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En 2005, le gouvernement français a mis en place une nouvelle politique publique d’innovation et de développement des entreprises fondée sur la création de pôles de compétitivité. Ils sont définis comme le regroupement d’entreprises, de laboratoires de recherche et d’établissements d’enseignement établis sur un territoire donné et engagés dans une démarche de collaboration visant à créer des synergies autour de projets innovants collectifs orientés vers un ou plusieurs marché(s) donné(s). Cette définition met l’accent sur le rôle joué par la proximité géographique, offrant un accès plus facile à l’information, permettant de favoriser l’échange de connaissances et de faciliter la diffusion des innovations.

Cependant, un courant émergent de la littérature sur les clusters, la Knowledge-Based View of Clusters (e.g. Maskell, 2001) montre que la proximité géographique n’est pas toujours suffisante pour faciliter la création et la diffusion des connaissances. D’une part, elle conduit à voir dans la proximité un lien social de nature cognitive, reposant sur la construction d’un espace partagé de représentations pour que les interactions et la création de connaissances puissent se produire. D’autre part, l’organisation de ces interactions par des intermédiaires peut être nécessaire, notamment en présence d’une distance cognitive trop élevée entre les acteurs (Maskell, 2001; Nooteboom, 2009). A ce titre, Steiner et Hartmann (2006) soulignent l’importance des institutions qui favorisent et soutiennent l’effort conscient dans l’échange de connaissances au sein des clusters et plaident pour davantage de recherches sur la nature et le rôle d’instances formelles pour améliorer ce processus de création et de partage. Cette proximité où les institutions apparaissent comme une condition sine qua non à l’action collective est à rapprocher du concept de proximité institutionnelle (Talbot, 2008). En effet, cette dernière conduit à reconnaître non seulement l’importance de ressources cognitives partagées entre les acteurs mais aussi et surtout le rôle d’une structure régulatrice pour créer les conditions propices à l’émergence d’un cadre d’interaction à l’échelle collective entre des acteurs a priori hétérogènes.

Étonnamment, peu de travaux ont porté sur la manière dont la structure de gouvernance (ou d’animation) du cluster contribue à la création de nouvelles connaissances pour enclencher une dynamique vertueuse d’amélioration des capacités d’absorption (i.e. configuration des ressources, compétences, routines) des entreprises membres, notamment des petites et moyennes entreprises (PME)[1]. Les recherches sur le management des connaissances dans un contexte de PME restent d’ailleurs relativement rares (McAdam & Reid, 2001) alors que ces dernières font face à de réelles difficultés pour créer de nouvelles connaissances et pour innover. Les PME ont en effet été identifiées comme étant confrontés à des obstacles spécifiques dus à un manque de motivation et/ou de ressources (Thorpe et al., 2005; Pillania, 2008; Lee et al., 2010) qui peuvent limiter leur capacité à acquérir, assimiler, transformer et exploiter de nouvelles connaissances. A l’instar de Zahra et George (2002), nous considérons que la capacité d’absorption des connaissances (ci-après, ACAP, « absorptive capacity ») est une capacité « dynamique » au sens de Teece et al. (1997). Nous nous plaçons ainsi dans la lignée des recommandations de Bahlmann et Huysman (2008) en cherchant à identifier le rôle que peut jouer la structure de gouvernance en matière de management des connaissances dans un cluster de PME.

Dans la lignée de travaux antérieurs (notamment Bocquet et Mothe, 2009, 2010, 2013), cette recherche a pour objectif de montrer que la gouvernance peut, grâce à des actions adaptées à l’échelle du cluster, contribuer à l’augmentation des capacités dynamiques d’absorption des membres dudit cluster. Notre objectif est donc de répondre à la question suivante : « La structure de gouvernance d’un cluster peut-elle agir sur la capacité dynamique d’absorption des connaissances des PME et, si oui, comment ? »

L’article est structuré comme suit. Dans la première section, nous mobilisons les apports récents de la Knowledge-Based View of Clusters (KBVC) et de l’économie des proximités pour introduire le rôle de la (structure de) gouvernance pour créer les conditions propices à la création et diffusion des connaissances au sein du cluster (e.g. Grant, 1996; Bahlmann et Huysman, 2008). Dans la deuxième section, nous précisons le rôle de la structure de gouvernance sur l’ACAP des PME en mobilisant une conception dynamique de cette dernière. Dans la troisième section, nous présentons la méthodologie de la recherche empirique qualitative et les résultats de l’analyse du pôle de compétitivité Arve-Industries Mont-Blanc, qui a accédé aux pôles du groupe A, jugés très performants, lors de la dernière évaluation nationale de la politique des pôles[2]. Dans la dernière section, nous discutons les principales implications théoriques et managériales de nos résultats et proposons des pistes de recherches futures.

Connaissances et gouvernance des clusters

La création de connaissances au sein d’un cluster de PME : le rôle de la structure de gouvernance

Cette recherche s’inscrit dans la lignée de la KBVC (Maskell, 2001) qui a pour particularité d’assimiler le cluster à une configuration spatiale d’activités propice à la création, au transfert et à l’exploitation de connaissances. A la différence du cluster à la Porter (1990), cette approche considère que la création de connaissances à l’échelle du cluster ne dépend plus exclusivement de ses caractéristiques structurelles (i.e. division horizontale et verticale des activités) mais du contexte socio-économique et institutionnel dans lequel elle prend place (Lundvall et Maskell, 2000). La notion de connaissances ne peut donc pas être dissociée des processus sociaux et territoriaux qui sous-tendent leur création (Granovetter, 1985; Uzzi, 1996, 1997). Ainsi, les firmes qui optent pour une stratégie de co-localisation contribuent directement à la création de règles et de routines destinées à leur coordination cognitive en vue d’une action collective (Maskell and Lorenzen, 2004). La KBVC porte ainsi l’accent sur le rôle clé des institutions, entendues au sens de North (1990) qui comprend aussi bien des contraintes formelles (e.g. règles, normes), informelles (e.g. normes de comportement, de conduite), mais aussi des « infrastructures » qui résultent de politiques publiques volontaristes et de programmes d’investissement mis en place par des institutions locales publiques et/ou techniques.

Bien qu’elle se dégage d’une démarche ingéniérique du rôle des intermédiaires, la KBVC n’approfondit pas encore la manière dont ils peuvent créer de la proximité entre les organisations et contribuer ainsi à la création et au partage de connaissances dans les clusters (Bahlmann et Huysman, 2008). Or, des études empiriques (e.g. Torre et Rallet, 2005; Vale et Caldeira, 2007) mettent en évidence des obstacles à cette diffusion de connaissances, qui seraient renforcés dans le cas des clusters de PME. En effet, celles-ci adoptent souvent des comportements individualistes pour l’accès à des ressources rares telles que le travail, le capital ou les services (Maskell et Lorenzen, 2004). Leur manque de compétences managériales et de ressources cognitives limiteraient leur capacité à percevoir les possibilités de collaboration (Pillania, 2008). Lee et al. (2010) insistent notamment sur les difficultés des PME à identifier des partenaires pour l’exploration de nouvelles technologies, tels que les centres de recherche publics ou les universités. Ces difficultés seraient particulièrement fortes dans le cadre de la recherche de partenaires pour l’exploitation des technologies existantes, impliquant souvent un plus grand nombre d’acteurs, en particulier de grandes entreprises, aux pouvoirs asymétriques. De même, les PME ont souvent des difficultés à utiliser des sources externes de connaissances, même si ce type de ressources s’avère essentiel pour renouveler leurs connaissances et innover (Freel et Harrison, 2006; Pillania, 2008). La grande diversité des membres (acteurs privés et publics) et des PME elles-mêmes est un autre obstacle bien identifié pour la création de connaissances et la diffusion au sein des clusters industriels (Alberti, 2001).

Cette diversité se manifeste aussi par la distance cognitive entre ces membres. La distance cognitive (ou celle, inversée, de « proximité cognitive », Boschma, 2005) est au coeur des travaux de la KBVC développée par Nooteboom (2000) et Maskell (2001) et ceux, plus récents, de Boschma (2005), Wuyts et al. (2005), Nooteboom et al. (2007) ou Camuffo et Grandinetti (2011). Elle permet d’appréhender l’hétérogénéité des ressources entre membres du cluster, ainsi vu comme un système cognitif dans son ensemble (Camuffo et Grandinetti, 2011) au sein duquel les connaissances s’échangent et se diffusent plus ou moins facilement selon les distances cognitives entre membres. Ces éléments ne sont pas sans poser certains problèmes quant à l’intégration des PME au sein de dynamiques territoriales d’innovation, et notamment au sein de clusters. Dans ce cadre, certains travaux hérités de l’école des proximités insistent sur les limites d’une conception strictement cognitive de la coordination à travers le concept de proximité institutionnelle (Talbot, 2008). La dimension cognitive seule, si elle s’avère nécessaire, peut ne pas se suffire à elle-même, en présence notamment d’acteurs hétérogènes ou déficitaires en ressources. A cette dimension doit être ajoutée une dimension politique régulatrice pour contraindre les actions et réguler les conflits. Dans la lignée de Talbot (2008), nous présumons que la structure de gouvernance du cluster peut être créatrice de cette proximité institutionnelle (tant cognitive que politique) nécessaire à l’action collective dans les clusters de PME.

La gouvernance est appréhendée ici comme l’instance formelle régissant les actions collectives en vue de la mise à niveau du cluster (Gilsing, 2000). Elle repose sur « un processus de confrontation et d’ajustement tout à la fois de systèmes de représentations et d’actions de groupes d’acteurs proches géographiquement mais pouvant être issus de champs organisationnels et institutionnels différents en vue de la réalisation d’un projet local de développement » (Gilly et Wallet, 2001, cités par Mendez et Mercier, 2006 et Ehlinger et al., 2007). En ce sens, la gouvernance semble être aussi importante que la proximité géographique où la diffusion des connaissances et la création sont en jeu - peut-être même plus importante (Alberti, 2001). Les recherches empiriques consacrées aux pratiques de gouvernance en matière de création de connaissances et d’innovation sont rares (e.g. Ehlinger et al., 2007; Bocquet et Mothe, 2009, 2010, 2013), et vues essentiellement sous l’angle des acteurs clés (ou « pilotes ») de cette structure de gouvernance (Loubaresse, 2008; Lefebvre, 2013).

Dans la lignée de la KBVC (Bahlmann et Huysman, 2008), nous considérons que la structure de gouvernance peut faciliter la création des connaissances (Grant, 1996; Kraaijenbrink et Wijnhoven, 2008; Bocquet et Mothe, 2010, 2013; Lefebvre, 2013). Avec le recul de quelques années supplémentaires par rapport à l’émergence des pôles de compétitivité français, nous cherchons ici à savoir comment la structure de gouvernance peut, à travers l’acquisition et le développement de nouvelles connaissances (Carbonara, 2004) améliorer les capacités d’absorption, vues comme des capacités dynamiques, des PME membres du cluster.

Les capacités dynamiques d’absorption des connaissances des PME

Pour survivre aux pressions de l’environnement, les entreprises doivent reconnaître de nouvelles connaissances externes, les assimiler et les appliquer à des fins commerciales. Dans la lignée de Cohen et Levinthal (1990) et Zahra et George (2002), nous assimilons cette « capacité d’absorption » à « une capacité dynamique ancrée dans les processus et les routines de la firme » (ibid, 186). Proposé par Teece et al. (1997), le concept de capacités dynamiques désigne la capacité à intégrer, construire et reconfigurer des ressources et compétences dans un environnement turbulent. Une capacité d’absorption est donc, par essence, dynamique dans la mesure où elle vise à intégrer des connaissances nouvelles pour permettre à l’entreprise de reconfigurer son stock de ressources dans un environnement de plus en plus concurrentiel et en changement permanent – et ce quel que soit le secteur d’activité.

La capacité d’absorption[3] repose sur quatre dimensions qui présentent la particularité de se combiner et de s’auto-développer :

  • la capacité d’absorption potentielle (PCAP) comprend l’acquisition des connaissances et leur assimilation, et capte donc les efforts pour identifier et acquérir de nouvelles connaissances externes, puis pour les assimiler. Ces entreprises peuvent sans cesse renouveler leur stock de connaissances, mais peuvent subir des coûts d’acquisition sans obtenir les avantages relatifs à l’exploitation desdites connaissances;

  • la capacité d’absorption réalisée (RCAP) comprend la transformation et l’exploitation des connaissances. L’entreprise tire de nouvelles opportunités de la combinaison entre connaissances existantes et connaissances nouvellement acquises, puis intègre ces connaissances transformées dans ses opérations courantes (Zahra et George, 2002).

Le modèle théorique de Datta (2011) suggère que l’acquisition de connaissances provenant de diverses sources externes amplifie les capacités d’absorption potentielle et réalisée des firmes. Cependant, alors que la capacité d’absorption potentielle peut être encouragée par diverses sources et par des mécanismes informels, la capacité d’absorption réalisée exige des mécanismes formels de transformation des connaissances. Ce type de mécanisme, souvent étudié dans les grandes entreprises, et parfois au sein de réseaux d’innovation (Ferrary, 2008), n’est pas nécessairement présent dans les PME. Pour ces entreprises, des intermédiaires s’avèrent souvent nécessaires pour renforcer lesdites capacités d’absorption. Lee et al. (2010) développent un modèle de collaboration qui met l'accent sur le rôle clé joué par une association pour soutenir les stratégies d’innovation ouverte de PME aux compétences spécialisées et complémentaires. Ce modèle « intermédié » a contribué au développement de réseaux de PME qui se sont traduits par des capacités d’innovation des PME renforcées. Pour Spithoven et al. (2011), cet intermédiaire correspond à des institutions de recherche collectives, qui permettent aux entreprises d’analyser le marché des technologies, de développer leur capacité à absorber la technologie acquise et, plus généralement, de développer leur capacité d’absorption de connaissances externes.

La capacité d’absorption limitée des PME peut les mettre dans une situation critique dans la mesure où les entreprises ayant un niveau plus élevé de capacité d’absorption (notamment des connaissances externes) gèrent plus efficacement les flux, obtiennent des résultats innovateurs et un avantage concurrentiel (Escribano et al., 2009). Dans la même lignée, Lazaric et al. (2008) étudient la manière dont les systèmes locaux d’innovation favorisent la diffusion localisée des connaissances. Ils soulignent le rôle des « gardiens (gatekeepers) de la connaissance » sur la capacité d’absorption potentielle (PCAP), sa réalisation effective (RCAP) exigeant des efforts supplémentaires de la part des entreprises. Par ailleurs, Nooteboom et al. (2007) ont trouvé une relation inverse entre la distance cognitive et la capacité d’absorption. Lefebvre (2013), analysant la distance cognitive « optimale » (Nooteboom et al., 2007) indique qu’il y a plusieurs formes possible d’intermédiation de l’innovation dans les clusters, selon le type de proximité/distance relationnelle et cognitive entre membres du cluster d’une part, et entre ces acteurs et l’intermédiaire d’autre part. Nous nous situons dans la lignée de ces travaux en analysant le rôle des intermédiaires pour aider les PME à renforcer leurs capacités d’absorption et d’innovation, en considérant une forme possible d’intermédiation, à savoir la structure de gouvernance du cluster. L’étude empirique qui suit examine la manière dont cette gouvernance contribue à développer la capacité dynamique d’absorption, tant potentielle que réalisée, des entreprises. Dans la lignée de Zahra et Georges (2002), nous portons l’accent sur l’aspect dynamique de cette capacité d’absorption, qui suggère le caractère combinatoire et auto-entretenu, voire auto-renforçant, des 4 dimensions sous-jacentes (acquisition, assimilation, transformation, exploitation).

Le rôle de la structure gouvernance d’arve-industries sur les capacites dynamiques d’absorption des PME membres

Contexte de la recherche

Arve-Industries Mont-Blanc est un pôle de compétitivité composé principalement de PME françaises situées dans la région Rhône-Alpes. Ce pôle comprend (au 30 septembre 2012) 280 entreprises adhérentes (dont 95 % de PME), 28 laboratoires publics, 30 laboratoires privés, 12 centres de formation technique, 14 acteurs territoriaux et 13 municipalités. Spécialisé dans l’usinage de haute précision et la mécatronique, il a été considéré, dans la dernière évaluation nationale des pôles de compétitivité (été 2012), comme l’un des 20 pôles classés dans la catégorie « très performants ». Les entreprises sont situées dans l’ancien Système Productif Local (SPL) de la Technic Valley, un territoire de 800 PME fortement impliquées dans la sous-traitance industrielle. Les entreprises membres possèdent des compétences diverses : découpage, mécanique de précision, assemblage, traitement de surface des matériaux, précision de broyage.

Arve-Industries constitue un terrain particulièrement adapté pour notre objet de recherche. D’une part, il a été créé à l’initiative des politiques du département de la Haute-Savoie afin de créer une nouvelle dynamique pour l’ancienne Technic Valley, dans un contexte où « la sous-traitance industrielle doit évoluer et s’adapter à un environnement concurrentiel turbulent[4] ». Déjà en 2007, les entreprises devaient faire face à d’importantes mutations, notamment une concurrence accrue des pays émergents (asiatiques) et de nouvelles exigences des donneurs d’ordre en matière de transfert de connaissances et d’innovation. Dans ce contexte, les capacités dynamiques d’absorption des PME apparaissent bien comme une condition nécessaire à leur adaptation. D’autre part, la structure de gouvernance, principalement composée d’institutions publiques locales, est appelée à jouer un rôle majeur (cf. Annexe 1). En effet, les membres de la gouvernance, tant stratégique (Conseil d’Administration et Bureau Exécutif) qu’opérationnelle (Comité de Direction, CODIR), dont la composition présente une grande stabilité dans le temps, sont majoritairement issus de l’ancien SPL. Ils connaissent bien les difficultés des PME et sont convaincus qu’elles ne peuvent opérer seules cette adaptation.

La question de savoir « qui » doit gérer la création de connaissances ne se pose pas, tant les membres de la gouvernance savent que, dans le cas d’un pôle dans l’héritage d’un district industriel, ils sont les seuls à pouvoir jouer ce rôle essentiel. Toutefois, dès 2008, le choix d’une équipe d’animation organisée sur la base d’une petite équipe a été renforcé par le recours à différents acteurs possédant des domaines d’expertise complémentaires. Parmi ces partenaires, on note le Centre Technique du Décolletage (CTDEC), l’agence départementale de l’innovation (Thésame), l’Observatoire Stratégique de la Sous-Traitance (OSST), la CCI, la CMA et dans une moindre mesure l’Université de Savoie. Cette articulation des actions de la gouvernance aux autres acteurs de l’innovation et du développement économique traduit une ambition forte du pôle de « coller au concept de macro-entreprise en réseau. On a donc une sensibilité particulière à la gestion des connaissances » (JB, Thésame, 2012).

Méthodologie de la recherche

Cette recherche est de nature qualitative, exploratoire, et repose sur des entretiens semi-directifs et des données secondaires. La stratégie empirique a été conçue pour saisir non seulement les perceptions des membres de la gouvernance du pôle mais aussi de celles de PME ayant pu bénéficier de ses actions au cours de la période étudiée. Concernant les membres de la gouvernance du pôle, deux séries d’entretiens ont été conduites en 2008 et en 2012. Ces entretiens ont couvert de manière longitudinale d’abord les 3 premières années d’existence du cluster, puis les 4 suivantes. La plupart des membres du CODIR ont été interrogés (7 personnes sur 10) ainsi que 7 membres du Bureau exécutif (sur 17) et 5 chefs de projets, et ce à 2 reprises et à 4 ans d’intervalle. Ces entretiens semi-directifs, d’une durée de 2 heures en moyenne, ont été conduits en face-à-face, retranscrits et validés par tous les répondants (cf. le guide d’entretien en Annexe 2). Pour le codage, nous nous sommes appuyés au départ sur le codage thématique ouvert afin d’identifier les catégories et principaux thèmes issus de la littérature : émergence du cluster, organisation de la gouvernance et rôles des membres, projets / actions mis en oeuvre pour soutenir les processus de management des connaissances et d’absorption desdites connaissances par les PME, impact sur les entreprises membres (et mesures desdits impacts en 2012, mesures non disponibles à l’époque des premiers entretiens en 2008). Ensuite, nous avons analysé les données de façon séquentielle, en utilisant une combinaison des procédures de codage (manuel) indiquées par Miles et Huberman (1994). Pour tester la fiabilité, nous avons réalisé un double codage d’un tiers des entretiens, choisis au hasard (Miles et Huberman, 1994) et testé la fiabilité inter-codeurs en déterminant si les deux chercheurs avaient codé de manière similaire et affecté les verbatims aux mêmes thèmes. Le taux de fiabilité inter-codeur, calculé selon Miles et Huberman (1994) (nombre d’accords/ [nombre total d’accords + désaccords]), a atteint 89 %, ce qui est satisfaisant. En outre, afin de résoudre toute divergence d’opinion, nous avons demandé à un troisième codeur[5] pour analyser les 11 % de désaccords afin de choisir le code approprié.

Des données secondaires ont également été utilisées : extraits de presse, sites Web du gouvernement sur les pôles de compétitivité et d’Arve-Industries, évaluations nationales des pôles de compétitivité (en 2005-2008 et 2009-2012), articles et communications scientifiques sur les pôles de compétitivité lors de conférences, données internes du pôle. Une triangulation des données primaires et secondaires a été réalisée afin de mettre en évidence les caractéristiques du cluster et de vérifier les différentes données présentes sur le site du gouvernement et sur le site d’Arve-Industries.

Les entretiens auprès des PME labellisées ont été réalisés en novembre 2013. Les 8 PME interrogées font partie des 25 entreprises qui ont suivi, entre 2009 et 2013, le programme de labellisation Mont-Blanc Excellence Industries. Les PME labellisées présentent des caractéristiques similaires en termes de taille, de taux d’implication et de performance à celles des membres du pôle. Créé en 2009, ce programme transversal a pour particularité de permettre aux PME, sur la base d’un diagnostic à 360°, de s’engager dans un parcours d’excellence et d’accéder ainsi aux six programmes du pôle pour combler leur déficit de connaissances dans les champs identifiés[6]. La sélection des PME a été opérée selon des critères de taille, de leur taux d’implication dans les actions du pôle et de la date de leur labellisation (cf. annexe 3). La méthodologie pour le codage et la triangulation des données est similaire à celle décrite ci-avant. La seule différence porte sur la thématique abordée, plus centrée sur la mesure de la capacité d’absorption des PME, avant et après leur entrée dans le programme de labellisation, pour évaluer plus précisément le rôle de la gouvernance en matière de création de connaissances. Dans la lignée de Flatten et al. (2011), nous avons privilégié une mesure multidimensionnelle de la capacité d’absorption. Une telle mesure permet de concevoir la capacité d’absorption non plus comme une ressource statique (centrée sur l’existence et/ou l’intensité de la R&D) mais comme une capacité dynamique.

La méthodologie mise en oeuvre est unique et diffère de celles utilisées dans les recherches antérieures sur les clusters, qui ignorent largement les intermédiaires, à savoir les acteurs de la gouvernance. De plus, le grand nombre d’entretiens réalisés et l’adoption d’une approche multi-acteurs nous a permis de limiter le biais potentiel classique lié aux méthodes basées sur les seules perceptions des membres de la gouvernance. Ce type de méthodologie a également pour avantage de contrôler si les différents acteurs partagent une vision commune en termes d’objectifs, d’actions et de résultats des actions.

Résultats

Nos entretiens révèlent que la gouvernance a un rôle clé dans l’amélioration de la capacité d’absorption, tant potentielle que réalisée. Au sein de chaque programme, la gouvernance s’efforce d’être présente sur toutes les phases de la capacité d’absorption, que ce soit de manière directe (à travers l’implication d’un membre de la gouvernance) ou indirecte (en faisant intervenir des consultants extérieurs), notamment pour les projets de R&D. Selon les actions, l’objectif se porte plutôt sur l’acquisition de connaissances, plutôt sur l’exploitation ou sur les deux. Par exemple, le premier projet FUI (Fonds Unique Interministériel) visait à développer une technologie permettant d’augmenter de 30 % les gains de productivité des entreprises engagées. Au terme du projet, une action collective (Scoup) dans le cadre du programme usinage de haute précision a été lancée, réunissant une centaine de PME auxquelles les résultats ont été exposés (phase d’acquisition de connaissances sur le couple outil/matière). Ensuite, une action de conseil personnalisé dans les entreprises (environ 40) a pris le relais, menée par la gouvernance (à travers le CTDEC, Centre Technique du Décolletage, principalement) pour recaler et régler les machines; enfin, dernière étape, une vingtaine de PME ont loué l’appareil de réglage pour utiliser la technologie en toute autonomie. On voit bien là que, si le nombre de PME baisse au fur et à mesure que les connaissances doivent être exploitées, témoignant du fait que toutes les entreprises ne parcourent pas toutes les étapes de la capacité d’absorption, l’intention de la gouvernance est très claire : « on veut accompagner les entreprises sur toutes les phases – et sur toute la chaîne de valeur de Porter » (JMA, Directeur général, 2012).

Si certaines actions sont exemplaires et rentrent dans la droite lignée des projets de R&D collaboratifs souhaités initialement par l’Etat lors de la mise en place de la politique des pôles de compétitivité[7], la spécificité du pôle est d’avoir toujours privilégié une approche large et englobante de l’innovation[8]. En effet, sa mission est d’aider les entreprises sur tous les aspects de leur activité – et pas uniquement en matière de R&D, les projets collaboratifs en R&D restant souvent difficiles à intégrer pour des PME, notamment de sous-traitance industrielle (ces entreprises représentent 52 % des effectifs du pôle). Ces actions exemplaires illustrent que le pôle est devenu « une macro-entreprise qui permet de mutualiser des compétences et des connaissances au bénéfice de ses adhérents » (JMA, Directeur général, 2012)[9].

Forts de ces premiers résultats, les membres de la gouvernance du pôle ont souhaité aller plus loin avec la mise en place du label Mont-Blanc Excellence Industries en 2011 :

Le label et un parcours de croissance; c’est la couche chapeau qui permet à la gouvernance d’être prescripteur de l’offre de services du pôle. Il est basé sur un diagnostic à 360° de l’entreprise, en recherchant en permanence, i.e. tous les 2 mois, le bon avancement de la feuille de route que l’entreprise a contractualisée avec le pôle. Tous les 2 ans, un nouveau diagnostic complet de l’entreprise est réalisé pour évaluer précisément l’impact des actions mises en oeuvre

JMA, Directeur général, 2012

L’objectif n’est donc plus seulement d’augmenter les capacités d’absorption des entreprises à partir d’actions collectives, individuelles ou de projets collaboratifs dédiés, mais de créer une véritable « dynamique apprenante » (Josserand, 2007), basée sur la transversalité des actions et des projets qui faisait encore défaut en 2008 :

Les progrès et les innovations majeures viendront dans la transversalité qui reste à construire. Ça viendra en temps et en heure, il n’y a pas d’outils supports pour gérer cette transversalité maintenant

JB, Thésame, 2008

Le label Mont-Blanc Excellence Industries[10] est une démarche de progrès basée sur un diagnostic à 360° autour de cinq thématiques clés[11] (cf. schéma 1 ci-après) pour chaque entreprise qui souhaite l’adopter. Sur la base de ce diagnostic, une feuille de route est établie en concertation avec l’entreprise, avec des objectifs et des moyens nécessaires à la démarche de progrès et adaptés à la stratégie de l’entreprise.

Figure 1

Le label Mont-Blanc Excellence Industries

Le label Mont-Blanc Excellence Industries

-> See the list of figures

Ce dispositif est étroitement associé à un processus de changement organisationnel et de reconfiguration des ressources et compétences de l’entreprise dans une démarche d’amélioration continue. Une étape claire est donc franchie vers la reconfiguration permanente des ressources et connaissances de l’entreprise. Avec le suivi étroit réalisé par la gouvernance du pôle au travers d’un chargé de mission, l’entreprise s’engage sur toutes les phases de la capacité d’absorption, jusqu’à l’exploitation, puisque c’est bien en termes de résultat et d’impact que l’entreprise sera évaluée – en fonction des engagements pris :

Pour le label, il y a clairement un raisonnement en termes d’impact. C’est un outil à la fois systématique et systémique car il couvre les 5 leviers de croissance des PME. Il vise à fournir des dispositifs pour que les entreprises puissent progresser selon leur feuille de route. (…) La grande différence entre le label et les actions menées au sein du pôle c’est qu’il y a une identification précise du besoin par le 360° : les formations et dispositifs proposés sont donc adaptés; et il y a un suivi. Pour les autres entreprises, les membres du Codir certes essaient d’identifier les besoins des entreprises, mais c’est évidemment beaucoup moins précis, cela repose sur le « coup d’oeil » du Codir

JMA, directeur général, 2012

La performance est évaluée selon une note (correspondant à la moyenne des notes obtenues dans les 5 thématiques) et un nombre d’étoiles associé qui permet à l’entreprise de se positionner par rapport aux autres selon différents critères (taille, secteur d’activité, marchés, etc.). Le renouvellement de la labellisation a lieu tous les 2 ans, avec des objectifs réajustés en fonction de la performance atteinte. La note finale de l’entreprise est toujours basée sur la note la plus basse obtenue au regard des différents thèmes, de manière à renforcer la dynamique d’apprentissage et d’excellence.

La labellisation étant conditionnée par l’engagement de l’entreprise à réaliser ce plan d’action, elle assure, par son principe même, un objectif de développement de ses capacités dynamiques. La gouvernance joue un rôle clé dans ce processus dans la mesure où, du diagnostic à la mise en place des actions, en passant par le conseil, l’entreprise bénéficie d’un accompagnement personnalisé par le chargé de mission label. Pour elle, il identifie et mobilise les dispositifs, les aides et les réseaux nécessaires à son chemin de progrès, la gouvernance se positionnant alors clairement en tant qu’intermédiaire mettant à disposition de l’entreprise les expertises nécessaires qu’elle aura identifiées.

Outre les bénéfices individuels, la gouvernance a aussi cherché, par ce label et le réseau qui en résulte, à renforcer les capacités dynamiques au niveau collectif. En effet, toutes les entreprises labellisées ont accès au Club d’excellence. Lieu d’échanges et de rencontres autour des thématiques stratégiques des entreprises industrielles, ce club vise à développer les synergies et à renouveler les critères du diagnostic :

Il y a une amélioration continue du dispositif lui-même ! Le gros avantage du Club d’excellence, c’est qu’il y a à la fois des processus top down, mais aussi bottom up avec une possibilité, du coup, d’amélioration et de faire remonter des idées de programmes et d’actions

JMA, Directeur général, 2012

A ce jour, 25 entreprises PME ont adopté le label, soit au cours du premier cycle de labellisation (2009-2011), soit au cours du second (2011-2013). Compte tenu du recul suffisant, nous avons cherché à identifier, auprès des PME labellisées elles-mêmes, l’effet de ce dispositif sur leur capacité d’absorption et le rôle joué par la gouvernance du pôle. Pour ce faire, nous avons adapté la mesure multidimensionnelle et dynamique de Flatten et al. (2011), aujourd’hui bien stabilisée, à notre objet d’étude, à savoir les PME d’Arve Industries.

Deux résultats principaux sont à mettre en évidence. D’une part, à l’échelle individuelle et pour l’ensemble des PME interrogées, le programme de labellisation a amélioré leur capacité dynamique d’absorption au regard de la note obtenue avant et après leur entrée (cf. Annexe 4). Toutefois, les résultats montrent un effet différencié du dispositif selon le niveau de « maturité organisationnelle » des PME. Ainsi, si le programme de labellisation a permis d’acquérir et d’assimiler des connaissances en levant des verrous technologiques pour les PME les moins avancées, il a surtout contribué à la transformation et l’exploitation des nouvelles connaissances par l’adaptation de l’organisation interne et une mise en réseau des entreprises les plus avancées. D’ailleurs, il est intéressant de noter que les premières ne profitent pas de la dynamique collective comme les secondes (via le club d’excellence ou les actions de mutualisation), voyant là « de réelles difficultés pour y adhérer » (Pa, 2013) tant leur capacité d’absorption diffère de celles des autres. Seules les PME ayant un certain niveau de « maturité » avouent être entrées dans une dynamique auto-entretenue et auto-renforçante des 4 dimensions sous-jacentes, via notamment une logique coopétitive :

Les échanges. Ce que l’on recherche maintenant, c’est une complémentarité avec les autres. Il n’y a pas de réelle concurrence, c’est de la coopétition. Tout ce qui est fait par la gouvernance nous a permis d’enrichir notre vision (...) Le label, ça a resserré les liens, avec des idées de développement commun de nouveaux prototypes et produits

M, 2013

La confiance se crée entre les confrères, les échanges de connaissances, de bonnes pratiques et les visites réciproques. Le label, c’est l’essence du pôle

R, 2013

De l’avis des PME interrogées, le rôle joué par les membres de la gouvernance s’avère clé dans le dispositif. « Le chargé de mission offre un regard extérieur à 360° sur sa propre entreprise » (LP, 2013) et « d’intégrer une référence unique pour s’identifier encore mieux, dans laquelle on se reconnait » (L, 2013). Toutefois, la question de savoir « comment cet outil pourra être animé à l’avenir » reste posée. En effet, le manque de renouvellement de la gouvernance peut être « un obstacle au réseautage. Le risque est de se regarder un peu trop le nombril » (LP, 2013).

Selon les prévisions de la gouvernance du pôle, 32 entreprises seront labellisées au 1er janvier 2014. Cela ne signifie pas que 100 % des membres vont pouvoir bénéficier du label à terme. Conformément aux propriétés dynamiques du dispositif, il doit rester un label d’excellence et intégrer progressivement une montée des exigences sur les critères définis, à l’image des entreprises qu’il accompagne. Les critères vont d’ailleurs eux-mêmes évoluer en fonction de la montée en puissance des entreprises qui composent le label. Ce sont donc ici les capacités dynamiques accrues des entreprises labellisées qui vont jouer sur la capacité dynamique de la gouvernance du pôle à se renouveler et à assurer le degré d’ouverture et d’expertise nécessaires via de nouveaux programmes pour répondre aux besoins des PME.

Discussion et conclusion

Notre recherche montre que la gouvernance du pôle Arve-Industries a un rôle clé sur les capacités dynamiques d’absorption des entreprises membres. Le « bon résultat » obtenu par le pôle de compétitivité en termes de positionnement national lors de la récente évaluation gouvernementale (été 2012) n’est pas seulement à rechercher dans la capacité de la gouvernance à mettre en oeuvre un management des connaissances adapté au contexte d’émergence du cluster et aux caractéristiques de ses membres. Il témoigne surtout de la capacité de la gouvernance à faire évoluer les routines des entreprises par la mise en place d’un certain nombre de programmes et d’actions collectives et individuelles et, plus récemment, d’un label d’excellence fédérateur. Ce label présente des propriétés intéressantes dans la mesure où il intègre une double logique d’incitation et de contrôle. Il permet à la gouvernance, qui apparaît comme très soudée et volontariste, de jouer un rôle essentiel d’intermédiaire, « indispensable quand vous avez à faire avec des PME, qui plus est de sous-traitance » (AM, membre du CODIR, 2012), qui fédère et relie les entreprises avec les principaux acteurs en termes d’innovation et de développement territorial.

Les effets bénéfiques de l’appartenance au pôle de compétitivité sont donc liés non seulement à la proximité géographique, associée à des effets d’agglomération (externalités positives), mais aussi une proximité institutionnelle (Boschma, 2005; Talbot, 2008), c’est-à-dire un espace commun de représentations et de règles d’actions créées par l’institution, que la gouvernance a réussi à créer. A la différence de la proximité cognitive, l’institution devient une condition sine qua non à la coordination entre acteurs hétérogènes en tant que structure régulatrice. Ce type de proximité se manifeste aujourd’hui, 6 ans après la création du pôle Arve-Industries, par l’expression d’une dynamique collective : « les entreprises commencent à s’autonomiser et à se rencontrer et à échanger en dehors des actions du pôle » (JMA, Directeur général, 2012). La structure de gouvernance avait compris que le manque de compétences et de ressources limitait les capacités des PME membres à percevoir les possibilités de collaboration (Pillania, 2008). Aujourd’hui, avec près de 300 entreprises membres, la gouvernance a su montrer tout le bénéfice que les entreprises pouvaient tirer de leur participation aux actions orchestrées par le pôle, notamment en termes d’accroissement de leurs capacités dynamiques d’absorption. En effet, la gouvernance intervient aux différents stades de la capacité d’absorption, aidant non seulement les entreprises à acquérir de nouvelles connaissances (capacité d’absorption potentielle) mais aussi et surtout en s’impliquant pour qu’elles soient en mesure d’exploiter lesdites connaissances (capacité d’absorption réalisée). Dans le prolongement de Lee et al. (2010), nous montrons que la gouvernance a pris conscience que l’implication des PME dans les actions collectives était faible, notamment au stade de l’exploitation des technologies. Son intervention, en tant qu’acteur neutre, a permis de créer un climat de confiance pour renforcer significativement les collaborations à ce stade. Les succès récents des PME membres en termes de commercialisation de leur innovation, en France comme à l’étranger, témoignent de ce rééquilibrage.

Avec le label, la gouvernance est allée un peu plus loin dans l’aide portée aux entreprises pour accroître leur capacité d’absorption, la rendant, par l’évaluation constante, le changement organisationnel et l’amélioration continue qui leur est demandée, totalement dynamique (dans tous les sens du terme). Ce que la gouvernance a parfaitement compris, c’est que l’innovation technologique ne suffit pas, en particulier dans un pôle de croissance. « Arve-Industries a su affirmer ses spécificités par rapport aux usines à projets » (AM, membre du CODIR, 2012). En cela, la gouvernance a intégré rapidement une définition élargie de l’innovation et a su identifier les différents facteurs qui contribuent à renforcer les capacités dynamiques des entreprises : la capacité à innover, certes, c’est à dire à mettre sur le marché des nouveaux produits et services, mais aussi, pour compléter Eisenhardt et Martin (2000), la capacité à absorber de nouvelles connaissances, quelles qu’elles soient (managériales, technologiques, financières, juridiques, commerciales). Pour des PME comme celles qui constituent le pôle Arve–Industries et, de manière plus large, le tissu industriel français, cette capacité d’absorption (potentielle ET réalisée) est clé. Et il faut les aider « pour qu’elles sortent de leur rôle de sous-traitant et aillent chercher une dimension innovation » (DD, membre du CODIR, 2008). Nos résultats vont ainsi dans le sens des conclusions de Spithoven et al. (2011) sur l’importance de tierces parties pour aider les PME à renforcer leurs capacités d’absorption. Nous avons ici franchi un pas de plus en montrant comment, concrètement, la structure de gouvernance s'y prend, quelles actions elle met en place, pour aller dans ce sens.

Notre contribution, tant théorique qu’empirique et managériale, porte ainsi sur la démonstration que le rôle de la gouvernance peut aller au-delà du développement et de la « simple acquisition » de nouvelles connaissances (Carbonara, 2004) nécessaires à l’innovation. Nos résultats montrent l’existence d’un modèle de management « intermédié » de connaissances qui se traduit par des capacités dynamiques accrues dans le cluster étudié. Ce modèle est toutefois spécifique dans la mesure où il s’adapte en fonction du niveau de maturité des entreprises, les entreprises « leader » faisant elles-mêmes progresser l’outil (le label en l’occurrence). Aussi, le rôle classique d’intermédiaire (Lee et al., 2010; Spithoven et al., 2011), c’est à dire de mise en relation des entreprises membres entre elles, avec les expertises nécessaires et des organismes de recherche pour les projets de R&D, s’avère tout à fait adéquat pour les entreprises au niveau de « maturité » avancé. En revanche, un rôle d’intervention plus « directe », où les membres de la structure de gouvernance viennent mettre en place dans les PME certains résultats (e.g. nouvelle machine de tolérancement, nouveaux procédés industriels.) sont encore nécessaires pour certains membres moins avancés en termes de « maturité organisationnelle ». Ces résultats peuvent être transposés à de nombreux types de clusters dans différents pays, mais aussi de réseaux, notamment à tous ceux ayant adopté une structure de « Network Administrative Organization » (Provan et Kenis, 2008).

Différentes recherches pourraient être menées dans le futur pour prolonger cette recherche : d’une part, l’étude de cas unique ne permettant pas une généralisation des résultats, il conviendrait d’affiner le lien entre les modalités d’intervention (notamment directe versus indirecte) de la structure de gouvernance et la composition (en termes de nature des membres impliqués) de cette dernière. D’autre part, l’évolution de cette intervention nous semble aussi constituer une piste de recherche intéressante : en effet, si les membres de la gouvernance vont directement dans les PME pour augmenter leurs capacités d’absorption réalisées, c’est essentiellement pour inciter ces entreprises à « monter en gamme » en leur fournissant des preuves tangibles de l’intérêt des coopérations et, plus largement, des différents programmes et actions, menés au sein du pôle. La gouvernance vise ainsi à développer l’autonomie des PME et à les entraîner dans un « cercle vertueux » de l’amélioration des connaissances, d’une meilleure capacité d’absorption. Aussi peut-on supposer (d’après les entretiens menés) que, dès lors que ces PME (qui, rappelons-le, sont essentiellement des sous-traitants traditionnels – de capacité ou de spécialité- dans le domaine du décolletage) auront acquis une certaine capacité d’absorption, les membres de la gouvernance pourront se concentrer sur leur rôle d’intermédiaire et d’animation. Le rôle de la structure de gouvernance évoluerait ainsi en fonction de l’évolution des capacités d’absorption des membres du cluster.

Cette évolution se ferait aussi par rapport à celle de la distance cognitive entre les entreprises « intermédiées » (Lefebvre, 2013). Aussi de futures recherches pourraient-elles mieux appréhender ce rôle d’intermédiaire sur la proximité/distance cognitive au sein du cluster, dans la lignée des travaux de la KBVC (e.g. Maskell, 2001; Nooteboom et al., 2007). Enfin, l’intermédiation pourrait être étudiée de manière plus fine au niveau des projets de R&D, en comparant non seulement les modalités utilisées par les membres de la gouvernance pour des projets anciens et actuels d’une même entreprise, mais aussi la manière dont les relations interpersonnelles influent sur ces projets (au niveau processuel, i.e. de l’origine du projet jusqu’à son aboutissement, mise sur le marché du produit ou utilisation d’un nouveau procédé en interne).

Les résultats obtenus permettent ainsi d’enrichir l’approche, encore émergente, de la KBVC (Bahlmann et Huysman, 2008). Si le manque de recul sur le label d’excellence ne permet pas encore d’évaluer les impacts de ce dispositif en termes de performance, sa diffusion rapide auprès de nouveaux membres peut fournir un indicateur indirect de son rapport coûts/avantages perçus. Ces résultats sur le rôle d’un intermédiaire pour augmenter les capacités dynamiques individuelles et, dans une moindre mesure certes, collectives, ont d’importantes implications managériales, tant pour la gouvernance des clusters de PME que pour les responsables des politiques publiques. Car, à ne pas en douter, la clé de la performance d’un pôle de compétitivité réside dans le fait que la structure de gouvernance s’adapte aux spécificités des entreprises membres pour dynamiser les relations inter-organisationnelles et les performances, tant individuelle que collective.