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D’après l’article 1-3b du règlement 4087/88 de la Communauté Européenne, la franchise est : « un accord par lequel une entreprise, le franchiseur, accorde à une autre, le franchisé, en échange d’une compensation financière directe ou indirecte, le droit d’exploiter une franchise dans le but de commercialiser des types de produits et/ou de services déterminés. Il doit comprendre au moins les obligations suivantes : (1) l’utilisation d’un nom ou d’une enseigne communs et une présentation uniforme des locaux et/ou moyens de transport visés au contrat, (2) la communication par le franchiseur au franchisé de savoir-faire et (3) la fourniture continue par le franchiseur au franchisé d’une assistance commerciale ou technique pendant la durée de l’accord. » Ce mode de distribution est très répandu. En France par exemple, la Fédération Française de la Franchise a recensé 1.037 réseaux de franchise et 43.680 franchisés en 2006 (Fédération Française de la Franchise, 2007).

Une caractéristique importante de la plupart des réseaux de franchise est qu’ils comportent à la fois des points de vente franchisés et des points de vente détenus en propre (ou succursales). Par exemple, la proportion moyenne de points de vente franchisés dans les réseaux de franchise français s’élevait à 59,4 % en 2006 (Fédération Française de la Franchise, 2007). Toutefois, ce ratio varie assez fortement d’un réseau à l’autre. Deux approches sont généralement utilisées pour expliquer le choix de la franchise ou de l’intégration verticale : la thèse de la rareté des ressources et la théorie de l’agence.

La thèse de la rareté des ressources est fondée sur le concept de cycle de vie (Oxenfeldt et Kelly, 1969). A l’origine, les franchiseurs ne disposent pas des ressources nécessaires à leur développement. Grâce à la franchise, ils peuvent accéder plus facilement à ces ressources. Au fur et à mesure de leur développement, la contrainte se desserre et le recours à la franchise devient moins nécessaire. Par conséquent, les franchiseurs auront tendance à recourir plus fortement à l’intégration verticale.

D’après la théorie de l’agence, la franchise présente surtout l’intérêt de conférer le statut de «créancier résiduel » aux responsables des points de vente. D’où une plus grande motivation que dans le cas de l’intégration verticale. A l’inverse, le statut de « créancier résiduel » incite les franchisés à se comporter en « passagers clandestins ». Ils peuvent notamment être tentés de ne pas respecter les standards de qualité afin d’accroître leur performance à court terme (Lafontaine, 1992).

Dans cet article, nous testons l’impact de trois approches théoriques sur le choix de la franchise ou de l’intégration verticale : la thèse de la rareté des ressources, la théorie de l’agence mais aussi l’approche fondée sur les connaissances organisationnelles (Conner et Prahalad, 1996; Grant, 1996; Kogut et Zander, 1996). Comme le suggère la définition de la Communauté Européenne, le transfert d’un savoir-faire est au coeur de la relation franchiseur – franchisé. Toutefois, l’impact du transfert de connaissances organisationnelles sur le choix de la franchise ou de l’intégration verticale a rarement été étudié (voir Windsperger et Dant, 2006 pour une exception récente).

Notre objectif est également de contribuer à un débat plus général. Alors que la théorie de l’agence ramène le choix de la franchise ou de l’intégration verticale à une question d’opportunisme, l’approche fondée sur les connaissances organisationnelles met l’accent sur la question du savoir-faire. Un débat important oppose depuis plusieurs années deux Ecoles (Conner et Prahalad, 1996; Foss, 1996; Kogut et Zander, 1996). Pour la première, l’opportunisme est le seul véritable déterminant de la frontière de la firme. Pour la seconde, les connaissances organisationnelles jouent également un rôle central. Il nous semble donc important de tester la mesure dans laquelle la prise en compte des connaissances organisationnelles améliore notre compréhension du choix d’une forme organisationnelle plutôt que d’une autre (Birkinshaw, Nobel et Ridderstrale, 2002; Poppo et Zenger, 1998).

Dans un premier temps, nous présenterons de manière détaillée les trois approches théoriques et nous en déduirons les hypothèses. Nous décrirons ensuite les données et la méthodologie utilisées pour tester les hypothèses. Enfin, nous présenterons les résultats et leurs implications.

Développement des hypothèses

Thèse de la rareté des ressources

D’après la thèse de la rareté des ressources, les franchiseurs ont tendance à recourir à la franchise plutôt qu’à l’intégration verticale lorsqu’ils ne disposent pas des ressources nécessaires à leur développement. A l’origine, cette approche se limitait surtout aux capitaux (Oxenfeldt et Kelly, 1969). Elle a pris le nom de thèse de la rareté des ressources lorsqu’elle a été étendue aux autres ressources nécessaires à l’ouverture et au bon fonctionnement des points de vente : les compétences managériales et la connaissance des marchés locaux (Carney et Gedajlovic, 1991).

La thèse de la rareté des ressources repose sur le concept du cycle de vie (Oxenfeldt et Kelly, 1969). Les ressources des réseaux récents sont souvent très limitées. Le recours à la franchise leur permet alors d’accéder aux capitaux, aux compétences managériales et à la connaissance des marchés locaux des franchisés (Shane, 1996). Les réseaux plus anciens disposent généralement de plus de ressources que les réseaux récents. Ils ont alors tendance à recourir plus largement à l’intégration verticale. En effet, l’intégration verticale permet de capter la totalité des profits réalisés par les points de vente et pas uniquement les royalties versés par les franchisés. Deux techniques sont utilisables pour accroître progressivement la proportion de points de vente détenus en propre : (1) racheter les points de vente franchisés les plus rentables ou (2) ouvrir de nouveaux points de vente détenus en propre.

En bref, la thèse de la rareté des ressources suggère que la proportion de points de vente franchisés diminue au fur et à mesure que les réseaux accumulent les ressources nécessaires à l’ouverture et au fonctionnement de leurs propres points de vente.

Hypothèse 1 : La proportion de points de vente franchisés est moins élevée dans les réseaux les plus anciens.

Théorie de l’agence

Dans les réseaux de franchise, la rémunération des gérants de succursales prend la forme d’un salaire dont la plus grande partie est fixe. Ce mode de rémunération n’est pas très motivant. Par conséquent, les franchiseurs doivent mettre en place des mécanismes d’incitation à l’effort et de contrôle coûteux. La caractéristique principale de la relation de franchise est qu’elle accorde le statut de « créancier résiduel » aux franchisés (Lafontaine, 1992). En d’autres termes, leur rémunération est directement indexée sur la performance de leur point de vente. Comme les franchisés sont plus motivés que les gérants de succursales, la mise en place de mécanismes d’incitation à l’effort et de contrôle est moins nécessaire.

La théorie de l’agence suggère donc que le choix de la franchise sera particulièrement recommandé lorsque les coûts d’incitation à l’effort et de contrôle sont élevés. Les implications sont particulièrement claires lorsque l’on se place dans un contexte international. Dans un pays donné, les réseaux d’origine étrangère sont susceptibles de faire face à des coûts d’incitation à l’effort et de contrôle plus élevés que ceux des réseaux locaux pour deux raisons (Fladmoe-Lindquist et Jacque, 1995). D’une part, la distance géographique entre le siège du franchiseur et les points de vente est plus élevée pour les franchiseurs d’origine étrangère que pour les franchiseurs locaux. D’autre part, la distance culturelle complique la tâche des franchiseurs d’origine étrangère par rapport aux franchiseurs locaux.

Par conséquent, la distance géographique et la distance culturelle devraient inciter les réseaux d’origine étrangère à franchiser une plus forte proportion de leurs points de vente que leurs concurrents locaux. Comme l’ont bien résumé Fladmoe-Lindquist et Jacque (1995, page 1239) : « Du fait des coûts induits par le contrôle à l’international, les (franchiseurs) ont tendance à favoriser la franchise pour aligner les intérêts des (responsables de points de vente) étrangers avec leurs propres intérêts. »

Hypothèse 2 : La proportion de points de vente franchisés est plus élevée dans les réseaux d’origine étrangère que dans les réseaux locaux.

Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, les franchisés ont tendance à être plus motivés que les gérants de succursales. Toutefois, la franchise n’est pas forcément la panacée car elle génère des conflits d’intérêts entre les franchiseurs et leurs franchisés. Ces conflits d’intérêt proviennent essentiellement de différences en terme d’horizon temporel. Alors que les franchiseurs visent la rentabilité à court terme mais aussi le développement du réseau à long terme, les franchisés ont avant tout un objectif de rentabilité à court terme (Dant et Nasr, 1998). Par conséquent, ils peuvent être tentés de se comporter en « passager clandestin ». Le non-respect des standards de qualité du franchiseur leur permettra de réduire leurs coûts (et d’améliorer leur rentabilité à court terme). En revanche, il portera préjudice au franchiseur en ternissant son image de marque et en compromettant son développement à long terme (Michael, 2000).

D’après la littérature sur la franchise, les franchisés sont d’autant plus susceptibles de se comporter de manière opportuniste que le réseau auquel ils appartiennent opère dans un secteur caractérisé par des externalités élevées (Brickley et Dark, 1987; Brickley, Dark et Weisbach, 1991). En règle générale, les externalités sont d’autant plus élevées que : (1) les clients sont avant des clients de passage ou occasionnels ; (2) l’offre des réseaux est standardisée et n’exige pas d’adapter l’offre à chaque client. Dans ce cas, les franchisés qui agissent en « passagers clandestins » bénéficieront des avantages d’un tel comportement (réduction des coûts …) sans pâtir de ses inconvénients (perte de clients qui auraient pu être fidélisés …). Dans le cas contraire, la perspective de perdre des clients déçus sera suffisante pour dissuader les franchisés de se comporter en « passager clandestin ».

En résumé, le choix de la franchise est peu indiqué pour les franchiseurs qui opèrent dans des secteurs caractérisés par des externalités élevées car le comportement opportuniste de certains franchisés est susceptible de ternir leur image de marque et de menacer leur développement à long terme.

Hypothèse 3 : La proportion de points de vente franchisés est moins élevée dans les réseaux qui opèrent dans les secteurs caractérisés par des externalités élevées.

Approche fondée sur les connaissances organisationnelles

L’argument central de l’approche fondée sur les connaissances organisationnelles est que les relations hiérarchiques facilitent le transfert de connaissances tacites par rapport aux relations non hiérarchiques (Conner et Prahalad, 1996; Kogut et Zander, 1996). Si l’approche fondée sur les connaissances organisationnelles a été peu utilisée dans le domaine de la franchise, elle est susceptible d’avoir des implications importantes pour les réseaux (Barthélemy, 2008).

En effet, la transmission de connaissances organisationnelles est au coeur de la relation franchiseur – franchisé. Une partie de ces connaissances est explicite. Elle peut donc figurer dans les manuels remis aux franchisés. Le reste des connaissances prend une forme plus tacite. Son transfert aux franchisés nécessite alors l’organisation de séminaires de formation animés par le franchiseur ou de stages auprès de franchisés expérimentés. Dans les réseaux de franchise, le savoir-faire peut prendre des formes très diverses. Comme le résument Combs and Ketchen (1999, page 198), il porte généralement sur « la façon de faire fonctionner un point de vente au jour le jour, d’améliorer sa performance et de promouvoir les produits et les services du réseau. »

Il est souvent plus facile de transférer des connaissances tacites à des franchisés qu’à des gérants de succursales pour plusieurs raisons (Bradach, 1997; Combs and Ketchen, 1999; Darr, Argote et Epple, 1995). Premièrement, le franchiseur ne peut pas exiger de ses franchisés qu’ils suivent une formation alors qu’il peut tout à fait l’imposer à ses gérants de succursales. En effet, les gérants de succursales sont les employés du franchiseur alors que les franchisés sont plus indépendants (Combs et Ketchen, 1999). Deuxièmement, la rémunération des franchisés dépend étroitement de la performance de leur point de vente. Ils sont moins susceptibles que les gérants de succursales d’être assidus aux formations organisées par le franchiseur car elles les éloignent de leur activité au jour le jour (et réduisent leurs revenus). Troisièmement, les contacts entre les franchiseurs et leurs gérants de succursales sont plus fréquents qu’entre les franchiseurs et leurs franchisés (Bradach, 1997). La plus grande proximité qui en résulte facile le transfert de savoir-faire (Darr, Argote et Epple, 1995).

Les implications sont claires. S’il est plus facile de transférer des connaissances tacites aux gérants de succursales qu’aux franchisés, les franchiseurs qui souhaitent transférer une grande quantité de savoir-faire à leurs responsables de points de vente auront moins intérêt à recourir à la franchise.

Hypothèse 4 : La proportion de points de vente franchisés est moins élevée dans les réseaux qui transfèrent une grande quantité de connaissances tacites.

Méthodologie

Données

Les données utilisées pour tester les hypothèses proviennent de Toute la Franchise 2007, l’annuaire édité par la Fédération Française de la Franchise. Elles ont été collectées entre octobre et décembre 2006. L’échantillon comporte 89 réseaux adhérents de la Fédération Française de la Franchise. Si 113 réseaux adhèrent à la Fédération Française de la Franchise, 24 d’entre eux ont dû être écartés car ils n’avaient pas communiqué les données concernant le transfert de savoir-faire.

Variables

Proportion de points de vente franchisés. La variable dépendante a été calculée de la manière suivante : Proportion de points de vente franchisés = nombre de points de vente franchisés / (nombre de points de vente franchisés + nombre de points de vente détenus en propre). Les informations portent sur le nombre de points de vente implantés en France.

Age du réseau. De nombreuses études ont utilisé l’âge du réseau pour opérationaliser la rareté des ressources (Carney et Gedajlovic, 1991). Dans cette étude, l’âge du réseau est mesuré à l’aide du logarithme du nombre d’années écoulées depuis sa création.

Réseau d’origine étrangère. Il est clair que les coûts d’incitation à l’effort et de contrôle des points de vente implantés en France seront plus élevés pour les réseaux d’origine étrangère que pour les réseaux français. En effet, la distance géographique et la distance culturelle entre le siège du franchiseur et ses points de vente français est plus élevée pour les réseaux d’origine étrangère que pour les réseaux français (Fladmoe-Lindquist et Jacque, 1995). Par conséquent, les coûts d’incitation à l’effort ont été opérationnalisés à l’aide d’une variable binaire prenant la valeur de « 1 » pour les réseaux d’origine étrangère et de « 0 » pour les réseaux français.

Secteur à externalités élevées. Les risques d’opportunisme de la part des franchisés sont exacerbés lorsqu’un réseau opère dans un secteur d’activité caractérisé par des externalités élevées. En nous fondant sur les travaux précédents menés aux Etats-Unis (Brickley et Dark, 1987; Brickley, 1999) et en France (Chaudey et Fadairo, 2007), nous avons divisé notre échantillon en deux groupes. Les réseaux ont été inclus dans la catégorie « secteur à externalités élevées » lorsqu’ils présentaient deux caractéristiques : (1) ils étaient surtout susceptibles de servir des clients de passage ou occasionnels; (2) leur offre était standardisé et n’exigeait pas d’adapter le produit ou le service au client (Brickley et Dark, 1987). A titre d’illustration, l’hôtellerie, la restauration et la location automobile ont été inclus dans la catégorie « secteur à externalités élevées » (Brickley, 1999).

Transfert de connaissances tacites. Contrairement au transfert de connaissances explicites, le transfert de connaissances tacites nécessite un contact direct entre les responsables des points de vente et le franchiseur (Darr, Argote et Epple, 1995; Dyer et Hatch, 2006; Windsperger et Dant, 2006). Par conséquent, il a été opérationnalisé à l’aide du logarithme du nombre de jours de formation dispensés aux franchisés lors de leur entrée dans le réseau. Une constante de 1 a été ajoutée afin de pouvoir calculer le logarithme pour les réseaux qui indiquaient qu’ils ne proposaient aucune formation initiale.

Enfin, la taille du réseau est utilisée comme variable de contrôle. Elle a été mesurée à l’aide du logarithme du nombre total de points de ventes implantés en France (points de vente franchisés + points de vente détenus en propre) (Lafontaine, 1992).

Résultats

Le Tableau 1 présente les principales statistiques descriptives.

Tableau 1

Statistiques descriptives et corrélations

Statistiques descriptives et corrélations

N = 89

† p < 0.10, * p < 0.05, ** < 0.01

-> See the list of tables

Dans notre étude, la variable dépendante (cf. proportion de points de vente franchisés) prend des valeurs comprises entre 0 et 1. Lorsque la variable dépendante est tronquée, les résultats issus d’un modèle de régression OLS peuvent être biaisés. Par conséquent, nous avons utilisé un modèle de régression Tobit pour tester les hypothèses (Greene, 2003).

Les résultats des modèles de régression Tobit sont résumés dans le Tableau 2 ci-dessous.

Tableau 2

Résultats des modèles de régression Tobit

Résultats des modèles de régression Tobit

N = 89

† p < 0.10, * p < 0.05, ** < 0.01

-> See the list of tables

Le premier modèle intègre uniquement la taille. Cette variable de contrôle n’a pas d’impact significatif sur la proportion de points de vente franchisés.

Comme on peut le voir dans le deuxième modèle, la première hypothèse est validée. Conformément à nos attentes, les réseaux les plus anciens ont une proportion de points de vente franchisés inférieure à celle des réseaux plus récents (β = -0,16; p < 0,01). Dans le cas de la franchise en France, la thèse de la rareté des ressources semble donc donner des résultats assez convaincants.

Les résultats du troisième modèle suggèrent que les réseaux d’origine étrangère n’ont pas une proportion de points de vente franchisés statistiquement supérieure à celle des réseaux français (β = 0,16; p > 0,05). La deuxième hypothèse n’est donc pas validée. On peut cependant remarquer que le sens du coefficient est conforme à notre hypothèse. Par ailleurs, le coefficient est relativement proche du seuil de significativité (p = 0,09).

La troisième hypothèse est validée (β = -0,21; p < 0,01). Les réseaux opérant dans des secteurs d’activité caractérisés par des externalités élevées ont une proportion de points de vente franchisés inférieure à celle des réseaux opérant dans des secteurs d’activité caractérisés par des externalités faibles. Dans ce cas, la perspective de perdre des clients susceptibles d’être fidélisés semble suffire à dissuader les franchisés d’adopter un comportement opportuniste.

Enfin, la quatrième hypothèse suggérait que le transfert de connaissances tacites aurait pour implication la diminution de la proportion de points de vente franchisés. Comme on peut le voir dans le quatrième modèle, cette hypothèse est validée (β = -0,09; p < 0,01). Après avoir pris en compte l’impact de la thèse de la rareté des ressources et de la théorie de l’agence, l’approche fondée sur les connaissances organisationnelles permet donc d’expliquer une part non négligeable de la variance du choix de la franchise. Il s’agit d’un résultat important dont les implications devront être discutées en détail.

Discussion et implications

L’objectif de cette recherche était d’évaluer l’impact combiné de trois approches théoriques sur le choix de la franchise ou de l’intégration verticale. Alors que la plupart des travaux sur la franchise portent sur des réseaux d’origine nord-américaine, notre étude a mis l’accent sur les réseaux implantés en France. A ce jour, le nombre d’études empiriques portant sur le choix de la franchise ou de l’intégration verticale dans ce pays est encore limité (Chaudey et Fadairo, 2007; Pénard, Raynaud et Saussier, 2003).

Les résultats semblent confirmer l’existence d’un cycle de vie de la franchise (Oxenfeldt et Kelly, 1969). D’après la thèse de la rareté des ressources, les réseaux commencent par franchiser une forte proportion de leurs points de vente avant d’accroître progressivement la proportion de points de vente détenus en propre. L’hypothèse qui sous-tend la thèse de la rareté des ressources est que les franchiseurs préfèrent posséder leurs propres points de vente. Par conséquent, ils devraient avoir tendance à racheter les points de vente franchisés les plus rentables et à ouvrir des succursales dès qu’ils disposent des ressources nécessaires.

De nombreux chercheurs ont critiqué la pertinence de la thèse de la rareté des ressources. Shane (1998) considère par exemple que la théorie de l’agence suffit à rendre compte du phénomène de la franchise. Les résultats de cette étude suggèrent que les réseaux anciens recourent moins largement à la franchise que les réseaux récents. Il nous semble donc que la thèse de la rareté des ressources ne doit pas être écartée trop rapidement. Toutefois, il ne faudrait pas en conclure que les réseaux les plus anciens finissent par renoncer totalement à la franchise. Aux Etats-Unis, une étude longitudinale menée par Lafontaine et Shaw (2005) suggère que la proportion de points de vente détenus en propre se stabilise autour de 15 % (avec des différences importantes d’un secteur à l’autre). Une étude menée en France par Pénard, Raynaud et Saussier (2003) observe un phénomène similaire avec une stabilisation de la proportion de points de vente détenus en propre autour de 25 %.

Les hypothèses tirées de la théorie de l’agence ont été en partie validées. Contrairement à ce que nous avions suggéré, les réseaux d’origine étrangère ne semblent pas avoir une proportion de points de vente franchisés significativement supérieure à celle des réseaux français. Si les tests statistiques ne permettent pas de valider cette hypothèse, on peut remarquer que le coefficient de régression est positif et très proche du seuil de significativité. Plusieurs explications peuvent être avancées pour expliquer le fait que cette hypothèse ne soit pas validée. D’une part, l’implantation d’une filiale ou d’une « master franchise » en France permet sans doute aux franchiseurs d’origine étrangère de réduire les coûts d’incitation à l’effort et de contrôle de leurs implantations françaises. Les données de la Fédération Française de la Franchise ne nous permettent malheureusement pas de prendre en compte cette distinction importante. D’autre part, notre mesure de la dispersion géographique est peut-être trop simple. En effet, certains réseaux d’origine française couvrent l’ensemble du territoire national alors que d’autres sont concentrés dans quelques départements.

Conformément à ce que nous avions suggéré, la proportion de points de vente franchisés est plus faible dans les réseaux qui opèrent dans des secteurs caractérisés par des externalités élevées. En d’autres termes, les franchiseurs ont bien tendance à accroître la proportion de points de vente détenus en propre lorsque les franchisés sont susceptibles de se comporter en « passager clandestin ». Si ce résultat n’est pas totalement inattendu, on peut noter que l’impact de l’opportunisme potentiel des franchisés sur le choix de la franchise a été assez peu étudié. En effet, la plupart des études nord-américaines ont mis l’accent sur les facteurs qui motivent le recours à la franchise (comme la dispersion géographique) et non sur ceux qui favorisent le recours à l’intégration verticale (Combs et Ketchen, 2003).

La contribution principale de cette recherche est d’avoir montré que le transfert de savoir-faire a un impact significatif sur le choix de la franchise ou de l’intégration verticale. La quasi-totalité des recherches sur la franchise a négligé les connaissances organisationnelles. Cela nous semble être une limite importante de la littérature. En effet, elle a souvent ramené le choix de la franchise à la théorie de l’agence alors que le transfert de savoir-faire est au coeur de la relation franchiseur – franchisé.

Comme nous l’avons indiqué en introduction, une controverse oppose les tenants de l’opportunisme à ceux des connaissances organisationnelles dans le débat sur les déterminants de la frontière de la firme (Conner et Prahalad, 1996; Foss, 1996; Kogut et Zander, 1996). Cette controverse a rarement été abordée dans le cadre des réseaux de franchise alors que les questions d’opportunisme et de connaissances organisationnelles y jouent un rôle central (Barthélemy, 2008). D’une part, l’approche fondée sur l’opportunisme suggère que les réseaux font : (1) le choix de la franchise pour répondre au manque de motivation des gérants de succursales; (2) le choix de l’intégration verticale par peur de devoir subir un comportement opportuniste de la part des franchisés. D’autre part, l’approche fondée sur les connaissances organisationnelles suggère que les réseaux réduisent la proportion de points de vente franchisés lorsqu’une quantité importante de savoir-faire doit être transférée aux responsables des points de vente. Si l’on considère généralement que les connaissances organisationnelles tacites se diffusent mieux à l’intérieur d’une même organisation que d’une organisation à l’autre, cette question a rarement été étudiée dans le cadre des réseaux de franchise (Darr, Argote et Epple, 1995). Les résultats de cette étude confirment que les franchiseurs sont plus susceptibles de faire le choix de l’intégration verticale lorsqu’ils transfèrent une grande quantité de savoir-faire aux responsables des points de vente.

La principale conclusion de cette recherche est que les deux approches sont plus complémentaires que contradictoires. Aussi bien l’opportunisme que les connaissances organisationnelles expliquent une partie non négligeable de la variance dans le choix de la franchise ou de l’intégration verticale. Par conséquent, une prise en compte simultanée est souhaitable pour mieux comprendre cette décision cruciale pour les réseaux.

Conclusion

Dans cette étude, nous avons testé la mesure dans laquelle trois approches théoriques (la thèse de la rareté des ressources, la théorie de l’agence et l’approche fondée sur les connaissances organisationnelles) influencent le choix de la franchise ou de l’intégration verticale. Si les résultats de cette étude suggèrent que les trois approches sont nécessaires à une bonne compréhension de ce choix, sa principale contribution réside dans l’application de l’approche fondée sur les connaissances organisationnelles aux réseaux de franchise. Alors que de nombreuses études ont utilisé la thèse de la rareté des ressources et la théorie de l’agence pour expliquer le choix de la franchise ou de l’intégration verticale, le recours à l’approche fondée sur les connaissances organisationnelles est beaucoup plus rare. Cela s’explique peut-être par le fait que la théorie de l’agence utilise parfois les connaissances organisationnelles pour opérationnaliser l’effort du franchiseur (Lafontaine, 1992). Les prédictions sont alors similaires aux nôtres. Plus l’effort du franchiseur est important, plus le recours à l’intégration verticale est important.

Enfin, on peut noter que notre étude comporte un certain nombre de limites. Premièrement, la plupart des indicateurs utilisés pour tester les hypothèses sont simples. Toutefois, ils ont été validés dans des recherches préalables et présentent l’avantage d’être objectifs. Nous avons délibérément choisi de ne pas recourir à des indicateurs perceptuels car ils peuvent être source de biais importants. Deuxièmement, notre étude est de type « coupe instantanée ». Il serait intéressant d’étudier l’impact des connaissances organisationnelles sur le choix de la franchise dans une perspective longitudinale. Troisièmement, l’étude reste limitée à la France. Une comparaison entre pays permettrait d’enrichir notre compréhension des mécanismes de décision en matière de franchise et d’intégration verticale. Quatrièmement, il serait intéressant d’étudier les interactions entre les différentes approches théoriques. On peut notamment se demander si les réseaux anciens réagissent de la même manière aux questions d’opportunisme et de connaissances organisationnelles que les réseaux plus récents.