A la jonction de l’économie, de la sociologie et de la science politique, cet ouvrage collectif comprend trois grandes parties. La première est consacrée à la façon dont une conception entrepreneuriale et managériale de l’innovation sociale, portée par les pouvoirs publics dans une perspective réparatrice et fonctionnelle, est peu à peu devenue dominante à partir du tournant néolibéral de la fin des années 1980, au détriment d’un courant de pensée et de pratiques beaucoup plus critique et réformateur, qui cherche à créer les conditions d’un développement économico-politique plus égalitaire, solidaire et démocratique. D’après les auteurs, cette évolution appauvrirait l’innovation sociale et signifierait son instrumentalisation au service d’une vision de l’économie réduite à la compétitivité et à l’efficacité marchande. La seconde montre comment, malgré un contexte globalement défavorable, des initiatives citoyennes se développent au niveau local, même si elles souffrent d’un déficit de reconnaissance institutionnelle, témoignant de la capacité d’acteurs sociaux ordinaires à se réapproprier le sens de leurs actions et au-delà de leur existence. Des modalités alternatives de consommation ou de développement durable des territoires, la mobilisation de groupes de « sans-voix », ou encore l’émergence de formes d’autogouvernement citoyens seraient ainsi les signes d’une politisation presque silencieuse du quotidien, qui pour autant remet en cause les asymétries de pouvoir traditionnelles. La troisième partie porte sur les conditions d’une meilleure visibilité de ces expérimentations, qui dépendraient de nouvelles relations à construire entre science et société et, plus précisément, de la validation scientifique des savoirs et de l’expertise acquises par certains acteurs de la société civile. Entendue de la sorte, l’innovation sociale ne serait plus aux mains exclusives des pouvoirs publics ou des technocrates mais (re)deviendrait un enjeu du débat démocratique. L’ensemble de ces questions passionnantes sont finement discutées au travers de quatorze chapitres, qui articulent analyses épistémologiques, théoriques et études de cas en Amérique, Asie et Europe, offrant au lecteur mieux qu’un bilan, une mise en perspective critique extrêmement stimulante de l’innovation sociale. L’auteure, journaliste spécialisée depuis une vingtaine d’années dans l’économie sociale et solidaire (ESS), a mené une enquête détaillée sur les conditions de travail dans une dizaine d’associations et de mutuelles françaises parmi les plus connues du secteur. Le résultat est globalement accablant et montre que les salariés des organisations en question sont victimes de systèmes hiérarchiques autoritaires, de harcèlement moral, d’abus de pouvoir, de charges de travail déraisonnables et éreintantes, ou encore de pratiques managériales altérant leur santé physique et mentale. Les salaires extrêmement faibles du plus grand nombre contrastent avec ceux pharamineux de certains dirigeants, tandis que les droits syndicaux sont brimés ou contournés, à l’image du groupe SOS dont les activités au sein de la cellule « Commerce et services » sont conçues en unités de moins de 50 salariés, juste en dessous du seuil minimal à partir duquel la présence d’un délégué syndical devient obligatoire. Le livre de Pascale-Dominique Russo ne s’apparente ni à un pamphlet ni à un réquisitoire, même si on pourrait s’interroger sur l’opportunité de généraliser à l’ensemble du champ de l’ESS les travers constatés dans quelques structures, aussi emblématiques soient-elles. Il est au contraire très bien documenté et étayé par de nombreux témoignages qui viennent confirmer ce que les spécialistes de l’ESS savent depuis longtemps. Son utilité tient notamment à la mise en évidence des effets délétères de la mise en concurrence des organisations de l’ESS, qui les amène à se comporter comme des sociétés commerciales classiques. Loin de leurs idéaux proclamés d’égalité, de solidarité et de démocratie, certaines tendent à se regrouper et à s’agrandir pour s’adapter à une logique de marché de plus en plus rude. L’évolution est …