Compte rendu de lectureBook ReviewReseña de lectura

Pragmatism and Organization Studies, Philippe Lorino, 2018. Oxford University Press, 347 p. (première edition), traduction française en 2020. Pragmatisme et étude des organisations, Paris, Économica, 376 p.[Record]

  • Mathilde Collinet-Ourthe

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  • Mathilde Collinet-Ourthe
    Université de Pau et des Pays de l’Adour, E2S, CREG, Chaire OPTIMA

Dans Pragmatism and Organization Studies, Lorino livre une synthèse remarquable de la contribution séculaire du pragmatisme à l’analyse des organisations. Illustré de nombreux exemples concrets, tiré d’expériences personnelles tant au sein d’organisations publiques que privées, l’auteur présente et met à l’épreuve de la pratique, les concepts clés de la philosophie pragmatiste : la médiation sémiotique, l’habitude, l’enquête trans-actionelle, l’abduction et la valuation. Il dédie un chapitre spécifique à chacune de ces notions maniant dans un mode de raisonnement abductif, allers-retours entre éléments théoriques et applications éclairantes, dont les réflexions conceptuelles sont synthétisées dans une section concluant sur la perspective processuelle du courant pragmatiste (chapitre 9). A la fois philosophique et pratique, l’ouvrage invite à faire un pas de côté et à porter un regard critique sur les effets du mainstream rationaliste qui domine aujourd’hui la manière de penser l’organisation. Son analyse puissante, à l’instar de penseurs américains en avance sur leur temps, propose de considérer les organisations non plus comme des structures décisionnelles accumulant de l’information rationnelle (paradigme informationnel), mais comme des systèmes complexes d’action collective, en perpétuel mouvement (paradigme actionnel). Nous proposons dans ce qui suit, un tour d’horizon non exhaustif des grandes thèses défendues dans ce guide conceptuel, invitant praticiens, enseignants, chercheurs et étudiants en gestion, à une manière toute différente de pratiquer, d’enseigner, de chercher et d’étudier l’organisation. La lecture de l’ouvrage débute par un voyage passionnant à la découverte des origines du pragmatisme (chapitre 1). Il nous plonge dans un contexte nord-américain éprouvé par la guerre de Sécession, terrain fertile d’émerge d’idées philosophiques renouvelées, parmi lesquelles celles du « Metaphysical Club », devenues incontournables de par l’intense travail de conceptualisation que ses figures historiques allaient mener. Motivés par un combat contre l’idéalisme cartésien et par une volonté de conscientisation de la recherche, Lorino dresse les portraits de ces quatre penseurs qui ont posé les bases intellectuelles de la pensée pragmatiste influençant durablement les sciences de l’organisation : Peirce, James, Dewey et Mead (p. 18). Enracinés dans le contexte socio-historique sous tension de la fin du 19ème siècle, qui n’est pas sans rappeler la période actuelle nous dit l’auteur (p. 36), les fondements du courant pragmatiste reposent principalement sur le rejet du dualisme cartésien pensée/action. Caractéristique du paradigme informationnel/décisionnel dominant, cette dichotomie postule une nécessaire neutralité, extériorité et suprématie de la pensée sur l’action pour construire des certitudes absolues et cheminer dans le monde. A l’opposé, le projet pragmatiste d’élaboration de connaissances ne peut s’envisager sans un ancrage profond de la première dans la seconde. Parce que nous ne sommes pas des « observateurs neutres du monde » (p. 18), nos actions comme nos réflexions se construisent, se nourrissent et s’influencent mutuellement, inscrites dans le flot incessant de l’expérience située (socialement, spatialement, temporairement). Parce qu’ainsi, les certitudes absolues n’existent pas et leur recherche, déconnectée de l’expérience humaine et sociale, n’a que peu d’intérêt (p. 18, 36), parce qu’alors, le chercheur dans sa tour d’ivoire reste à sourd à la complexité du monde (p. 18), les pragmatistes, à l’image des profils militants de Dewey et Mead, appellent à l’engagement des intellectuels dans le traitement des bouleversements historiques et sociaux que traverse la société, et misent sur l’enquête collective et « l’expérience pluraliste de tous les participants » pour les résoudre et renforcer la démocratie (p. 36-37), au centre de l’approche. Si le pragmatisme fut tantôt populaire, tantôt silencieux, parfois instrumentalisé, Lorino montre son incroyable influence sur la société américaine et sur la pensée managériale depuis plus d’un siècle. Par la voix de spécialistes de l’organisation, d’intellectuels ou de praticiens progressistes qu’il a inspirés, l’auteur …

Appendices