Note critique

À la recherche de ce qui dure au sein des sociétésÀ propos de Penser la diversité du monde (2008) de Philippe d’Iribarne[Record]

  • Jean-Pierre Dupuis

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  • Jean-Pierre Dupuis
    HEC Montréal

Une des différences majeures entre l’anthropologie et la sociologie à l’origine était que la première s’intéressait à ce qui dure dans les sociétés traditionnelles, dites primitives bien souvent, tandis que la deuxième s’intéressait à ce qui les transforme (le passage des sociétés traditionnelles aux sociétés modernes). Philippe d’Iribarne, qui n’est ni sociologue ni anthropologue de formation, se classerait davantage du côté des anthropologues puisque qu’à travers ses recherches et ses publications ce qu’il cherche à mettre en évidence c’est bien ce qui dure et traverse le temps dans nos sociétés (et forcément dans les entreprises). Il reconnaît volontiers l’influence qu’a eue l’anthropologie sur lui après une fréquentation de la sociologie qui ne lui apportait pas de réponses satisfaisantes à ce qu’il voyait dans les entreprises françaises (d’Iribarne, 1993). Ce qu’il y voyait relevait davantage, bien souvent, d’une société d’Ancien Régime que d’une société moderne telle que décrite et étudiée par les sociologues. C’est à travers le travail de Montesquieu, « un ‘proto-sociologue’ (…) dont les travaux sont antérieurs à la séparation sociologie-ethnologie » (d’Iribarne, 1993, p. XVI-XVII), et son utilisation du concept d’honneur, qu’il trouve les premières clés de compréhension du fonctionnement de l’entreprise française. Depuis lors, il n’a cessé à travers ses recherches d’approfondir son analyse de la société française et son exploration de ce qui dure et persiste dans nos sociétés. Le point de départ de cette aventure est la publication d’un ouvrage remarqué en 1989, La Logique de l’honneur, qui a pour objet l’étude des liens entre entreprises et sociétés. Au moment où il écrit La Logique de l’honneur (1989), le monde du management interculturel est dominé par le travail de Geert Hofstede grâce à une recherche et un ouvrage publiés en 1980, Culture’s Consequences : International Differences in Work-Related Values. Dans cet ouvrage, ce dernier présente la culture nationale et les relations entre cette dernière et la gestion à partir de 4 variables représentant des questions fondamentales auxquelles toutes les sociétés doivent répondre pour survivre (rapport dominants/dominés, rapport hommes/femmes, rapport individus/collectif, incertitude ou non face au futur). Philippe d’Iribarne propose pour sa part, dans son livre de 1989, une alternative à cette approche basée sur des scores statistiques, produits à partir d’échelles d’attitudes et de valeurs, qui distingueraient les sociétés et les cultures les unes des autres. Son dernier livre, Penser la diversité du monde, publié en 2008, s’inscrit en continuité de son travail initial mais en mettant l’accent davantage sur la théorisation de ce qui dure et persiste au sein des sociétés. Le concept de culture, concept surexploité en sciences sociales, est-il le meilleur pour rendre compte de ce phénomène ? Voilà une des interrogations centrales de l’auteur dans son nouveau livre. Refaisons rapidement le parcours de P. d’Iribarne avant d’examiner plus attentivement la contribution de ce dernier livre. Dans La Logique de l’honneur P. d’Iribarne propose une autre définition de la culture et une autre façon d’approcher les rapports entre société et gestion que celle de Hofstede. Son approche, d’inspiration ethno-historique, explore plus en profondeur le cas d’une entreprise française et de deux de ses filiales, l’une aux États-Unis et l’autre aux Pays-Bas, pour mettre au jour les logiques culturelles qui y sont à l’oeuvre. Selon lui, chaque culture a sa propre logique qui s’appuie sur une ou des oppositions fondamentales qui traversent le temps et les révolutions. Ainsi la France serait mue par une logique de l’honneur qui reposerait sur l’opposition fondamentale entre le noble et le vil. Dans cette logique culturelle, ce qui est noble et vil serait l’objet constant d’enjeux dans la société française. Par exemple, ce …

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