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Dans un environnement international fortement évolutif et concurrentiel, les acteurs directs locaux (producteurs et/ou transformateurs) sont parfois invités à s’engager dans des groupements hétérogènes qui intègrent – plus ou moins durablement - des entreprises étrangères chargées de les porter à l’international. Le système de réseautage complexe qui en résulte peut aboutir, sur la base de rentes partagées et d’apprentissages collectifs, à la coévolution partielle des acteurs impliqués (Ralandison et al., 2018).

A l’origine, la notion de coévolution a été développée en biologie (Ehrlich et Raven, 1964; Kauffman, 1993; Lewin, Long et Carroll, 1999; Cartier et Colovic, 2006…). Kauffman (1993), en modélisant les relations au sein d’un réseau, est le premier à utiliser ce terme en Sciences de gestion. Saleilles et Sergot (2013), quant à eux, mettent en parallèle la coévolution des PME et les étapes de création d’un réseau. Cette notion a également été reprise dans la littérature pour aborder la question de la diffusion technologique (Suire et Vicente, 2004; Steyer et Zimmermann, 2004) et de l’adaptation environnementale (Lewin et Volberda, 1999). Le thème de la coévolution reste, cependant, encore peu mobilisé en ce qui concerne les stratégies d’acteurs; particulièrement pour l’analyse de l’internationalisation réticulaire des entreprises d’une filière (Santistevan et Karjaleinen, 2015). Pourtant, dans un monde où les stratégies de coopération sont multiples et variées, il semble essentiel d’étudier les trajectoires stratégiques communes qui peuvent être développées - au sein d’un groupement relativement stable - par des acteurs directs locaux associés à des firmes étrangères.

En management, Leroux et Berro (2010, p. 40) définissent la coévolution comme un phénomène fondé sur les « ajustements continus, négociés et socialement situés des acteurs les uns par rapport aux autres ». Dans le cadre d’alliances, Ralandison et al. (2018, p. 7) précisent qu’il s’agit d’ajustements intentionnels qui conduisent à une « adaptation symbiotique des entreprises coopétitrices à la suite de leurs influences réciproques (fondées sur un réseau de valeurs partagées et de liens organisationnels) ». Ces deux définitions nous invitent à étudier les profils comportementaux et managériaux qui conditionnent la convergence, au moins partielle, des trajectoires stratégiques des parties concernées.

La problématique générale retenue pour cette recherche peut alors être formulée de la manière suivante : Comment, au sein d’un groupement hétérogène, la présence de firmes étrangères peut impacter la stratégie collective des PME exportatrices impliquées et conduire à leur coévolution ? De cette problématique générale peuvent découler trois sous-questions :

  • Quels sont les profils comportementaux et managériaux que les PME intégrées dans ce type de groupement peuvent adopter ?

  • Quels rôles peuvent jouer ces profils comportementaux et managériaux dans le processus de coévolution des acteurs directs locaux ?

  • Comment s’articulent ces profils comportementaux et managériaux dans le temps ?

Pour répondre à cette problématique, nous avons étudié - pendant près de trois ans - deux groupements complémentaires dans le secteur des huiles essentielles à Madagascar : un cas est formellement structuré, l’autre ne l’est pas. Les deux cas ont été approchés selon la méthode de l’explication contextualisée de Welch et al. (2011). L’observation approfondie de ces groupements nous a invités à élaborer une grille d’analyse permettant d’identifier les conditions d’émergence du processus coévolutif des membres exportateurs (producteurs et/ou transformateurs). Pour cela, nous avons opté pour un raisonnement abductif en deux phases (Peirce, 1931-1958). La première phase part des connaissances acquises (faits observés/analysés dans la littérature) pour élaborer un construit (proposition abductivement inférée) permettant d’offrir des éclairages nouveaux sur le phénomène étudié (explications génériques plausibles). La deuxième se fonde sur les deux cas retenus (faits observés/analysés sur le terrain) pour présenter, à partir du construit élaboré, les conséquences des profils coévolutifs identifiés sur les trajectoires des exportateurs des groupements étudiés (explications adaptées plausibles). Comme le précise Angué (2009, p. 76), « Ainsi, nous abduisons lorsque, confrontés à un fait qui nous étonne, nous procédons par association non conventionnelle d’idées. »

Pour répondre à la problématique retenue, cet article se structure en quatre parties. Premièrement, une revue critique de la littérature - présentant les concepts utiles à l’élaboration d’une grille d’analyse adaptée (construit) - est proposée. Deuxièmement, les deux cas étudiés et la méthodologie retenue pour les analyser sont présentés. Troisièmement, le construit analytique permettant d’identifier les profils comportementaux et managériaux des acteurs impliqués est développé. Quatrièmement, le processus de coévolution observé est - à partir du construit élaboré - analysé.

Contours des concepts mobilisés

Face aux nombreux défis de l’internationalisation, les PME sont souvent incitées à s’engager dans des groupements associant acteurs directs (partenaires-adversaires) et indirects (intermédiaires, organismes de soutien…). Pour étudier les conditions d’émergence de la trajectoire collective des organisations impliquées, nous distinguons deux types d’approches stratégiques concernant l’environnement externe des acteurs : l’adéquation et l’intention (Saïas et Métais, 2001; Milliot, 2013 et 2014). Avec l’adéquation (Learned et al., 1965; Porter, 1980…), le cadre des affaires conditionne - au moins partiellement - le choix stratégique de l’entreprise (diversification/spécialisation, compétition/coopération...). A l’opposé, l’intention (Hamel et Prahalad, 1989) permet d’apprécier comment la stratégie peut - parallèlement - influencer la dynamique (légale, technologique…) et la nature relationnelle (tendance conflictuelle, symbiotique...) qui caractérisent l’environnement. Ces deux logiques, qui s’articulent de manière séquentielle, nous invitent à distinguer deux profils associés à la mise en oeuvre d’une stratégie collective : les profils comportementaux et les profils managériaux des acteurs impliqués dans un groupement inter-organisationnel.

  • Dans cette recherche, les profils comportementaux sont associés à l’adéquation. Ils sont définis comme les capacités stratégiques des dirigeants à réagir - individuellement et/ou collectivement - aux facteurs environnementaux.

  • Les profils managériaux sont, quant à eux, liés à l’intention stratégique. Ils sont définis comme les attitudes proactives qui contribuent à impacter plus ou moins fortement l’environnement dans lequel les parties impliquées sont plongées.

Ayant opté pour un raisonnement abductif, les liens entre les approches d’adéquation/intention et les profils comportementaux/managériaux doivent - à ce stade de la recherche - être compris comme des propositions[1] à vérifier sur le terrain.

Analysant les rapprochements entre concurrents, Salvetat et Géraudel (2011) considèrent que la légitimité des acteurs - directement ou indirectement impliqués - est un point clé de négociation. Hirsch et Andrews (1986) précisent qu’un élément central de la légitimité est de répondre et d’adhérer aux normes, valeurs, règles et significations d’un système social. La légitimité peut alors être coutumière, institutionnelle ou spécifique à un contexte donné. Elle peut également se fonder sur des proximités géographiques, sociales et/ou culturelles (Bouba-Olga et Grossetti, 2008). Ces approches de la légitimité sont particulièrement intéressantes pour notre recherche car elles soulignent l’importance de la contextualisation pour étudier la nature des relations complexes qui caractérisent les groupements hétérogènes d’acteurs.

Pour comprendre ces relations, il est indispensable d’introduire les notions d’engagement et d’implication (Cohen, 2007) qui peuvent être modérées par des acteurs tiers (organismes de soutien, administrations locales…). Si dans la littérature les termes engagement et implication sont généralement interchangeables (Biétry, 2012), nous tenons à les distinguer. Dans notre recherche, l’adhésion à un processus de coévolution - en tant que choix stratégique explicite des membres d’un groupement – est associée à l’engagement des entreprises; tandis que la gestion effective de cette coévolution - conséquence implicite d’une stratégie de rapprochement inscrite dans la durée - traduit l’implication des parties concernées. La distinction des notions d’engagement (adhésion au projet) et d’implication (contribution au projet) est, dans cette recherche, importante pour identifier – le cas échéant - les différents profils comportementaux et managériaux adoptés par les membres des groupements observés. Par ailleurs, pour mettre en relief ces notions d’engagement et d’implication, nous pensons qu’il est indispensable d’inclure, dans l’analyse du phénomène étudié, la notion antinomique de réticence. Cet ajout permet ainsi de travailler sur un continuum de solutions plus adapté à la réalité.

Pour cerner les caractéristiques du management de la coévolution d’acteurs juridiquement indépendants, développons ces trois dimensions clés : le comportement de recherche de rente, l’engagement/implication inter-organisationnel(le), et l’identification des comportements coévolutifs.

Comportement de recherche de rente

La pertinence de l’internationalisation des activités peut être étudiée du point de vue des rentes (avantages relativement durables) engendrées par les relations développées au sein de groupements plus ou moins structurés (Lado et al., 1997). Gaffard (1990) caractérise le revenu provenant de la mise en commun de deux actifs complémentaires dans le cadre d’une coopération comme une quasi-rente. Selon cet auteur, cette quasi-rente peut être qualifiée d’organisationnelle pour désigner les gains engendrés par les modes d’externalité pécuniaire. Dyer et Singh (1998), de leur côté, avancent que des rentes relationnelles peuvent être obtenues à partir de la création de compétences collectives. Ces auteurs définissent « une rente relationnelle comme un profit (…) généré en commun dans une relation d’échanges qui ne peut pas être généré par l’une des firmes agissant seule (…). » (p. 662). Dans cette relation d’échanges, Dyer et Singh (1998) distinguent quatre sources de création de rentes : les actifs spécifiques à la relation, les routines de partage des connaissances, l’apport de ressources complémentaires et la gouvernance efficace. Lado et al. (1997) proposent, quant à eux, une typologie précisant les comportements des firmes à la recherche de rente (tableau 1).

Les comportements coopératif et syncrétique, marqués par une faible orientation compétitive, sont les plus adaptés à la mise en oeuvre d’un processus de coévolution. En effet, les parties impliquées doivent avoir une orientation plus ou moins favorable à la collaboration inter-organisationnelle pour envisager de s’engager durablement dans le groupement. A l’opposé, le comportement compétitif est un obstacle au processus de coévolution. Sans engagement collaboratif des membres, il semble impossible d’arriver à une trajectoire stratégique et opérationnelle plus ou moins commune à terme. Le comportement monopolistique traduit, quant à lui, une approche ambiguë car il est à la fois marqué par une forte orientation coopérative et une forte orientation compétitive. Il doit être étudié avec attention pour comprendre son impact sur la coévolution potentielle des membres d’un groupement.

La recherche de rente inter-organisationnelle est liée à la logique d’adéquation stratégique des PME confrontées à l’internationalisation des marchés. Contraintes d’acquérir de nouvelles ressources et compétences, elles se tournent vers des groupements composés d’acteurs pouvant compléter et/ou renforcer leurs capacités industrielles et managériales.

Parallèlement, nous considérons que cette recherche de rente collective est également liée à la logique d’intention stratégique des acteurs (Hamel et Prahalad, 1994). En effet, le regroupement de ressources et compétences peut permettre d’envisager de modifier, même de manière incrémentale, l’environnement dans lequel les PME sont plongées. Pour parvenir à impacter les règles du jeu (sectoriel, concurrentiel…), les acteurs doivent parfois accepter de coévoluer. Selon Hamel et Prahalad (1994), l’intention stratégique produit deux effets.

  • Un effet de tension qui engendre un sentiment d’incompétence des acteurs face aux turbulences de l’environnement. Le management d’un processus de coévolution peut aider à répondre à cette inquiétude. Ce management conduit les dirigeants à puiser les ressources et compétences manquantes dans le cadre d’une coopération inter-organisationnelle (Apitsa, 2018).

  • Un effet de levier qui engendre le besoin de maximiser l’usage des moyens mobilisés. L’interaction coévolutive constitue un cadre permettant de bénéficier de synergies fondées sur le partage de ressources et compétences.

Les effets combinés de tension et de levier influencent les choix stratégiques des entreprises à poursuivre le processus d’internationalisation fondé sur un processus de coévolution. Ce processus, si la gouvernance qui lui est associée est adaptée, peut permettre aux acteurs concernés d’atteindre simultanément des objectifs individuels et partagés (Kamdem, 2007). Pour justifier ce point, développons les notions d’engagement et d’implication inter-organisationnel(le).

Tableau 1

Comportements de recherche de rente

Comportements de recherche de rente
Source : typologie adaptée de Lado, Boyd et Hanlon (1997)

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Engagement et implication au sein d’un groupement coévolutif

Pour identifier la nature des profils comportementaux et managériaux, il convient de faire référence aux notions d’engagement et d’implication. En effet, ces notions permettent d’apprécier les logiques de décision qui sont à la base du processus de coévolution d’entreprises juridiquement indépendantes.

Initialement entendu par Mowday et al. (1979) comme l’adhésion aux buts et aux valeurs de l’organisation, le désir de rester dans l’organisation et la volonté de fournir des efforts importants pour l’organisation, le concept d’engagement a fait l’objet de plusieurs développements. Meyer et Allen (1991), par exemple, identifient trois dimensions d’engagement : l’engagement affectif (la volonté d’adhésion de l’individu aux buts et aux valeurs de l’organisation), l’engagement calculé (la perception, par l’individu, des coûts associés au départ de l’organisation) et l’engagement normatif (sentiment de devoir à l’égard de l’organisation). Critiquée, cette définition de l’engagement a été réduite par Meyer et al. (2002) à deux composantes : affective et calculée. Biétry (2012) stipule que l’engagement affectif traduit une identification à la cible organisationnelle par le biais d’un dévouement volontaire et responsable. Pour d’autres auteurs, comme Klein et al. (2012) et Solinger et al. (2008), l’engagement calculé est caractérisé par un détachement comportemental vis-à-vis de l’organisation. Dans notre recherche, le terme traduit le degré d’adhésion – affectif et/ou calculé - au projet collectif.

Pour apprécier les contours de la notion d’implication, nous proposons de faire appel au modèle en quatre composantes de Cohen (2007) et au continuum des liens de Klein et al. (2012). La stylisation proposée par Cohen (2007) introduit la dimension temporelle et suggère que l’implication organisationnelle a deux natures : une implication fondée sur des considérations instrumentales et une implication fondée sur un attachement psychologique (tableau 2). Cette conceptualisation est ici utilisée pour apprécier le moment et le niveau d’implication des acteurs qui acceptent d’adhérer à une trajectoire commune pour s’internationaliser. Elle offre des éclairages intéressants sur les possibilités de coévolution des PME. Dans notre recherche, cette typologie est transposée du niveau organisationnel au niveau inter-organisationnel. Elle permet ainsi d’apprécier le niveau des moyens mobilisés pour contribuer au projet collectif.

Tableau 2

Modèle d’implication organisationnelle en quatre composantes

Modèle d’implication organisationnelle en quatre composantes
Source : Cohen (2007, p. 337)

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Les acteurs engagés dans un processus d’internationalisation, avec une ouverture d’esprit concernant l’idée de coévolution, se situeraient dans la case de l’implication affective. Une simple propension à l’implication instrumentale reviendrait à considérer la recherche de rente comme une motivation suffisante pour accepter le principe de coévolution. Les travaux de Cohen (2007) nous permettent ainsi de qualifier les profils comportementaux associés à l’analyse adéquationnelle de la coévolution. En faisant référence aux dimensions instrumentale et psychologique, ils nous offrent des éclairages intéressant sur les fondements possibles d’un processus collectif d’internationalisation.

Pour mieux cerner ces profils comportementaux, il est utile de faire référence au continuum de liens de Klein et al. (2012) (tableau 3). Ce continuum, prévoit quatre niveaux : le consentement qui traduit la perception d’absence d’alternative; la relation instrumentale qui a un enjeu en termes de coûts; l’engagement (adhésion au projet) et l’implication (contribution au projet) qui mesurent le degré d’enrôlement dans le groupement; l’identification qui est une fusion de soi-même avec la cible.

Ce continuum de liens apparait comme un construit indispensable pour préciser les profils managériaux des acteurs par rapport à l’internationalisation. Avec ses quatre niveaux, il apporte des éclairages clés sur la logique d’engagement et d’implication associée aux processus de coévolution. Le management qui en découle vise alors à modérer (renforcer ou atténuer) ces attitudes en fonction des logiques d’adéquation et/ou d’intention stratégiques développées par les acteurs.

Identification des comportements coévolutifs

Pour identifier les comportements associés au processus de coévolution, nous proposons maintenant de croiser l’approche par les rentes et l’approche par engagement/implication. Ce croisement permet d’établir une typologie des coévolutions possibles en fonction des approches stratégiques des acteurs (tableau 4). Les comportements sont identifiés selon :

  • l’adéquation stratégique observée dans la recherche de rente collective et/ou individuelle,

  • l’intention stratégique observée dans l’engagement et l’implication par rapport à la démarche d’internationalisation.

Rappelons que, dans notre recherche, les travaux de Cohen (2007) font l’objet de quatre adaptations :

  • l’engagement traduit désormais le degré d’adhésion au processus de coévolution;

  • l’implication fait référence à l’utilisation de moyens pour mettre en oeuvre ce processus;

  • la notion de réticence, antinomique à celles d’engagement et d’implication, est ajoutée;

  • l’analyse est transposée du niveau organisationnel au niveau inter-organisationnel.

Le croisement opéré permet ainsi d’identifier cinq types de comportement. Dans la présentation qui suit, nous irons progressivement du comportement le moins adapté au comportement le plus adapté au processus de coévolution.

  • Le type amensaliste regroupe les acteurs qui sont réticents à l’idée de coévolution et qui poursuivent des objectifs individuels.

  • Le type commensaliste se caractérise par une réticence à la coévolution et une faible orientation coopérative.

  • Le type neutraliste traduit une position attentiste. Il permet, sur un même territoire, la cohabitation d’acteurs qui peuvent (ou non) s’engager et/ou s’impliquer.

  • Le type protocoopérant concerne les acteurs qui s’engagent et s’impliquent dans le processus de coévolution tout en se focalisant sur des objectifs individuels.

  • Le type mutualiste est caractérisé par un engagement et une implication par rapport à des objectifs collectifs. Il est le plus adapté au processus de coévolution des acteurs.

Tableau 3

Continuum de liens

Continuum de liens
Source : Klein et al. (2012, p. 134)

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Tableau 4

Processus de coévolution selon les comportements des acteurs

Processus de coévolution selon les comportements des acteurs

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Pour répondre à la problématique de l’article, cette typologie a fait l’objet d’une recherche de points de saturation en reprenant les éléments conceptuels des travaux sur le comportement de recherche de rente, du modèle d’implication en quatre composantes et du continuum de liens. Cette typologie composite permet de repérer le passage progressif des profils comportementaux vers les profils managériaux; et les impacts de ce passage sur le processus de coévolution. Présentons maintenant la méthodologie adoptée pour arriver à lier cette typologie aux études de cas retenues.

Approche méthodologique

Deux études de cas complémentaires, concernant la filière des huiles essentielles à Madagascar, ont été étudiés : le cas Amoron’i Mania (AM) illustre un groupement non structuré; le cas Matsiatra Ambony (MA) illustre un groupement structuré. Il s’agit d’un échantillon sélectionné et non d’un échantillon aléatoire. Ces groupements contrastés ont, en effet, été choisis pour leur composition (association d’entités hétérogènes), leur mode d’organisation opposé (structuré et non structuré), leur taille (plusieurs centaines d’acteurs directs), leur engagement à l’international (producteurs et/ou transformateurs visant des marchés étrangers) et leur impact important sur l’économie locale. Comme l’avance Eisenhardt (1989, p. 537), « Le choix d’une population appropriée contrôle les variations extérieures et aide à définir les limites de la généralisation des résultats ».

Les deux cas ont été approchés selon la méthode explication contextualisée de Welch et al. (2011) caractérisée par une forte emphase sur la contextualisation et sur les relations causales. Cette méthode, selon Milliot et Freeman (2015), se caractérise par : un projet épistémologique praxéologique; des inférences essentiellement inductives et/ou abductives; un discours scientifique porteur d’une ontologie réaliste critique; et un objectif de recherche causal et/ou descriptif. Notre recherche respecte parfaitement cet alignement paradigmatique. Précisons cependant que, partant de faits pour arriver à expliquer une relation causale déterminée, nous avons uniquement eu recours au raisonnement abductif.

Sources de données primaires

Pour étudier les deux cas sélectionnés, nous avons collecté – auprès de multiples sources (entreprises, pouvoirs publics, organismes d’appui, distributeurs…) et jusqu’à saturation empirique – les données nécessaires à notre approche longitudinale. Nous avons, en particulier, cherché à obtenir des informations précises sur les éléments contextuels qui permettaient de comprendre l’évolution des profils d’acteurs au sein des groupements.

L’enquête s’est déroulée en deux phases, l’une exploratoire et l’autre approfondie, de 2013 à 2015. Cinquante entretiens (40 entretiens ouverts et 10 entretiens semi-structurés) avec différents profils d’acteurs ont été menés pour cette recherche. D’autres sources ont été mobilisées pour trianguler les informations ainsi obtenues.

  • Des analyses d’archives ont permis d’apprécier, depuis la création des deux groupements en 1996, la trajectoire stratégique des acteurs concernés.

  • Des observations régulières ont été menées, de 2013 à 2015, pour compéter les informations recueillies lors des entretiens avec les principaux responsables.

Les 40 entretiens ouverts ont duré une heure en moyenne. Les 10 entretiens semi-structurés, conduits auprès des acteurs représentant les firmes étrangères, ont duré deux heures en moyenne. Nous avons interviewé deux fois (un entretien ouvert, puis un entretien semi-structuré) les dix acteurs considérés comme ayant le plus d’influence sur le processus coévolutif d’internationalisation de la filière (cinq pour le cas AM; cinq pour le cas MA). Ces acteurs-clés (firmes internationales, pionniers de la filière et représentants de chaque type de PME) jouent les rôles de porte-paroles et de modérateurs au sein des deux réseaux.

Investigation sur le terrain et traitement des données

La recherche empirique concerne le groupement Amoron’i Mania (AM; qui est spécialisé dans la production et l’exportation de géranium) et le groupement Matsiatra Ambony (MA; qui est spécialisé dans la production et l’exportation de ravintsara) (tableau 5).

La démarche adoptée pour étudier ces deux cas est présentée dans le tableau 6. Les entretiens ont été enregistrés et partiellement retranscrits (ayant constaté une saturation empirique, nous nous sommes arrêtés à 300 pages). Le logiciel Nvivo 10 a été utilisé pour organiser et analyser les informations recueillies. Une base de données chronologique et thématique a été dressée pour identifier les profils des membres impliqués. Pour étudier les conditions d’une coévolution des acteurs, une grille de lecture des données classées et codées a été développée. Cette grille, qui représente les différentes postures coévolutives possibles, est fondée sur les thèmes qui ont dominé les entretiens[2].

Tableau 5

Présentation sommaire des deux cas (AM : Amoron’i Mania; MA : Matsiatra Ambony)

Présentation sommaire des deux cas (AM : Amoron’i Mania; MA : Matsiatra Ambony)

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Tableau 6

Démarche empirique (AM : Amoron’i Mania; MA : Matsiatra Ambony)

Démarche empirique (AM : Amoron’i Mania; MA : Matsiatra Ambony)

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Par la suite, une topographie des logiques d’action a été élaborée et validée par les acteurs-clés des deux cas étudiés (figure 1). L’axe des abscisses de la carte de positionnement identifie le niveau de réticence ou d’engagement/implication des acteurs dans le processus d’internationalisation; l’axe des ordonnées correspond aux objectifs (individuels et/ou collectifs) poursuivis par les acteurs des groupements. Pour affiner cette topographie, il nous a semblé nécessaire de développer une échelle de mesure et d’en approfondir les composantes.

Une échelle de mesure adaptée

Une échelle de Likert à cinq niveaux, validée par tous les acteurs-clés des groupements, a été mobilisée afin de décomposer la complexité des profils associés aux groupements. Cette décomposition a consisté à développer, sur la base de la revue de la littérature, une grille d’analyse concernant les postures coévolutives possibles face à l’internationalisation des activités de la filière des huiles essentielles à Madagascar (Tableau 7).

  • Sur l’axe des abscisses, le niveau 0 correspond à une interaction qui n’a pas d’impact sur la coévolution. Les niveaux +1 à +5 font référence à un impact positif gradué sur le processus de coévolution. En termes d’engagement et d’implication, ces cinq niveaux sont : (1) le consentement qui traduit l’absence d’alternative négative; (2) l’instrumental qui correspond à un enjeu en termes de rente et de synergie; (3) la conformité qui identifie une acceptation calculée du lien; (4) le proto-engagement qui fait référence à la volonté de contribuer à l’action collective en prenant une ou des responsabilités; (5) l’identification qui concerne une fusion de soi-même avec la cible. Les niveaux -1 à -5 traduisent un impact négatif sur le processus de coévolution. En termes de réticence, ces cinq niveaux sont : (-1) le refus qui traduit la perception d’une alternative positive; (-2) l’instrumental qui fait référence à un enjeu en termes de coût et d’asynergie; (-3) la cohérence comportementale qui renvoie à un calcul du coût perdu et d’investissement à faire; (-4) l’autonomie/non-alignement qui correspond à l’absence d’une volonté, d’un dévouement et d’une responsabilité; (-5) l’isolement qui est le reflet d’un compartimentage de soi avec la cible.

  • Sur l’axe des ordonnées, le niveau 0 traduit un comportement conformiste des acteurs par rapport à la fixation des objectifs. Les niveaux +1 à +5 font référence au degré d’importance des objectifs collectifs. Plus précisément, (1) la coexistence coopérative fait peu évoluer les partenaires sur l’idée d’un objectif partagé; (2) l’autonomie mesure la volonté de garder son indépendance par rapport aux partenaires; (3) la dépendance vise à concilier les contraintes qui découlent de l’adhésion au processus de coévolution; (4) la rationalisation illustre un haut degré d’interdépendance et un faible niveau d’autonomie; (5) la symbiose suppose à la fois un fort besoin d’interdépendance et une quasi-inexistence d’autonomie (partage des responsabilités entre les entités). Concernant l’orientation par rapport aux objectifs individuels, (-1) la coexistence compétitive fait peu évoluer les partenaires qui restent focalisés sur des objectifs individuels; (-2) l’anomie fait référence à l›absence de règles, de structure et d’organisation partagées pour rester libre concernant la recherche d’objectifs individuels; (-3) l’indépendance consiste à être fermé aux intérêts des partenaires; (-4) la préservation témoigne d’un grand besoin d’autonomie pour protéger ses ressources et compétences propres; (-5) la domination traduit la volonté de contrôler les autres membres du groupement.

Tableau 7

Impacts des profils sur la coévolution

Impacts des profils sur la coévolution

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Structuration de la grille d’analyse

Par analogie avec l’analyse de la relation symbiotique en biologie, cinq zones de convergence peuvent être identifiées (Ehrlich et Raven, 1964; Kauffman, 1993; Lewin, Long et Carroll, 1999; Cartier et Colovic, 2006). Ces cinq zones correspondent à un niveau neutre (position centrale) et à quatre positionnements bien marqués (quadrants) (figure 1). La première zone de convergence (coordonnées : 0; 0) correspond à la coévolution par neutralisme; le quadrant (I) identifie le mutualisme caractérisé par un engagement et une implication par rapport à la coévolution et des objectifs collectifs (coordonnées : +i; +j); le quadrant (II) illustre le commensalisme caractérisé par une réticence à la coévolution et un partage d’objectifs collectifs (coordonnées : -i; +j); le quadrant (III) caractérise l’amensalisme qui regroupe les acteurs qui ont une réticence par rapport à l’idée de coévolution et qui poursuivent des objectifs individuels (coordonnées : -i; -j); le quadrant (IV) fait référence à la protocoopération avec des acteurs qui s’engagent et s’impliquent dans le processus de coévolution tout en se focalisant sur des objectifs individuels (coordonnées : +i; -j).

Pour analyser en profondeur les cas AM et MA, deux approches complémentaires ont été retenues.

  • Une approche ponctuelle a permis de repérer les postures d’adéquation. Elle a été développée pour identifier les profils comportementaux qui conditionnent les types de coévolution probables au sein d’un groupement.

  • Une approche longitudinale, particulièrement utile pour étudier la construction d’un projet, a été menée pour apprécier les postures d’intention stratégique. Faite en temps réel, pendant près de trois ans (de 2013 à 2015), elle a permis de repérer les profils managériaux – liés à l’utilisation de moyens - qui peuvent conduire à une certaine coévolution des acteurs.

Figure 1

Postures face à l’internationalisation

Postures face à l’internationalisation

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Pour mener ces analyses ponctuelle et longitudinale, le croisement du codage ouvert (Strauss et Corbin, 1998) et du codage thématique (Miles et Huberman, 2003) a été retenu. Ce croisement a permis de repérer les informations textuelles clés contenues dans les données recueillies par itération. Les sources pour ces codages ont été les suivantes : le journal de bord, les documents administratifs, les enregistrements audio, les photographies et les entretiens. Pour arriver à une saturation croisée et à une confirmation des liens entre les points de saturation, les données des deux terrains d’étude ont été analysées séparément avant d’être liées. A partir de là, quatre cartes relatives aux profils comportementaux et managériaux des acteurs impliqués ont pu être élaborées pour chacun des cas; deux concernent l’adéquation stratégique et deux s’intéressent à l’intention stratégique.

Analyse du processus de coévolution

L’identification des postures stratégiques permet de caractériser les groupes d’acteurs étudiés par rapport au processus de coévolution. Les analyses qui en découlent sont illustrées par des topographies qui précisent le positionnement des parties impliquées dans un groupement. Reprenons, une à une, les deux postures observées.

Les profils comportementaux

Cette posture, qui peut donner lieu à une analyse ponctuelle, traduit l’attitude des parties impliquées par rapport à l’idée de coévolution. Elle permet aussi d’apprécier le niveau d’engagement actuel des acteurs directs locaux (producteurs et/ou transformateurs) et les résultats qu’ils tirent de l’interaction avec les acteurs indirects internationaux (représentants des firmes étrangères et des distributeurs).

De l’analyse de l’adéquation stratégique (analyse ponctuelle au départ de l’étude)

Pour étudier les cas AM et MA, cette analyse de l’adéquation s’est faite en quatre phases : (1) l’identification des groupes d’acteurs, (2) la mise en exergue de l’influence des acteurs étrangers sur les acteurs locaux, (3) l’examen des postures par rapport au processus de coévolution et (4) l’interprétation de ces différentes postures.

Dans la première phase, différents groupes ont été identifiés en fonction de leurs valeurs (culture d’entreprise, culture d’affaires) et de leurs motivations (Lado et al., 1997; Cohen, 2007; Klein et al., 2012). Cette identification des groupes a permis de cerner les bases de la construction d’un groupement coévolutif. A partir des cas AM et MA, nous avons ainsi identifié les profils managériaux en considérant l’intérêt des acteurs par rapport à l’idée de coévolution; notamment en prenant en considération l’influence des firmes étrangères sur la culture d’affaires ambiante.

Lors de la deuxième phase, l’influence des firmes étrangères sur le comportement (ou la culture d’affaires) des groupes locaux a été étudiée. Nous avons constaté qu’elle dépendait de leur niveau d’intervention (octroi de fonds, mise en place d’un programme facilitant la collaboration inter-organisationnelle…) dans le processus d’internationalisation. Dans notre recherche, l’influence des firmes étrangères a été mesurée de 0 à 5 (0 illustre la situation où l’influence est négligeable; 5 traduit un impact local très fort). La prise en considération de l’influence de ces acteurs externes est nécessaire pour apprécier l’adéquation entre le management retenu et le profil comportemental du groupe considéré.

La troisième phase a identifié les contours des postures stratégiques par rapport au processus de coévolution de tous les acteurs. L’identification de ces postures s’est appuyée sur le niveau d’engagement des parties, sur leurs comportements dans la recherche de rente et sur le potentiel d’influence des firmes étrangères.

La quatrième phase, portant sur l’interprétation des postures stratégiques identifiées, a donné lieu à l’élaboration de cartes de positionnement. Ces cartes ont permis, pour les deux groupements, de confirmer les cinq profils déjà identifiés par rapport à l’idée de coévolution.

  • Concrètement, le groupe des amensalistes (quadrant III) est très peu influencé par les firmes étrangères car les acteurs locaux ont pratiquement atteint les niveaux de performance attendus par les différentes parties prenantes (positionnement sur le marché, respect des normes, productivité…). Ce groupe est réticent à l’idée de coévoluer car ses membres poursuivent des objectifs essentiellement individuels.

  • Les commensalistes (quadrant II) peuvent être influencés par les firmes étrangères car les acteurs locaux sont facilement adaptables (notamment en termes de techniques de production, de labellisation, de traçabilité…), mais ils ne se projettent pas vraiment à long-terme. Les membres de ce groupe sont donc réticents à l’idée d’une internationalisation collective, mais ils peuvent parvenir à fixer des objectifs collectifs (par exemple, l’augmentation ou la diminution temporaire de la production).

  • Les neutralistes (niveau : 0; 0) ont une posture moyennement influencée par les firmes étrangères parce qu’ils attendent des conditions environnementales plus favorables pour orienter le processus de coévolution. Le comportement des membres est aussi influencé par l’attribution des rôles et leur participation à la fixation des objectifs collectifs. Ce groupe ne s’exprime pas clairement sur son engagement dans la structure partagée et sur son intérêt à s’engager dans cette structure.

  • Les protocoopérants (quadrant IV), quant à eux, se caractérisent par une influence forte des firmes étrangères sur le processus coévolutif. Cette influence s’explique par une prédisposition à saisir toutes les opportunités (internes ou externes au groupement) qui permettent de satisfaire les objectifs individuels. Ce groupe se caractérise ainsi par un fort engagement collectif tout en poursuivant des objectifs particuliers. Il est ouvert à l’idée d’un apprentissage collectif.

  • Les mutualistes (quadrant I), enfin, sont faiblement impactés par les firmes étrangères parce qu’ils sont soucieux de contrôler plus directement leur internationalisation. Ils ont tendance à remettre en cause la présence locale des firmes étrangères et cherchent leur propre voie à l’international. Ce groupe se caractérise par un fort engagement collaboratif pour atteindre des objectifs partagés. Il est à la recherche d’un apprentissage collectif.

L’illustration des profils comportementaux

Les figures 2 et 3 illustrent les différences qui caractérisent les profils comportementaux des acteurs des groupements AM et MA. Dans les cartes présentées ci-après, la taille des cercles traduit l’importance relative des populations concernées.

Figure 2

Postures stratégiques des acteurs du cas Amoron’i Mania (AM)

Postures stratégiques des acteurs du cas Amoron’i Mania (AM)

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Figure 3

Postures stratégiques des acteurs du cas Matsiatra Ambony (MA)

Postures stratégiques des acteurs du cas Matsiatra Ambony (MA)

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Dans les cas AM et MA, le projet d’organisation de la filière a été initié par des acteurs indirects de la filière (collaboration entre la région et les organismes d’aide au développement des entreprises rurales). Par la suite, les logiques d’adéquation stratégique des acteurs ont différé. Illustrons, profil par profil, ces propos sur la base des légitimités recherchées.

  • Les PME amensalistes et commensalistes trouvent leur légitimité sur le marché. Dans le cas AM, les acteurs adoptent un comportement amensaliste avec un processus de coévolution caractérisé par des relations asymétriques. Le discours du représentant d’une firme étrangère du cas AM précise les raisons de ce comportement : La seule autorité qui prime pour nous, c’est l’autorité des opérateurs sur le marché. Nous avons des objectifs à atteindre en termes de quantité et de qualité. Les autres acteurs de la filière devront collaborer avec nous pour nous assurer le chemin le plus efficient. Voilà pourquoi nous disposons de nos propres sites d’exploitation (de la plantation à l’extraction de la matière verte). Nous pouvons travailler avec les producteurs de feuilles si c’est pour atteindre nos objectifs.

    Dans les deux cas, pour contrecarrer le pouvoir de négociation des firmes étrangères, les proximités géographique et culturelle (Bouba-Olga et Grossetti, 2008) créent les conditions d’une coévolution particulière des acteurs locaux. Les producteurs de feuilles s’organisent horizontalement autour d’une zone géographique bien délimitée et un transformateur (qui est généralement exportateur) prend l’exclusivité de cette organisation moyennant une contrepartie financière ou une location d’alambics. Une régulation informelle est ainsi nécessaire pour assurer la compatibilité des initiatives des acteurs locaux et du cadre institutionnel; cette compatibilité est essentielle pour développer les conditions d’une coévolution des parties impliquées dans la filière.

  • Lors de notre étude empirique, une grande partie des PME des cas AM et de MA affichaient une posture neutraliste, mais solidaire. Ce groupe est, selon le représentant du groupement des producteurs de feuilles du cas AM, soucieux de préparer l’avenir avec l’aide d’acteurs indirects et de représentants de firmes internationales. Un verbatim de cet acteur est révélateur : Nous avons été sensibilisés sur l’importance de la filière des huiles essentielles pour la région, pour la génération future. Nous avons suivi des formations; certains ont investi dans la plantation, d’autres ont abandonné les activités existantes pour l’exploitation des huiles essentielles […]. Nous attendons de la part des acteurs indirects, spécifiquement des décideurs sur le marché, l’assurance d’un avenir meilleur.

Dans le cas MA, la légitimité institutionnelle constitue la première motivation pour accepter le processus coévolutif. Le témoignage du président de la Plateforme de concertation et d’appui à la filière (PCAF, une structure commune créée par et pour le groupement) confirme cette attente : La PCAF est reconnue par les autorités administratives, à commencer par la Chambre de commerce et d’industrie de la région. Cette plateforme a déjà obtenu une réponse favorable quant à la négociation sur la réglementation de l’exploitation des plantes sauvages (réduction des redevances à payer au ministère des Eaux et forêts et réglementation au niveau des zones exploitables et des saisons d’exploitation).

Dans le cas AM, deux types de légitimité – relatives à l’accès aux terrains - ont été identifiés : la légitimité contractuelle et la légitimité coutumière. Le représentant d’une firme étrangère – nouvellement installée dans la région AM mais disposant d’une capacité d’absorption de matière verte considérable – souligne l’importance de ces légitimités : Un contrat d’exclusivité sur l’exploitation d’un terrain est signé entre les producteurs de feuilles et un propriétaire d’alambics. Nous ne pouvons relayer ce contrat qu’au niveau des propriétaires d’alambics car l’accès au terrain est sacré. Le premier contrat (entre les producteurs et les transformateurs) est effectué sous le patronage d’une autorité coutumière. Cette dernière a, en pratique, le dessus face à l’autorité administrative qui cautionne notre contrat malgré une clause d’exclusivité. La pratique génère ainsi un conflit d’autorités et de pouvoirs au niveau des acteurs intermédiaires; elle nécessite le dialogue.

  • Avec les PME protocoopérantes et mutualistes, la légitimité recherchée est celle par rapport aux partenaires; le respect acquis au sein du groupement est un facteur de motivation essentiel. Ces PME reposent sur les mêmes logiques dans les deux cas; seul le degré d’influence des firmes étrangères les différencie sensiblement. La légitimité recherchée est celle par rapport aux partenaires. Les PME du groupement MA sont plus solidaires. Les niveaux d’implication dans l’intégration demeurent les mêmes, mais le degré d’attachement à la filière est différent. Les PME de MA, qui exploitent principalement le ravintsara, sont plus attentives aux logiques de coévolution que celles d’AM, qui cultivent le géranium et qui peuvent facilement quitter la filière. Pour illustrer cette situation, citons le propriétaire du premier point de distillation de la région AM : Après avoir eu des échanges répétitifs avec le premier étranger apporteur d’affaires, j’ai conclu que la filière géranium allait être prometteuse. J’ai personnellement remplacé mes précédentes plantations (d’orangers) par le géranium. J’ai commencé par investir dans un alambic artisanal, pour distiller mes propres géraniums. J’ai trois points de distillation professionnels aujourd’hui. Parallèlement à cette extension progressive des activités, j’ai réussi à convaincre mes confrères de m’aider dans le ravitaillement en matière première. Malgré les hauts et les bas qu’on a traversés dans cette filière, nous continuons à nous tenir les mains, même si les niveaux d’implication diffèrent d’un individu à l’autre.

L’interprétation de la topographie

Cette topographie identifie les comportements des acteurs (locaux et étrangers) porteurs de projets qui souhaitent se faire entendre sur un territoire donné. Après étude empirique, nous pouvons dire que les groupes adoptent un profil particulier en fonction des perspectives qu’ils associent au processus de coévolution. Le management de ce processus doit donc veiller à renforcer le niveau d’implication des acteurs (locaux et/ou étrangers), vis-à-vis de l’internationalisation des activités, en les associant à une politique permettant d’espérer un meilleur futur grâce à un apprentissage accéléré des modes d’internationalisation. Ce meilleur futur permet de faciliter les négociations entre les acteurs locaux et les firmes étrangères où la recherche de légitimité, le pouvoir et les échanges de ressources et de compétences sont de réels enjeux. Le dispositif fonctionne auprès des membres du groupement (locaux et étrangers) parce qu’ils sont attirés par une légitimité sur le marché, une labélisation par des acteurs indirects et une pérennité renforcée des exploitations. Dans le cadre du management de la coévolution, cet enrôlement (Callon, 1986) se matérialise par l’acceptation des conséquences possibles des interactions inter-organisationnelles et la prise de rôles complémentaires au sein du groupement.

Concrètement, les objectifs collectifs doivent être compatibles avec les intérêts respectifs des partenaires; ceci se vérifie, par exemple, lors d’une labélisation qui concerne la filière ou lors de la mise en oeuvre d’une structure commune. Bien souvent, ces objectifs ne peuvent se concrétiser sans l’égide d’acteurs indirects (autorités locales ou internationales, organismes d’appui, distributeurs étrangers…). L’ampleur des investissements effectués par les PME dépend en outre de la conjecture, des perspectives de développement du marché visé et des liens établis avec les entreprises étrangères. La visibilité qui en découle encourage alors les acteurs à s’engager dans le processus de développement collectif.

Au sein des groupements étudiés, le partage des rôles entre les acteurs locaux et étrangers est constaté dès la phase de lancement pour le cas AM et pendant la phase de développement pour le cas MA. Ce partage des rôles est considéré comme une réponse aux exigences de l’environnement (par exemple, pour une labélisation) pour le cas MA, tandis qu’il est associé à une source d’opportunité (par exemple, la découverte de nouvelles techniques d’exploitation) pour le cas AM.

Par ailleurs, les influences des firmes étrangères sur le processus d’internationalisation des acteurs locaux sont fortes dans les deux cas. Cette présence locale a constitué un levier à la fois culturel (sens du défi), technique (labélisation), relationnel (mise en contact avec les acteurs du marché) et en termes d’échanges (financements, informations, connaissances, savoir-faire, expériences…) pour faciliter l’internationalisation des PME malgaches. Facteur de coévolution, cet effet de levier a facilité l’implication des acteurs dans le réseau, ainsi que la durabilité de leur engagement.

La topographie proposée précise donc les conditions qui facilitent la convergence à terme des trajectoires stratégiques des parties impliquées dans un groupement. Elle offre des éclairages particuliers sur la co-construction d’un processus collectif complexe. Passons maintenant à l’analyse longitudinale des postures observées par rapport à ce processus.

Les profils managériaux

Comme les cas étudiés le montrent, les profils comportementaux permettent de cerner les raisons qui poussent des entreprises à rejoindre un groupement, mais la logique d’adéquation - qui les caractérise - ne permet pas de cerner le processus qui conduit ses membres à rechercher un apprentissage collectif et à coévoluer. Il faut pour cela nous intéresser aux profils managériaux. Fondés sur la logique d’intention, ils offrent – sur la base de profils comportementaux stabilisés – les conditions d’émergence de projets ambitieux qui nécessitent un ajustement structurel entre les membres du groupement.

De l’analyse de l’intention stratégique (analyse longitudinale pendant trois ans)

L’analyse dans le temps, qui lui est ici associée, consiste à comprendre les logiques qui conditionnent la trajectoire commune d’acteurs impliqués dans un projet collectif. La problématique d’internationalisation de la filière malgache des huiles essentielles, influencée par certaines firmes étrangères, renvoie à l’identification de variables - essentiellement culturelles et relationnelles - qui conditionnent la nature de l’intention partagée par des acteurs variés. L’impact de ces variables sur le processus de coévolution peut, là-aussi, être repéré sur des cartes de positionnement (figures 4 et 5). Dans les cartes présentées, la taille des cercles traduit l’importance relative des populations concernées.

Figure 4

Carte d’intention stratégique des acteurs pour la région Amoron’i Mania

Carte d’intention stratégique des acteurs pour la région Amoron’i Mania

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Figure 5

Carte d’intention stratégique des acteurs pour la région Matsiatra Ambony

Carte d’intention stratégique des acteurs pour la région Matsiatra Ambony

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L’illustration des profils managériaux

Présentons, pour les deux cas étudiés, les profils des groupes d’acteurs par rapport à l’intention stratégique.

  • L’approche des PME amensalistes (quadrant III) traduit une implication modérée dans le processus de coévolution par rapport à l’engagement identifié dans le cadre de l’adéquation stratégique. Cette évolution s’explique par la prise en compte de contraintes environnementales qui caractérisent la filière (par exemple, la mise en place d’un certificat d’origine contrôlé). Ces pressions externes n’empêchent pas les PME de poursuivre des objectifs individuels, mais elles les invitent à faire preuve d’une certaine d’ouverture par rapport aux firmes étrangères qui, par exemple, peuvent les aider à développer un système de veille stratégique.

  • Pour les PME commensalistes (quadrant II), l’intention stratégique se traduit par un renforcement de l’implication dans le processus de coévolution. Cette modification des comportements est le résultat d’un intéressement (responsabilisation, partage de moyens, protection…) qui favorise le processus d’internationalisation initié par des acteurs locaux et/ou étrangers. Pourtant, l’influence des firmes étrangères sur le phénomène de coévolution reste ici au même niveau. L’implication de ces acteurs relève plus des leviers sectoriels (intervention des parties prenantes directes et indirectes) que des leviers culturels et relationnels (présence des firmes étrangères).

  • Les PME neutralistes (niveau : 0; 0) sont caractérisées par un engagement conditionnel dans le processus de coévolution, mais aussi par la relative confirmation ou remise en cause de la complémentarité des objectifs du groupement. En effet, ces PME - plutôt attentistes - ont tendance à privilégier la poursuite d’objectifs individuels au détriment d’objectifs partagés. Parce que l’intégration en amont des firmes étrangères exige un engagement initial à long terme, leur influence sur le processus de coévolution se trouve ici relativement limitée.

  • Les PME protocoopérantes (quadrant IV) sont, elles aussi, sous l’influence des firmes étrangères. Ces dernières ont un impact sur la stratégie développée et sur le processus de coévolution. Par contre, le niveau d’engagement pour atteindre des objectifs partagés est conditionné par la capacité des entreprises étrangères à influencer les autres groupes. Si cette capacité est limitée, les protocoopérants tendent alors à s’orienter vers des objectifs individuels.

  • Les PME mutualistes (quadrant I) ont une logique d’intention proche de la logique d’adéquation (fortement communautaire et avec un fort engagement dans le processus de coévolution). Ce groupe tend à favoriser l’influence des firmes étrangères car ses membres sont généralement impliqués dans la gouvernance de la structure partagée.

Les impacts des profils identifiés sur le processus de coévolution

A travers ces différents positionnements, nous constatons que chaque profil d’acteurs - pour les cas AM et MA - renvoie à une problématique particulière d’internationalisation.

  • La première problématique concerne la transparence concernant le fonctionnement du groupement. Cette problématique est illustrée par l’engagement conditionnel des PME amensalistes. En effet, ces PME sont relativement réticentes à l’idée de s’impliquer dans l’organisation de la filière si elles ne sont pas régulièrement informées sur le marché et les décisions prises par les principaux responsables. Reprenons les propos du représentant d’un groupe restreint de distillateurs/exportateurs du cas MA : Tout ce que nous voulons, c’est être informés sur la tendance du secteur; notamment en matière d’ouverture des cueillettes pour les plantes sauvages. Au-delà […], nous disposons déjà de nos propres alambics et de nos contacts avec le marché. Nous restons, tout de même, en relation avec les producteurs de feuilles pour faire tourner au maximum nos distilleries. Ces PME ont un fort potentiel pour contribuer au processus coévolutif du groupement. Elles ont accès à des informations clés sur le marché et ont des ressources techniques avancées. Ces PME, qui représentent une minorité des membres de la filière (20 points de distillation sur 50), sont faiblement influencées par les firmes étrangères.

  • La deuxième problématique est révélée par le profil des PME commensalistes. Il s’agit de la réticence exprimée par rapport au processus de convergence des acteurs qui conduit à la coévolution de leur développement. Ces entreprises sont ouvertes aux échanges, notamment avec les firmes étrangères, en matière de nouvelles techniques permettant d’améliorer la productivité des exploitations et la qualité des produits. Elles aident les producteurs de feuilles en difficulté sans pour autant s’engager dans le processus de coévolution. Le représentant d’une PME locale du cas AM, qui a su intégrer partiellement la chaine de valeurs de la filière, illustre cette position : Nous sommes sur un créneau qui fonctionne très bien pour l’instant. Nous avons une exclusivité avec des producteurs de feuilles que nous avons aidés et qui ont voulu aussi collaborer avec nous. Nous sommes déjà une structure associative qui se débrouille avec le peu de moyens dont nous disposons. L’intérêt d’une structure commune serait pour nous une labellisation de la région dans son ensemble. Pour ce qui est de l’extension de l’exploitation, on le fait progressivement. Les PME commensalistes adhèrent aux grandes lignes du projet commun. Elles sont fortement mobilisées, mais leurs attentes concernant le processus de coévolution ne sont pas homogènes. En effet, les membres de ce groupe bénéficient de multiples partenariats avec des acteurs locaux et internationaux. Ils ont donc une marge de manoeuvre importante pour réagir individuellement ou collectivement aux évolutions de l’environnement.

  • La troisième problématique d’internationalisation identifiée est révélée par les PME neutralistes. Il s’agit de l’attitude opportuniste de certains membres du groupement. Les neutralistes sont de fervents participants aux réunions organisées au sein de la filière. Ils peuvent être solidaires des membres du projet collectif, mais cherchent avant tout à défendre leurs intérêts individuels. Un cadre d’une firme internationale, qui s’est intégrée en amont de la filière au sein du cas AM, confirme cette attitude : Les producteurs de feuilles et les distillateurs ont trop investi dans la filière pour abandonner. Nous maintenons le contact avec ce groupe, mais on peut continuer nos exploitations indépendamment d’eux. Ce groupe est en attente d’un avenir meilleur et il est ouvert à toute proposition. Suite aux investissements qu’ils ont déjà réalisés dans leur exploitation, les acteurs directs de la filière (producteurs de feuilles, distillateurs…) se trouvent en majorité dans une situation quasi irréversible. Cependant, ils ne sont pas fermés au processus de coévolution car ils sont prêts à saisir toute opportunité de développement à l’international. En effet, la présence locale de firmes étrangères peut être considérée par ces acteurs comme, à la fois, une source de menaces (concurrence directe) et d’opportunités (coopération verticale). Leurs comportements se trouvent, par conséquent, fortement influencés par les firmes étrangères.

  • La quatrième problématique concerne la gouvernance des groupes coévolutifs. Elle est observée au niveau de l’intention stratégique des PME protocoopérantes. En effet, ces dernières ont des exigences par rapport à la gouvernance multicéphale du groupement. A ce propos, un exportateur qui fait partie des pionniers de la filière du cas MA précise : La condition pour que l’on adhère à une structure partagée est que l’on fasse partie du comité de direction. Nous faisons partie des « échappés » (acteurs ayant pris l’initiative d’associer les producteurs de la filière, mais dont le poids s’est estompé au fil du temps), nous serons dans cette structure pour relancer les initiatives des acteurs locaux. Nous sommes les plus expérimentés, les plus aptes à porter un éclairage sur l’orientation de la structure. Cette attitude traduit une certaine vision du projet collectif et l’alignement relatif des intérêts des parties impliquées. Toutefois, un affaiblissement de l’alignement des ressources des acteurs, nécessaire pour développer un projet commun, peut être observé au niveau des cas étudiés. En effet, certaines PME reconsidèrent et redéfinissent leur contribution au groupement en développant une relative indépendance par rapport à la structure inter-organisationnelle. Cette attitude engendre, en parallèle, l’affaiblissement des influences des firmes étrangères sur les comportements des entreprises locales.

  • Enfin, le profil des acteurs mutualistes renvoie à une cinquième problématique de l’internationalisation collective : celle de la reconnaissance au sein du groupement. Cette problématique concerne particulièrement les acteurs qui ont été à l’initiative du projet et de la mise en place d’une structure commune. Ils souhaitent faire valoir leur ancienneté et être appréciés pour leur engagement initial. Le représentant du groupement de producteurs de feuille du cas MA évoque cette attente : Nous faisons partie des militants de la filière, mais contrairement aux « échappés » nous sommes restés dans la structure associative de départ qui est renforcée par la Plateforme de concertation et d’appui à la filière (PCAF). L’objectif partagé, et la crise que la filière du ravintsara a traversée, fait que l’on ne distingue plus les acteurs par leur ancienneté… Nous aimerions, tout de même, être reconnus au moins dans les coordinations locales de la filière. Ces PME se caractérisent par un fort engagement dans le processus de coévolution des membres du groupement, mais elles ont conscience que leur place n’est plus aussi importante après la mise en commun des ressources et des compétences. Elles sont difficilement influençables par les firmes étrangères.

L’approche dynamique, que nous venons de développer, renvoie à l’identification de variables relatives à l’intention stratégique, à la nature des liens établis avec les autres membres du groupement et à l’attitude des intermédiaires. Les données traitées permettent d’élaborer une représentation active et plurielle du processus de coévolution des membres d’un groupement.

Les principales conséquences managériales

Les contributions managériales de cette recherche portent donc sur la nature des profils observés et sur les enjeux stratégiques qui y sont associés. Reprenons, pour chaque profil, ces deux niveaux de contributions.

Le management de la coévolution associe les problématiques de l’apprentissage collectif et de la performanceinter-organisationnelle. Pour assurer un développement partagé, les partenaires sont plus que jamais invités à développer de manière généralement séquentielle les logiques d’adéquation et d’intention stratégiques (Milliot, 2013 et 2014).

La logique d’adéquation, fondement du profil comportemental, aide :

  • les producteurs à assurer la pérennité de leurs activités et à stabiliser les partenariats qu’ils ont établis;

  • les exportateurs locaux à justifier leurs légitimités (par rapport au marché, aux acteurs institutionnels et aux partenaires);

  • les firmes étrangères à mettre en oeuvre des pratiques éprouvées d’impartition et de gestion des réseaux.

La figure 6 reprend la typologie sur la coévolution proposée dans cette recherche et identifie, pour l’adéquation stratégique axée sur l’internationalisation, les facteurs qui caractérisent les profils comportementaux des acteurs à trois niveaux : (1) la propension (positive ou négative) à la coévolution, (2) le partage (ou le non-partage) des ressources pour alimenter le processus de coévolution, et (3) l’engagement et l’implication (ou la réticence) par rapport au réseau inter-organisationnel.

Pour gérer ces types de comportements, la figure 7 reprend les différents profils managériaux communs aux cultures d’affaires observées dans les deux cas. Cette synthèse permet d’identifier, par rapport à l’internationalisation concertée de PME, les trois niveaux d’analyse suivants : (1) la capacité (ou l’incapacité) à s’engager dans le processus de coévolution, (2) l’implication (ou la réticence) dans la fixation d’objectifs communs et (3) le degré de participation (ou de non-participation) à la coordination partagée ou à la gouvernance multicéphale.

Figure 6

Profils comportementaux des acteurs (adéquation stratégique)

Profils comportementaux des acteurs (adéquation stratégique)

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Figure 7

Profils managériaux des acteurs (intention stratégique)

Profils managériaux des acteurs (intention stratégique)

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Les responsables rencontrés dans le cadre de cette recherche ont régulièrement exprimé le souhait de s’engager dans un processus de coévolution pour bénéficier de nouvelles opportunités. Ils sont pourtant prudents par rapport à ce processus car ils craignent que les différences culturelles, psychologiques, matérielles… - qui caractérisent ce type de partenariat structurel – viennent compromettre ces opportunités. De plus, les dirigeants de PME malgaches et les représentants des firmes étrangères associent au processus de convergence inter-organisationnelle une perte de pouvoir et d’influence, de légitimité professionnelle et sociale, de repères et de sens. C’est pourquoi le management d’un projet collectif, qui invite les parties impliquées à coévoluer, est complexe. Il consiste à convaincre des acteurs variés et juridiquement indépendants à adhérer à un plan d’actions et à un mode organisationnel qui dépassent les contours traditionnels du management. Se met alors en place un jeu subtil de séduction qui engendre, bien souvent, le développement d’une stratégie de protection par rapport aux comportements opportunistes possibles de certains partenaires.

Conclusion

Pour comprendre le phénomène de coévolution, qui caractérise parfois les entreprises exportatrices engagées dans une stratégie collective au sein de groupements hétérogènes (acteurs directs et firmes étrangères), nous avons développé – sur la base d’une double inférence abductive - un cadre conceptuel adapté. Ce cadre se structure de la manière suivante :

  • les approches d’adéquation et d’intention sont les fondations du construit analytique proposé;

  • les concepts d’engagement, d’implication et de réticence, qui conditionnent la nature des objectifs (individuels/collectifs) au sein du groupement, sont les structures qui permettent de proposer des cartes de positionnement précises;

  • les profils comportementaux/managériaux, identifiés grâce aux cartes de positionnement, sont les cloisons qui distinguent les attitudes possibles par rapport au processus de coévolution.

Ce cadre analytique résulte d’une revue critique de la littérature et de l’étude longitudinale de deux groupements intégrant des PME exportatrices de la filière des huiles essentielles à Madagascar. La mise en parallèle de ces groupements, en nous fondant sur la méthode de l’explication contextualisée de Welch et al. (2011), a permis de constater que le processus de rapprochement stratégique et organisationnel des membres du groupement se faisait en deux phases. Dans un premier temps, les acteurs adoptent un profil comportemental fondé sur la logique d’adéquation stratégique. L’adoption de ce profil permet de se positionner par rapport aux autres membres et de répondre, en fonction du type d’attitude adopté, plus ou moins collectivement aux pressions environnementales liées à l’internationalisation des activités. Dans un deuxième temps, ces entreprises associent au profil comportemental un profil managérial. Ce profil complémentaire, fondé sur la logique d’intention stratégique, permet alors d’entrer dans une nouvelle phase : celle de la coévolution – parfois marginale et partielle - des membres. Parmi les cinq types identifiés, le profil mutualiste - associant la recherche d’objectifs collectifs et un(e) réel(le) engagement/implication dans le processus d’internationalisation, est celui qui est le plus adapté à la convergence stratégique à terme des acteurs. Nous constatons ainsi que le passage du profil comportemental (des acteurs engagés dans le groupement) au profil managérial (des acteurs impliqués dans le projet commun) facilite un ajustement structurel souvent nécessaire pour assurer la convergence des trajectoires des parties concernées. En effet, l’association des deux profils permet d’identifier le potentiel coévolutif des membres. Ce potentiel peut alors engendrer, de manière individuelle et/ou collective, des adaptations stratégiques dans le cadre de l’action commune.

Même si tous les acteurs-clés des groupements étudiés ont validé notre construit, ainsi que les analyses et les cartes de positionnement qui y sont associées, les conclusions que nous en tirons appellent de nouvelles questions. Le processus en deux phases qui conduit à la coévolution des membres d’un groupement est-il de même nature lorsque la stratégie collective concerne d’autres thématiques que celle de l’internationalisation ? Les profils comportementaux et managériaux identifiés dans cet article sont-ils valables lorsque les groupements concernent des types d’acteurs beaucoup plus variés ? Dans un monde hyperconcurrentiel où les entreprises sont souvent invitées à se rapprocher de certains de leurs concurrents, ces perspectives de recherche semblent particulièrement intéressantes.