectent pas la législation douanière et fiscale (…) ». Ils reconnaissent que les produits des commerçants chinois se vendent en grande quantité au Sénégal, parce que justement ils ont un bon rapport qualité-prix et qu’ils s’adaptent au marché local. Cette opinion est partagée par les commerçants libanais qui subissent également les revers des mauvaises pratiques commerciales de ces commerçants chinois, mais dans une moindre mesure. Ces concurrents libanais ont une meilleure capacité financière, s’approvisionnent, pour l’essentiel, dans d’autres pays que la Chine et sont mieux organisés.

Des organisations professionnelles défendant les intérêts des commerçants au Sénégal

La présence des chinois n’est pas toujours appréciée des hommes d’affaires nationaux, notamment ceux qui exercent sur les mêmes créneaux que les chinois. Ces opérateurs économiques nationaux sont souvent organisés en associations ou groupements : « (…) les commerçants chinois envahissent le marché de quantités faramineuses de marchandises de basse qualité, à vils prix, qu’ils offrent à des milliers de jeunes. Ces derniers trouvant leur compte deviennent de farouches défenseurs des commerçants chinois » (entretien avec le représentant de la GES).

Perceptions des commerçants locaux face à la présence chinoise au Sénégal

La présence des chinois dans le secteur du commerce au Sénégal a été accueillie, par les acteurs locaux, positivement et négativement. Pour les vendeurs ambulants, à l’étal, cette présence est une bonne chose puisqu’elle permet de créer de l’activité et de générer des revenus. C’est le cas également des jeunes qui trouvent des emplois, certes précaires, mais qui leur permettent, grâce au revenu obtenu, de prendre en charge leur famille; mais aussi des populations (et les associations des consommateurs) qui s’approvisionnement auprès des commerçants chinois. Ces possibilités leur permettent d’accéder à une variété de produits à des prix adaptés à leur portefeuille. Pour les commerçants locaux (évoluant soit sur des créneaux de biens supérieurs, soit sur les mêmes créneaux que les chinois) et les organisations défendant leurs intérêts, la présence chinoise est une mauvaise chose, constituant un élément supplémentaire de rivalité déloyale dans le secteur. Les perceptions des autres acteurs du secteur du commerce sur la présence chinoise sont mitigées.

Un sentiment de méfiance des acteurs en présence

La présence remarquée des commerçants chinois a suscité des inquiétudes chez les commerçants locaux (Simen 2015), mais aussi auprès des chinois eux-mêmes. Par exemple, dans cet environnement pollué par la « rumeur » et la suspicion auto-entretenues par les organisations de défense des commerçants sénégalais, la présence chinoise a nourri un sentiment de « peur » chez les commerçants de l’empire du Milieu sur leur sécurité personnelle et la sécurité de leurs biens. « Certains chinois sont morts ici (…) certains ont perdu des sommes importantes (…) plusieurs magasins chinois ont été incendiés » (entretien avec un commerçant sénégalais). Certains commerçants chinois se sont plaints de n’avoir reçu ni soutien, ni aide par rapport aux difficultés qu’ils vivaient. De plus, les différences culturelles entre chinois et sénégalais rendent encore plus difficile leur intégration au Sénégal. Cette situation fait dire au directeur du Service régional du commerce de Dakar que, sur une diaspora de 250 à 260 commerçants chinois dénombrés en 2009, ils ne sont plus que 177 sur l’Allée du Centenaire. L’idée de la présence massive des chinois au Sénégal doit être nuancée.

Si les commerçants chinois affirment entretenir de bonnes relations avec leurs employés sénégalais, ces derniers se plaignent souvent de complications. Comme le justifient les déclarations d’un répondant : « En travaillant avec les commerçants chinois, nous avons une barrière linguistique (…) la communication est basée sur des mots simples en français ou en anglais. Il y a une différence de cultures et les conditions de travail sont difficiles (…) si vous manquez une journée de travail, vous n’êtes pas payé (…) mais les temps sont durs et avec les chinois, c’est une opportunité d’emploi pour moi qui a arrêté très tôt l’école » (entretien avec un employé de commerçant chinois).

Notre corpus de données permet d’affirmer que les perceptions négatives à l’égard des commerçants chinois au Sénégal sont influencées par les peurs et craintes personnelles de la part de certains sénégalais. Pour les commerçants sénégalais : « si l’on ne prend garde à protéger les producteurs locaux, nous allons fermer dans l’indifférence la plus totale (…). Les consommateurs sont complices, ils préfèrent un produit contrefait bon marché à des produits de bonne qualité que nous vendons » (un expert des relations sino-sénégalaises); « Les points de ventes fonctionnent continuellement (…). Même le dimanche, ils sont là. Ils se relaient par deux ou trois pour surveiller les employés qui sont souvent des sénégalais (…) » (entretien avec un commerçant ambulant); « Ils travaillent illégalement sur le territoire (…). Ils se positionnent sur les mêmes créneaux que les commerçants sénégalais et proposent des produits de moins bonne qualité à des prix relativement bas par rapport aux commerçants sénégalais (…). Ils ne respectent pas la législation douanière et fiscale du Sénégal (…) » (entretien avec le représentant de l’UNACOIS).

Ces récits corroborent la théorie réaliste des conflits de groupes selon laquelle les membres vulnérables sur le plan socioéconomique sont plus susceptibles de percevoir négativement les commerçants chinois d’autant qu’ils vont accentuer la concurrence et réduire, éventuellement, les marges bénéficiaires des commerçants locaux.

Perceptions positives de la part de certains commerçants sénégalais

Notre corpus de données nous a permis d’identifier deux groupes d’acteurs du secteur du commerce ayant tiré profit de la présence des commerçants chinois. Il s’agit :

  • des sénégalais employés par les chinois dont l’un a tenu les propos ci-après : « La présence des chinois est une aubaine (…). Ils fournissent des emplois aux sénégalais (…). Si les chinois n’étaient pas là, les difficultés auraient été plus grandes » (entretien avec un employé de commerçant chinois). A travers leurs activités commerciales, les chinois créent des emplois directs et indirects puis permettent à de nombreuses personnes d’avoir un emploi peu qualifié générateur de revenus;

  • des acheteurs/revendeurs ambulants ou à l’étal. La présence des commerçants chinois a permis de développer de l’activité. Pour de nombreux jeunes, être commerçant ambulant ou à l’étal permet de générer des revenus et de s’occuper de la famille. L’observation sur le terrain nous a permis de constater que la présence des commerçants chinois rendait les espaces commerciaux relativement plus occupés. Cet avis est partagé par un commerçant à la sauvette : « Leur présence rend cet endroit plus fréquenté qu’avant, car les gens viennent toujours chercher leurs marchandises (...). Vous voyez les gens monter et descendre (...), ce n’était pas comme ça avant, mais maintenant la présence chinoise a rendu l’Allée du Centenaire très fréquentée » (entretien avec un commerçant ambulant). Toutefois, cela crée aussi l’encombrement des voies, le vol à la tire.

Les intérêts économiques opposés, les différences culturelles, le mode d’organisation de l’activité, la puissance financière et la visibilité de la Chine (différences de couleur de peau) en tant que non africains ont influencé les perceptions en tant qu’« intrus ». Un changement, évident au fil des ans, concerne l’augmentation du nombre de magasins chinois sur l’Allée du Centenaire jusqu’en 2007-2008, dont certains ont supplanté les espaces occupés par les sénégalais[13]. Toutefois, depuis 2017, le nombre de magasins possédés par les chinois dégringole. De nombreux commerçants ferment pour investir dans d’autres secteurs. Les observations de l’activité dans l’achat et le déchargement de marchandises de camions porte-conteneurs dans des magasins chinois ont accentué l’impression que les lieux étaient plus occupés en raison de la présence chinoise.

Alors que les produits chinois bon marché constituaient une menace pour certains commerçants, ils ont généré une perception positive chez les commerçants ne vendant pas les mêmes types de produits (évoluant sur des créneaux supérieurs). Ainsi, la position particulière de certains commerçants, à savoir ceux qui n’entretiennent aucune relation commerciale avec les commerçants chinois, a un effet déterminant sur la perception qu’ils ont de ceux-ci. Quel que soit leur niveau de capital, ils voient les chinois de manière positive. Pour eux, les produits chinois bon marché donnent aux sénégalais un pouvoir d’achat accru : « Ils (les chinois) vendent leurs articles, je vends aussi les miens (...). Ceux qui n’ont pas beaucoup d’argent iront s’approvisionner chez eux. (…) si vous voulez la qualité, vous viendrez chez moi en payant le prix supplémentaire qu’il faut (…). On n’est pas sur le même créneau et on ne vise pas toujours la même clientèle (…) » (entretien avec une commerçante).

En nous basant sur la théorie du contact optimal discutée par (Dixon et al, 2005), les conditions nécessaires pour des attitudes positives, à savoir un contact régulier et sans concurrence, qui implique également une véritable amitié, aboutissent à une perception positive des commerçants chinois.

Perceptions des macro-groupes (UNACOIS, ASCOSEN, GES)

De nos entretiens avec les représentations des organisations professionnelles, les perceptions sont mitigées : à la fois négatives et positives. Pour l’Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal (UNACOIS), plusieurs constats peuvent être faits : les commerçants chinois rapatrient leurs bénéfices vers la Chine. Ces responsables déclarent : « Les chinois nuisent au progrès du pays (...). Après avoir vendu (...), ils transfèrent immédiatement l’argent dans leur pays (...). Comment le gouvernement va-t-il tirer profit de leurs activités ? (...). Au lieu de cela (...), il (le gouvernement) les encourage en facilitant leur arrivée et le déroulement de leurs activités » (représentant de l’UNACOIS). Les produits chinois non conformes aux normes internationales ou locales (lorsqu’elles existent) sont répandus en Afrique. A titre d’exemple, au Nigeria, ces produits de mauvaise qualité ont conduit les autorités à fermer des centres commerciaux (Mbachu, 2006); les commerçants sénégalais perçoivent leurs homologues chinois comme ayant d’énormes avantages par rapport à eux. La situation économique de la Chine donne un avantage, en termes de soutien et d’accompagnement, sur les commerçants sénégalais (Gu et al., 2016).

En somme, cette recherche arrive à la conclusion suivant laquelle les perceptions à l’égard des commerçants chinois sont affectées, à la fois, par la nature de leurs activités dans des espaces spécifiques et les discours qui sont véhiculées par différents acteurs et organisations professionnelles.

Le tableau 2 donne une synthèse des perceptions qu’ont les commerçants sénégalais sur leurs homologues chinois.

Conformément à la théorie réaliste des conflits de groupe, ces sentiments mitigés, souvent hostiles, indiquent que la protection n’est pas seulement recherchée individuellement, mais également au sein du groupe, de la part des commerçants sénégalais (et même chinois), qui tente de s’organiser.

Discussion

La présence chinoise en Afrique est une réalité aujourd’hui. Les autorités de Pékin semblent séduire les autorités des pays africains, et ce, dans la mesure où la Chine récuse la notion d’ingérence dans les affaires internes des pays africains et promeut une coopération win win (Niquet-Cabestan, 2006 : 13). A travers la FOCAC et l’arrivée aux affaires du président Wade en l’an 2000, la Chine s’assure des marchés et débouchés pour leurs entreprises au Sénégal.

La présence chinoise au Sénégal suscite toutes sortes de rumeurs et de commentaires quant à ses véritables enjeux et impacts socioéconomiques. Toutefois, le rétablissement des relations diplomatiques avec la Chine permet (Correia 2011 : 353-354) au Sénégal de renforcer son poids dans ses relations avec les partenaires européens et américains, la Chine ayant un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Inversement, ce réchauffement des relations sino-sénégalaises permet d’espérer un possible effet d’entraînement de la Chine sur d’autres pays africains.

Tableau 2

Perceptions des commerçants locaux et autres acteurs du secteur vis-à-vis des commerçants chinois

Perceptions des commerçants locaux et autres acteurs du secteur vis-à-vis des commerçants chinois
Source : Auteur

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Par ailleurs, la présence chinoise a de multiples impacts (positifs et négatifs) sur les structures et les espaces commerciaux du Sénégal. Elle a permis, dans un pays confronté au problème de chômage massif des jeunes, d’offrir des emplois directs et indirects, mais aussi des produits « made in China » bon marché et adaptés aux besoins et au pouvoir d’achat des populations. L’installation des commerçants chinois sur l’Allée du Centenaire est une aubaine pour les jeunes en quête d’emploi. Cet atout leur permet de développer des activités commerciales qui, par la même occasion, facilitent la distribution des produits chinois. Toutefois, pour Diop (2009 : 413), « L’arrivée des commerçants chinois à Dakar a créé une nouvelle économie informelle. Les devantures des boutiques sont devenues les lieux d’un exercice de survie quotidienne ». Le développement de l’activité commerciale par les Chinois est aussi source d’un grand nombre de maux et garantit :

  • le développement d’une économie de réseau informelle autour de la distribution des produits chinois. Néanmoins, ces activités informelles assurent aux pays en développement la subsistance de leurs populations, souvent jeunes et dépourvues. Certes, ces activités sont souvent précaires et ne garantissent pas toujours la régularité des ressources et la sécurité de l’emploi, mais constituent une bouée de sauvetage pour de nombreux jeunes, souvent formés, en quête d’un emploi. En réalité, pour les autorités municipales, l’argument de la création d’emplois pour une population souvent exclue du marché du travail l’emporte sur la volonté de lutter contre l’occupation anarchique des abords des boutiques de l’Allée du Centenaire (Diop, 2009). Les employés dans les magasins n’ont pas de contrat de travail, et sont donc sans sécurité sociale;

  • la reconfiguration des relations d’interdépendance qui existaient dans le secteur du commerce entre petits commerçants et grands commerçants sénégalais, en devenant les fournisseurs des petits commerçants et revendeurs, aujourd’hui;

  • l’encouragement du développement de la corruption. Les chinois développent des connexions très fortes avec les institutions locales (formelles ou informelles);

  • la disparition de certains métiers traditionnels. Cet état de faits s’oppose à la politique gouvernementale du Sénégal qui prônait, depuis 1999, le « consommer sénégalais » pour encourager l’artisanat local. L’activité des commerçants chinois a permis la restructuration de certains secteurs d’activité, comme le textile au Sénégal. Elle a accentué, dans un contexte de mondialisation, la concurrence dans un secteur où les commerçants sénégalais éprouvent d’énormes difficultés. En effet, outre les connexions précitées, les chinois utilisent aussi un portefeuille d’actifs relationnels constitué au sein des réseaux d’affaires chinois;

  • le changement de l’espace urbain et l’environnement du petit commerce de détail au Sénégal. Ce faisant, ils ont intensifié la concurrence avec les commerçants locaux (bien que certains réussissent à tirer un avantage de la présence chinoise) et entre eux. Pourtant, malgré les tensions et les difficultés, leur présence sur le marché sénégalais ne serait possible sans le soutien des acheteurs/consommateurs locaux et des jeunes acheteurs/revendeurs. Toutefois, il faut le signaler, la situation qui prévaut amène de nombreux commerçants chinois à quitter l’Allée du Centenaire et à investir dans d’autres activités. Pour un expert des relations sino-sénégalaises, « les chinois, actuellement, sont dans le bâtiment, les hôtels, les auberges (…). Certains ont quitté l’Allée du Centenaire pour s’installer dans d’autres quartiers de Dakar où ils investissent dans l’hébergement, la restauration ». L’impact de la présence des commerçants est à nuancer. Dans les pays avec un « bon niveau » d’industrialisation, comme l’Afrique du sud ou les pays du Maghreb, les produits commercialisés par les chinois pourraient être produits sur place et commercialisés à des prix compétitifs. Ce qui serait difficile dans les pays faiblement industrialisés, comme le Sénégal (Chaponnière, 2009).

Les commerçants sénégalais ont vu leur position socioéconomique évoluer avec la présence des commerçants chinois. Il n’est donc pas surprenant que pour ces commerçants, les chinois soient des concurrents et que, par conséquent, leur présence soit indésirable. Aussi, la présence des commerçants chinois dans certaines zones a-t-elle entraîné des externalités à la fois positives et négatives. On peut citer, entre autres, la flambée du prix des loyers dans les lieux où ils s’installent, le développement de toute une économie informelle. Dans ce contexte, il est à signaler que les commerçants chinois commencent à éprouver des difficultés qui les amènent à investir dans d’autres secteurs. Ainsi, à l’Allée du Centenaire, on trouve aujourd’hui plus de sénégalais que de chinois.

L’impression générale est que les commerçants sénégalais auraient des expériences différentes des Chinois en fonction de leur position dans la hiérarchie des espaces commerciaux (Figure 1).

Figure 1

Impacts de la présence des commerçants chinois au Sénégal

Impacts de la présence des commerçants chinois au Sénégal

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Les espaces occupés ont entraîné une augmentation des loyers dans les zones commerciales. La hausse des loyers est une bonne nouvelle pour les propriétaires, mais pose des problèmes aux locataires sénégalais. Le déplacement des commerçants locaux, en raison de l’afflux des Chinois et de leurs produits bon marché, a largement abouti à la baisse de l’activité commerciale des Sénégalais qui vendent les mêmes produits que les chinois.

Les commerçants locaux doivent s’accommoder de la présence chinoise en Afrique et particulièrement au Sénégal. En effet, « les enjeux politiques et économiques, tant en termes de commerce, d’aide au développement que d’investissement, sont sans doute plus importants que la perte de quelques dizaines voire centaines d’emplois dans le commerce local ou l’artisanat » (Dieye, 2018 : 3). C’est la conséquence du manque de stratégie de l’Afrique vis-à-vis de la Chine. Un manque d’anticipation qui met le continent dans un rôle d’observateur que d’acteur dans les relations avec la Chine. Il faut remarquer que la présence chinoise en Afrique ne se limite pas à la transformation des modes de consommations, elle concerne aussi la participation du gouvernement chinois aux grands projets d’infrastructures qui à terme connaîtra le développement.

Conclusion

La présence des commerçants chinois a suscité des réactions différentes de la part des acteurs locaux de ce secteur et a eu des impacts socioéconomiques sur l’économie sénégalaise. Notre objectif était de mettre en évidence les perceptions des commerçants sénégalais et autres acteurs locaux sur la présence chinoise et l’impact socioéconomique de cette présence sur l’économie sénégalaise.

Cette recherche a permis de mettre en évidence le fait que le foisonnement d’informations sur la présence chinoise et l’exercice de l’activité commerciale par les chinois, bien que souvent non fondé, a induit des perceptions à la fois positives et négatives. Peut-être la réalité serait-elle autre si les discours des acteurs reposaient sur des faits concrets et vérifiables. Par exemple, dire que les commerçants chinois envahissent les espaces commerciaux africains peut être vrai pour certains pays, mais faux pour d’autres comme le Sénégal. D’ailleurs, du fait des difficultés, nos données ont montré que de nombreux commerçants chinois désinvestissent dans le secteur du commerce pour investir dans d’autres comme l’hôtellerie et la restauration. Si les conditions nécessaires à l’établissement de relations mutuellement avantageuses entre groupes externes et internes sont présentes, alors les acteurs sénégalais percevront bien les chinois, conformément à l’hypothèse de contact. Inversement, l’absence de ces conditions entraînerait des perceptions négatives.

Cette recherche nous permet de dire que les relations entre les commerçants chinois et les autres acteurs de ce secteur sont à la fois complémentaires, collaboratrices et compétitives. La présence chinoise a permis le développement d’une véritable économie de réseau permettant la distribution de leurs produits. Ainsi, ils collaborent avec les revendeurs et les jeunes qu’ils emploient. Toutefois, cette présence est un élément supplémentaire de concurrence avec les autres commerçants du secteur évoluant dans le même créneau que les chinois. L’impact socioéconomique des activités des commerçants chinois peut se mesurer à plusieurs niveaux : les chinois offrent des produits adaptés au portefeuille des populations et font rentrer les populations africaines dans une véritable économie de consommation de masse. Ils ont permis la création d’emplois, certes précaires, mais permettant aux jeunes exclus du marché du travail d’avoir un travail rémunéré. Par ailleurs, cette présence a entraîné une recomposition sociale et spatiale de l’Allée du Centenaire, la fermeture de nombreux magasins gérés par les sénégalais (même si la tendance semble évoluer inversement depuis 2017), a encouragé le développement de l’économie informelle et de la corruption. La présence des commerçants a également affaiblie l’artisanat local et recomposée de nombreuses filières. Entre autres, la crise sanitaire provoquée par la propagation de la Covid-19 a entraîné une baisse de la croissance dans de nombreux pays dont la Chine et le Sénégal (PNUD, 2020). Cette baisse a eu pour conséquence d’affecter les activités sur l’Allée du Centenaire. Les mesures prises par les gouvernements pour juguler la crise sanitaire (fermeture des frontières, couvre feu, mesures barrières) ont eu des conséquences sur les activités des commerçants chinois et locaux. Comment, dans ce nouveau contexte, permettre aux acteurs locaux et aux commerçants chinois d’entrer dans une relation harmonieuse de compétition saine ?