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Dans le domaine de l’entrepreneuriat, on a assisté ces dernières années à une augmentation notable des recherches portant sur l’accompagnement et l’efficacité de ses différentes formes (Chabaud et al., 2010; Ben Mahmoud-Jouini et al. 2010; Messeghem et al, 2010). Pour la plupart des auteurs, les entreprises en création qui bénéficient d’un accompagnement ont des taux de survie supérieurs à celles qui ne sont pas accompagnées (Deakins et al., 1998; Gartner et al, 1998; Cull, 2006). L’accompagnement présente en effet plusieurs vertus. « En sus de donner des armes intellectuelles pour mieux apprendre, comprendre et entreprendre, il favorise l’ouverture d’esprit des accompagnés au travers notamment d’une investigation de l’environnement plus pertinente et mieux maîtrisée » (Chabaud et al., 2010, p 16). Pour autant, si les travaux sont de plus en plus nombreux dans le cadre des créations d’entreprise ex nihilo, très peu de recherches sont consacrées à l’accompagnement « repreneurial » (Deschamps et al, 2010; Toumani-Uk, 2011), notamment dans la phase dite « du management post-reprise ». L’accompagnement de cette forme particulière d’entrepreneuriat[1] est pourtant devenu, depuis le début des années 2000, une préoccupation majeure des institutions publiques de nombreux pays, que ce soit en Europe, au Canada ou au Japon (Murakami et al, 2012). Dans ces pays, la démographie des propriétaires-dirigeants d’entreprises génère des enjeux économiques et sociaux importants : il s’agit d’assurer la relève du tissu économique, sauvegarder les emplois et les savoir-faire[2]. En outre, le fait qu’une entreprise ait effectivement été transmise à un nouveau propriétaire n’assure pas pour autant sa pérennité. Les statistiques disponibles font état de taux d’échec relativement élevés de ce type d’opérations après le « closing » (Miller et al., 2003; Oseo BDPME, 2005, Ministère de l’Economie et des Finance, 2008)[3], soulignant ainsi les nombreuses difficultés rencontrées par un repreneur individuel[4] lorsqu’il doit diriger et faire fonctionner une entité qu’il n’a pas créée.

Parmi les différentes formes d’accompagnement à la création ex nihilo, celles qui se veulent personnalisées (mentorat, coaching…) semblent de plus en plus privilégiées (Simard et Fortin, 2008; St-Jean, 2010). Elles permettent en effet de transférer au créateur les connaissances et savoir-faire spécifiques dont il a besoin pour mettre en oeuvre son projet, par nature unique, de création d’entreprise (McGregor et Tweed, 2002). Devant l’hétérogénéité des opérations de reprises d’entreprises, celles-ci étant menées par des repreneurs aux profils variés, qui achètent des entreprises de tailles, de secteurs d’activité et d’histoires tout aussi différents, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence d’une transposition de ces formes d’accompagnement personnalisées aux situations de management post-reprise. Les questions de recherches qui sous-tendent cet article sont donc les suivantes : dans quelle mesure un accompagnement personnalisé du type tutorat peut-il être à même de diminuer les difficultés rencontrées par les repreneurs individuels une fois parvenus à la tête de l’entreprise achetée ? Dans quelles situations et pour quels types de repreneurs cet accompagnement s’avère-t-il le plus adapté ?

S’appuyant sur un projet test réalisé à l’échelle européenne sur un échantillon de 889 repreneurs individuels, cet article montre que des dispositifs d’accompagnement personnalisés tels que le tutorat, fondés sur un transfert de connaissances entre un accompagnant et son accompagné, permettent effectivement de diminuer les difficultés perçues par ce dernier dans son processus de management post-reprise. Il montre cependant que les bénéfices de l’accompagnement personnalisé dépendent fortement du profil et de l’expérience du repreneur, ainsi que des spécificités de son entreprise et du mode de reprise. Ce faisant, cet article permet d’enrichir la littérature sur l’accompagnement entrepreneurial et débouche sur des pistes à suivre pour mieux accompagner les repreneurs.

Dans une première section, nous proposons une revue de la littérature sur l’accompagnement du repreneur qui fait apparaître les besoins spécifiques de cet acteur et les lacunes qui restent à combler, tant du point de vue théorique que pratique. Une seconde section présente la nature de nos données, collectées à travers l’Europe dans le cadre d’un dispositif expérimental. Dans la troisième section, nous testons statistiquement l’efficacité de cet accompagnement, en montrant qu’elle dépend de divers facteurs, liés aux caractéristiques de l’entreprise et à celles du repreneur, ainsi qu’au mode de reprise. Enfin, nous discutons les résultats, en mettant en évidence les principaux enseignements de l’étude empirique au regard des recherches antérieures.

Comment accompagner le repreneur après la reprise ?

Afin d’effectuer le cadrage théorique de cette recherche, on identifie tout d’abord les besoins spécifiques des repreneurs en phase de management post-reprise et donc les apports potentiels d’un accompagnement personnalisé. On s’interroge ensuite sur l’intérêt éventuel du tutorat comme forme d’accompagnement personnalisé.

Les difficultés rencontrées par le repreneur après la reprise 

La reprise d’entreprise est un processus constitué de quatre phases (Picard et Thévenard-Puthod, 2004; Cadieux et Deschamps, 2011) démarrant bien avant la signature de l’acte de vente et se terminant plusieurs mois voire années après cette dernière. Ces quatre étapes sont : la préparation du repreneur (qui inclue la recherche de l’entreprise à acquérir et la réunion des moyens financiers à mettre en oeuvre), l’accord (négociation financière et juridique avec le cédant et signature de l’acte de transfert de propriété), la phase de transition avec le cédant (parfois très réduite voire inexistante) et le management post-reprise. Dans cette dernière phase, le transfert de propriété et de direction de l’entreprise a eu lieu (Cadieux et Brouard, 2009) et le repreneur se retrouve seul aux commandes de l’entité achetée[5]. Alors que les dispositifs d’accompagnement et les travaux académiques ont longtemps été focalisés sur les difficultés rencontrées lors des deux premières phases du processus (Deschamps, 2002), des recherches plus récentes ont mis en valeur une série de difficultés spécifiques à la phase de management post-reprise (Thévenard-Puthod, 2009; Deschamps et al., 2010).

En tout premier lieu, une reprise nécessite la plupart du temps un investissement financier de départ plus important que lors d’une création ex nihilo. Or les repreneurs ne disposent souvent pas d’apports financiers suffisamment conséquents pour financer leur projet (Oséo BDPME, 2005; St Cyr et al., 2005; Boissin, 2007) et peuvent également manquer de connaissances sur les sources de financement qu’ils pourraient mobiliser. Ils sont parfois obligés de s’endetter fortement et de gérer par la suite des montages financiers relativement tendus. Des difficultés de trésorerie peuvent ainsi surgir dès la première ou la deuxième année suivant la reprise.

Ensuite, du fait de ces moyens financiers de départ souvent limités et de la petite taille des structures constituant l’essentiel des entreprises à reprendre[6], les repreneurs ont une forte probabilité de se retrouver à la tête d’une micro-entreprise. Or diriger une telle structure implique de posséder des compétences bien spécifiques (Ibrahim et Goodwin, 1986; Lorrain et Dussault, 1988). Dans les activités où le savoir-faire technique est prédominant, un repreneur non formé au métier peut avoir besoin d’acquérir les connaissances et le vocabulaire essentiels, d’apprendre les trucs, astuces et tours de main nécessaires à la production (Picard et Thévenard-Puthod, op. cit.). A l’inverse, lorsque le repreneur est de formation technique, c’est la gestion quotidienne de l’entreprise qui peut poser problème (gestion comptable, commerciale, des ressources humaines…). Diriger une petite structure implique en effet de mobiliser des compétences telles que savoir acheter, mettre en marché ou vendre, (Filion, 1997). Il s’agit également, lorsqu’il y en a, de gérer les salariés (recrutement, paie, gestion administrative…). Cette gestion quotidienne peut aussi être pénalisée par une absence de connaissance du fonctionnement du secteur d’activité de l’entreprise reprise, par exemple sur les réglementations ou les valeurs et habitudes en vigueur dans le secteur d’activité (Fonrouge, 2010). L’étude Oséo BDPME (2005) indique ainsi qu’un repreneur externe au secteur d’activité de l’entreprise reprise a une fois et demie plus de risques d’échec qu’un individu déjà issu de ce secteur.

Le manque d’information concernant l’entreprise reprise elle-même constitue un autre obstacle (Lee et al., 2003). Dans les structures de petite taille, les systèmes d’information sont souvent limités (Fallery, 1983) et c’est généralement l’ancien dirigeant qui centralise toutes les informations sur l’entreprise (accords informels avec certains clients ou fournisseurs, tarification, échéances à respecter, état des stocks, ancienneté des machines et matériels…). A son départ, il peut devenir difficile pour un repreneur n’ayant aucun lien avec le cédant (cas de la reprise externe par exemple) d’avoir la visibilité nécessaire à la gestion quotidienne de sa structure. Face à cela, il va peut-être devoir élaborer, mettre en oeuvre et faire vivre un nouveau système d’information.

Au niveau managérial, le repreneur peut rencontrer des difficultés relationnelles avec les différentes parties prenantes de l’organisation reprise auprès desquelles il doit acquérir une certaine légitimité, surtout dans le cas d’une reprise externe (Bornard et Thévenard-Puthod, 2009). Un des enjeux est d’obtenir l’adhésion des salariés (Boussaguet, 2008). Sans cette dernière, des dysfonctionnements peuvent rapidement apparaître (démotivation, baisse de productivité ou de qualité du travail, voire démissions de salariés), nuisant à la santé de l’entreprise achetée. Dans certains contextes comme l’artisanat, le repreneur doit prouver sa légitimité à la tête de l’entreprise en montrant qu’il maîtrise parfaitement l’aspect technique du métier (Picard et Thévenard-Puthod, op.cit.). Dans d’autres, ce sont plutôt ses talents de leader qui primeront (Barach et al, 1988) ou son aptitude à animer une équipe (reconnaître et récompenser la contribution de chaque salarié, veiller à leur bien-être, être capable d’identifier les compétences manquantes…) et à conserver le « noyau dur humain », c’est-à-dire les salariés aux compétences clés (Saoudi, 2012). Sa capacité à assumer son changement de rôle (passer de celui d’enfant de dirigeant à celui de dirigeant pour les successeurs familiaux ou celui de salarié à celui de chef d’entreprise pour la reprise interne) peut notamment être déterminante (Cadieux et Deschamps, 2011). Au niveau externe, par manque de connaissance des pratiques en vigueur dans le secteur d’activité, de compétences techniques ou de gestion, ou encore de capacité à gérer un réseau d’affaires, le repreneur peut éprouver de la gêne à maintenir les relations avec les anciens partenaires (clients ou fournisseurs notamment), ou à développer de nouveaux partenariats (Geindre, 2009). Cela peut conduire à des difficultés commerciales au sens large (perte de chiffre d’affaires, diminutions des marges, difficultés d’approvisionnement…).

Enfin, la définition d’une stratégie d’entreprise peut représenter une dernière difficulté importante. Tous les obstacles cités précédemment, mais également un manque de compétence en management, peuvent affecter l’acuité stratégique du repreneur (Grazzini et al, 2009). Il peut laisser échapper une opportunité d’affaires ou ne pas identifier une menace importante. La résolution des problèmes quotidiens peut ne laisser que peu de temps pour élaborer une réelle vision de l’entreprise dans le futur et pour définir d’éventuelles réorientations stratégiques.

Ce recensement laisse apparaître une très grande variété de problèmes potentiels lors de la phase de management post-reprise, ces derniers intervenant avec plus ou moins d’acuité selon la situation. Ils varieront en intensité d’abord en fonction du profil du repreneur. Ses compétences initiales (sa formation de départ plutôt centrée sur la technique ou la gestion) et son éventuelle expérience antérieure de management ou de reprise d’entreprise, peuvent engendrer des difficultés plus ou moins prononcées (Picard et Thévenard-Puthod, 2006). Les caractéristiques de l’entreprise reprise (sa taille, la spécificité du secteur d’activité, le degré d’hostilité de l’environnement, sa culture d’entreprise plus ou moins orientée vers le changement, sa santé financière…; Handler et Kram, 1988; Deschamps et Paturel, 2009) peuvent aussi mettre un repreneur dans des positions plus ou moins délicates. Enfin, les difficultés vont varier suivant le mode de reprise (succession familiale, reprise par un salarié ou reprise par un tiers externe à l’entreprise; Oséo BDPME, 2005), la situation étant radicalement différente selon que le repreneur est issu de l’entreprise ou y est totalement étranger. Face à la variété des difficultés potentielles de la phase de management post-reprise et l’hétérogénéité des situations de reprise, il convient alors de s’interroger sur la pertinence d’un accompagnement personnalisé, à l’instar de ce qui est conseillé pour la création ex nihilo (Morrison et Bergin-Seers, 2002; Verzat et al., 2010) ou en matière de développement des TPE (Bayad et al, 2010). En effet, bien que tous les entrepreneurs ou nouveaux dirigeants de PME ne souhaitent pas toujours se faire accompagner par des tiers extérieurs, notamment pour des raisons psychologiques, de coûts ou de confidentialité (Curran et Blackburn, 2000; Bassot et al, 2002; Christensen et Klyver, 2006; Léger-Jarniou, 2008; Toumani-UK, 2011), on peut estimer qu’une forme d’accompagnement des repreneurs privilégiant un transfert de connaissances et de compétences sur-mesure pourrait être utile pour diminuer les difficultés du management post-reprise, et in fine, de réduire le taux d’échec des reprises.

Les différents modes d’accompagnement post-reprise

En matière d’accompagnement post-reprise, l’offre existante se structure surtout autour de dispositifs collectifs[7] proposés par des institutions telles que les Chambres de Commerce et d’Industrie, les Chambres de Métiers, certains syndicats professionnels ou encore des réseaux d’entrepreneurs (le réseau Entreprendre, des sections départementales de « business angels »…). Pour l’essentiel, ces dispositifs prennent la forme de formations (Ecole des Managers des CCI, formation à la reprise et à la gestion d’une entreprise des Chambres de Métiers ou du réseau Cédants et Repreneurs d’Affaires), de clubs ou de communautés de pratiques à l’intérieurs desquels les repreneurs rencontrent d’autres dirigeants ou repreneurs d’entreprises. Les quelques travaux qui se sont intéressés aux dispositifs d’accompagnement collectifs leur attribuent deux principales limites (Toumani-Uk, 2011) : la difficulté pour des repreneurs, fort occupés par les problèmes quotidiens de gestion de leur nouvelle structure, de dégager du temps pour assister à des réunions collectives ou des formations; leur réticence à s’exprimer en public ou à partager leur expérience, en particulier si des concurrents appartiennent au même groupe. Des dispositifs d’accompagnement plus individualisés, flexibles et s’adaptant notamment à l’emploi du temps des repreneurs, à leur situation spécifique et à leur personnalité (Audet et Couteret, 2005), seraient alors préférables.

A cet égard, la littérature fait état de plusieurs formes d’accompagnement personnalisé d’un individu par des tiers extérieurs : recours à un expert, conseil/counselling/consulting, coaching, tutorat ou mentorat. Il est parfois difficile de s’y retrouver tant les mots sont utilisés de façon synonyme. M. Paul (2004) n’hésite pas à parler de « nébuleuse des formes d’accompagnement ». Il semblerait qu’on puisse distinguer les modes d’accompagnement individualisés selon qu’ils soient centrés sur le transfert de contenu (connaissances, techniques) ou plutôt axés sur le questionnement, le sens et le savoir-être. Ainsi, l’expert et le tuteur se concentrent plutôt sur des éléments de savoir et de savoir-faire. Ils possèdent une expertise dans un domaine spécifique et aident l’accompagné à réaliser, à court terme, un objectif lié directement à leur champ d’expertise (Cadieux et Brouard, 2009). Le mentor et le coach portent davantage leur action sur l’individu et le savoir-faire comportemental (Audet et Couteret, 2005; St-Jean, 2008; Bayad et al., 2010).

Dans le cadre des créations ex nihilo (Audet et Couteret, 2005; Simard et Fortin, 2008; St-Jean, 2010), l’efficacité de ces formes d’accompagnement personnalisé a été examinée. Les recherches suggèrent notamment qu’elles constituent des moyens privilégiés d’apprendre pour les entrepreneurs (Cope et Watts, 2000, O’Dwyer et Ryan, 2000). Deux niveaux d’apprentissage ont ainsi été relevés : cognitifs et affectifs. En termes cognitifs, trois principaux types d’apports ont été validés par ces travaux de recherches antérieurs : le développement des connaissances et l’accès à des informations clés, l’acquisition de savoir-faire technique et de gestion et l’acquisition de savoir-faire plus managériaux (McGregor et Tweed, 2002; Kent et al., 2003; Gravells, 2006; Valeau, 2006; Ozgen et Baron, 2007; St-Jean, 2010). Ces apprentissages cognitifs réduiraient ensuite les taux d’échec des nouvelles structures (Deakins et al, 1998; Chrisman et McMullan, 2004) et se traduiraient à terme par une augmentation du chiffre d’affaires, de la profitabilité et de l’emploi. L’acquisition de savoirs explicites et tacites réalisée dans le cadre de la relation serait source d’avantage concurrentiel (Chrisman, McMullan, 2000). Des apprentissages plus affectifs peuvent par ailleurs être constatés, même si cela est plus difficile à mesurer. Grâce à l’accompagnement personnalisé, les entrepreneurs qui se sentent souvent seuls à la tête de leur entreprise, sans personne avec qui partager leurs difficultés, prennent davantage confiance en eux et surmontent plus aisément les périodes de doute (McGregor et Tweed, 2002).

Depuis le début des années 2000, certains des dispositifs d’accompagnement individuels et personnalisés expérimentés pour la création tentent de s’adresser aux repreneurs d’entreprise[8]. Cependant force est de constater que peu de chercheurs se sont intéressés à leur efficacité (Deschamps et al, 2010; St-Jean, 2012). C’est dans cette perspective que nous avons contribué à un programme de recherche mené en Europe, entre 2007 et 2009, destiné à tester l’efficacité d’un accompagnement personnalisé post-reprise, relativement original dans le contexte de l’entrepreneuriat et n’ayant fait l’objet jusqu’alors d’aucune étude empirique : le tutorat de repreneurs. Le tutorat est en effet une forme d’accompagnement couramment utilisée auprès des jeunes en formation (que ce soit à l’école, à l’université ou encore en entreprise dans le cadre de formations plus professionnelles) et des salariés nouvellement recrutés qui doivent parvenir à s’intégrer dans une entreprise qu’ils ne connaissent pas. Son efficacité a donc fait l’objet de plusieurs recherches en Sciences de l’Education (Barbier, 1996; Munley et al., 2010; Zimmer et al, 2010) et en GRH (Brillet et Hulin , 2007). Lorsqu’il a lieu en entreprise, le tutorat passe par des situations d’échange et/ou des rencontres en situation de travail. Sont alors mobilisés, transmis et produits des savoirs et savoir-faire qui ne peuvent être séparés de leur champ d’application (Agulhon et Lechaux, 1996). Le tuteur, généralement un salarié senior, voire dans certains cas l’employeur lui-même, est considéré comme l’artisan d’une démarche visant à accompagner un salarié dans la découverte du métier et à transférer à ce dernier les compétences dont il a besoin, pendant une durée limitée (Hulin, 1998). Ce mode d’accompagnement centré sur le transfert de connaissances et de savoir-faire pratiques en situation nous a paru tout à fait indiqué pour pallier les déficits ressentis par un repreneur en phase de management post-reprise. Le tutorat qui a ici été mis en place correspond toutefois à une forme « aménagée » du tutorat classique, car le tuteur n’intervient pas en doublure du repreneur accompagné, ce qui serait difficile à mettre en place dans le cadre de la direction d’une entreprise, mais comme un soutien mobilisable « à la carte ». Ce dispositif original est présenté dans la section qui suit.

Le protocole de la recherche

Après avoir décrit le projet dans son ensemble, nous expliquons notre posture de recherche et les outils utilisés pour le recueil et l’analyse des données.

Présentation générale du projet test : contenu et modalités de l’accompagnement délivré

Le projet-test auquel nous avons participé[9], de sa mise en place jusqu’à son évaluation finale, a consisté à délivrer un accompagnement gratuit et personnalisé de type tutorat à 889 repreneurs, localisés dans 18 pays européens. Les critères d’éligibilité des repreneurs étaient au nombre de quatre : ils devaient avoir repris une entreprise dans l’année en cours, posséder au minimum 10 % du capital de cette entreprise, en être le dirigeant et cette structure devait comporter moins de 50 salariés. Ces repreneurs pouvaient alors bénéficier d’un accompagnement d’une durée totale de dix jours, pouvant s’étaler sur une période de deux ans après la reprise.

Le tutorat se déroulait en trois phases. Dans un premier temps, un diagnostic permettait de mettre à jour les difficultés rencontrées par le repreneur, afin d’établir un programme personnalisé d’accompagnement. L’identification des difficultés permettait en effet aux CCI partenaires de sélectionner le type de tuteurs correspondant aux besoins recensés. Plusieurs tuteurs pouvaient donc intervenir auprès d’un même repreneur (conseillers CCI, consultants externes, experts, entrepreneurs seniors ou à la retraite), sur des thématiques différentes. La deuxième phase concernait la mise en place du tutorat à proprement parler. Le programme d’accompagnement était découpé en demi-journées, voire en heures. Le planning devait être flexible et s’adapter à l’agenda et à la disponibilité du repreneur. Les sessions devaient être suffisamment espacées pour laisser un temps d’assimilation et pour mettre en place la mesure proposée par l’accompagnant. A l’issue du tutorat, la dernière phase amenait les repreneurs à évaluer le dispositif.

Une recherche collaborative débouchant sur une expérimentation active

Notre démarche de recherche s’inscrit dans le cadre d’une recherche action de type collaborative. La recherche collaborative se définit comme une recherche amenant deux parties, l’une issue du monde académique et l’autre du monde professionnel, à travailler collectivement avec un objectif commun de résolution de problème(s) et de création de connaissance(s) nouvelle(s) opérationnelle(s) et théorique(s) (Shani et al., 2007; Félix et al., 2009). Il s’agissait ici de réunir des chercheurs souhaitant formuler des connaissances génériques (Savall et Zardet, 2004) et utiles sur l’accompagnement de la reprise d’entreprise, et des praticiens, représentés par les partenaires pilotes du projet (Eurochambres et la CRCI Rhone-Alpes), désireux d’utiliser les résultats de la recherche pour améliorer leur performance en matière d’accompagnement. Il y avait donc une réelle association avec les acteurs de terrain pour développer simultanément un projet de connaissance et de transformation (Plane, 2000; Allard-Poesi et Perret, 2004). Les praticiens ont été à la fois co-producteurs de connaissance, apporteurs d’informations, co-évaluateurs et consommateurs des résultats. En tant que chercheurs, nous ne nous sommes pas contentés d’une position d’observateur neutre, mais avons co-construit avec nos différents partenaires des outils et procédures explicites, supports de la recherche, et avons agi comme évaluateur de leur mise en oeuvre et de leur efficacité. L’objectif était de fournir un guide pour piloter le processus d’accompagnement et de participer au processus de changement. Ainsi, notre intervention a amené les partenaires à modifier leur comportement en matière d’accompagnement, puisqu’à l’issue de la période test et de ses résultats concluants, la plupart des CCI partenaires ont compris la nécessité de ce type de dispositif d’accompagnement et près de 50 % d’entre elles ont décidé de le maintenir malgré l’arrêt de son financement par la Communauté Européenne.

Quatre étapes ont jalonné notre participation au projet. En amont, nous avons contribué à la réflexion sur la conception du dispositif dans sa globalité. Nous avons ensuite dû co-concevoir avec les partenaires une partie des outils et procédures nécessaires à sa mise en oeuvre. Puis, il a fallu former les acteurs relais sur le terrain à l’utilisation des outils conçus et leur faire comprendre les enjeux du projet, en termes de recherche et de performance opérationnelle. Enfin, nous avons été chargés de son évaluation. Cette implication très forte tout au long du processus nous a permis de contrôler l’ensemble du choix des mesures, afin de nous assurer de la valeur scientifique de la base de données ainsi constituée.

La production et l’analyse des données

Le management post-reprise étant un phénomène complexe (les variables à gérer sont multiples, le repreneur est en situation d’incertitude et les problèmes sont mal structurés a priori), il est particulièrement difficile pour un repreneur de formaliser seul ses besoins d’accompagnement. Comme le soulignent Schmitt et Bayad (2006), la difficulté pour un entrepreneur ne réside pas seulement dans la résolution des problèmes mais dans la construction de ceux-ci. Nous avons donc mis au point une grille de diagnostic recensant les difficultés potentielles qu’un repreneur était susceptible de rencontrer. Celle-ci a été co-construite avec les pilotes du projet sur la base des difficultés identifiées dans la littérature avec un fort souci d’opérationnalisation. Ainsi, neuf grands types de besoins ont été retenus (tableau n°1). Ces neufs domaines pouvant poser problème aux repreneurs étaient chacun découpés en trois ou quatre sous-thèmes. 35 types de difficultés étaient, au final, disponibles.

Cette grille présentait plusieurs intérêts. En tant que « check list » et support d’intermédiation, elle permettait de faciliter le dialogue entre accompagnant et repreneur et de passer en revue toutes les difficultés potentielles d’une reprise. Ensuite, elle amenait les repreneurs à prendre du recul sur les difficultés rencontrées et à les hiérarchiser pour définir des priorités en matière d’accompagnement. Enfin, elle permettait un feed-back immédiat, puisque l’accompagnant pouvait faire une restitution de la situation analysée (le diagnostic des besoins) et établir directement un programme d’accompagnement. Elle constituait une base de discussion sur les actions de progrès à mettre en oeuvre. Pour bénéficier du rôle médiateur de l’outil informatique décrit par Chanal, Lesca et Martinet (1997), cette grille de diagnostic a été informatisée, les données étant ensuite centralisées dans un Extranet. Afin de faciliter l’appropriation de cet outil par les accompagnants, la démarche de construction de l’outil et son mode d’utilisation ont donné lieu à une formation des 33 CCI partenaires, délivrée lors d’une des nombreuses réunions qui ont jalonné ce projet.

Tableau 1

Le lien entre les difficultés identifiées dans la littérature et les neuf domaines d’accompagnement retenus

Le lien entre les difficultés identifiées dans la littérature et les neuf domaines d’accompagnement retenus

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La phase d’évaluation finale s’est avérée délicate. Il est en effet difficile d’utiliser des critères objectifs (amélioration du taux de profit, augmentation du nombre de salariés…) car ils ne peuvent pas être mesurés à court terme. En outre, il est souvent difficile d’établir un lien de causalité direct entre l’intervention d’un accompagnant et la performance de l’entreprise, tant les variables d’influence peuvent être nombreuses (Audet et Couteret, 2005, St-Jean, 2008). Certains chercheurs estiment que pour évaluer correctement le soutien offert à un entrepreneur, on doit prendre en compte l’apprentissage qui en résulte chez ce dernier (Gibb, 1997). Or ceci est particulièrement difficile à appréhender de façon quantitative sur un échantillon de 889 repreneurs qui évoluent dans des contextes linguistiques et culturels très différents. En tenant compte du caractère opératoire et pratique que le mode d’évaluation retenu devait avoir pour tous les partenaires du projet, nous avons opté pour une évaluation portant sur trois critères plus subjectifs : la réduction des difficultés perçues par le repreneur après l’accompagnement, la satisfaction de ce dernier concernant le dispositif et sa volonté de pérenniser la relation avec le/les accompagnant(s).

Au niveau de la réduction des difficultés perçues, nous nous sommes inspirés des modalités d’évaluation utilisées en médecine pour mesurer la douleur des patients[10]. Il a ainsi été procédé à une analyse en deux temps, en utilisant des échelles de mesure. Lors de la phase de diagnostic, les repreneurs devaient donner une note sur dix à une série de difficultés potentielles (1 correspondant à « pas du tout difficile » et 10 à « très difficile voire insurmontable »). S’ils n’étaient pas concernés par une difficulté, ils ne donnaient pas de score. A l’issue de l’accompagnement, l’opération a été renouvelée, l’objectif étant de mesurer un écart entre le début et la fin du dispositif.

Puis, les repreneurs devaient donner leur appréciation concernant le dispositif. Tout d’abord, chaque thème ayant fait l’objet d’un accompagnement devait être évalué sur une échelle de 1 à 10 (1 correspondant à une grande insatisfaction et 10 à une grande satisfaction). Enfin, en termes de pérennité du dispositif, ils devaient indiquer s’ils étaient prêts ou non à le poursuivre et, dans le cas positif, s’ils étaient en mesure de participer à son financement.

La pertinence d’un tutorat évaluée sur un échantillon de 889 repreneurs

L’échantillon des 889 repreneurs accompagnés est à 86 % constitué de micro-entreprises (entreprises de moins de 10 salariés)[11]. La taille moyenne est de 4,5 employés. En termes d’activité, le tertiaire prédomine : 27 % des entreprises reprises sont des commerces (alimentaires ou non) et 20,4 % sont des cafés, hôtels et restaurants. Le secteur de l’industrie représente seulement 11,9 % des entreprises transmises. En termes d’accompagnement, le premier constat est tout d’abord celui d’une grande variété de besoins des repreneurs (tableau n°2). Aucun des neuf thèmes d’accompagnement n’a été laissé de côté, les repreneurs ayant profité de ce large éventail de soutiens potentiels. On a ici une première confirmation de l’une des vertus des formes individualisées d’accompagnement comme le tutorat : permettre de répondre aux besoins spécifiques de chaque situation de reprise. Concernant ensuite l’efficacité du tutorat, les principaux résultats de l’étude sont synthétisés selon 2 axes : l’évaluation de l’efficacité globale du dispositif; puis la mise en évidence d’une efficacité différenciée du tutorat selon les repreneurs, les entreprises et les modes de reprise.

L’efficacité globale du tutorat sur les trois critères retenus

L’évaluation de l’efficacité globale du tutorat a été réalisée selon trois critères : la réduction des difficultés perçues par les repreneurs après le tutorat, la satisfaction des repreneurs et leur volonté de pérenniser le dispositif. Sur le premier critère, le tableau n°2 permet de constater que ce dernier a été estimé efficace : pour chaque domaine d’intervention, la différence avant / après est statistiquement significative (test de Student), avec un niveau de réduction des difficultés qui va de -1,57 à -2,63. Cette forme d’accompagnement semble donc à même de diminuer les difficultés perçues, et ce quel que soit le domaine sur lequel le repreneur ressent des besoins. Ces résultats laissent toutefois entrevoir des différences d’efficacité selon les domaines d’intervention. Ainsi l’accompagnement semble meilleur pour la comptabilité, l’accès au financement, le management des ressources humaines, les aspects légaux et fiscaux et le marketing. L’efficacité est réelle mais moindre en ce qui concerne le management stratégique, le savoir-faire technique, les systèmes d’information et la gestion de la chaîne logistique.

Tableau 2

Premiers résultats de l’efficacité du dispositif test sur les difficultés perçues et la satisfaction des repreneurs

Premiers résultats de l’efficacité du dispositif test sur les difficultés perçues et la satisfaction des repreneurs

*** : p<0,01, significativité du test de Student de comparaison de moyenne avant / après

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Concernant la satisfaction globale mesurée par le degré moyen de satisfaction sur chaque item (tableau n°3), le score moyen est de 7,21/10, ce qui signifie que cet accompagnement a été évalué positivement. Enfin, le dernier critère de mesure d’efficacité du dispositif que nous avons utilisé était la volonté ou non de pérenniser la relation d’accompagnement. A cet égard, 77 % des repreneurs souhaitent qu’un tutorat complémentaire soit mis en place. Parmi eux, plus de 58 % seraient prêts à participer à son financement. Ces résultats confirment donc l’impact positif de l’accompagnement du repreneur, en montrant une certaine hiérarchie entre les différents domaines d’intervention. Toutefois, ils peuvent masquer des situations nuancées. En tant que dispositif particulier, le tutorat convient mieux à certains repreneurs ou certains types de reprise qu’à d’autres.

Une efficacité différenciée selon le type de repreneur, d’entreprise et de reprise

La revue de littérature proposée dans la première section montre clairement que les difficultés post-reprises ne sont pas forcément généralisable à tous les repreneurs : les situations rencontrées sont trop diverses. Si cette réalité légitime justement le recours à une forme de tutorat personnalisé, elle suggère du même coup que son efficacité a de grandes chances d’être contingente. Mettre à jour les facteurs de cette contingence est donc une étape indispensable si l’on veut comprendre en profondeur ce mode d’accompagnement. Pour identifier les facteurs qui expliquent qu’un repreneur retire des bénéfices de l’accompagnement, nous avons mené un ensemble de régressions multiples (cf. tableau n°3). La variable dépendante retenue est la satisfaction globale du repreneur quant à l’accompagnement. Au regard de la littérature évoquée dans la première section, trois types de variables viennent conditionner l’efficacité de l’accompagnement. Tout d’abord, nous avons intégré une série de variables sur l’entreprise en elle-même : son secteur d’activité et son année de création. Le deuxième groupe de variables concerne le profil du repreneur. Sur la base des travaux décrits dans la première section, nous avons attaché un intérêt particulier à deux caractéristiques majeures : l’expérience antérieure de la reprise d’entreprise, d’une part, et le profil de compétences du dirigeant, d’autre part. L’expérience de la reprise pourrait en effet constituer un atout pour le repreneur, et réduire a priori l’utilité de l’accompagnement. Concernant le profil de compétences, la distinction qui semble essentielle oppose un profil technique à un profil plutôt managérial : d’un côté, des dirigeants qui « connaissent le métier », mais manquent de connaissance quant au management d’une entreprise; de l’autre, des personnes ayant de solides compétences dans la gestion d’entreprise, mais qui ne maitrisent pas forcément les secrets d’un secteur d’activité et du savoir-faire qui constitue le socle de la société reprise. A l’aide de variables dichotomiques, nous avons créé quatre profils différents : expérimenté / non-technique, expérimenté / technique, non expérimenté / non technique, non expérimenté / technique. Il semblait nécessaire d’associer ces deux dimensions du profil d’un repreneur pour mieux rendre compte de leur interdépendance. Par exemple, une expérience antérieure de la reprise peut fournir à un profil technique les armes nécessaires pour combler son « handicap » vis-à-vis du management. A contrario, un profil purement managérial plutôt que technique peut venir « compenser » un manque d’expérience de la reprise[12]. D’autres formes d’expérience du repreneur ont également été prises en compte, au travers du nombre d’années d’expérience avant la reprise et de son expérience préalable en tant que manager. La diversité des difficultés exprimées est une autre caractéristique qu’il semblait nécessaire de contrôler. Certains repreneurs ont exprimé des difficultés uniquement dans le marketing, par exemple, d’autres dans tous les domaines de compétences : dans le deuxième cas, l’obstacle que l’accompagnement doit aider à franchir est plus élevé, ce qui est naturellement susceptible d’influencer négativement l’efficacité de l’accompagnement. Enfin, les variables sociodémographiques traditionnelles (sexe, niveau d’étude) ont également été prises en compte.

Le troisième groupe de variables qui a été intégré est le mode de reprise : reprise interne (par un salarié), succession familiale, reprise externe avec relation antérieure (le repreneur avait une relation de type client ou fournisseur avec l’entreprise) et reprise externe sans relation[13]. Les résultats de travaux antérieurs suggèrent assez clairement que les situations de reprise interne ou de succession familiale ont leurs difficultés propres, bien distinctes, par exemple, des difficultés de la reprise sans aucune relation antérieure. Dans le premier cas, le repreneur connaît souvent mieux l’entreprise mais doit gérer une transformation de son statut au sein de celle-ci. Dans le second cas, la méconnaissance de l’entreprise et de ses différentes parties prenantes crée un risque particulier. Il est probable que l’accompagnement ait de ce fait un effet différent selon le cas.

Enfin, en dehors de ces trois grands types de variables, nous avons souhaité contrôler les caractéristiques de l’accompagnement lui-même pour que l’analyse soit cohérente. En particulier, l’hétérogénéité des pays étant assez grande, il est difficile de garantir que la qualité de l’accompagnement ait été absolument identique d’un pays à l’autre. L’insertion de variables de contrôle sur le pays ne présente pas forcément d’intérêt théorique, en revanche il permet de s’assurer que l’effet des autres variables soit observé « à pays constant » et ait donc un sens réel.

Tableau 3

Régressions de la variable « Efficacité perçue de l’accompagnement »

Régressions de la variable « Efficacité perçue de l’accompagnement »

*** : sig. <0.01; ** : sig.<0.05; * : sig.<0.1

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Le tableau n°3 présente les résultats de quatre modèles successifs. On constate que le lieu de déroulement de l’accompagnement a un effet spécifique sur l’efficacité (modèle 1). Ceci tient sans doute aux contextes économiques, juridiques et culturels propres à chaque pays, ainsi qu’aux ressources différentes des CCI pour implémenter le dispositif.

L’intégration des caractéristiques de l’entreprise augmente significativement le pouvoir explicatif du modèle (modèle 2). En particulier, l’accompagnement est d’autant plus bénéfique que l’entreprise est récente. Dans ces conditions, l’expérience incorporée dans l’entreprise (ses salariés, ses routines…) et son degré de structuration sont faibles. Le repreneur arrive ainsi « devant une feuille blanche », ce qui justifie plus fortement le besoin d’un accompagnement. Le modèle 3 ajoute les caractéristiques du repreneur, avec là aussi une augmentation très significative du pouvoir explicatif, confirmant que l’efficacité du dispositif dépend fortement du profil du repreneur. L’efficacité est d’autant plus faible que le repreneur combine une expérience de la reprise avec un profil non-technique.

Le fait d’avoir des difficultés dans des domaines multiples réduit également l’efficacité perçue. Ceci nous renseigne sur une des limites de ce dispositif à « durée limitée » : en dix jours, il est particulièrement difficile de couvrir tous les domaines de compétences.

Enfin, le mode de reprise intervient également, même si la significativité est modeste (p=0.069). L’accompagnement est plus efficace pour les repreneurs qui n’avaient aucune connexion préalable avec l’entreprise reprise (par opposition au transfert interne, à la succession ou au transfert externe avec relation préalable, tel qu’un ancien client ou fournisseur)[14]. Ceci apporte un éclairage intéressant sur la nécessité de cibler les dispositifs non pas seulement en fonction du profil du dirigeant ou des besoins qu’il exprime, mais aussi en fonction des spécificités du mode de reprise.

Discussion 

Cette recherche a mis en avant deux types d’enseignements qu’il convient à présent de discuter. Ces derniers concernent, d’abord, l’efficacité globale du tutorat en tant que forme spécifique d’accompagnement repreneurial et les domaines d’apprentissage pour lesquels ce tutorat apparait le plus pertinent, puis les profils de repreneurs les mieux à même d’en bénéficier.

La reconnaissance des vertus du tutorat comme mode d’accompagnement pour le repreneur

L’intérêt d’un accompagnement individuel a déjà été relevé dans la littérature sur la reprise (Deschamps et al, 2010), comme dans celle sur la création ex nihilo (Chrisman et McMullan, 2000; Bisk, 2002; Morrison et Bergin-Seers, 2002; Audet et Couteret, 2005; Cull, 2006; Simard et Fortin, 2008; St-Jean, 2010; Verzat et al, 2010). Notre travail a pour intérêt de confirmer empiriquement son efficacité dans le contexte de la reprise. En outre, parmi les différentes formes d’accompagnement personnalisées existantes, le tutorat n’avait jusqu’ici suscité que peu d’attention de la part des chercheurs. Or ce type d’accompagnement centré sur un transfert de connaissances et de compétences de la part d’une personne experte, mais extérieure au projet, semble vraiment efficace pour réduire les difficultés perçues par le repreneur.

L’intérêt d’une forme d’accompagnement individualisée est de s’ajuster aux difficultés réellement rencontrées par les repreneurs (Gravells, 2006), celles-ci étant intimement liées au profil de ce nouveau dirigeant et au type d’entreprise repris. Les connaissances transférées via un tutorat sont ainsi contextualisées (Toutain et Fayolle, 2008) : le tuteur délivre sur place (dans l’entreprise reprise) un transfert de connaissances et de compétences sur-mesure (McGregor et Tweed, 2002), à partir des problèmes réellement rencontrés par le repreneur. Les connaissances transférées ne sont pas que des techniques générales ou des outils standards. Elles prennent en considération la complexité du système formé par les différentes composantes en interaction : le repreneur et l’entreprise reprise (Toutain et Fayolle, 2008). En outre, cet accompagnement individualisé s’accorde à la disponibilité des repreneurs et à la temporalité du processus de reprise.

Le diagnostic réalisé en début de dispositif oblige tout d’abord les repreneurs à compartimenter leurs difficultés et à les prioriser. Ce faisant, ils prennent plus facilement du recul et peuvent parfois mieux les dénouer. Les tuteurs, grâce à leur expertise, proposent des pistes pour résoudre les problèmes (McGregor et Tweed, 2002) et favorisent le passage à l’action du repreneur. Une solution, même partielle et/ou temporaire, permet en effet au repreneur d’avancer et de traiter le problème suivant. Ensuite, à l’instar d’autres formes d’accompagnement individualisées (Cope et Watts, 2000, O’Dwyer et Ryan, 2000; St-Jean, 2008), le tutorat donne lieu à de nombreux apprentissages cognitifs, en particulier si l’on fait l’effort de varier les accompagnants pour accéder à des compétences différentes. En effet, comme le soulignent Cadieux et Brouard (2009), aucun accompagnant ne peut prétendre cumuler toutes les compétences nécessaires pour intervenir dans un contexte de reprise d’entreprise.

Enfin, à la différence d’autres types d’accompagnant, comme le mentor, le tuteur gère un réel transfert de compétences sans devenir trop présent ou indispensable au sein de l’entreprise (Bassot et al, 2002). L’approche multidisciplinaire retenue, impliquant plusieurs types de tuteurs possédant des approches et des compétences complémentaires, permet notamment de limiter les possibilités d’instauration d’une relation de dépendance de l’accompagné envers l’accompagnant.

Ce tutorat s’avérerait alors à ce titre peut être plus pertinent que le mentorat du repreneur par le cédant. En effet, en dehors du fait que bon nombre de cédants ne souhaitent pas s’investir dans une relation d’accompagnement après la vente de leur entreprise[15], le mentorat par le cédant ne permet pas TOUJOURS au repreneur de construire son projet de façon autonome et de donner une identité propre à son organisation (Sammut, 2003). Le cédant peut avoir tendance à préférer que le repreneur se comporte le plus possible comme un « clone » qui reproduit le fonctionnement qu’il a mis en place (Bornard et Thévenard-Puthod, 2009).

Le tutorat exercé par un tiers externe à l’entreprise reprise semble donc au final réunir les principales qualités nécessaires d’un accompagnement : « s’inscrire dans la durée, être exercé par des spécialistes, fondé sur une logique combinant connaissances substantives et savoir procédural permettant au créateur de s’enrichir par des connaissances actives » (Sammut, 2003, p 162).

Cet apport de connaissances semble toutefois varier selon les domaines. Le tutorat associe a priori trois types d’apports cognitifs : informationnels, techniques et stratégiques. Les résultats de son évaluation indiquent cependant que les domaines pour lesquels il a été particulièrement apprécié par les repreneurs concernent principalement l’amélioration des savoir-faire en matière de gestion quotidienne (gestion comptable et financière, gestion commerciale et marketing, gestion des ressources humaines, gestion juridique et fiscale ou encore logistique) et de financement. Dans ce dernier cas, un tuteur peut aider un repreneur à convaincre des financeurs et à lever des fonds pour son entreprise (Bygrave et Timmons, 1992). L’efficacité de l’accompagnement individualisé dans ces domaines opérationnels a déjà été relevée auprès des créateurs d’entreprise (Gravells, 2006) ou des dirigeants de PME (Bassot et al, 2002). Cependant on peut aussi penser, à l’instar des résultats enregistrés par Audet et St-Jean (2009) sur le mentorat ou par d’autres chercheurs dans le contexte du conseil en PME (Bassot et al, 2002), que ce sont les domaines dans lesquels les repreneurs accompagnés ont pu « mesurer » à très court terme des résultats visibles et concrets qui génèrent la plus grande satisfaction. En d’autres termes, les repreneurs apprécient en priorité les apports de connaissances et de compétences immédiatement mobilisables. A ce titre, ce sont principalement les connaissances « ponctuelles » et les savoir-faire plus opérationnels que le tutorat permet de développer. Les savoir-faire managériaux sont, de façon peu étonnante, plus difficiles à transférer, à absorber et à mettre en oeuvre sur une courte durée. Le tableau n°4 synthétise ainsi les apports cognitifs du tutorat en contexte post-reprise.

Une efficacité contingente au profil du repreneur et aux types d’entreprise et de reprise

Si le tutorat s’avère une forme d’accompagnement efficace pour l’ensemble des repreneurs, il semble toutefois que cette efficacité soit plus importante dans certaines situations. Premièrement, nos résultats montrent que l’efficacité perçue est amoindrie lorsque le repreneur a déjà une expérience de la reprise. Dans le domaine de l’entrepreneuriat, l’action constitue une manière privilégiée d’acquérir des compétences, en se confrontant au terrain (Minniti et Bygrave, 2001). L’entrepreneuriat étant un processus continu et cumulatif (Minniti et Bygrave, op. cit.), lorsqu’un repreneur reprend une entreprise, il le fait avec un stock de connaissances conditionné par ses expériences préalables. Même si le contexte de reprise est forcément différent, des apprentissages transversaux auront pu être réalisés, conférant un avantage aux « serial entrepreneurs » déjà constaté dans la littérature (Westhead et al. 2005) rendant l’accompagnement forcément moins bénéfique.

Tableau 4

Les apports cognitifs du tutorat en phase de management post-reprise[16]

Les apports cognitifs du tutorat en phase de management post-reprise16
Source : adapté de St-Jean, 2008

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Nos données montrent que l’efficacité est plus faible lorsque cette expérience préalable est combinée avec un profil managérial plutôt que technique. Dans ces conditions, les connaissances acquises lors de reprises antérieures s’ajoutent à celles issues de la formation du repreneur, rendant l’accompagnement moins utile. A l’inverse, un repreneur au profil plutôt technique tirera plus facilement de bénéfices de l’accompagnement, même s’il a une expérience de la reprise. En effet, si les compétences techniques ne sont plus suffisantes pour être entrepreneur (Boughattas et al, 2008), elles le sont encore moins pour un repreneur qui doit développer une affaire. Ces derniers doivent disposer de compétences en gestion et en management. Les repreneurs au profil technique, au premier rang desquels les artisans, tendent à rencontrer des difficultés plus importantes. Il a ainsi été montré que les repreneurs issus du milieu artisanal sont souvent pénalisés en GRH, car peu formés à la gestion du personnel (Picard et Thévenard-Puthod, 2004). La prise en main d’une structure s’avère donc particulièrement délicate pour eux. De même, les compétences commerciales peuvent également leur faire défaut, créant ainsi un risque quant à la pérennité du portefeuille clients de l’entreprise reprise (Picard et Thévenard-Puthod, op cit).

Enfin, le tutorat parait plus pertinent dans le cadre des reprises externes. La littérature sur la reprise et les statistiques disponibles ont déjà souligné les difficultés exacerbées d’un repreneur externe, celui-ci cumulant deux types de handicaps. Le premier concerne le manque de connaissances sur le secteur d’activité de l’entreprise reprise qui est toujours pénalisant pour un repreneur externe (Lee et al, 2003, Oséo BDPME, 2005), comme d’ailleurs pour un créateur (Fonrouge, 2010). Un repreneur ancien salarié de la structure reprise sera par définition moins gêné par ce manque de connaissances, de même qu’un successeur familial (Bughin et al, 2010). La passation de pouvoir dans le cadre d’une succession familiale est généralement plus progressive, laissant plus de temps au successeur pour obtenir les informations et compétences nécessaires (Dyck et al, 2002; Cabrera-Suarez, 2005; Cadieux, 2007). Même au départ du cédant, on peut estimer que le successeur familial aura plus de facilités à rester en contact avec ce dernier, continuant à obtenir de lui les informations nécessaires au bon déroulement de la reprise (Cadieux, 2007). Le second handicap que la littérature a également souligné est la plus grande difficulté pour un repreneur externe à acquérir la légitimité auprès des différentes parties prenantes externes et internes de l’entreprise achetée (Boussaguet, 2008; Bornard et Thévenard-Puthod, 2009; Geindre, 2009). Le tuteur accompagnant le repreneur externe peut ainsi non seulement être porteur d’informations utiles sur le fonctionnement du secteur d’activité, lui transférer les compétences nécessaires à la reprise de l’entreprise dans un secteur méconnu, mais aussi l’aider à légitimer ses actions auprès des parties prenantes. Le tutorat apparait dans ce contexte d’autant plus utile que les reprises externes sont, ou sont en train de devenir, majoritaires dans la plupart des pays. En France, c’est le cas de près d’une reprise sur deux (Oséo Bdpme, 2005). Au niveau européen, la moyenne de la reprise externe s’établit à 55 % des opérations avec, il est vrai, de grandes disparités d’un pays à l’autre, mais partout une croissance forte de ce type de reprise (http://www.rhone-alpes.cci.fr/transregio/Brochure.pdf). Les chiffres publiés par le réseau des conseillers en management du Canada indiquent que plus de 70 % des chefs d’entreprises prévoient une reprise externe lorsqu’ils cesseront leur activité (http://rcmq.ca/la-releve-des-pme-au-quebec-sombre-tableau). Même au Japon, où, par tradition, la reprise d’une PME par un tiers extérieur est une pratique très minoritaire, la reprise externe est vue comme une des solutions face au très faible taux de reprise (18 %) lors du départ du dirigeant (METI 2005 in Y. Murakami et al, 2012).

Conclusion

Cette recherche avait pour but d’apporter des connaissances supplémentaires en matière d’accompagnement personnalisé, dans un contexte entrepreneurial spécifique : la reprise d’entreprise et plus particulièrement la phase de management post-reprise. Les résultats d’une expérimentation menée à l’échelle européenne montrent que, face à la variété des besoins propres à une telle situation, un accompagnement personnalisé comme le tutorat est efficace à court terme et satisfaisant pour les repreneurs individuels (notamment pour ceux qui souffrent le plus d’un déficit de connaissances et de compétences). Compte tenu de la taille de l’échantillon et de sa portée géographique (repreneurs appartenant à 18 pays), ces résultats plaident donc pour la généralisation de cette forme d’accompagnement dans le contexte de la reprise de petites structures (TPE) et dans tous les pays confrontés à la problématique du vieillissement et donc de la cessation massive d’activité des chefs d’entreprises. D’un point de vue managérial, les résultats de cette recherche apportent aux institutionnels et autres professionnels de l’accompagnement, désireux de faciliter la réussite des entreprises reprises, des connaissances précieuses pour cibler les repreneurs susceptibles de tirer le meilleur bénéfice d’un tel accompagnement. Ainsi, dans un objectif d’efficacité des politiques publiques, ils les invitent à s’intéresser en priorité aux repreneurs novices, dotés d’un profil plutôt technique et/ou reprenant une entreprise avec lesquels ils n’entretenaient au préalable aucun lien (repreneur externe). Ce dispositif pourrait d’ailleurs être d’autant plus pérennisé que six repreneurs de l’échantillon sur dix se déclarent prêt à participer au financement de cet accompagnement.

Cela dit, dans le but d’affiner davantage les connaissances sur l’accompagnement personnalisé des repreneurs, cette première démarche d’évaluation reste incomplète, au regard des questionnements actuels sur l’accompagnement entrepreneurial (Chabaud et al., 2010). En effet, sur le plan de la recherche, au-delà d’un certain biais induit par la nécessité de « produire des résultats opératoires » pour les partenaires de cette recherche collaborative, plusieurs limites de ce travail doivent être évoquées et ouvrent sur des pistes de recherche complémentaires. Tout d’abord, le succès de l’opération n’a été apprécié qu’à court terme. Une recherche centrée sur le « suivi post-accompagnement » pourrait alors compléter utilement les résultats obtenus. Ensuite, la méthodologie de recherche n’a permis de mesurer que « l’acquisition perçue de compétences » par les repreneurs. Elle n’a pas permis d’observer, chemin faisant, le processus de transfert de compétences entre accompagnant et accompagné (tel que le définissent notamment Toutain et Fayolle, 2008), ni le développement des facultés réflexives de l’accompagné (Sammut, 2003). En outre, l’éventuel apport psychologique de l’accompagnement individualisé, tel qu’il est connu dans la création ex nihilo (Valeau, 2006; Messeghem et Sammut 2010), n’a pas non plus été pris en compte, puisque nous nous sommes focalisés sur les apprentissages cognitifs. Une future recherche pourrait mesurer de façon plus qualitative les apprentissages réalisés par le repreneur, en particulier ces apprentissages affectifs ou conatifs, liés à l’évolution de son savoir-être ou de son comportement. Ce prolongement pourrait également introduire la prise en compte du regard de l’accompagnant sur les progrès de son « protégé ».