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Cet ouvrage rassemble dix-sept communications sélectionnées et dont la quasi-totalité a été présentée au colloque international sur le thème « Innovation entrepreneuriale et développement durable en Afrique ». Ce colloque a été organisé à Paris, du 20 au 21 février 2014, par l’Institut Euro-Africain de Management (INSEAM), en réponse à une demande sociale et académique sur les leviers d’exploration et d’exploitation des défis et opportunités de l’essor économique de l’Afrique. Les réflexions des participants ont porté sur plusieurs sujets relatifs à l’entrepreneuriat, au développement durable, à la responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise.
L’ouvrage réinterroge la nécessaire réinvention des modèles entrepreneuriaux alternatifs et susceptibles de booster le développement économique, social et sociétal des pays africains (p. 17). Le questionnement sur les innovations entrepreneuriales et managériales, comme attracteurs de la croissance économique africaine, rejoint les préoccupations sur les avantages, les limites et les conséquences de la croissance économique retrouvée; sur la compétitivité des entreprises et des économies africaines (p. 16).
L’ouvrage se divise en cinq sections et comprend dix-sept chapitres, en plus de l’introduction, de la conclusion, de la préface et de la postface. Les communications regroupées autour des chapitres de l’ouvrage présentent une vision éparse de l’entrepreneuriat et du développement durable en Afrique : responsabilité sociale; responsabilité sociétale; responsabilité environnementale; entrepreneuriat et développement durable; entrepreneuriat social et solidaire; entrepreneuriat féminin; innovations entrepreneuriales; innovations managériales; accompagnement entrepreneurial et performance des entreprises. La première section, intitulée « Défis et opportunités de la responsabilité sociale, sociétale et environnementale » comprend trois chapitres (chapitres 1, 2 et 3). La deuxième section est intitulée « Défis et opportunités de l’entrepreneuriat et du développement durable » et composée de quatre chapitres (chapitres 4, 5, 6 et 7). La troisième section porte sur les « Défis et opportunités de l’entrepreneuriat social et solidaire » et regroupe trois chapitres (chapitres 8, 9, 10). La quatrième section, intitulée « Défis et opportunités de l’entrepreneuriat féminin » est composée également de trois chapitres (chapitres 11, 12 et 13). La cinquième section, intitulée « Défis et opportunités de la formation et de l’accompagnement en entrepreneuriat », regroupe quatre chapitres (chapitres 14, 15, 16 et 17).
Rédigé par Angélique NGAHA BAH, le chapitre 1 s’intitule « Entrepreneuriat social et stratégies RSE de grandes entreprises : un rapprochement opportun dans les pays en développement ? Études de cas au Sénégal ». Il étudie la démarche RSE dans le cadre de projets collaboratifs entre deux firmes multinationales françaises (Danone et Orange) et leurs partenaires sénégalais (La Laiterie du Berger et une pépinière de petites entreprises dénommée la CTIC Dakar) qui évoluent respectivement dans le secteur agroalimentaire et la téléphonie mobile. Les résultats de ces deux études de cas révèlent l’effet parfois pervers de l’étiquetage « entreprise sociale », « produit RSE », associé au modèle d’affaire collaboratif. L’auteure souligne la nécessité de construire une chaîne de valeur « hybride » à la grande entreprise (firme multinationale). L’entrepreneur social (entreprise locale) articule ses compétences (pas toujours celles attendues par le partenaire) avec des expertises et des activités externes pour répondre à des besoins (plutôt identifiés que co-créés), en fonction des enjeux de développement et des attentes des populations en situation de précarité.
Lhacen BELHCEN et Abdelhamid BOUSTA, dans le chapitre 2 intitulé « Entrepreneuriat, innovation et RSE dans le cadre d’une économie émergente : quel rôle pour la gouvernance publique ? », soulignent les effets positifs de la gouvernance publique sur la dynamique entrepreneuriale fondée sur le modèle de développement durable de certaines filières, dans les économies maghrébines. S’appuyant sur l’analyse de quelques cas, les auteurs soulignent que la libération des initiatives dans des filières économiques clés suite à la mise en oeuvre de nouvelles politiques publiques favorise l’éclosion d’un tissu entrepreneurial novateur. Les auteurs concluent que la bonne gouvernance publique, porteuse de valeurs du progrès social et sociétal, favorise le développement d’une classe entrepreneuriale et de managers au Maroc.
Alexandre WONG interroge, dans le chapitre 3 intitulé « La démarche interculturelle de la RSE en Afrique : Une RSE qui ne dit pas son nom », les relations entre l’économique et le social dans les modèles occidentaux et africains de la responsabilité sociétale des entreprises. Cette interrogation permet d’identifier la diversité des engagements envers les objectifs économiques (notamment de rentabilité) et non économiques (par exemples les obligations sociales et sociétales) des entreprises. Des recherches-actions menées au Burkina-Faso et en Côte-d’Ivoire relèvent des pratiques de médiation ancrées dans les contextes d’étude de l’entrepreneuriat en Afrique : l’outil informatisé de recrutement des journaliers met en relief une pratique de médiation solidaire régulée par les principes d’égalité des candidats dans le cadre du recrutement et de la redistribution des emplois; des relations communautaires fondent une pratique de médiation spécifique, la médiation relationnelle et sociale à l’extérieur et à l’intérieur de la mine d’Essakane; enfin les comités de communication de la mine d’Essakane et les cadres de concertation promeuvent la médiation économique qui est une réinvention de la palabre avec les communautés riveraines. Ces pratiques de médiation hybrides et culturellement ancrées sont révélatrices « d’une RSE qui ne dit pas son nom ».
Nadia GAHLAM, Amina ROUATBI et Émile-Michel HERNANDEZ s’intéressent au chapitre 4, intitulé « Contexte institutionnel et développement de l’entrepreneuriat durable : étude comparative des cas algérien et tunisien », aux questions relatives au développement durable dans deux pays en développement, l’Algérie et la Tunisie. Les auteurs analysent les mesures mises en oeuvre pour le soutien de l’entrepreneuriat durable en Algérie et en Tunisie. La promotion de l’innovation durable en Algérie et en Tunisie montre que l’environnement institutionnel conditionne le développement de l’entrepreneuriat durable dans deux pays maghrébins. Il en résulte notamment des différences d’atouts et de freins du système de développement et de promotion de l’entrepreneuriat et de l’innovation durable en Algérie et en Tunisie.
Rédigé par Dagobert NGOGANG, le chapitre 5 est intitulé « Préoccupations de développement durable dans les entreprises camerounaises : une analyse empirique des déterminants ». Les résultats d’une étude menée par l’auteur auprès de 64 entreprises montrent que le concept de développement durable n’est pas suffisamment répandu dans les discours et les pratiques des dirigeants des entreprises au Cameroun. Il ressort également que les actions de développement durable sont perçues comme une contrainte économique que surmontent difficilement les entreprises. L’auteur conclut que la principale contribution managériale de ces résultats est que la prise en compte des préoccupations de développement durable dépend considérablement des caractéristiques de l’entreprise.
Islem KHEFACHA et Lotfi BELKACEM dans le chapitre 6 intitulé « Technology entrepreneurship as a factor for sustainable economic growth : A co-integration analysis », analysent sous le prisme de la co-intégration, l’influence de l’entrepreneuriat technologique sur la croissance économique durable. Les résultats d’une étude comparative internationale, sur la période de 2002 à 2010, montrent que les projets entrepreneuriaux dans le secteur technologique influencent positivement la croissance économique durable. Ces résultats confortent la tendance observée depuis une décennie en Afrique du développement des outils TIC, en particulier l’usage de l’internet, du numérique et de la téléphonie mobile dans les échanges non marchands et marchands.
Darius DJOMA interpelle, dans le chapitre 7 intitulé « La pratique du marketing écologique dans les entreprises camerounaises : une lecture à la lumière de l’eau minérale embouteillée », les parties intéressées sur la nécessité d’adopter une approche éthique de gestion de l’environnement naturel et humain. Les résultats de l’étude exploratoire montrent que les entreprises du marché de l’eau minérale embouteillée au Cameroun intègrent progressivement le marketing écologique dans leurs stratégies commerciales.
Sonia BOUSHABA et Taoufik DAGHRI défendent dans le chapitre 8, intitulé « Economie sociale, solidaire et innovation sociale : Expériences des coopératives marocaines », l’idée selon laquelle, face à la globalisation des marchés, il faut préserver les activités d’intérêt général. Dans cette perspective, l’économie sociale et solidaire peut constituer une alternative au capitalisme, notamment pour réduire les inégalités qui sont plus dommageables dans les pays en développement ainsi que pour investir des services individuels ou collectifs économiquement peu rentables pour le secteur privé.
Léandre GBAGUIDI a rédigé le chapitre 9, intitulé « Comportements stratégiques des dirigeants au sein des PME agro-alimentaires au Benin : Création de valeur et réduction de la pauvreté ». Les résultats de l’étude montrent que les PME agroalimentaires dans la région Nord du Bénin créent plus de valeur que celles du Centre et du Sud; et les PME du centre créent plus de valeur que celles du Sud. Cette différenciation s’explique par le développement territorial à travers le nombre de PME agroalimentaires de transformation locale des produits agricoles, par le développement international des PME agroalimentaires et par le faible niveau de concurrence entre les entreprises implantées dans le Nord et dans le Centre du Benin.
Hamissou AFFO DAOUDOU Y.A., dans le chapitre 10, intitulé « L’entrepreneuriat social dans le secteur agricole en Afrique subsaharienne : un levier pour la création de richesses et des emplois durables », montre à partir d’une étude exploratoire des cas béninois et nigériens, l’utilité des modèles d’affaires développés dans le secteur agricole. L’auteur montre que l’entrepreneuriat social et solidaire est un levier de création des emplois durables et des richesses dans le secteur agricole au Bénin et au Niger.
Gilles Célestin ETOUNDI ELOUNDOU analyse dans le chapitre 11, intitulé « Pratiques innovantes de l’entrepreneuriat féminin au Cameroun : une analyse basée sur les réseaux sociaux », les dynamiques entrepreneuriales des femmes sous le prisme des réseaux sociaux. L’étude montre qu’en contexte camerounais, des femmes entrepreneures mobilisent des réseaux sociaux constitués des associations des femmes chrétiennes, des associations pour la protection de l’environnement et de l’enfance, des associations tontinières, un groupement patronal des femmes d’affaires. Trois formes d’innovation (technique, organisationnel et managérial) participent au développement de l’entrepreneuriat féminin au Cameroun.
Nadia LAARAJ et Driss FERHANE analysent dans le chapitre 12, intitulé « Entrepreneuriat féminin au Maroc : quelles spécificités ? », les spécificités de l’entrepreneuriat féminin dans un pays maghrébin, qui se distingue par l’importance des activités entrepreneuriales notamment à l’international. L’étude révèle que la levée des obstacles tels les traditions familiales, culturelles et religieuses a permis le développement de l’entrepreneuriat des femmes marocaines qui s’impliquent fortement dans la vie des affaires, tout en préservant leur statut social de mères et d’épouses.
Boufeldja GHIAT analyse dans le chapitre 13, intitulé « Culture et innovation managériale : cas des femmes entrepreneures en Algérie », l’impact des facteurs socioculturels sur les performances et l’innovation managériale d’un échantillon de 30 femmes entrepreneures dans la région d’Oran en Algérie. Les résultats montrent que les femmes entrepreneures ont un profil psychologique positif qui reflète leur esprit d’initiative et leur capacité d’innovation managériale, nonobstant l’environnement socioculturel peut attractif au développement de l’entrepreneuriat féminin en Algérie.
Altante Désirée BIBOUM et Raphaël NKAKLEU analysent dans le chapitre 14, intitulé « Compétences des entrepreneurs et performance des PME : une comparaison Cameroun-Sénégal », les liens entre les compétences des entrepreneurs et la performance des PME. Les résultats de l’étude auprès des 291 entrepreneurs camerounais et de 101 entrepreneurs sénégalais, montrent que les compétences (techniques, fonctionnelles, managériales) influencent différemment la performance des PME. Les résultats de l’étude suggèrent la nécessité de développer des programmes de formation et d’accompagnement portant davantage sur la maîtrise des outils de gestion pour améliorer la performance des PME.
Barthélemy M. SENOU et Fanougbo AVOCE VIAGANNOU analysent, dans le chapitre 15 intitulé « Innovation en éducation et marché du travail : cas de la formation duale au Bénin », la problématique de l’emploi des jeunes et l’impact de la formation duale sur l’accès au marché du travail au Bénin. Les résultats de l’étude montrent que la formation duale a un effet positif sur l’accès au marché de l’emploi, mais le signal émis par le système éducatif en termes de formation duale n’est pas véritablement perçu par le marché du travail béninois. Les auteurs recommandent la réforme du système éducatif béninois aux fins de proposer des formations adaptées aux problématiques des entreprises.
Camille RATSIMBAZAFY, dans le chapitre 16 intitulé « Newcopark Iscam Madagascar : Incubateur et pépinière d’entreprises pour le développement durable », analyse le fonctionnement et la transformation d’un incubateur d’entreprises en contexte universitaire malgache. Face à la baisse de projets incubés et financés, le management de l’incubateur s’est tourné vers des associations en vue de rechercher des projets innovants. Dorénavant, chaque projet soumis est évalué sur la base des critères tels la capacité à participer au financement de projets et les impacts sociaux.
Jamal BOUKOURAY propose dans le chapitre 17, intitulé « How to build cooperative broadband networks : A complex and adaptable system approach for postal and telecom sector », un modèle d’affaire innovant qui est adapté au contexte de développement postal et de la téléphonie mobile en Afrique. L’auteur défend la thèse d’un modèle sociotechnique qui concilie les innovations technologiques dans le secteur de la téléphonie mobile et l’adoption d’une structure de coûts compatibles avec le pouvoir d’achat des consommateurs.
Somme toute, cet ouvrage se présente comme une « innovation » dans la production scientifique dans le champ de l’entrepreneuriat, de la responsabilité sociale et sociétale des entreprises, ainsi que du développement durable en Afrique. La vision éparse qu’offrent les réflexions menées dans cet ouvrage ne saurait réduire la qualité des contributions des auteurs. Les chercheurs intéressés par les différents axes qui constituent l’ossature de cet ouvrage trouveront sans doute des limites et pistes de recherche future permettant d’enrichir les connaissances sur le phénomène entrepreneurial en Afrique. Les praticiens quant à eux, disposent d’un ouvrage dont la lecture pourrait susciter chez eux un travail réflexif sur les pratiques entrepreneuriales et managériales performatives dans un continent africain plus ouvert à la compétition mondiale.