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L’environnement économique mondial est marqué par l’importance grandissante des marchés émergents. Les caractéristiques de ces marchés (Ghemawat et Hout, 2008) soulèvent de nombreuses interrogations pour la recherche en management international. En effet, la plupart des cadres théoriques « classiques » ont été élaborés dans un contexte économique international dominé par les pays de la Triade (Amérique du Nord, Europe occidentale et Japon) et testés sur des échantillons d’entreprises originaires de ces pays. Par exemple, le cycle de vie international du produit a permis de comprendre la diffusion internationale des innovations et la localisation progressive des activités de production dans des pays où le coût de la main-d’oeuvre est plus faible (Vernon, 1966). Le modèle EPRG (ethnocentrisme, polycentrisme, régiocentrisme, géocentrisme) a contribué à une meilleure connaissance des orientations stratégiques et organisationnelles suivies par les entreprises (Perlmutter, 1969). Le modèle d’Uppsala (Johanson et Vahlne, 1977; Johanson et Wiedersheim-Paul, 1975) a appréhendé l’internationalisation des entreprises comme un processus incrémental. Le paradigme éclectique a permis d’expliquer le choix des modes d’entrée sur les marchés étrangers (Dunning, 1980).

Parmi ces différents cadres théoriques, le modèle d’Uppsala développé dans les années 1970 (Johanson et Vahlne, 1977; Johanson et Wiedersheim-Paul, 1975) et récemment revisité en tenant compte de l’importance prise par les réseaux relationnels (Johanson et Vahlne, 2006; Johanson et Vahlne, 2009) figure incontestablement parmi les cadres théoriques les plus mobilisés dans le champ du management international (par exemple, Benito et Gripsrud, 1992; Welch et Luostarinen, 1988). Or, ce modèle a initialement été conçu et testé à l’aide de l’analyse du processus d’internationalisation d’entreprises suédoises qui ont choisi de se développer dans d’autres pays de la Triade. Compte tenu des spécificités des marchés émergents dont l’ouverture au marché mondial est plus récente, il paraît particulièrement tentant de s’interroger sur la pertinence de ce modèle pour la conquête de ces pays marqués par une croissance particulièrement rapide durant ces dernières années (Lemaire, 2009).

L’objectif de cet article est de tester empiriquement la validité du modèle d’Uppsala dans le contexte des marchés émergents, et plus précisément dans le choix du pays des partenaires de coopération. L’espace géographique retenu est celui de l’Europe qui a connu des mutations profondes depuis la chute du mur de Berlin en 1989. Nous chercherons à comparer les accords de coopération associant des partenaires de l’Europe occidentale à ceux signés avec des acteurs localisés dans les pays d’Europe centrale et orientale. L’étude empirique réalisée porte sur un échantillon de 2.204 accords internationaux scellés par des entreprises européennes du secteur des Sciences du Vivant. Dans la première partie, nous présenterons les apports et les limites du modèle d’Uppsala pour le choix du pays des partenaires des accords de coopération. La seconde partie sera consacrée à l’analyse et à la discussion des résultats obtenus par l’étude empirique.

Le modèle d’Uppsala et l’approche des marchés émergents

Le modèle d’Uppsala constitue un cadre théorique majeur du champ du management international. En effet, de nombreux chercheurs se sont appuyés sur ce modèle pour expliquer l’internationalisation des entreprises (par exemple, Clark, Pugh et Mallory, 1997; Coviello et Munro, 1997). Nous tenterons d’abord de mettre en relief les apports du modèle avant de nous interroger sur ses limites.

Les apports du modèle d’Uppsala

Le modèle d’Uppsala a été développé au milieu des années 1970 par plusieurs chercheurs rattachés à l’Université d’Uppsala (Johanson et Vahlne, 1977; Johanson et Wiedersheim-Paul, 1975). A partir de l’analyse de plusieurs entreprises suédoises, ces chercheurs observent que l’internationalisation des entreprises constitue un processus se déroulant en plusieurs étapes. Leurs résultats suggèrent que les entreprises commencent leur internationalisation lorsqu’elles ont encore une taille limitée et qu’elles cherchent à développer leurs activités de manière progressive sur les marchés étrangers.

Dans leur article publié en 1975, Johanson et Wiedersheim-Paul proposent une étude longitudinale de quatre entreprises suédoises (Sandvik, Atlas Copco, Facit et Volvo). L’hypothèse sous-jacente à leur analyse est que les entreprises se développent d’abord sur leur marché domestique avant de s’internationaliser par le biais d’une série de décisions incrémentales. Les auteurs considèrent que le principal obstacle lié à l’internationalisation est le manque de connaissances concernant les marchés étrangers auquel sont confrontées les entreprises. Ainsi, ils supposent que les entreprises commencent à exporter leurs produits dans des pays proches du point de vue géographique et similaires en termes de pratiques managériales avant de consacrer des ressources plus importantes à travers l’établissement de filiales et de conquérir des marchés plus lointains. Ce développement progressif leur permet acquérir des informations sur les marchés visés, d’accumuler une expérience et de bénéficier des effets d’apprentissage.

Dans leur contribution, Johanson et Wiedersheim-Paul (1975) précisent que la difficulté d’acquérir des connaissances sur les marchés étrangers trouve son origine dans le concept de distance psychique. La distance psychique, qui est définie comme l’ensemble des facteurs susceptibles d’empêcher ou de perturber les flux d’information, couvre des éléments aussi variés que les différences de langue, de culture, de systèmes politiques, de niveaux d’éducation et de développement industriel. Les auteurs considèrent que la distance psychique peut évoluer dans le temps, notamment en raison du développement des systèmes de communication, des échanges commerciaux et d’autres formes d’échange social, bien que cette évolution soit généralement assez lente.

Dans un article publié en 1977, Johanson et Vahlne enrichissent l’approche incrémentale des marchés étrangers initialement proposée dans l’article de Johanson et Wiedersheim-Paul (1975). Ils complètent les quatre études de cas réalisées par l’analyse de l’internationalisation d’autres entreprises suédoises telles que le groupe pharmaceutique Pharmacia. L’examen des différents cas leur permet d’élaborer un modèle dynamique de l’internationalisation qui montre que chaque décision d’engagement international est susceptible d’influencer l’étape suivante du processus d’internationalisation. Les auteurs distinguent deux aspects concernant les facteurs d’internationalisation des entreprises : (1) les aspects liés à l’état d’internationalisation qui concernent l’engagement sur le marché étranger, reflétant la mobilisation de ressources, et la connaissance du marché étranger; (2) les aspects liés aux changements d’internationalisation qui concernent les décisions d’engager des ressources et la performance des activités actuelles. La figure 1 illustre les relations entre les différentes variables. Ainsi, la connaissance du marché et l’engagement sur le marché sont susceptibles d’influencer à la fois les décisions d’engagement et la performance des activités actuelles. En même temps, les décisions d’engagement et la performance des activités actuelles peuvent également avoir un impact sur la connaissance du marché et l’engagement sur le marché. Le modèle proposé met en relief l’importance de l’expérience acquise par l’entreprise pour les choix liés à l’internationalisation.

Figure 1

Les mécanismes du processus d'internationalisation

Les mécanismes du processus d'internationalisation
Source : Johanson et Vahlne (1977), p.47

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Il paraît important de noter que Johanson et Vahlne (1977) soulignent le rôle central joué par la connaissance expérientielle qui, contrairement à la connaissance objective, ne peut être apprise que par des expériences personnelles et, de ce fait, ne peut être transférée. Le processus d’internationalisation semble ainsi lié aux expériences cumulées et in fine aux compétences acquises par les dirigeants, mais aussi à celles possédées par des équipes de dirigeants (Leconte et Forgues, 2000).

Dans leurs travaux ultérieurs, Johanson et Vahlne (2003, 2006, 2009) soulignent davantage l’impact de l’engagement sur le marché étranger sur la connaissance et l’apprentissage de l’entreprise. Les auteurs précisent que les réseaux relationnels que l’entreprise peut établir dans le cadre de son internationalisation permettent de créer de nouvelles connaissances et de développer ainsi de nouvelles opportunités sur les marchés internationaux. Lorsque l’entreprise s’engage dans une relation avec un partenaire localisé à l’étranger, elle peut aussi bénéficier du réseau relationnel de ce partenaire (composé de fournisseurs, de clients, etc.) et ainsi saisir de nouvelles opportunités. La possibilité d’établir et d’acquérir une position stable dans de tels réseaux relationnels dépend de la distance psychique perçue par l’entreprise par rapport au marché étranger et in fine de sa capacité d’apprentissage et de son expérience.

Enfin, dans un article publié en 2009, Johanson et Vahlne précisent que la confiance peut faciliter les relations qui s’établissent entre les partenaires. Ils proposent un nouveau modèle portant sur le processus d’internationalisation du réseau d’affaires. Ce modèle comporte également (1) des aspects liés à l’état du processus d’internationalisation, qui concernent les opportunités de développement de connaissances et la position de l’entreprise dans le réseau d’affaires, et (2) des aspects liés aux changements dans le processus internationalisation qui concernent les décisions de s’engager dans des réseaux relationnels ainsi que l’apprentissage, la création et le développement de la confiance. La figure 2 illustre les relations entre les différentes variables. Ainsi, les opportunités de développement de connaissances et la position de l’entreprise dans le réseau d’affaires peuvent influencer les décisions de s’engager dans les réseaux relationnels de même que l’apprentissage, la création et le développement de la confiance. En même temps, les aspects liés aux changements d’internationalisation peuvent aussi avoir un impact sur l’état de l’internationalisation. Le modèle d’Uppsala « revisité » met ainsi en relief l’importance des réseaux relationnels, et donc par là même des coopérations inter-organisationnelles, dans les choix effectués par les firmes en matière d’internationalisation.

Figure 2

Le modèle du processus d'internationalisation du réseau d'affaires

Le modèle du processus d'internationalisation du réseau d'affaires
Source : Johanson et Vahlne (2009), p.1424

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Le modèle initial et le modèle revisité de l’école « suédoise » insistent tous deux sur le caractère incrémental du processus d’internationalisation. En raison du manque de connaissances concernant les marchés étrangers et les réseaux relationnels de leurs partenaires potentiels, les entreprises auraient tendance à se développer d’abord dans des pays qui présentent une certaine proximité psychique avec leur pays d’origine. Au fur et à mesure que l’expérience internationale des acteurs s’accroît, la distance psychique avec de nouveaux pays se réduit, permettant aux entreprises de se développer sur des marchés initialement plus éloignés. Dans cette perspective, Johanson et Vahlne (2009) soulignent que la distance psychique est susceptible de rendre la coordination entre les acteurs d’un même réseau plus difficile. Dans de nombreux secteurs d’activité tels que l’industrie automobile, les entreprises ont effectivement choisi de se développer d’abord dans des pays proches avant de conquérir des marchés plus éloignés (Colovic et Mayrhofer, 2008).

Le modèle d’Uppsala remis en question

Malgré sa portée, le modèle d’Uppsala a fait l’objet de nombreuses critiques dans la littérature de management international. Récemment, les travaux portant sur les « born globals » ont notamment remis en cause le caractère incrémental et linéaire du processus d’internationalisation. En effet, les tenants de l’approche « born globals » conçoivent l’entreprise comme reposant sur un modèle économique défini d’emblée à l’échelle mondiale. Ils considèrent que les entreprises cherchent, dès leur création, à construire des avantages concurrentiels en commercialisant leurs produits directement dans un nombre important de pays (Knight et Cavusgil, 2004; Oviatt et McDougall, 1994; Zucchella et Scabini, 2007). Par conséquent, toutes les entreprises ne s’internationaliseraient pas dans des pays à distance psychique croissante et ne passeraient pas par les différentes étapes du processus d’internationalisation mises en avant par « l’école suédoise ».

Compte tenu des mutations rapides de l’environnement mondial (Pesqueux, 2009) et de l’importance prise par les marchés émergents (Ghemawat et Hout, 2008), il paraît effectivement légitime de s’interroger sur la validité du modèle d’Uppsala qui a été souvent mobilisé dans un contexte où les principaux marchés étaient constitués par les pays de la Triade. Dans cette optique, il convient de rappeler que le modèle d’Uppsala a été élaboré à partir de l’observation d’entreprises suédoises dont la plupart s’étaient d’abord développées dans d’autres pays de l’Europe occidentale avant de conquérir des marchés plus éloignés. Or, depuis la chute du mur de Berlin en 1989, le paysage européen a fortement changé et l’espace européen est désormais constitué de marchés matures (Europe occidentale) et de marchés émergents (pays Europe centrale et orientale - PECO).

Si de nombreuses recherches portent l’internationalisation des entreprises en Europe occidentale, les études relatives aux pays d’Europe centrale et orientale (PECO) restent rares et se limitent, le plus souvent, à des analyses descriptives ou à des études de cas (Krammer, 2009). Pourtant, les échanges entre les pays de l’Union Européenne « historique » et les PECO ont considérablement augmenté depuis les années 1990. Par ailleurs, l’élargissement de l’Union européenne constitue une opportunité de développement international qu’il convient d’analyser de manière plus systématique et à plus grande échelle.

Pour analyser la validité du modèle d’Uppsala, il paraît dès lors particulièrement intéressant de comparer l’internationalisation des entreprises européennes dans ces deux espaces géographiques qui présentent des caractéristiques fortement différenciées. L’enjeu est de mieux comprendre les ressorts du développement international et de cerner les spécificités qui les caractérisent lorsque celui-ci se dirige vers des marchés émergents. De là, nous avons choisi de nous focaliser plus spécifiquement sur le rôle joué par la distance psychique et par l’expérience dans le choix des partenaires de coopération.

Une comparaison des accords de coopération menés dans deux espaces géographiques

Pour pouvoir comparer l’internationalisation des entreprises européennes en Europe occidentale et en Europe centrale et orientale, nous avons choisi de collecter des informations sur les accords de coopération scellés par entreprises originaires de l’Europe occidentale avec d’autres entreprises de l’Europe occidentale (accords intra-EO), d’une part, et avec des entreprises des pays d’Europe centrale et orientale, d’autre part (accords EO/PECO). L’analyse proposée repose sur l’idée récemment défendue par Johanson et Vahlne (2009) que la compréhension des processus d’internationalisation doit s’appuyer sur l’examen des réseaux relationnels, dans lesquels sont insérées les firmes, dans la mesure où ceux-ci leur fournissent des informations sur les marchés étrangers. Pourtant, la coopération et la mise en place de consortia, en tant que modes d’entrée sur les marchés étrangers, restent peu étudiées dans la littérature sur l’internationalisation (Narula et Dunning, 1998). Or, en nouant des partenariats hors de leurs frontières nationales, les entreprises peuvent acquérir un « avantage d’apprentissage » facilitant les échanges ultérieurs et, in fine, leur développement sur les marchés internationaux (Johanson et Vahlne, 2003, 2006, 2009; Luo et Peng, 1999; Sharma et Blomstermo, 2003).

Présentation de l’étude empirique

L’étude empirique réalisée est fondée sur un échantillon de 2.204 coopérations de R&D scellées dans le secteur des Sciences du Vivant. L’échantillon comprend 1.902 accords conclus entre entreprises de l’Europe occidentale (intra-EO) et 302 accords signés entre entreprises de l’Europe occidentale et des pays d’Europe centrale et orientale (EO/PECO). La période d’observation s’étend de 1992 à 2007. Les pays couverts par l’étude correspondent pour l’EO à l’Autriche (AT), la Belgique (BE), la Suisse (CH), l’Allemagne (DE), le Danemark (DK), l’Espagne (ES), la Finlande (FI), la France (FR), le Royaume-Uni (GB), l’Irlande (IE), l’Italie (IT), les Pays-Bas (NL), la Norvège (NO) et la Suède (SE). Au niveau des PECO, les organisations concernées sont celles implantées en Bulgarie (BG), République tchèque (CZ), Estonie (EE), Hongrie (HU), Lituanie (LT), Lettonie LV, Pologne (PL), Roumanie (RO), Russie (RU), Slovénie (SI), Slovaquie (SK) et Turquie (TR).

Les informations utilisées proviennent d’une base de données réalisée dans le cadre d’un projet de recherche portant sur le choix d’un partenaire de R&D (Angué, 2006). Celle-ci a été actualisée pour cette recherche et compile, pour la période de l’étude, l’information relative à trois types de coopérations en R&D : les coopérations plurinationales entreprises dans le cadre des programmes communautaires de recherche et développement technologique (PCRD) et soutenues, en partie, par des subventions communautaires, les accords correspondant aux divers projets labellisés Eurêka initiés dans le domaine médical et biotechnologique et, enfin, d’autres accords internationaux que nous qualifions « d’hors-cadres » (conclus « spontanément » par les entreprises). Notons que pour l’ensemble des coopérations recensées, seules celles comportant au moins une entreprise ont été renseignées. L’échantillon constitué regroupe 1.033 actions à frais partagés (PCRD), 318 projets labellisés Eurêka et 853 accords conclus en dehors de ces cadres spécifiques.

Dans le secteur des Sciences du Vivant, l’internationalisation des activités est essentielle pour les entreprises, notamment pour faire face aux coûts élevés de la recherche et du développement et pour s’adresser à des marchés plus larges qu’à leur seul marché domestique (Nordman et Mélen, 2008). Ainsi, de nombreuses études montrent que les entreprises de haute technologie, qu’elles soient petites (comme c’est le cas pour la plupart des entreprises du secteur des Sciences du Vivant) ou plus importantes, s’internationalisent plus rapidement que celles oeuvrant dans des secteurs plus traditionnels (Knight et Cavusgil, 2004). Dans ce contexte, la conclusion d’accords de coopération avec des partenaires localisés hors du territoire national constitue l’un des modes de développement largement mobilisé par les entreprises (Angué et Mayrhofer, 2010). Ces coopérations en font un secteur réticulaire par essence (Owen-Smith et al., 2002) et fortement internationalisé, en raison notamment de la dispersion géographique des connaissances et des compétences nécessaires au secteur entraînant une sorte de division du travail qui s’opère au niveau mondial (Madhok et Osegowitsch, 2000).

Malgré l’avance historique des États-Unis dans le secteur des Sciences du Vivant, il paraît important de souligner que de nombreux liens sont également tissés entre entreprises européennes, notamment depuis les années 90. En Europe occidentale (EO), l’essentiel des entreprises du secteur se concentre en Allemagne, au Royaume-Uni et en France. Au côté de ces pays relativement matures, certains États d’EO sont en pleine phase d’expansion dans ce secteur, comme l’Espagne, l’Italie et l’Irlande. De même, et en ce qui concerne plus spécifiquement la R&D et les activités high-tech, les PECO sont parvenus à se positionner à un niveau intermédiaire entre celui des pays les moins développés de l’OCDE et celui des pays de l’EO (Radosevic et Auriol, 1999). La Russie est, par exemple, en plein essor et l’OCDE prévoit même qu’elle devienne le troisième plus important marché émergent pour l’investissement en R&D. Concernant les Sciences du Vivant, la majeure partie des activités de R&D dans les PECO continue d’être conduite dans les universités et les établissements scientifiques (Rapport EuraBio & Venture Valuation, 2009).

Analyse et discussion des résultats

Pour comparer les accords signés entre partenaires de l’Europe occidentale, d’une part, et entre partenaires de l’Europe occidentale et de l’Europe centrale et orientale, d’autre part, nous avons choisi d’analyser dans un premier temps l’orientation géographique des accords signés afin d’avoir une première idée du rôle joué par la distance psychique dans la conclusion de coopérations en R&D. Dans un second temps, nous allons examiner les autres facteurs mis en évidence dans le modèle d’Uppsala dans le but d’apprécier si leur impact est différencié selon l’orientation géographique des accords.

Pour analyser les affinités existant entre partenaires localisés au sein de l’EO, et entre EO et PECO, nous avons choisi de calculer les matrices d’adjacences associées aux accords recensés dans ces deux contextes géographiques et à visualiser les résultats obtenus au moyen d’analyses multidimensionnelles des similarités (MDS). D’un point de vue méthodologique, la procédure débute par l’extraction d’une matrice d’adjacence (dite de similarité) constituée de l’ensemble des valeurs obtenues pour chaque couple de pays liés dans un ou plusieurs accords de coopération et se poursuit par la réalisation de la MDS, proprement dite, qui fournit une représentation graphique des proximités entre les couples comparés. L’objectif de cet outil d’analyse multivariée est de produire une représentation graphique d’un ensemble d’objets reliés par des relations de proximité mesurées sous forme ordinale (Evrard et al., 2003). Il permet de visualiser les affinités constatées dans l’échantillon utilisé entre les pays des partenaires dans un espace avec le moins de dimensions possibles (en général deux). Le mapping ainsi obtenu est d’autant plus probant que le stress de Kruskal[1] calculé est proche de 0. La figure 3 reproduit les résultats des MDS obtenus sur l’échantillon des accords intra-EO, d’une part, et sur celui relatif aux accords EO/PECO, d’autre part.

Figure 3

Les affinités nationales dans les accords intra-EO et entre EO et PECO

Les affinités nationales dans les accords intra-EO et entre EO et PECO

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Les deux cartes montrent qu’au centre du réseau d’accords conclus entre organisations localisées en Europe occidentale, se trouvent le Royaume-Uni et l’Allemagne suivis des Pays-Bas et de la France. Ces quatre pays totalisent le plus grand nombre de partenariats et jouent un rôle d’attracteur auprès de leurs homologues de l’Europe occidentale (EO). Ce résultat reflète le dynamisme de ces pays dans le secteur des Sciences du Vivant.

Nous retrouvons ces quatre pays au centre des accords tissés entre organisations situées en Europe occidentale et en Europe centrale et orientale (EO/PECO). Toutefois, quelques différences méritent d’être soulignées. En particulier, l’Italie et l’Espagne présentent, dans ce réseau d’accords (EO/PECO), des positions plus centrales. De même, nous pouvons y constater la plus forte implication de l’Autriche et de la Finlande, comparativement à celles remarquées dans le cas des accords entre organisations de l’Europe occidentale.

Par ailleurs, la MDS réalisée sur l’échantillon des accords intra-EO met en relief d’autres affinités, telles que celles existant entre l’Autriche et la Suisse, l’Allemagne et la Suisse ou la Suède et le Danemark. Elle montre que les organisations localisées dans les pays scandinaves (qui figurent sur la partie droite de la carte) forment entre elles des couples assez récurrents, même si la Norvège et la Finlande apparaissent relativement excentrées du réseau de coopérations.

Concernant les pays d’Europe centrale et orientale (PECO), il apparaît que la République Tchèque et la Hongrie constituent les pays émergents les plus dynamiques et les mieux représentés dans le réseau d’accords tissés avec les organisations d’Europe occidentale, les autres pays examinés restant à la périphérie (ils figurent dans le second cercle concentrique de la figure 3). Ceci s’explique probablement par leur position dominante dans le secteur au sein des PECO. De leur côté, la Bulgarie, la Lettonie et la Turquie sont quasiment absentes de ces relations partenariales et ne figurent donc pas sur le graphique.

Du côté des pays d’Europe de l’Ouest, l’Allemagne se positionne comme étant le pays le plus engagé dans des accords avec les PECO, que ce soit en nombre d’accords conclus ou en diversité des pays partenaires considérés. Il ressort néanmoins de nos données que, dans le cas de l’Allemagne, les liens les plus importants s’établissent avec des organisations localisées en République Tchèque et en Hongrie. Au delà de ces premiers résultats, certaines autres affinités sont décelables dans la MDS et notamment celle rapprochant l’Autriche à la Hongrie, la Finlande à l’Estonie ou la Suède à la Pologne. Enfin, précisons que la Roumanie, trop peu représentée dans l’échantillon pour figurer sur le mapping de la MDS, semble s’allier davantage avec la France. Ceci illustre bien le fait que si la France a toujours été relativement bien présente dans certains nouveaux pays membres de l’Union européenne, ces derniers ne constituaient pas toujours les économies les plus importantes.

A première vue, les préférences affichées concernant l’orientation géographique des accords scellés semblent ainsi pouvoir être expliquées, au moins en partie, par la proximité psychique entre les pays concernés. En effet, l’analyse des affinités nationales souligne l’importance des liens historiques entre les pays. Par exemple, on retrouve bien, dans nos données, la place historique occupée par l’Allemagne dans la Mitteleuropa. De même, la proximité linguistique et géographique des organisations potentiellement partenaires paraît jouer un rôle déterminant dans le choix d’un allié localisé dans les PECO. Aussi, les résultats de cette première étude empirique suggèrent que la distance psychique, telle qu’elle est mise en avant dans le modèle d’Uppsala, pourrait effectivement constituer un frein au développement international des entreprises et notamment en direction des marchés de l’Europe centrale et orientale.

Cela étant, pour examiner plus précisément le rôle joué par les différents facteurs soulignés par « l’école suédoise » et mieux apprécier leur impact selon l’orientation géographique des accords (coopérations intra-EO vs. coopérations entre EO et PECO), nous avons réalisé une analyse factorielle des correspondances multiples (AFCM). Le choix de cet outil se justifie par le fait que les variables mobilisées dans cet objectif sont de nature qualitative et quantitative. Plus généralement, l’AFCM permet de synthétiser l’information contenue dans les données analysées par projection graphique des variables (Evrard et al., 2003). Elle autorise une visualisation des variables et de leurs modalités sur des axes résumant au mieux la variance initiale et s’avère adaptée à notre objectif de recherche.

Dans un premier temps, nous avons choisi de retenir plusieurs variables qui reflètent les caractéristiques générales des accords analysés dans notre étude. Nous avons ainsi distingué la période de conclusion de l’accord selon que celui-ci a été signé entre 1992 et 1999 (Per1) ou dans la période allant de l’année 2000 à 2007 (Per2). Ensuite, nous avons souhaité tenir compte du contexte dans lequel s’est déroulée la collaboration en distinguant les accords initiés dans le cadre des projets Eurêka ou du PCRD de ceux plus spontanés et qualifiés de « hors cadre » (codés respectivement par les modalités Cadre1 et Cadre0). De même, une variable a été créée de façon à prendre en considération le nombre de partenaires et distinguer les accords bilatéraux (Bilat), les plus nombreux dans le cas des accords hors-cadre, des plus grands projets réunissant un grand nombre d’organisations (modalité Multi). Enfin, une variable a été développée pour traduire le degré d’implication des entreprises (PartE), et donc, respectivement, celui des établissements scientifiques, dans les accords de coopération. Elle s’obtient en faisant le rapport entre le nombre d’entreprises réunies dans l’accord et le nombre total de partenaires.

Ensuite, et dans l’objectif d’affiner les premiers résultats obtenus avec la MDS, nous avons spécifié deux facteurs essentiels mis en avant dans le modèle d’Uppsala : la distance psychique et l’expérience. Pour mesurer de façon plus précise la distance psychique telle qu’elle est perçue par les entreprises, nous avons introduit quatre variables : le niveau de difficulté des langues, la distance culturelle, les différences dans la pratique des affaires et le niveau de risque associé aux pays des partenaires.

Le niveau de difficulté des langues des partenaires (Lang), qui est souvent à l’origine de problèmes de compréhension (Nordstrom et Vahlne, 1994), a été opérationnalisé à partir de la classification généalogique des langues (Grimes, 1992), qui capture le degré de parenté existant entre celles-ci. En appliquant la méthode présentée par Chiswick et Miller (2004) – qui s’apparente à celle, plus connue, de West et Graham (2004) – chaque pays s’est vu attribuer un score de difficulté linguistique par rapport à l’anglais, considéré comme la langue de référence. Ensuite, la moyenne de ces scores a été retenue pour appréhender le niveau général de difficulté liée à la langue au sein de chaque accord de coopération.

Pour sa part, la distance culturelle (dCult) entre les partenaires a été mesurée à l’aide de l’index de Kogut et Singh (1988), fondé sur les indices constatés par Hofstede (2001) pour quatre dimensions culturelles (distance hiérarchique, individualisme/collectivisme, contrôle de l’incertitude, masculinité/féminité).

Les différences dans la pratique des affaires peuvent également entraver l’acquisition de connaissances concernant les marchés étrangers (Evans et Mavondo, 2002). Pour tenir compte de cet aspect, nous avons mobilisé les travaux de Krammer (2009) qui s’est appuyé sur la base de données tenue par la World Bank pour 175 pays et relative aux pratiques des affaires en considérant notamment le coût de la création d’activité dans différents pays. L’auteur montre que cet indicateur traduit la capacité d’un pays à créer et à stimuler l’environnement commercial des entreprises, ce qui contribue à attirer des investisseurs étrangers et à encourager les entrepreneurs nationaux dans leurs initiatives. A partir de cette évaluation réalisée pour chacun des partenaires, un indicateur de différences relatives de pratiques (dPrat) a été calculé pour chacun des accords en s’inspirant de la méthode de calcul de l’index de distance culturelle évoqué plus haut.

Le niveau de risque associé aux pays des partenaires (Risq) traduit la stabilité politique, le niveau de corruption de même que l’environnement économique et financier des pays concernés. De fait, même si les PECO peuvent aujourd’hui être considérés comme relativement stables, il convient de rappeler que ces États ont connu de profonds bouleversements politiques, structurels et idéologiques durant ces dernières années. Plusieurs nouveaux membres de l’Union européenne (ou pays candidats à l’adhésion) ont ainsi dû passer d’une économie planifiée à une économie de marché à la fin des années 80 et au début des années 90. En effet, le niveau plus élevé de risque politique et économique des pays partenaires peut, en augmentant le niveau d’incertitude, constituer un frein à l’établissement de relations partenariales. Pour tenir compte de cet aspect, nous avons calculé le niveau de risque moyen associé aux pays des organisations partenaires des accords de coopération en nous fondant sur le score de Political Risk Services (PRS) fourni par l’International Country Risk Guide. D’après Meschi (2008), ce score correspond (pour sa composante politique) à « une échelle de mesure des conséquences négatives du degré d’imprégnation de la corruption d’État pour les investisseurs étrangers » (p. 12). Dans notre analyse, la moyenne des scores obtenus pour l’ensemble des partenaires d’un accord traduit, sur la période de l’étude, le niveau de risque moyen des pays dans lesquels sont localisés les partenaires.

Comme le montre le modèle d’Uppsala, l’expérience qui se forge lors d’interactions passées constitue une ressource importante pour la firme qui en bénéficie. Cet apprentissage, propre à l’entreprise, peut notamment contribuer à améliorer la performance de coopérations futures et faciliter le développement en direction de marchés moins classiques tels que les PECO (Luo et Peng, 1999). Dans notre étude, l’opérationnalisation de cette variable (Exp) s’est appuyée sur la notion de centralité de degré puisque l’expérience en matière de coopération des firmes d’EO impliquées dans un accord en particulier a été appréciée en dénombrant l’importance des relations collaboratives scellées par celles-ci sur l’ensemble des accords recensés dans notre base de données.

Enfin, pour approcher le niveau de connaissances général du pays (Pays) du ou des partenaires de l’accord (Luo et Peng, 1999), nous avons utilisé l’étude de Sharma et Blomstermo (2003) qui conclut à l’importance des liens faibles dans les processus d’internationalisation en les envisageant comme des sortes de prémisses à l’engagement direct de ressources dans des relations plus fortes. Elle correspond également à ce que Meschi (2008) a pu nommer « l’expérience-pays » et que l’auteur a mesuré par le nombre de coentreprises internationales formées dans le pays par les firmes européennes. Dans la pratique, pour évaluer ce niveau collectif de connaissances relatif au pays du (ou des) partenaires, nous avons calculé le nombre de liens établis entre les pays concernés, et ce quelle que soit la (ou les) organisation(s) considérée(s), rapporté au nombre total d’accords recensés dans la base de données.

Concernant les variables quantitatives définies, des recodages en variables ordinales de trois classes ont été réalisés en utilisant l’algorithme de Fisher. Le tableau 1 récapitule les variables retenues dans l’étude empirique ainsi que les modalités qui leur sont associées.

Tableau 1

Variables et modalités utilisées dans l’AFCM

Variables et modalités utilisées dans l’AFCM

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Le tableau 2 montre que les trois premiers axes extraits par la procédure expliquent 74,44 % de la variance totale; les axes suivants n’ajoutant que peu d’information. Par conséquent, seuls les trois premiers axes seront pris en considération dans la suite de nos développements.

Tableau 2

Les valeurs propres et pourcentages d’inertie de l’AFCM

Les valeurs propres et pourcentages d’inertie de l’AFCM

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La construction de ces axes est détaillée dans le tableau 3 qui récapitule pour l’ensemble des modalités de l’étude, leur poids relatif, leur contribution, cosinus carrés et valeurs-tests associées. Indépendamment de la construction des axes, l’interprétation des résultats de l’AFCM peut également être facilitée par la représentation graphique des coordonnées principales des différentes modalités; celle-ci est reproduite dans la figure 4 qui montre la projection des modalités sur les deux premiers axes factoriels issus de l’AFCM.

Tableau 3

La construction des trois premiers axes factoriels

La construction des trois premiers axes factoriels
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Les valeurs affichées en gras sont significatives au seuil alpha=0,05

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Figure 4

La projection des modalités

La projection des modalités

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Les modalités liées aux caractéristiques générales apparaissent être celles qui ont le plus influencé la construction du premier axe factoriel (la contribution cumulée des variables Orient, Per, Nb, Cadre et PartE est de 78,35%). Plus particulièrement, il oppose les accords multilatéraux dans lesquels la participation des entreprises est faible aux coopérations hors-cadres, bilatérales et dans lesquelles la participation des firmes est forte, voire totale. Toutefois, l’orientation géographique et le moment de la conclusion de l’accord n’expliquent que peu la construction de cet axe, nuançant cette appréciation générale. La représentation de l’axe F1 dans la figure 4 met en relief cette opposition entre accords inter-firmes et consortia mixtes comportant moins d’entreprises et illustre le faible rôle, dans la construction de cet axe, de la variable Per, dont les modalités sont proches du centre du graphique. La projection des variables montre que les accords EO/PECO se positionnent plus à gauche du graphique signifiant qu’ils se tissent plus naturellement dans le contexte des consortia Eurêka ou du PCRD et incluent le plus souvent un ou plusieurs établissements scientifiques.

Le second axe factoriel est construit principalement sur les variables décrivant la distance psychique entre les partenaires (dCult, Lang, dPrat et Risq). Leur contribution cumulée s’élève à 47,13 %. Cependant, pour l’axe F2, il faut noter le rôle prépondérant de l’orientation géographique dont la contribution s’élève à 25,67 % (respectivement 3,52 % pour la modalité « EO » et 22,15 % pour « PECO »). Cet axe, qui retrace 12,83 % de l’inertie totale traduit ainsi les spécificités des accords EO/PECO. Il oppose du côté négatif les modalités « Pays3 » et « Lang1 » avec, du côté positif, l’orientation EO/PECO. Cette opposition est aisément décelable dans la représentation graphique qui montre également une certaine proximité entre l’expérience en matière de coopération du partenaire d’EO (« Exp3 »), les différences moyennes et fortes de pratiques entre participants à l’accord (« dPrat2 » et « dPrat3 ») et la modalité « PECO ».

Enfin, le tableau 3 montre que c’est essentiellement sur les variables liées à l’expérience des partenaires que le troisième axe factoriel s’est bâti (contribution cumulée des modalités liées à l’expérience/connaissances : 41,03 %) et, dans une moindre mesure, sur les variables relatives aux caractéristiques relatives des partenaires (contribution cumulée : 40,78 %). Celui-ci met en perspective, du côté négatif, les modalités « Exp1 », « Risq1 », et « dCult1 » avec, du côté positif, « Exp3 », « Pays3 », « Risq2 », et « PECO » (bien que la contribution de cette dernière modalité à F3 ne soit que de 6,85 %). Il oppose ainsi les niveaux faibles et forts d’expérience en matière de coopération internationale de même que les niveaux de risques 1 et 2 tout en soulignant la proximité existante entre le niveau d’expérience des partenaires d’EO avec l’engagement dans un accord EO/PECO.

Notons que vu l’importance revêtue par les variables relatives aux caractéristiques générales des accords, nous avons décidé de reconduire l’analyse en excluant les modalités liées à la période de conclusion de l’accord (Per1 et Per2), celles traduisant le nombre de partenaires (Bilat et Multi), celles exprimant le cadre dans lequel s’est conclue la coopération (Cadre0 et Cadre1) et enfin celles liées aux taux de participation des entreprises (PartE1, PartE2 et PartE3). Globalement, cette analyse menée sur les seules variables relatives à la distance psychique et à l’expérience des organisations partenaires produit des résultats dont la structure est assez analogue à ceux détaillés ci-dessus bien que moins significatifs. En effet, il ressort de cette AFCM partielle que les trois premiers axes retracent respectivement 44,29 % (F1), 13,19 % (F2) et 5,54 % (F3) de l’inertie totale ajustée, soit un total de 63,02 % contre 74,44 % dans l’analyse globale. Dans cette seconde AFCM, l’axe 1 est construit essentiellement à partir des modalités citées dans la construction de l’axe F2 de l’analyse globale. Plus précisément, l’opposition EO/PECO se retrouve également très marquée dans ce contexte (la contribution de la modalité PECO pour F1 s’élève à 20,7 % et à 13,58 % pour F2). Nonobstant, le poids de l’expérience en matière de coopération apparaît relativement plus important dans l’AFCM partielle dans laquelle la modalité Exp3 ressort plus proche de l’orientation des accords en direction des PECO. Cette modalité contribue d’ailleurs légèrement plus que dans l’analyse globale à la construction de l’axe lié aux autres variables de la distance psychique (ici F1) avec un poids de 7,83 % et un peu moins à la construction de l’axe traduisant l’expérience des partenaires, ici F2, avec une contribution de 8,33 % dans cette analyse.

De façon plus générale, nos résultats montrent que la distance psychique joue un rôle non négligeable dans l’orientation géographique des accords de coopération. Les entreprises préfèrent effectivement nouer des accords de coopération avec des partenaires localisés dans des pays relativement proches du leur. La distance psychique apparaît donc être perçue comme constituant un frein pour l’établissement de coopérations dans des pays plus lointains où l’accès aux réseaux relationnels des partenaires potentiels est plus difficile. En ce sens, notre analyse est cohérente avec le modèle d’Uppsala, y compris avec ses développements les plus récents portant sur l’importance des réseaux relationnels. Toutefois, nos investigations soulèvent plusieurs interrogations concernant notamment la mesure de la distance psychique (Ambos et Ambos, 2009). En effet, le lien entre les facteurs mis en avant dans le modèle d’Uppsala ne paraît pas évident. Si l’AFCM indique un lien entre le niveau moyen de difficulté linguistique et les différences de pratique des affaires, ces deux facteurs ne semblent pas liés à la distance culturelle, au risque associé au pays des partenaires et à l’orientation géographique de l’accord.

Notre analyse suggère également un lien assez marqué entre l’expérience acquise par les partenaires en matière de coopération et l’orientation géographique des accords. Ainsi, les organisations ayant acquis une forte expérience coopérative s’allient plus fréquemment avec des organisations d’Europe centrale et orientale. En revanche, l’expérience-pays semble davantage liée aux caractéristiques générales des accords qu’à son orientation géographique. Notre étude modère ainsi les résultats de Luo et Peng (1999) qui soulignaient le rôle de l’expérience-pays dans les processus d’internationalisation dirigés vers les marchés émergents.

En définitive, nos investigations empiriques soulignent le rôle central joué par certaines dimensions de la distance psychique et de l’expérience dans le processus d’internationalisation des firmes qui paraissent assez importantes dans le contexte moins étudié des marchés émergents. Elles mettent également en exergue le caractère multidimensionnel des concepts mis en évidence par l’école « suédoise » appelant à conduire d’autres travaux visant à améliorer notre compréhension de ces notions fondamentales et de leur opérationnalisation.

Conclusion

Dans un contexte mondial en mutation, de nombreuses entreprises cherchent à renforcer leur présence sur les marchés internationaux, notamment sur les marchés émergents. Notre recherche met en relief les spécificités des relations partenariales scellées en Europe centrale et orientale. Elle montre que le développement sur ces marchés répond à une logique différente de celle préconisée par le modèle d’Uppsala. La distance psychique semble certes guider le choix des pays des partenaires, mais ses liens avec d’autres facteurs liés à l’internationalisation des entreprises ne sont pas clairement établis. Les résultats de notre étude révèlent également que, si l’expérience acquise en matière de coopération est liée au choix des partenaires, l’expérience pays ne semble pas influencer l’orientation géographique des coopérations, du moins au sein de l’espace européen.

De fait, et compte tenu des spécificités des différents marchés émergents, il paraît nécessaire de mener de nouvelles recherches dans d’autres espaces géographiques que ceux habituellement envisagés par la littérature pour valider les résultats obtenus et vérifier ainsi la pertinence des modèles classiques d’analyse de l’internationalisation dans le cas des marchés non « traditionnels ». De même, il serait souhaitable d’étendre l’étude proposée à d’autres secteurs d’activité, en comparant par exemple les secteurs plus traditionnels aux secteurs à forte intensité technologique. Il est en effet possible que certains éléments du modèle d’Uppsala remis en cause par notre étude empirique continuent à s’appliquer dans certains secteurs d’activité. Enfin, à l’issue de cette recherche, il paraît tentant d’observer les préférences des entreprises en matière de coopération technologique sur des périodes plus longues afin de dégager des tendances concernant la validité des différentes dimensions du modèle d’Uppsala.