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Dans le contexte d’une globalisation croissante, et dans des entreprises et organisations de plus en plus tournées vers l’international, l’interaction interculturelle ne concerne plus seulement quelques expatriés. Des personnes toujours plus nombreuses sont en contact avec des clients, fournisseurs, collègues, partenaires, étudiants, enseignants… porteurs d’autres cultures que la leur. Pour réussir ces interactions interculturelles, la compétence interculturelle est indispensable.

Cette affirmation s’inscrit dans une conception contemporaine de la diversité culturelle. Au fil des siècles, des regards bien différents sur l’altérité existaient. L’assimilation (il n’existerait pas de différence entre les peuples), le rejet de la différence perçue (cristallisé dans l’opposition entre le « bon civilisé » et le « mauvais sauvage ») et une hiérarchisation des cultures selon des niveaux de développement supposés ont dominé à tour de rôle l’opinion (Chevrier, 2000 : 143, Davel et al. 2008). Au 20e siècle, l’universalisme (l’accent est mis sur les points communs entre les hommes, non leurs différences) et le relativisme culturel (toutes les cultures se valent mais sont profondément différentes) s’imposent. La recherche en management a longtemps été dominée par l’approche « paroissiale » : on supposait l’universalité des conclusions, sans se préoccuper d’éventuelles différences (Adler, 1983). Malgré un essor des théories de la contingence dès les années 1960, un changement des paradigmes n’a commencé que dans les années 1980, suite aux travaux de Hofstede. Dans un contexte de globalisation croissante, les recherches s’intéressant à l’interaction interculturelle dans des situations de travail se sont ensuite multipliées, donnant naissance au champ du management interculturel. Les conséquences de la diversité culturelle dans les organisations font l’objet d’un vaste débat (par exemple Kochan et al. 2003; Horwitz et Horwitz, 2007). La compétence interculturelle s’insère dans ce cadre comme une condition parmi d’autres de la performance de l’entreprise dans un environnement global. Le concept de compétence interculturelle est né dans le champ de l’Anthropologie; Hall (1959) peut en être considéré comme le père fondateur. L’intérêt pour le thème est parti des Etats-Unis dans les années 1970 et a suscité de recherches particulièrement nombreuses en Allemagne. Après l’Anthropologie, le concept a gagné les Sciences de la Communication et de l’Education et la Psychologie, avant d’intéresser les Sciences de Gestion. En Sciences de la Communication, on parle de « compétence de communication interculturelle », alors qu’en Sciences de Gestion, le terme de « compétence interculturelle » s’est imposé. Le moteur de recherche Google trouve 693 000 références pour « intercultural competence », 170 000 pour « compétence interculturelle » ou encore 694 000 pour « interkulturelle Kompetenz » (septembre 2009).

Le besoin perçu de compétence interculturelle trouve son origine dans le constat que les différences culturelles créent une distorsion dans le modèle classique de la communication interpersonnelle : le message envoyé par l’émetteur est interprété par le récepteur selon ses propres codes culturels, ce qui modifie le sens du message. Bref, le message reçu ne correspond pas à ce que l’émetteur avait pour objectif de dire. La compétence interculturelle est donc requise dès lors qu’il y a interaction entre personnes de cultures différentes, que ce soit dans le pays d’origine de l’individu ou à l’étranger, et que ce soit dans des contacts inter-organisationnel (comme la négociation d’un contrat avec un client) ou au sein même de l’entreprise. Chercheurs et managers soulignent l’importance de la compétence interculturelle pour les entreprises internationales. « La compétence interculturelle des individus et des organisations a un impact économique non négligeable et se traduit sous des formes multiples » (Gauthey, 1998 : 15). Au départ, c’est notamment en Gestion des Ressources Humaines et dans le contexte de l’expatriation que la compétence interculturelle a été abordée. Elle y est conçue comme un critère important pour l’adaptation du cadre international ou expatrié (Black et al., 1991). Dans le champ de la stratégie, la compétence interculturelle est considérée comme liée au succès à l’export (Holzmüller et Kaspar, 1989) ou à la réussite des fusions-acquisitions internationales. Ralston et al. (1995) soulignent que la compétence interculturelle est également nécessaire pour des interactions réussies au sein d’une même entreprise. Le marketing a abordé plus tardivement le thème de la compétence interculturelle. La diversité culturelle dans les relations de vendeur – acheteur a été reconnue comme étant un thème important et insuffisamment connu (Bush et al., 2001). La compétence interculturelle serait ainsi utile, selon Bender (1996), pour identifier de nouveaux marchés potentiels, entrer et se développer sur de nouveaux marchés étrangers, créer des politiques de marketing, de vente et de publicité adaptées à la culture étrangère, négocier avec plus de succès avec des « porteurs » de cultures différentes, et nouer et développer des relations d’affaires internationales. Evidemment, pour créer une politique marketing globale ou négocier avec des partenaires étrangers, la compétence interculturelle n’est pas le seul savoir-faire requis. La connaissance des contextes étrangers, la compréhension des systèmes socio-politiques, la prise en compte de contraintes matérielles, les compétences linguistiques ne sont qu’une partie des autres éléments spécifiques à l’international qui en expliquent la réussite ou l’échec. Autrement dit, la compétence interculturelle est considérée comme une condition nécessaire, mais pas suffisante, d’action et de développement à l’international.

Malgré le vif intérêt porté à ce concept et son rôle important dans les entreprises et organisations internationales, il n’existe pas de commun accord quant à la définition de la compétence interculturelle. Il est encore moins clair comment il convient d’évaluer celle-ci. Cet article propose un « état de l’art » sur la compétence interculturelle et de nouvelles perspectives relatives à la manière de l’appréhender. Le propos de cet article est volontairement restreint à la dimension individuelle de la compétence interculturelle. L’envisager comme une compétence collective ou organisationnelle est également intéressant, mais dépasse le cadre de ce papier, car cela fait appel à des fondements théoriques et des dynamiques organisationnelles différentes, et les enjeux et conséquences pour les entreprises sont également plus larges. L’objectif, ici, est d’aider chercheurs et managers à voir plus clair, afin d’adapter la manière de concevoir et de mesurer la compétence interculturelle individuelle en fonction du contexte et des objectifs. Ceci devrait également permettre d’adapter les actions et décisions relatives à la gestion internationale des ressources humaines. L’article sera structuré en deux parties : la première sera consacrée à la définition du concept et à l’identification de ses composantes, la seconde s’intéressera à la mesure et à l’évaluation de la compétence interculturelle. Pour chacun de ces thèmes, « l’état de l’art » sera complété par la proposition de perspectives. Afin de rendre les propos plus concrets et tangibles, ils seront illustrés à plusieurs reprises par l’exemple du recrutement d’un jeune manager fictif, appelé Tom, pour un poste d’expatrié dans la filiale française de son entreprise, un grand groupe industriel US-américain.

Qu’entend-on par compétence interculturelle ?

Avant de discuter les définitions de la compétence interculturelle, celle-ci sera replacée dans le cadre des compétences individuelles. La revue des définitions proposées dans la littérature entraîne la question de savoir si la compétence interculturelle est spécifique à une culture « cible » particulière, ou si elle est générale. Enfin, la manière dont elle est acquise et développée sera discutée.

La compétence interculturelle : une compétence individuelle particulière

La compétence individuelle est un concept décrit et analysé dans de multiples disciplines (Aubret et al., 1993) qui ont toutes apporté des éléments de compréhension. En linguistique, la compétence est définie comme la capacité à produire un langage, et opposée à la performance qui consiste en l’usage effectif de la langue dans les situations concrètes (Chomsky, 1965). En psychologie, la notion de compétence est plutôt récente. Elle est souvent utilisée comme un synonyme du terme, plus courant, d’aptitude (Amadieu et Cadin, 1996). L’ergonomie aborde la compétence en termes « d’intelligence de la pratique » comme des ensembles stabilisés de savoirs et de savoir-faire, de conduites types, de procédure standards, de types de raisonnement, que l’on peut mettre en oeuvre sans apprentissage nouveau (De Montmollin, 1984 : 122). La compétence se composerait ainsi de connaissances, de savoir-faire et de méta-connaissances. Les Sciences de l’Education conçoivent également la compétence comme « un savoir en usage » (Malglaive, 1990). Les sociologues soulignent que la compétence doit être reconnue par autrui.

En Sciences de Gestion, l’approche américaine (McClelland, 1973) distingue les compétences « essentielles » à l’activité de travail (« hard competencies » : savoirs et savoir-faire) des compétences « différentielles » qui permettent de distinguer les performances supérieures (« soft competencies » : conceptions de soi, traits de personnalité, motivations). L’approche française décompose la compétence en trois volets, le savoir, le savoir-faire et le savoir-être (Durand, 2000). Dans le champ de la Gestion des Ressources Humaines règne aujourd’hui un assez large accord sur le fait que la compétence est opératoire, finalisée, relative à une situation de travail précise et circonstanciée, le résultat d’un apprentissage ainsi qu’une notion abstraite et hypothétique, car on ne peut en observer que les manifestations (Aubret et al., 1993; de Montmollin, 1984; Zarifian, 1999). Dit plus simplement, le consensus porte sur l’idée que la compétence est une combinaison de ressources en situation (Defélix et al., 2006). Elle ne peut donc être envisagée que dans le contexte dans lequel elle agit, et elle est liée à des activités précises.

La compétence interculturelle est une compétence particulière, et s’insère donc dans le cadre tracé ci-dessus. Il s’agit d’une « soft competence », d’une compétence différentielle qui n’est pas liée à un métier particulier. Certains auteurs ont tenté de situer la compétence interculturelle par rapport aux autres compétences. Kiechl (1997 : 13) distingue ainsi trois types de compétences : la compétence de « métier », la compétence méthodologique et la compétence sociale. Cette dernière inclut la capacité de mener à bien des tâches en interaction avec d’autres personnes, en prenant des responsabilités. Selon Kiechl, la compétence interculturelle s’ajouterait en tant que catégorie supplémentaire à cette liste – elle serait distincte de la compétence sociale. D’autres considèrent la compétence interculturelle comme une compétence sociale dans un contexte interculturel (Eder, 1996).

Des définitions multiples et non convergentes de la compétence interculturelle

La liste de définitions de la compétence interculturelle proposée dans le tableau 1 montre la variété des approches de cette notion.

Plusieurs dimensions transcendent les définitions listées dans le tableau 1. D’abord, la compétence interculturelle est un construit cognitif, comportemental et affectif (Dirks, 1995; Kiechl, 1997; Iles, 1995). Certains auteurs mettent davantage en avant le volet cognitif. La compétence interculturelle équivaut alors à une compréhension ou une connaissance (Bender, 1996; Bolten, 1998; Funke, 1995). Cette compréhension correspond souvent à une prise de conscience ou un niveau de conscience plus élevé (Bender, 1996; Cui et Van den Berg, 1991; Hofstede, 1994), voire de planification de l’action (Thomas, 1996). C’est cette compréhension qui est au début du processus d’apprentissage (Hofstede, 1994; Kiechl, 1997), car les changements de comportement ne peuvent s’établir que s’ils s’ancrent dans le cadre de référence de l’individu (Gauthey, 1998 : 14). Cette compréhension concerne, sur un premier niveau, une autre culture et l’interaction avec elle (Bender, 1996; Dirks, 1995; Funke, 1995; Thomas, 1996). Puis, s’y ajoute un « méta-niveau » (Funke, 1995), une compréhension de l’interaction interculturelle « en général ».

D’autres auteurs insistent plutôt sur les aspects comportementaux (Cui et Van den Berg, 1991; Knapp, 1995, Opitz, 1997; Thomas, 1996). Dans cette optique, on peut considérer que la compétence interculturelle suppose l’existence, chez l’individu, de certains traits de personnalité (Bolten, 1998; Cui et Van den Berg, 1991) qui se traduisent dans le comportement.

L’aspect affectif transcende, en partie, les domaines cognitif et comportemental, mais il mérite une attention particulière. Acquérir et développer la compétence interculturelle demande de la motivation (Dirks, 1995; Thomas, 1996) et du respect face à l’autre et à sa culture (Ruben, 1985). Une personne qui connaît bien une culture et qui sait s’y adapter, mais qui considère cette culture comme inférieure (comme cela a été souvent le cas à l’époque coloniale), ne peut pas être considéré comme possédant une compétence interculturelle.

Enfin, la compétence interculturelle est considérée comme nécessaire pour l’interaction réussie. Seules les personnes qui « réussissent » leurs contacts interculturels seraient donc compétentes (Bittner et Reisch, 1994; Knapp, 1995; Opitz, 1997).

La compétence interculturelle est parfois réduite à une adaptation à une autre culture. Or, cette vision est trop simpliste et correspond à une vision réductrice et stéréotypée de la culture. Il s’agit plutôt de simultanément comprendre la culture d’autrui et de garder une cohérence avec sa propre culture. Friedman et Berthoin Antal (2005) proposent le concept de « negotiating reality » (négocier la réalité) qui se base sur l’idée que « la principale compétence interculturelle requise aujourd’hui est la capacité de reconnaître et utiliser les différences culturelles comme une ressource pour apprendre et concevoir une action efficace dans des contextes spécifiques » (2005 : 70). « Ceux qui voudraient à la fois être l’autre et être soi-même (…) confondent ainsi identification et empathie. [Il s’agit plutôt] d’être humble, de sentir très rapidement en quoi son propre comportement peut faire problème, de s’adapter ‘relativement’ en tenant compte des codes culturels sans renoncer à sa propre identité » (Amado, 1998 : 88). La compétence interculturelle est donc une adaptation à la spécificité de la situation d’interaction interculturelle, mais pas une simple adaptation à la culture de l’autre.

Tableau 1

Définitions de la compétence interculturelle

Définitions de la compétence interculturelle

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Pour tenter une synthèse, on peut définir la compétence interculturelle comme la capacité de comprendre les spécificités d’une situation d’interaction interculturelle et de s’adapter à cette spécificité de manière à produire un comportement qui permette que le message émis soit interprété de la manière souhaitée.

Dans le cas du jeune manager expatrié, Tom, sa compétence interculturelle devra se montrer dans le fait qu’il comprenne la culture du pays de destination, la France, et qu’il y adapte relativement son comportement, c’est-à-dire qu’il tente par exemple de ne pas choquer ses collègues français et de se faire accepter par eux, mais sans « faire semblant » d’être un des leurs. Il peut également être plus explicite sur les procédures de travail qu’il souhaite mettre en place, leurs objectifs et leurs conséquences, afin de réduire la possible distorsion du « message » par une grille d’interprétation culturelle différente de la sienne. C’est en se plaçant « entre » la culture américaine de la maison-mère et la culture française de la filiale que Tom pourra servir de « lien » entre la maison-mère et la filiale, ce qui est souvent un des objectifs de l’expatriation dans les entreprises globales.

Une compétence spécifique à certaines cultures ou une compétence « générale » ?

On discerne dans la littérature un débat quant à la nature spécifique (relative à des cultures précises) ou générale de la compétence interculturelle. Ces deux volets sont tantôt opposés, tantôt mélangés implicitement. Ils sont décrits dans les paragraphes qui suivent. Je propose ensuite une conception de la compétence interculturelle qui intègre aussi bien des éléments spécifiques à certaines cultures que des composantes « générales ».

La compétence interculturelle spécifique à une culture : la compétence culturelle

Tout le monde a des exemples de personnes qui connaissent particulièrement bien une autre culture, à laquelle ils savent s’adapter aisément. Bittner et Reisch parlent de « spécialistes interculturels » (1994 : 112) qui auraient une connaissance approfondie d’un pays particulier.

La compétence interculturelle spécifique correspond à ce que Eder (1996) nomme la « compétence de l’interaction sociale », mais dans un contexte culturel autre que le sien. La compétence d’interaction sociale est la « capacité de l’individu à agir dans l’interaction sociale de telle manière qu’en respectant les normes sociales et de comportement en vigueur, ses objectifs sont réalisés et que tous les participants à l’interaction maximisent les conséquences positives, et minimisent les négatives ». Cette compétence est spécifique à la situation donnée et, donc, variable. Plus les connaissances d’une personne sur les comportements et les raisonnements de l’autre sont différenciées et exactes, mieux elle peut identifier et comprendre des signaux sociaux. Pour Argyle (1982, cité par Kiechl, 1997 : 24), le langage, les formes para-verbales et non-verbales de communication, les normes de comportement et l’interaction entre personnes sont des facteurs de la compétence interculturelle. L’apprentissage des codes, verbaux ou non verbaux, est donc toujours nécessaire, mais jamais suffisant dans la mesure où la façon dont on s’en sert reste toujours largement indéterminée (Oriol, 1995 : 132). C’est pourquoi Eubel-Kasper (1997) considère que la compétence interculturelle dépend aussi de certains traits de caractère qui sont plutôt adaptés dans certains contextes culturels, telle l’introversion au Japon, ou l’extraversion aux Etats-Unis.

Bien qu’il s’agisse de la capacité à comprendre une autre culture que la sienne et qu’il y a donc deux cultures en jeu, je propose d’appeler ce volet de la compétence interculturelle la « compétence culturelle ». Ce choix est en accord avec le vocabulaire employé par Allaire et Firsirotu (1984 : 212-213) qui, dans le contexte des cultures organisationnelles, notent également que « certaines personnes peuvent être compétentes dans la culture d’une organisation à laquelle ils n’appartiennent pas », possédant ainsi une « compétence culturelle ». Pour Friedman et Berthoin-Antal (2005), la compétence culturelle est la capacité de générer des stratégies d’action efficaces inconsciemment, alors que la compétence interculturelle est la capacité d’explorer son propre répertoire et de construire activement une stratégie appropriée.

En synthèse, on peut définir la compétence culturelle comme la capacité de comprendre une culture précise et de s’y adapter relativement, en élargissant son spectre d’interprétation et d’action.

Revenons au cas de Tom. Lors de sa sélection pour le poste, sa compétence culturelle pour la France, ou au moins sa capacité à la développer, devrait être un critère important. Si Tom a réalisé un semestre de ses études en France, il aura acquis une certaine connaissance de la culture française et peut-être une certaine capacité à s’y adapter. Le recruteur pourra alors tenter de conclure d’une expérience réussie à la compétence. Si Tom n’a jamais voyagé en France, le recruteur pourra au moins s’intéresser à la personnalité de Tom et se demander si elle tend vers des traits qu’on trouve chez une majorité de français, de façon à réduire ainsi les différences. Selon les grilles de Hall et Hofstede (1994), il s’agirait d’une vision légèrement polychronique du temps, une interprétation plutôt souple des règles fixées et d’un style de communication plutôt implicite. Cette vision stéréotypée des différences culturelles est certes critiquable, mais peut-être quand même préférable à la négation complète de la dimension interculturelle dans ce recrutement.

La composante « générale » de la compétence interculturelle : la compétence multiculturelle

D’autres auteurs insistent davantage sur le côté « général », indépendant de cultures particulières, de la compétence interculturelle. En 1977, Peter Adler (cité par Sparrow, 2000 : 173) parle de « l’homme multiculturel » qui aurait atteint un niveau de conscience lui permettant de s’adapter toujours de nouveau à des environnements différents. « Le style multiculturel de l’identité est basé sur un mouvement fluide et dynamique de soi-même, une capacité d’entrer dans un contexte et d’en sortir, et une capacité de maintenir une cohérence interne à travers cette variété de situations » (Adler, 1977 : 37). Cette définition est proche de ce que Bittner et Reisch (1994 : 114) appellent les « généralistes de l’interculturel ». On attend des « gestionnaires cosmopolites » de réagir avec une grande flexibilité et peu de stress aux actions menées à l’étranger (Pierre, 2008).

Pendant de longues années, les chercheurs se sont attachés à définir les traits de personnalité des personnes qui réussissent particulièrement bien en situation interculturelle. Le tableau 2 liste quelques unes des descriptions de ces traits de personnalité.

Certains traits sont évoqués par une majorité d’auteurs : l’empathie, l’ouverture d’esprit (absence d’ethnocentrisme / tolérance / flexibilité culturelle), la stabilité émotionnelle (et la confiance en soi) mais en même temps l’esprit critique face à soi-même, le sens du contact (capacités de communication, orientation vers la personne) et la précision de l’observation.

Le champ de la psychologie a généré de nombreuses grilles d’évaluation des traits de personnalité individuels (comme le modèle NEO-PI-R, cf. ci-dessous). Des outils qui en sont dérivés sont largement utilisés par les recruteurs, afin de cerner les candidats et évaluer l’adéquation entre leur personnalité et les exigences du poste. Notre futur expatrié Tom pourrait « tout simplement » être soumis à ces batteries de tests. S’il possède des traits évoqués plus haut, son recruteur peut alors supposer qu’il devrait plus facilement arriver à développer une compétence interculturelle lors de son séjour d’expatrié, quel que soit le pays où Tom serait envoyé. Dans le cas où l’expatriation vers la France ne serait qu’une première étape parmi plusieurs missions à l’étranger, cette approche a l’avantage d’évaluer des perspectives à plus long terme.

Il est néanmoins discutable si la compétence interculturelle peut être associée aux mêmes traits quelle que soit la culture. Hofstede et McCrae (2004) ont testé la corrélation entre les dimensions de la culture de Hofstede (1980) et les traits de personnalité individuels du modèle NEO-PI-R (Costa et Mc Crae, 1992). Certains de ces traits de personnalité se recoupent avec les traits liés à la compétence interculturelle : l’ouverture d’esprit et l’extraversion, notamment. Hofstede et McCrae montrent que l’ouverture d’esprit est négativement corrélée à la distance hiérarchique et positivement corrélée à la masculinité. Autrement dit, plus la distance hiérarchique serait faible dans une culture et plus la masculinité est élevée, moins on rencontrerait des personnes ouvertes d’esprit. Une telle conclusion paraît assez hâtive et jette le discrédit sur l’idée que les mêmes traits sont liés à la compétence multiculturelle, quelle que soit la culture. Les approches orientées vers l’interaction critiquent justement cette perception trop déterministe et mécanique de la compétence interculturelle (Friedman et Berthoin Antal, 2005; Hatzer et Layes, 2003). Davantage de recherches sont nécessaires pour apporter des réponses à cette question.

Tableau 2

La compétence multiculturelle vue comme des traits de personnalité

La compétence multiculturelle vue comme des traits de personnalité

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Je propose d’appeler ce volet général de la compétence interculturelle, la compétence multiculturelle. On peut la définir comme une capacité à comprendre la spécificité de l’interaction interculturelle, et de s’adapter à cette spécificité, notamment à travers l’empathie, l’ouverture d’esprit et la stabilité émotionnelle.

Pour une conception de la compétence interculturelle englobant les volets spécifique et général

Les deux volets de la compétence interculturelle, spécifique et général, paraissent fortement interdépendants. La plupart des auteurs évoquent et mélangent d’ailleurs des aspects spécifiques à l’interaction avec une culture précise avec d’autres se référant à l’interaction interculturelle en général. Ainsi, la compétence multiculturelle pourrait être atteinte grâce à la bonne connaissance d’une ou deux cultures étrangères (compétences culturelles). Et le fait de posséder une compétence multiculturelle facilite la compréhension de cultures inconnues. Une augmentation de la compétence dans un volet faciliterait une évolution analogue dans l’autre. La figure 1 synthétise cette idée.

Figure 1

Les deux composantes de la compétence interculturelle

Les deux composantes de la compétence interculturelle

« Compétence interculturelle » :

Capacité de comprendre l’interaction interculturelle et de s’y adapter

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Tableau 3

La compétence multiculturelle vue comme le résultat d’un apprentissage

La compétence multiculturelle vue comme le résultat d’un apprentissage

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Dans le cas idéal, notre « cobaye » Tom devrait donc, grâce à une personnalité plutôt ouverte d’esprit (compétence multiculturelle) parvenir à comprendre la culture française avec une relative facilité, et arriver à s’adapter. Cette expérience renforcera à son tour son aptitude à prendre du recul dans les situations interculturelles en général, ce qui lui rendra une seconde expatriation vers un autre pays plus aisée.

L’acquisition de la compétence interculturelle

A côté de l’approche presque « biologique » des traits de personnalité, d’autres auteurs soulignent que non seulement les compétences culturelles, mais aussi la compétence multiculturelle peuvent être apprises. Pour eux, la compétence multiculturelle est davantage le résultat d’un processus d’apprentissage, d’une prise de conscience, qu’un trait de personnalité immuable.

La compétence multiculturelle passe donc également par une réflexion critique sur sa propre culture et la conscience de la diversité des cultures qui est intégrée dans la communication interculturelle.

Une compétence interculturelle telle que définie plus haut est une capacité complexe et difficile à acquérir. Selon Bruckner (1992, cité par Schmidt, 1994 : 16), il est difficile et exceptionnel d’atteindre un véritable cosmopolitisme, c’est-à-dire de parvenir à dépasser les « faux-semblants de jet-setters et des mondains » pour « s’enraciner dans la profondeur de plusieurs mémoires, de multiples particularités, de revendiquer d’autres appartenances en plus de la sienne ». Thomas (1996 : 16) s’interroge même si les exigences posées actuellement à des individus dans le cadre de l’internationalisation croissante ne dépassent pas la capacité de la plupart d’entre eux dans les domaines de la réflexion, de la décision, des sentiments et de l’action. Cette inquiétude devient plus claire au vu de la liste des nombreux objets d’apprentissages faisant partie de l’interculturel, fournie par Murphy-Lejeune (1993).

Certains de ces objets ne rentrent, selon moi, pas dans le domaine culturel (domaine pratique; apprentissage de la langue étrangère…). Les compétences linguistiques ou la capacité à composer avec les contraintes matérielles ou un système socio-politique différent peuvent être nécessaires dans une négociation internationale, par exemple, mais sortent de la définition de la compétence interculturelle. Mais la liste concernant le domaine culturel est longue, ce qui souligne l’importance de la motivation (évoquée plus haut) pour acquérir une compétence interculturelle. Cet apprentissage est également plus facile pour celui ou celle qui possède déjà certains traits ou aptitudes, comme une perception aiguisée et une observation précise… ce qui nous rapproche, de nouveau, de la conception de la compétence interculturelle comme liée à des traits de personnalité. Il s’agit clairement d’un concept multi-dimensionnel et systémique.

Tableau 4

Domaines d’apprentissages interculturels

Domaines d’apprentissages interculturels
Source : d’après Murphy-Lejeune (1993 : 88-89). Cette liste ne représente qu’une partie des domaines cités par Murphy-Lejeune.

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Bennett (1986) propose un modèle de l’apprentissage interculturel en six étapes : le déni (de la différence culturelle), la défense (de ses propres référentiels culturels; la différence culturelle est vue comme une menace), la minimisation (des différences culturelles), l’acceptation, l’adaptation (momentanée) et l’intégration (construction d’une identité multiculturelle) seraient ainsi des niveaux de compétence successifs. Mais ce modèle explique mal comment les individus passent d’un stade à un autre, et paraît trop linéaire pour tenir compte de la complexité de l’apprentissage interculturel.

Comment mesurer la compétence interculturelle ?

Comment évaluer la capacité d’une personne à s’adapter aux spécificités de situations d’interaction interculturelle ? Les instruments et modes de mesure de la compétence interculturelle sont multiples et variés, mais aucun ne s’est imposé. L’objectif, ici, n’est pas de dresser la liste exhaustive de l’existant, mais plutôt de mettre ces instruments en perspective et de jeter un regard critique, afin d’aider chercheurs et praticiens de la GRH à comprendre les enjeux et donner des repères. Cette mise en perspective implique également de positionner ces instruments par rapport à la distinction introduite plus haut entre compétence culturelle et compétence multiculturelle.

Ces outils ne peuvent être envisagés séparément du contexte et des objectifs de leur utilisation, que j’aborderai en premier. Puis, je mettrai l’évaluation de la compétence interculturelle en parallèle de l’évaluation de la compétence individuelle en général. Les deux types d’outils formalisés les plus courants, l’assimilateur de culture et les échelles de mesure, seront ensuite discutés. Je proposerai enfin un tableau de synthèse, voulu comme une aide au choix d’outils de mesure de la compétence interculturelle en fonction du contexte.

Qui évalue la compétence interculturelle et pour quelles raisons ?

Pour pouvoir évaluer des instruments de mesure de la compétence, il faut au préalable s’interroger sur leurs raisons d’existence, et les objectifs de leur utilisation. Dans quels contextes et à quelles fins cherche-t-on à évaluer la compétence interculturelle ? Dans le contexte du management, trois configurations principales coexistent.

La première utilisation des instruments de mesure de la compétence interculturelle a lieu dans les entreprises et organisations. Dans une logique de GRH et dans des contextes de recrutement ou de promotion interne, on cherche à évaluer si une personne possède une compétence interculturelle considérée comme requise pour le poste en question. Ceci est notamment le cas pour les postes d’expatriés, de commerciaux export, au sein d’une équipe internationale ou pour des cadres supérieurs dans des entreprises internationales. L’enjeu est très important : une étude basée sur 270 entreprises (Eco International, 2006) indique que des faiblesses dans le recrutement du candidat pèsent à hauteur de 31 % sur les échecs d’expatriations. Malgré ces constats, les principaux critères de sélection d’un expatrié restent les compétences métier (critère le plus important pour 65 % des entreprises) et l’efficacité au travail (25 % des entreprises; ORC Worldwide, 2004, basée sur 864 entreprises). Dans seulement 26 % des entreprises, le service GRH intervient systématiquement dans la sélection, et 75 % des sociétés n’évaluent pas les compétences en langues étrangères ou la capacité à s’intégrer dans une nouvelle équipe d’un candidat (ORC Worldwide, 2004). Il semble en être de même pour la compétence interculturelle. La marge de progrès devrait donc être importante…

Toujours en entreprise, la compétence interculturelle est parfois mesurée dans un contexte plus large d’évaluation et de bilan des compétences. Comme dans le cas de l’expatriation, un évaluateur juge la compétence interculturelle de la personne évaluée, et le résultat de l’évaluation peut avoir un impact important sur la carrière professionnelle de l’évalué. L’enjeu de l’évaluation est donc important, et les avis de la personne qui évalue et de celle qui est évaluée peuvent diverger. Dans ce contexte, il faut que l’instrument propose une mesure qui soit la plus « juste » (et consensuelle) possible, et que la compétence interculturelle mesurée s’exprime réellement dans des interactions interculturelles efficaces, c’est-à-dire que cette compétence soit bien visible dans la performance. Il est très important ici de tenir compte du contexte de l’action, non seulement parce que la compétence est toujours liée à des situations spécifiques, mais aussi pour ne pas sur- ou sous-estimer l’impact de la compétence interculturelle sur la performance.

Imaginons que notre exemple Tom a été envoyé en France pour proposer une restructuration de la filiale française et la mise en place de nouvelles procédures. Or, peu de temps après son arrivée éclate la crise économique actuelle, les salariés craignent pour leur emploi et certains modes de gestion vus comme typiquement américains sont pointés du doigt. Même si Tom possède la compétence interculturelle requise pour son poste, il a peu de chances de réussir dans ce contexte.

Une deuxième utilisation des outils de mesure de la compétence interculturelle est une utilisation individuelle, personnelle. L’individu s’auto-évalue, dans une logique de connaissance de soi, d’orientation professionnelle et d’apprentissage. Les enjeux du résultat de l’évaluation sont moindres, ici. En revanche, il est souhaitable que l’outil offre, outre la possibilité d’évaluation, des voies pour l’apprentissage. Cette auto-évaluation peut aussi avoir lieu dans le cadre de l’entreprise, dans un contexte de formation ou de préparation à l’expatriation.

La troisième utilisation courante des outils de mesure de la compétence interculturelle est celui de la recherche. Pour l’instant, de nombreuses publications ont eu pour objectif d’identifier les composantes de la compétence interculturelle (Arasaratnam et Doerfel, 2005) ou de présenter des outils de mesure (Cui et Van der Berg, 2001; Hammer et al., 2003; Van der Zee et Van Ouderhofen, 2001). Dans d’autres cas, la compétence interculturelle est questionnée en lien avec d’autres concepts. Par exemple, quel est l’impact de l’internationalisation des organisations d’enseignement sur la compétence interculturelle des étudiants (Deardorff, 2006) ? Quel est l’impact de la compétence interculturelle sur la performance d’équipes internationales (Matveev et Nelson, 2004) ? Ce qui importe pour des outils de mesure utilisés dans le cadre de la recherche est la scientificité des instruments et leur cohérence avec le cadre épistémologique et méthodologique de l’étude. En général, il est fondamental de bien définir quels aspects de la compétence interculturelle doivent être évalués : la compétence culturelle ou la compétence multiculturelle ? La connaissance de la culture cible ou la capacité d’action ? Si la compétence interculturelle englobe bien tous ces aspects, aucun outil ne permet d’en tenir compte dans sa globalité.

Les instruments de mesure existants, décrits ci-dessous, se prêtent plus ou moins bien à une utilisation dans l’un ou l’autre de ces contextes. Les contextes adéquats d’utilisation seront indiqués dans le tableau 5.

Que mesure-t-on ?

La mesure de la compétence interculturelle pose les mêmes questions que la mesure de la compétence individuelle en général, qui est un concept abstrait et ne peut pas être observée directement. Le Boterf (2000) propose trois entrées possibles pour évaluer la compétence. La première est l’approche par la performance. On juge alors l’efficacité de la personne et en déduit sa compétence. Puis, la compétence se mesure par le degré de conformité de l’activité à des spécifications ou des standards. Enfin, la verbalisation, instantanée ou différée, de l’action, donne accès aux schèmes opératoires construits par la personne pour réaliser l’action. L’on peut alors juger de la singularité de cette compétence.

Ces entrées existent également pour la compétence interculturelle. On pourrait juger de la compétence interculturelle d’un cadre international par la réussite de son travail à l’international par le passé. On peut ainsi considérer qu’un expatrié qui a réussi sa mission et dont les relations avec les collègues étrangers se sont passées à la satisfaction de tous, possède une compétence culturelle pour le pays en question. Parallèlement, un cadre supérieur qui obtient de bons résultats, depuis plusieurs années et lors de négociations avec des cultures variées, devrait posséder une compétence multiculturelle. La performance dans l’interaction interculturelle a été formalisée dans le concept d’« efficacité interculturelle » (intercultural effectiveness – Cui et Van den Berg, 1991). Mais compétence et performance ne sont pas la même chose, de nombreux autres facteurs influant sur la performance. Mamman (1995) a ainsi montré que des facteurs biologiques et sociologiques déterminaient aussi l’efficacité interculturelle, à côté de la compétence. Puis, cette évaluation de la compétence interculturelle soulève la question de l’évaluation de la performance, très complexe également, notamment dans le contexte de l’interaction interculturelle !

Une évaluation de la compétence interculturelle par la conformité à des spécifications ou des standards suppose qu’il existe des « recettes » à appliquer pour la communication interculturelle. Ceci existe dans une certaine mesure pour la compétence culturelle, la composante spécifique à une culture de la compétence interculturelle. On considère alors la compétence interculturelle sous l’angle de l’adaptation à des stéréotypes culturels tels que décrits par Hofstede, par exemple. Les assimilateurs de culture, décrits et discutés plus loin, sont souvent construits suivant ce principe. Mais on reste ici dans une vision très réductrice de la compétence interculturelle.

La verbalisation de la compétence interculturelle implique de « faire parler » l’individu de ses interactions interculturelles, de sa vision des différences culturelles qu’il rencontre, de ses émotions lors de ces situations. Aborder la compétence interculturelle sous cet angle permet de tenir compte de sa singularité, de sa spécificité selon les personnes et les cultures. En revanche, une telle évaluation ne peut être faite que par un évaluateur qui est lui-même expert des relations interculturelles, qui possède une compétence interculturelle importante et qui connaisse bien les cultures dont parle son interlocuteur. Cette mesure reste très subjective. Elle peut être utilisée en entreprise comme dans la recherche, mais en prenant des précautions importantes (validation de l’évaluation par l’évalué ou double codage par plusieurs chercheurs, entre autres).

L’évaluation de la compétence interculturelle par l’assimilateur de culture

Un outil bien connu qui est fréquemment utilisé pour mesurer la compétence interculturelle est l’assimilateur de culture (« culture assimilator »).

L’assimilateur repose sur la technique des incidents critiques (Flanagan, 1957) et a été développé en 1962 par Fiedler, Osgood, Stolurow et Triandis (Foelbach, 2002). L’objectif de l’assimilateur est d’enseigner aux répondants comment voir la situation du point de vue de l’autre culture. L’assimilateur se compose d’une série (entre 20 et 100, généralement) d’incidents critiques. Ce sont des situations d’interaction interculturelle, considérées comme « critiques », c’est-à-dire susceptibles d’interprétations différentes selon les cultures, et pouvant dériver à la mésentente, voire la confrontation. La situation est relatée, puis sont proposées généralement quatre possibilités de réponse (Martin, 2002). Ces réponses comprennent l’interprétation d’un comportement, l’action à mettre en oeuvre ou encore la suite des événements. Ensuite, le répondant reçoit un retour sur la réponse donnée et un complément d’informations ou d’explications. Les « mauvaises » réponses aux incidents critiques reflètent des considérations ethnocentriques ou basées sur une vision stéréotypée du cas. De manière croissante, plusieurs bonnes réponses sont proposées, afin d’éviter une présentation isomorphe de la culture étrangère et de former à la tolérance à l’ambiguïté.

L’assimilateur de culture peut prendre deux formes : soit, il est spécifique à une culture précise, soit il est « général » et concerne l’interaction interculturelle en général. Ces deux formes correspondent aux deux volets de la compétence interculturelle proposés plus haut. La forme générale de l’assimilateur est beaucoup plus rare; l’assimilateur le plus connu a été développé par Brislin (1986 : 218). Il est en réalité basé sur une juxtaposition de situations spécifiques, mais qui concernent une multitude de cultures cibles. Il ne s’agit pas, ici, d’apprendre des comportements spécifiques, mais de se sensibiliser aux valeurs différentes d’autres cultures, et d’apprendre à se positionner de manière critique vis-à-vis de sa propre culture, afin d’être plus tard capable d’anticiper et de comprendre le comportement de personnes d’autres cultures (Thomas, 1988 : 152).

Si « l’assimilateur » a été développé pour permettre un apprentissage de la compétence interculturelle, il peut aussi bien être utilisé pour évaluer celle-ci. Au cours des trois dernières décennies, cet outil s’est répandu dans la pratique, a été modifié et amélioré et constitue aujourd’hui l’outil d’entraînement concernant les orientations culturelles le mieux connu par la recherche. Cette technique permet de mesurer aussi bien la compétence culturelle spécifique à une autre culture, que la compétence multiculturelle, « générale », selon la nature de l’outil utilisé.

Les limites de l’assimilateur de culture comme outil de mesure résident principalement dans le fait qu’on mesure une connaissance plus qu’une réelle capacité d’action en situation. Cette mesure est loin de la perception de la compétence interculturelle comme « négociation de la réalité » (Friedman et Berthoin Antal, 2005). On ne mesure pas vraiment la capacité de la personne à observer, s’adapter, se mettre en question, mais plutôt sa connaissance de plusieurs autres cultures.

Par ailleurs, l’assimilateur ne tient pas compte de l’écart qui existe, la plupart du temps, entre les comportements « déclarés » et les comportements réels. Les changements (climatiques, de conditions de vie, de langue…) liés au déplacement dans un pays étranger peuvent ajouter au stress, par exemple, d’une négociation interculturelle ayant un enjeu important. Dans ces conditions, les réactions des uns et des autres sont souvent moins rationnelles et réfléchies que ce qui est indiqué dans les réponses à choix multiples.

Enfin, l’assimilateur permet de cerner des connaissances acquises et leur transposition à des situations concrètes, mais indique peu de choses sur la capacité d’apprentissage d’une personne. Ce qui intéresse la Gestion Internationale des Ressources Humaines, c’est de savoir si tel candidat à un poste de manager international sera capable d’intégrer la variable interculturelle, ou d’anticiper si un futur expatrié sera capable d’interagir efficacement avec « les locaux ». Dans de telles situations, « l’assimilateur » peut servir d’outil d’apprentissage, mais seulement peu pour le diagnostic.

Concernant l’exemple de Tom, si celui-ci n’a pas encore d’expérience internationale, tenter de cerner s’il développera une compétence interculturelle en France à l’aide d’un assimilateur de culture, que celui-ci soit général ou spécifique, tient plus du jeu de hasard que de l’outil d’évaluation solide. A minima, on pourra voir s’il s’est documenté sur la culture française, ce qui montrera toujours une certaine sensibilité aux différences culturelles et une motivation forte pour un départ à l’étranger… En revanche, en tant que préparation à l’expatriation, un assimilateur spécifique au contexte franco-américain peut être assez efficace pour Tom.

Les échelles de mesure de la compétence interculturelle

De nombreuses échelles de mesure de la compétence interculturelle ont été rapportées dans les recherches sur le sujet. La majorité d’entre elles tentent de mesurer l’existence ou l’absence des traits de personnalité considérés comme associés à la compétence multiculturelle, comme l’ouverture d’esprit et l’empathie.

Van der Zee et Van Oudenhoven (2001) ont développé et testé l’échelle MPQ (multicultural personnality questionnaire) qui apparaît comme l’outil le plus abouti et valide aujourd’hui pour relever ces traits de personnalité. Les auteurs retiennent cinq traits: la stabilité émotionnelle, la prise d’initiatives au niveau de l’interaction (« social initiative »), l’ouverture d’esprit, l’empathie sociale et la flexibilité. Chaque dimension est relevée par 13 à 20 questions, et les alpha de Cronbach des sous-échelles varient entre 0,81 et 0,91.

D’autres outils incluent, à côté des traits de personnalité, des éléments liés à l’attitude de l’individu face à la situation interculturelle, comme la motivation et l’engagement. L’échelle “ISS” (Intercultural Sensitivity Scale, Chen et Starosta, 2000) cherche à apprécier principalement le côté affectif de la compétence interculturelle. L’outil relève cinq dimensions liées à l’interaction interculturelle réussie : l’engagement, le respect face aux différences culturelles, la confiance en soi, le plaisir et l’attention. Un alpha de Cronbach de 0,89 est rapporté par Graf et Harland (2005); l’outil a donc une bonne validité interne.

Certaines échelles paraissent moins solides. L’outil « BASIC » (« Behavioral Assessment Scale »; Koester et Olebe, 1988) mesure huit dimensions de « l’efficacité dans la communication interculturelle » : le fait de montrer du respect, la posture face à l’interaction, l’orientation vers la connaissance, l’empathie, les comportements face à la relation et à la tâche, la gestion de l’interaction et la tolérance face à l’ambiguïté. L’outil met l’accent sur le côté comportemental de la compétence interculturelle. Chaque dimension est relevée à partir d’un seul item, ce qui paraît limité dans un contexte aussi complexe que l’interaction interculturelle. Graf et Harland (2005) obtiennent, pour cette échelle, un alpha de Cronbach de 0,59, ce qui reste faible. De surcroît, les résultats ne sont ni corrélés significativement avec le fait de prendre une bonne décision dans une situation interculturelle, ni corrélés avec ceux de l’ISS.

Une autre échelle de mesure de la compétence interculturelle a été développée par Hammer, Bennett et Wiseman (2003). L’outil « IDI » (« Intercultural Development Inventory ») cherche à positionner le répondant dans une des six phases d’apprentissage de la compétence interculturelle décrites par Bennett (1986; cf. plus haut). Après test empirique de l’outil, les auteurs retiennent cinq dimensions, correspondant à cinq niveaux d’apprentissage. Chaque dimension est relevée avec 5 à 14 items, et les alpha de Cronbach de ces sous-échelles varient entre 0,80 et 0,85. Malgré cette bonne validité interne des dimensions, l’outil reste surprenant, car les cinq dimensions ne mesurent pas les composantes d’un concept, mais chacune un niveau d’apprentissage différent dans une progression vue comme linéaire.

Dans leur ensemble, ces échelles sont d’une utilisation assez aisée pour qui cherche à évaluer la compétence interculturelle d’un grand nombre d’individus. Si notre exemple Tom n’est qu’un candidat parmi 20 pour ce poste d’expatrié, ce type d’outils peut aider le recruteur à choisir celles et ceux à garder pour une deuxième phase de sélection. Ils peuvent aussi être très utiles pour le chercheur qui tente de montrer ou de découvrir le lien entre la compétence interculturelle et d’autres concepts par des méthodes quantitatives. Mais ces outils ne sont pas exempts de limites dont il faut rester conscient. Chacune de ces échelles ne mesure qu’un aspect de la compétence multiculturelle (la composante « générale » de la compétence interculturelle telle que définie plus haut) : traits de personnalité ou attitudes envers les différences culturelles. Elles ne permettent pas d’apprécier les compétences culturelles spécifiques d’un individu, sa connaissance d’une culture cible, par exemple, ni sa capacité d’action en situation. Par ailleurs, ces mesures se basent sur l’auto-évaluation des individus, qui peuvent toujours être tentés de se voir sous un jour plutôt favorable, notamment dans un contexte de sélection et d’évaluation. En analysant la compétence comme des ressources en situation, on peut également se demander si la compétence interculturelle fait appel aux mêmes traits de personnalité quelle que soit la culture d’origine de la personne, ou alors la culture « cible » à laquelle elle tente de s’adapter. Dans l’ensemble, aucun de ces outils ne semble pouvoir tenir compte de la complexité de la compétence interculturelle, et de la difficulté de mesurer la compétence en général. Les outils concernent soit des supposés pré-requis à cette compétence (traits de personnalité), soit une auto-évaluation du niveau d’apprentissage sur une échelle supposée linéaire, soit une volonté d’acquérir cette compétence. L’élément de la connaissance reste absent. La compétence est bien davantage, et notamment la combinaison de ces éléments dans une situation concrète.

Pour une utilisation raisonnée et prudente des outils d’évaluation de la compétence interculturelle

Le tableau 5 tente une synthèse de cette deuxième partie. Une vision critique et comparative des outils d’évaluation de la compétence interculturelle y est proposée, qui reprend les avantages et inconvénients des approches d’évaluation évoquées. En fonction de ces avantages et inconvénients, je suggère les contextes dans lesquels l’utilisation de ces outils me paraît plus adaptée.

En général, il convient de rester prudent lors de l’utilisation de ces outils. Certains fondements sur lesquels ils se basent restent à vérifier. Par exemple, la compétence interculturelle est-elle liée aux mêmes traits de personnalité quelles que soit la culture d’origine de la personne, et la culture cible visée ? Compétence culturelle et compétence multiculturelle sont-elles forcément liées, et dans quelle mesure leur développement va-t-il de pair ? La connaissance que nous avons aujourd’hui de la compétence interculturelle reste aussi insuffisante quant aux formes sous lesquelles celle-ci peut s’exprimer. En attendant, cette évaluation des outils de mesure de la compétence interculturelle devrait aider chercheurs et praticiens à trouver la meilleure adéquation possible entre le contexte de l’évaluation, leurs objectifs et l’outil choisi, et de limiter ainsi les inconvénients de celui-ci.

Tableau 5

Approches de l’évaluation de la compétence interculturelle

Approches de l’évaluation de la compétence interculturelle

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Conclusion

L’importance de la compétence interculturelle dans les affaires internationales n’est plus remise en cause aujourd’hui. Néanmoins, il n’existe pas de commun accord quant à la définition de concept, ni quant à son évaluation. Cet article a tenté de faire la synthèse des approches existantes, de les placer dans domaine des Sciences sociales et de gestion, d’évaluer leurs points forts et leurs limites. Il propose une conception de la compétence interculturelle englobant un volet spécifique à certaines cultures ainsi qu’un volet « général ». Si certains traits de personnalité semblent faciliter le développement de la compétence interculturelle, celle-ci peut être apprise, avec de la motivation, lors de situations d’interaction interculturelles. Cet article propose également une synthèse critique des modes d’évaluation de la compétence interculturelle. Il en résulte qu’il n’existe pas d’outil idéal, mais des approches plus ou moins bien adaptées selon le contexte de l’évaluation.

De nombreuses questions intéressantes, relatives à la compétence interculturelle, restent en suspens. Les défis que la recherche devra relever à l’avenir, dans ce domaine, sont de deux ordres. Le premier est d’approfondir la compréhension de la compétence interculturelle par rapport à sa nature intrinsèque, en visant une analyse fine qui ne présuppose pas l’universalisme et replace cette compétence dans les contextes d’action. Ce premier volet participera à préparer le second, qui concerne la mise en relation de la compétence interculturelle avec d’autres éléments. De nombreuses questions de grande importance pour les entreprises et organisations internationales attendent des éléments de réponse. Quel est l’impact de la compétence interculturelle sur, par exemple, les carrières internationales, sur le succès et l’échec de négociations internationales, ou sur le climat organisationnel dans un groupe global ? Quelles configurations organisationnelles, expériences personnelles ou programmes de formation favorisent le développement de la compétence interculturelle par les salariés ? J’espère que cet article participera à créer les bases nécessaires à de futures recherches rigoureuses et pertinentes sur ces domaines.