Article body

Sur le seuil du traduire, qui traduit ? Au sens de : qui en fait l’expérience ? Car la traduction est expérience avant d’être activité, ce à quoi la didactique en traduction est souvent sourde.

Nouss 2021 : 94

1. Introduction

La paratraduction est arrivée, pour la première fois, à devenir la thématique de tout un numéro spécial de la revue MƐTA. Journal des traducteurs / Translators’ Journal. Avant d’exposer brièvement dans cette publication l’expérience de la pensée du seuil que la paratraduction met en oeuvre dans la traductologie contemporaine, il est de bon aloi de rappeler quelques précisions sur l’origine du terme sans oublier de mentionner sa forte influence internationale pour mieux encadrer les contributions qui ont été finalement sélectionnées dans ce volume.

Le terme de paratraduction fut créé pendant l’année scolaire 2004-2005 au sein du Groupe de recherche Traduction & Paratraduction (T&P) de l’Université de Vigo[1] et constitue le fondement théorique de toutes les activités académiques du susdit laboratoire de recherche galicien où est mis en oeuvre son application pratique. Pour une archéologie et l’évolution du terme de paratraduction – ses fondements théoriques et ses applications pratiques – nous conseillons une consultation détaillée de l’article publié dans le carnet de recherche espagnol T&P intitulé Blog de Yuste. On y sème à tout vent disponible sur le site web du chercheur principal du Groupe T&P (Yuste Frías 2021). En effet, la lecture de l’article permet de tracer le fil du développement du terme paratraduction tout en présentant sa chronologie depuis ses origines jusqu’à nos jours, car il s’agit d’une compilation de 123 publications qui, depuis 2005, ont proposé des approches variées à la paratraduction. On y trouve les accès directs à différentes publications de José Yuste Frías : des chapitres de livre, des articles publiés dans des revues scientifiques, des publications audiovisuelles éditées dans les programmes Web TV du Groupe T&P (Pilules T&P et Exit) et des articles édités aussi bien sur son blog de recherche T&P espagnol que sur celui qu’il entretient en français dans la plateforme Hypothèses[2] sous le titre de Sur les seuils du traduire. Un carnet de recherche sur la traduction et la paratraduction.

Le Groupe T&P est un groupe de recherche unique dans le système universitaire public espagnol car il est le seul qui donne nom à tout un programme doctoral international : le doctorat en Traduction & Paratraduction (T&P)[3] de l’Université de Vigo où des lignes de recherche aussi riches que variées sont développées depuis plus de 18 ans ; le Groupe T&P est l’unique groupe de recherche du système universitaire galicien qui dirige, gère et coordonne un Máster Universitario Excelente da Xunta de Galicia : le Master en traduction pour la communication internationale (MTCI)[4] ; finalement, le Groupe T&P est aussi l’unique groupe de recherche de l’Université de Vigo qui dirige, gère et coordonne un diplôme propre à l’Université de Vigo : le Diplôme de spécialiste en traduction pour l’industrie du jeu vidéo (connu sous l’acronyme espagnol ETIV)[5].

Depuis sa création, la paratraduction a été sujet de réflexion théorique dans la traductologie, outil d’application didactique dans l’enseignement universitaire de la traduction et, finalement, méthodologie pratique dans l’exercice professionnel de la traduction et de l’interprétation. Tout cela suppose de très fortes influences scientifiques dont on veut pour preuve le fait que le terme soit cité dans chacune des 288 publications scientifiques recueillies jusqu’à présent par le chercheur principal du Groupe T&P (Yuste Frías : 2022b). Treize livres, 50 chapitres de livres, 165 articles et 60 thèses doctorales composent un ensemble considérable de production scientifique où l’on trouve le terme de paratraduction traduit en 17 langues : espagnol, galicien, catalan, portugais, italien, français, anglais, allemand, chinois, lituanien, polonais, russe, grec, turc, roumain, perse et arabe.

La paratraduction, est-ce vraiment un nouveau produit au catalogue des concepts traductologiques ? Commençons par répondre que le terme de paratraduction n’est pas exactement un concept, car la paratraduction n’est pas une « idée générale » ni une essence qui conçoit la compréhension de la traduction comme une représentation mentale « abstraite ». Au contraire, rien de plus concret que le terme de paratraduction. À vrai dire, la paratraduction a toujours été plutôt une notion car elle implique une étude et un jugement, une vue concrète acquise grâce au travail appris dans la pratique de la traduction pour pouvoir exprimer ce que l’on en pense. Conçue et mûrie de manière savante, allant du rudimentaire à l’altier, la notion de paratraduction est le produit de la réflexion d’un long travail d’étude fondée sur la connaissance immédiate et intuitive de quelque chose de très concret qui a toujours existé en traduction et dont il convient énormément de prendre acte étant donné son omniprésence dans l’exercice professionnel et de la traduction et de l’interprétation : les seuils du traduire. Paratraduction n’est pas un nouveau mot créé sans besoin ou sans goût. Au contraire, le mot fut conçu en suivant les règles de la néologie, c’est-à-dire qu’il fut formé pour rendre compte d’une idée nouvelle ou mal rendue jusqu’à présent. Le marché de la traductologie étant suffisamment fourni de concepts, il s’agit plutôt de dessiner avec la notion de paratraduction, aux seuils de la traduction, une nouvelle aire paradigmatique propice à renouveler le questionnement sur la théorie universitaire et la pratique professionnelle de la traduction. Au demeurant, une si large ouverture épistémologique permettant de contempler de nouvelles perspectives théoriques, didactiques et professionnelles dans les études de traduction, sied à la diversité des aspects que la notion est susceptible de prendre et qui ne saurait se clore en un tableau figé au préalable : le paratexte.

2. Du paratexte à la paratraduction

Le terme de paratraduction vient de Genette et de sa notion de paratexte, à savoir tout ce qui sert d’appareillage médiateur entre un lecteur et un texte, depuis les titres et les préfaces jusqu’aux témoignages des auteurs en passant par les notes et les illustrations, « ce par quoi un texte se fait livre et se propose comme tel à ses lecteurs, et plus généralement au public » (Genette 1987 : 7-8). La fonction primordiale du paratexte est non seulement de présenter mais aussi de « rendre présent » le texte, c’est-à-dire d’en assurer la présence au monde, la réception, voire la « consommation », par des lecteurs. Le but primordial de tout paratexte est de faire en sorte que le texte devienne un objet de lecture pour le public, c’est-à-dire de le transformer en un livre.

Depuis la publication des travaux de Genette, on sait que le texte ne peut pas exister seul, qu’il ne peut y avoir de texte sans paratexte. Et, à l’ère du numérique, le paratexte reste encore et toujours essentiel pour l’ancrage pragmatique du texte à l’écran. Comprendre le rôle des éléments paratextuels revient à s’interroger sur la nature du lien indissoluble qui unit le paratexte au texte. « Et si le texte sans son paratexte est parfois comme un éléphant sans cornac, puissance infirme, le paratexte sans son texte est un cornac sans éléphant, parade inepte » (Genette 1987 : 413). Au sein du Groupe T&P, on y répète à maintes reprises cette fameuse métaphore de l’éléphant et du cornac de Genette pour insister sur ce lien indissoluble qui existe entre texte et paratexte et qui doit exister entre traduction et paratraduction. Si les paratextes présentent les textes, les paratraductions présentent les traductions. Car si l’« on peut sans doute avancer qu’il n’existe pas, et qu’il n’a jamais existé, de texte, sans paratexte », comme dit Genette (1987 : 9-10), alors, il faut affirmer aussi qu’il ne peut jamais exister de traduction sans paratraduction. C’est grâce à la paratraduction que le traducteur[6] peut assurer la réception de sa traduction dans la survivance d’un texte, car la paratraduction rend possible la transformation de toute traduction en événement : une traduction sans paratraduction n’est qu’un pur incident. Un texte traduit sans paratextes paratraduits est semblable à un éléphant sans cornac, une « puissance infirme », car, malgré le niveau d’excellence avec lequel le texte aurait pu été traduit, si le contenu paratextuel n’est pas paratraduit, il n’existera pas dans le monde de l’édition et donc personne ne le lira. Et inversement, un paratexte paratraduit sans que le texte qu’il présente ne soit aussi traduit, est comme un cornac sans éléphant, une « parade inepte », c’est-à-dire un spectacle dépourvu de la puissance du sens à rechercher dans le texte, un spectacle dépourvu d’intelligence qui dure le temps de la campagne publicitaire du livre, du DVD ou du jeu vidéo que l’on veut vendre mais qui n’est toujours pas prêt parce que la traduction de chaque texte correspondant n’est pas encore achevée. Si l’on considère les traductions comme des produits composés de textes (« éléphants ») et de paratextes (« cornacs »), l’oubli de l’un de ces deux éléments dans le processus de traduction engage sérieusement le succès de la traduction. Deux situations peuvent en découler : soit l’éléphant détruit tout sur son passage, soit le cornac passe pour le dernier des idiots !

Parce que traduction et paratraduction sont toujours inséparables, le Groupe de recherche de référence (TI4) de l’Université de Vigo ne s’est pas contenté de la conjonction copulative espagnole « y » pour unir les deux termes, il a plutôt opté pour le signe appelé esperluette en français, et en espagnol et ampersand en anglais : [&]. Cette graphie moderne du digramme latin « et » n’est ni une lettre ni un signe de ponctuation, mais plutôt un symbole, concrètement un idéogramme du tracé original d’un lien, d’un noeud, du dessin d’une corde qui se noue : une ligature en fin de compte. Voilà pourquoi l’utilisation du signe « & » sert à représenter tout ce sens symbolique de l’union que le Groupe T&P veut qu’il y ait toujours entre la traduction, d’un côté, et la paratraduction, de l’autre.

Si le terme de paratexte est à l’origine de la notion de paratraduction, c’est que l’espace paratextuel s’avère un lieu privilégié pour que la traduction soit pensée. Comme le dit si bien Nouss (2014 : 57), l’exercice de la traduction déploie d’emblée une dimension réflexive, un penser de soi et sur soi, que le paratexte, « entre le dedans et le dehors » (Genette 1987 : 8) du texte, va abriter naturellement car il aménage une distance sans détachement, une séparation sans rupture[7].

Affinité entre traduction et paratextualité parce que traduire implique d’emblée de créer une marge – et se mettre en marge – par rapport à sa propre langue et à sa propre culture pour accueillir celles de l’autre texte, autant que façonner une marge devant celui-ci pour qu’il n’impose pas sa totale domination. […]
Ignorer la marge serait pour le moins mal venu – ou… paradoxal – de la part d’une traductologie qui assoit sa légitimité en récusant la secondarité habituellement attribuée à la traduction. De surcroît, la marginalité n’est pas marquée de la même infériorité que l’on suppose à la secondarité. Ce qui apparaît d’une observation spatiale évidente : la marge n’apparaît pas après, elle se pose d’abord. Tout abord se fait par la marge. La démarche paratraductionnelle rejoint par là les exigences de la pensée liminale ou du penser-à-la-frontière qui marquent une orientation majeure de la réflexion contemporaine.

Nouss 2014 : 57, l’italique est de l’auteur

3. Paratraduction : l’expérience des seuils du traduire

Étant donné l’origine de la notion de paratraduction, une acception immédiate se contentera de la proposer comme, tout simplement et ingénument, le courant traductologique qui s’occupe des paratextes en traduction, mais un tel choix présente un faible apport épistémologique car il ne ferait qu’agrandir le corpus des matières premières offertes au regard traductologique sans susciter une nouvelle théorisation.

Pour rester fidèle à l’ampleur de la poétique proposée par Genette, il serait dommage de ne pas donner à sa notion de paratexte une extension dont profiterait la traductologie. Ouvrant l’étude du texte à tout ce qui le déborde et l’encadre[8], Genette porte une attention critique à la « force illocutoire » (Genette 1987 : 16) émanant des éléments paratextuels en leur accordant le pouvoir d’une « action sur le public » (Genette 1987 : 8). Le Groupe T&P expose une perspective paratraductionnelle qui place l’analyse paratextuelle dans le cadre général des échanges littéraires – leur rôle et leurs modes de fonctionnement – au sein des cultures lors de la réception des traductions. Si la traductologie, quant à elle, n’a pas manqué d’être attentive aux effets idéologiques opérant dans les procédures traductives et aux manipulations qu’ils autorisent[9], elle l’a fait dans l’optique des textes traduits et de leurs rapports aux originaux, n’utilisant que ponctuellement et accessoirement leurs paratextes. Élargissant la visée méthodologique genettienne par un examen centré sur le cadre paratraductif, le Groupe T&P ne se contente pas d’importer une notion (le paratexte) d’un domaine disciplinaire (la théorie littéraire) ou d’une oeuvre critique (celle de Genette) dans le champ traductologique, il la fait travailler ou, selon l’expression de Bal (2002), il la fait « voyager ». Toute la différence entre transfert de données ou d’informations et transfert de savoir ou de connaissances, ce que le Moyen Âge nommait translatio studii, c’est-à-dire montrer comment le savoir s’est déplacé et développé.

La notion de paratraduction, telle que le Groupe T&P de l’École de Vigo la théorise, trouve son application méthodologique à trois niveaux : un niveau empirique, un niveau sociologique et un niveau discursif. Trois niveaux que nous présentons ici très brièvement.

Le niveau empirique ou paratraductif à proprement parler. Un niveau qui étudie, sur les seuils du traduire, les éléments et matériaux paratextuels, verbaux et, surtout, les non-verbaux provenant de codes sémiotiques tels que le visuel (images, couleurs et symboles) et l’auditif (sons, bruitages et musiques). Il s’agit de prêter attention aux paratextes dans toutes les phases du processus de traduction, d’analyser tous les paratextes et du texte de départ et du texte d’arrivée, liés physiquement ou virtuellement aussi bien au texte à traduire qu’au texte traduit, que ce soit sur papier ou à l’écran, afin d’établir ainsi les stratégies de paratraduction spécifiques que la paratextualité requiert. Cela demande de préparer le traducteur à l’acquisition de stratégies de traduction différentes de celles auxquelles il est habitué lorsqu’il travaille seulement et exclusivement avec le code linguistique des textes.

Le niveau sociologique ou protraductif. Un niveau qui étudie, aux seuils du traduire, le comportement paratraductif de la multitude des agents paratraducteurs, autres que le premier et plus important agent paratraducteur – le traducteur lui-même –, qui interviennent, d’une manière ou d’une autre, dans le processus traductif avec des normes et des procédures animées ou pas par les institutions et les entreprises attachées au processus traductif dans tout son déploiement (commandes, phases, stratégies, etc.). Il s’agit d’observer qui décide quoi, comment et pourquoi à propos des paratextes en traduction. Faire attention à tous les agents paratraducteurs qui travaillent aux seuils du traduire implique d’étudier le pouvoir des manipulations et des enjeux esthétiques, politiques, idéologiques, culturels et sociaux de l’acte jamais innocent du traduire, car la paratraduction aide à mettre au jour le rôle des rapports de pouvoirs (inégaux ou asymétriques) joué par l’idéologie dans la présentation, la diffusion et la réception des traductions. En outre, à ce niveau protraductif, la paratraduction prône la visibilité du traducteur partout et pour tout, et dans le cas de la traduction éditoriale, par exemple, cette visibilité va bien au-delà de l’espace paratextuel de la page des droits, allant même jusqu’à encourager la présence du nom complet du traducteur sur la page de titre et, pourquoi pas, sur la couverture du livre.

Le niveau discursif ou métatraductif. Un niveau qui, tout en pensant les seuils du traduire, ne cesse de s’interroger sur la traduction à la fois dans sa constitution propre et dans l’acte même de traduire. La position (active) – et non la situation (passive) – de savoir se tenir toujours sur un seuil qu’adopte tout traducteur-interprète professionnel grâce à la notion de paratraduction aide à penser la traduction et comme une pratique du seuil et comme une pensée du seuil. La paratraduction étudiant les expériences vécues dans l’espace liminal des seuils du traduire devient ainsi un excellent outil théorique pour analyser les différents discours sur la traduction qui guide son fonctionnement tout en la conceptualisant et en assurant son rôle dans la société. Qu’est-ce que traduire ? Conçoit-on l’acte de la traduction de la même manière dans toutes les langues et toutes les cultures ? Les réponses sont aussi diverses que les termes employés par les langues désignant aussi bien le seuil (umbral en espagnol, threshold en anglais, Schwelle en allemand, limiar en galicien et en portugais, soglia en italien, etc.) que la traduction. Ainsi, étant donné que la translatio n’est pas la même chose que la traductio, peut-on penser que le mot anglais translation veut dire exactement la même chose que le mot français traduction ?

Il n’est certes pas nouveau d’étudier ces trois niveaux de phénomènes et la traductologie n’a pas manqué de livrer des études de cas y renvoyant, en s’éloignant ainsi des approches strictement linguistiques ou axées sur l’unité textuelle. Ce qu’apporte une pensée de la paratraduction est de dégager ce qui unit ces trois niveaux afin de cerner un positionnement méthodologique commun qui se situe autour de la traduction ou, autrement dit, dans ses marges, attentif à ce qui en influence ou en détermine l’opération et qui échappe aux grilles de lecture adaptées au seul cadre du texte traduit. Le regard paratraductologique affirme que sur les seuils du traduire il y a de la marge, en effet, et celle-ci, active aux niveaux prémentionnés – paratraductif au sens strict, protraductif et métatraductif, pour adopter un élargissement progressif de la perspective –, participe pleinement du processus traductif. Du reste, la motivation épistémologique du Groupe T&P est liée à la nature même de l’acte traductif qui trouve sa légitimité d’un statut en marge de l’original, sans que cela implique aucune infériorité sauf à y être idéologiquement décidée. Il importe d’être consistant par rapport à cette condition fondamentale et, en conséquence, de démarginaliser la marge dans le processus traductif en faisant attention à tout ce qui entoure la création du texte à traduire pour une meilleure réception de tout ce qui entoure la production du texte traduit. Le cadre paratraductif ne doit pas être réduit exclusivement à ce qui, empiriquement, entoure l’espace de la traduction – le niveau paratraductif – mais il doit renvoyer à l’ensemble des paramètres – incluant les niveaux protraductif et métatraductif – propices à examiner et valoriser l’acte traductif.

« Dire que la traduction est toujours en marge, c’est signifier que traduire attire sur son geste toute l’ambiguïté de la marge, l’indécidabilité que celle-ci introduit entre le dedans et le dehors et, ici, entre le texte original et le texte traduit » (Nouss 2014 : 49). Face aux théories de la traductologie traditionnelle qui s’exténuent, encore et toujours, à intensifier l’importance de l’un (le texte original) au détriment de l’autre (le texte traduit), la posture paratraductologique de l’École de Vigo invite à considérer tout ce qui les enveloppe, les encadre, les accompagne, les présente, les introduit, les déborde, les prolonge pour pouvoir en mesurer les exigences socioculturelles respectives. Demeurant sur les seuils du traduire et illuminant le texte de départ, la paratraduction aide à décrire ce que l’on y perçoit dans et à partir de l’original : le traducteur y est à la fois à proximité et à distance du texte à traduire, et paratraduire revient à moduler ce paradoxe tout en développant la pensée du seuil. « En effet, la pensée du seuil est centrale pour comprendre celle de la traduction, et inversement, car, contrairement à la conception régnante, la traduction n’est pas que passage, elle offre autant l’expérience du seuil et en recueille une interprétation autre » (Nouss 2014 : 49).

La pensée du seuil implicite dans la notion de paratraduction offre ainsi aussi l’expérience du seuil ou, plus exactement, doit d’abord refléter l’expérience du seuil pour pouvoir ensuite illustrer celle du passage. Sans seuil, il ne peut y avoir de passage car il n’y a pas de prise de conscience d’une différence. Étant donné que le passage est impossible s’il n’y pas de seuil d’abord, la notion de paratraduction vient affirmer que l’image du seuil répond mieux que toute autre à la première réalité de la traduction : les seuils du traduire. Zone de transition et de transaction, la paratraduction invite à réfléchir, fidèle à l’étymologie et au sens du préfixe « para- », sur ce qui se passe dans tout lieu, espace et temps paratextuels de la traduction, à la marge et en marge du processus traductif, c’est-à-dire aux seuilsdu traduire. En revalorisant le seuil et démarginalisant la marge en traduction, la notion de paratraduction instaure cette expérience liminale du seuil trop oubliée dans la traduction conçue traditionnellement comme pont, passage, transfert, déplacement ou circulation entre langues et cultures. L’espace liminaire du paratexte est bel et bien à l’origine de la création de la notion de paratraduction non seulement pour valoriser la paratextualité mais aussi pour offrir ainsi la possibilité de découvrir le texte à traduire et le texte traduit depuis de nouvelles perspectives théoriques, didactiques et professionnelles. Apprendre à traduire avec une perspective paratraductologique c’est, avant tout, voir la traduction comme un seuil, c’est-à-dire apprendre, tout d’abord, à savoir être « entre » avant de passer, de transférer, de déplacer ou de faire circuler quoique ce soit. La pensée du seuil en traduction se présente ainsi comme la prise de conscience d’un état « entre » du sujet traduisant qui pratique un regard paratraductologique sur l’acte jamais innocent de traduire les différences. Ce positionnement philosophique, idéologique, social, culturel et politique du savoir-faire avec les différences qu’implique le savoir-être « entre » de la pensée du seuil préconisé par le Groupe T&P pour l’exercice professionnel de la traduction et de l’interprétation, conduit, tout naturellement, « à pratiquer la gymnastique du “entre” et à compliquer l’universel » (Cassin 2016 : 25).

Pero, para « practicar la gimnasia del “entre” y complicar lo universal », hay que saber interpretar todo el sentido de la palabra « entre », no solo como preposición, sino también, y, sobre todo, como verbo. De hecho, si tuviera que definir lo que debería significar siempre ejercer, como un auténtico profesional, la traducción y la interpretación en los tiempos de deshumanización digital que corren, afirmaría lo siguiente : ser traductor_intérprete es saber estar « entre » para poder decir « ¡ entre ! ». En efecto, cuando pronunciamos la palabra « entre », ella sola, no solo hacemos referencia a la preposición « entre », sino que también podemos escuchar el imperativo del verbo « entrar » (del latín intrare « penetrar dentro, en el interior ») que, en segunda persona del singular con el pronombre de cortesía « usted » y, sobre todo, cuando se sabe usar el tono adecuado al pronunciarlo en español, se convierte en la hospitalidad hecha verbo.

Yuste Frías 2022a : 57-58, caractères gras et petites majuscules de l’auteur

Paratraduire étant donc, avant tout, une expérience liminaire, la notion de paratraduction fut créée pour désigner le fait de penser l’expérience des seuils du traduire comme un arrêt sur image indispensable qui prépare tout sujet traduisant au flux des événements à traduire et dans les textes et dans les paratextes.

Or, cette pensée liminale du seuil qu’implique le savoir-être « entre » paratraductologique suppose d’importantes exigences politiques, culturelles, esthétiques, philosophiques, éthiques et sociales que le Groupe T&P ne cesse de prôner. Il en résulte d’importantes conséquences dans la pratique professionnelle de l’acte de traduire et d’interpréter dont la traductologie devrait tenir compte. Prenons un seul exemple, celui, entre autres, de la traduction et de l’interprétation en milieu social (TIMS) dans l’accueil des migrants aux frontières[10] : être conscient de la notion de paratraduction, c’est savoir expérimenter la pensée liminale du seuil avant de traduire et interpréter « entre » le migrant allophone, d’un côté, et le fournisseur de services publics, de l’autre. Paratraduire, c’est savoir penser-(à)-la-frontière pour pouvoir mieux traduire et interpréter toutes les appartenances de l’identité (Yuste Frías 2020a, 2020b, 2020c) et de l’Un et de l’Autre dans n’importe quelle médiation sociale afin que celle-ci soit transculturelle et non pas seulement interculturelle ou multiculturelle.

4. Dix seuils du traduire

Avec cette présentation que le lecteur est en train de lire, le numéro spécial de la revue MƐTA consacré à la paratraduction réunit dix contributions au total – cinq rédigées en français, quatre en espagnol et une en anglais – qui, tenant compte à tout propos de la paratraduction, offrent dix différentes expériences vécues aux seuils du traduire.

Dix seuils du traduire… Dis « seuil » et je te dirai non seulement qui paratraduit, mais aussi que paratraduire, quand paratraduire, comment paratraduire, où paratraduire, pourquoi paratraduire et à quoi bon paratraduire.

4.1 Paratraduire hors-texte

Si la notion de paratraduction fut créée de prime abord pour lire, interpréter et paratraduire le rôle des éléments paratextuels en traduction et s’interroger sur la nature du lien qui les unit au texte à traduire et au texte traduit, son application méthodologique dans les études de traduction s’étend bien au-delà de l’analyse de l’habillage et du texte à traduire de départ et du texte traduit d’arrivée au sein des circuits éditoriaux de la production livresque et audiovisuelle ou des services multimédias.

En effet, étudier les seuils du traduire – les marges de la traduction –, c’est aussi prendre en compte tout ce qui se passe à la marge et en marge de la traduction. Voilà pourquoi les modes de représentation, les pratiques d’écriture paratraductives qui jusqu’à présent sont restées au seuil des réflexions théoriques en traduction font l’objet d’études du Groupe de recherche T&P de l’Université de Vigo depuis plus de 16 ans. Au fil des dernières années, le terrain hors-texte est devenu pour le Groupe T&P une zone d’activité privilégiée du regard paratraductologique où la notion de paratraduction offre tous les atouts lors de l’analyse des différents processus de médiation culturelle dans une topographie paratraduisante dont les premiers repères ont été tracés dans les premiers chapitres du Programme Web TV du Groupe T&P intitulé Exit[11]. Exit est, tout d’abord, un exercice de lecture, interprétation, traduction et paratraduction des modes de reproduction et de consommation des images, signes et symboles présents dans la communication publicitaire de l’espace urbain vécu entre des langues différentes (traduction et paratraduction interlinguistiques), entre des codes sémiotiques différents (traduction et paratraduction intersémiotiques) et entre des cultures différentes (traduction et paratraduction interculturelles, multiculturelles et transculturelles). À partir de l’expérience des analyses réalisées lors des rêveries du promeneur/traducteur-paratraducteur solitaire s’arrêtant sur des détails paratextuels de la typographie apparemment insignifiants mais qui, en réalité, présentent, introduisent, accompagnent, enveloppent et prolongent les textes dans l’espace urbain, Exit est aussi un exercice de flânerie typo-topographie de l’image de la lettre qui propose de passer du texte au paysage-texte pour dévoiler les formes d’accord entre la typographie créative et l’espace paratraduisant. Les rues, les passages, les voies, les impasses et tous les types de seuils urbains (entrées, portes, enseignes et vitrines, entre autres) prennent ainsi un nouveau sens quand on leur applique le regard paratraductologique qu’apporte la notion de paratraduction identifiant les non-lieux de l’espace.

Les non-lieux, ce sont aussi bien les installations nécessaires à la circulation accélérée des personnes et des biens (voies rapides, échangeurs, aéroports) que les moyens de transport eux-mêmes ou les grands centres commerciaux, ou encore les camps de transit prolongé où sont parqués les réfugiés de la planète.

Augé 1992 : 48

Un des tout premiers exemples d’application pratique de la notion de paratraduction hors-texte dans les non-lieux de l’espace urbain fut la lecture, interprétation, traduction et paratraduction que José Yuste Frías réalisa du logotype de Carrefour[12]. On y remarque que tout en développant le regard paratraductologique du traducteur – premier agent paratraducteur par excellence –, l’École de Vigo interroge non seulement les représentations écrites mais aussi les représentations orales et non conventionnelles, verbales et non verbales, de ce que traduire veut dire dans des espaces symboliques de communication et représentation bien différents de ceux construits traditionnellement par le texte littéraire dans l’espace physique du livre imprimé. Symboles, signes, marques, signaux, images dans toutes leurs déclinaisons possibles (icones, pictogrammes, idéogrammes, logogrammes, etc.) constituent autant d’éléments paratextuels omniprésents dans la réalité du quotidien de la communication interculturelle, multiculturelle et transculturelle hors-texte du xxie siècle. Nous vivons dans un espace monde de paratextualité permanente que la notion de paratraduction nous apprend à regarder tout en nous réapprenant à penser l’espace en lieux et non-lieux. La notion de spatialité, encore peu utilisée en traductologie, est à l’honneur avec la notion de paratraduction appliquée hors-texte aux lieux et non-lieux de l’espace, car c’est dans les lieux anthropologiques de la tradition et les non-lieux de la surmodernité qu’elle y trouve toujours sa place propre.

Pour construire l’espace social, les lieux anthropologiques ont au moins trois caractères : « [i]ls se veulent (on les veut) identitaires, relationnels et historiques » (Augé 1992 : 69). Y a-t-il d’espace plus symboliquement identitaire, relationnel et historique pour une image que celui du lieu anthropologique d’un musée ? Élément paratextuel par excellence, l’image exerce toujours une influence dans l’espace symbolique de la paratraduction qu’instaure sa présence, elle y déploie une puissance communicante qui excède de loin l’information objective dont elle est porteuse. À partir des images choquantes de l’exposition Mirroring Evil : Nazi Imagery/Recent Art, présentée au Musée juif de New York en 2002, l’article intitulé Images du mal, représentation et paratraduction : les limites du traduire et rédigé par Karl Schuster et Óscar Ferreiro-Vázquez, fait appel à la notion de paratraduction pour traiter les images de l’Holocauste comme des productions paratextuelles qui paratraduisent le mal perpétré par le nazisme. Cet article est le fruit des expériences accumulées et retenues par les deux auteurs lors de leur participation au séminaire mis en oeuvre par le Groupe T&P en 2017 pour traduire la Mémoire historique, en général, mais, surtout, la traduction et paratraduction de la phénoménologie mutante du nazisme (Yuste Frías, Schurster, Garrido Vilariño et Ferreiro-Vázquez, 2017). Les deux auteurs de l’article proposent ici plusieurs pistes de réponses à la question fondamentale de paratraduire l’Holocauste à travers les images qui se trouvent à la limite du caché, du non-dit, de l’indicible, voire de l’ineffable. Les limites du traduire sont exposées de manière magistrale en employant une bibliographie foisonnante. L’histoire, l’art et la sociologie défilent de la main de la paratraduction employée ici comme notion clé pour décrire les images paratraduisant le mal aux différents seuils d’une exposition d’un musée. À travers une vaste analyse d’une bibliographie spécialisée, d’articles de journaux de l’époque, du catalogue de l’exposition et des oeuvres d’art en elles-mêmes, les auteurs parcourent une voie théorique les menant à s’interroger sur la signification de l’acte de représentation et de paratraduction appliqué à un sujet controversé où le nazisme est vu comme « un passé qui ne passe pas ».

Selon Augé, le « non-lieu » désigne deux réalités complémentaires mais distinctes : « des espaces constitués en rapport à certaines fins (transport, transit, commerce, loisir) et le rapport que des individus entretiennent avec ces espaces » (Augé 1992 : 118-119). Si les lieux anthropologiques créent du lien social, du « social organique, les non-lieux créent de la contractualité solitaire » (Augé 1992 : 119). Avec Topologies et terrains de la paratraduction, Anxo Fernández-Ocampo nous présente un article érudit sur les lieux et non-lieux de l’espace paratraduisant qui s’insère à merveille dans ce numéro spécial sur la paratraduction car il offre l’insigne privilège d’établir un contact direct avec un des aspects parmi les plus fructueux – et vraisemblablement doté d’un fort potentiel heuristique – de la paratraduction. L’auteur poursuit l’objectif d’apporter sa propre contribution en « provignant » la notion de paratraduction à différents territoires théoriques peu explorés ou négligés (notamment, la topologie). Il évoque des notions importantes comme celles de « limite », de « continuum » de « pseudo-traduction » (assumed translation) selon Toury, sans oublier celle de « seuil » ; ces notions assurent (et justifient) un arrimage du projet de l’auteur à certaines avenues théoriques empruntées par la traductologie de pointe. L’auteur déploie un effort louable afin d’exposer et bien expliquer le rôle de la paratraduction et comment cette notion heuristique de l’École de Vigo peut être appliquée à la notion de topologie. Ce faisant, il nous fait cheminer sur un mode de flânerie paratraduisante tel un cicerone en nous faisant passer par différents lieux et non-lieux pour apprendre à penser une topographie paratraduisante.

4.2 Paratraduire aux seuils de l’écran

La (r)évolution numérique a entrainé un changement radical dans les moyens de transmettre l’information, provoquant une mutation dans la lecture/écoute du texte/discours de départ en traduction et interprétation. Par conséquent, la notion de paratexte de Genette doit être interprétée aujourd’hui en tenant compte des répercussions historiques, sociales, culturelles que l’ère numérique a provoquées depuis la fin des années 1990 en traductologie (Cronin 2012 : 90-115) non seulement en ce qui concerne l’accès à l’information et au savoir – essentiel dans la pratique professionnelle de la traduction et de l’interprétation – mais aussi et surtout en ce qui concerne les stratégies à mettre en place dans la pratique paratraductive des paratextes à l’écran. Aujourd’hui, la notion de paratexte en traduction ne peut se focaliser, uniquement et exclusivement, que sur le paratexte littéraire et sur le support du livre imprimé. Les productions paratextuelles des commandes de traduction à l’écran dépassent de loin l’ensemble des paratextes verbaux du champ littéraire superbement décrits par Genette dans Seuils (Genette 1987). La (r)évolution numérique de la paratextualité est également présente dans le monde éditorial du livre lui-même avec les pratiques actuelles de réception publique et privée d’une oeuvre littéraire traduite qui sont mises en place sur Internet, éliminant même la différence entre épitexte et péritexte. En effet, l’interview de l’auteur d’un livre ou de son traducteur, traditionnellement considérée comme une production épitextuelle, est aujourd’hui bien plus qu’un épitexte qui présente le livre pendant la durée de l’entretien audiovisuel ou de la lecture de l’entretien publié sur Internet, elle est considérée comme un genre autonome complètement nouveau (Yanoshevsky 2018).

Grâce à la notion de paratraduction, le traducteur professionnel de l’ère du tout numérique est beaucoup plus conscient du poids énorme de la paratextualité de la traduction à l’écran. Des paratextes iconiques et verbo-iconiques (déjà présents bien avant l’ère numérique dans la traduction des BD, des livres pour enfants ou des textes illustrés imprimés) apparaissent désormais à l’écran en même temps que des paratextes sonores et musicaux dans des commandes de traduction audiovisuelle et multimédia mettant en place de nouvelles et différentes stratégies paratextuelles qui aident à contruire le sens de l’oeuvre. À l’ère digitale où les séries, les films, les sites web et les jeux vidéo interconnectés ont remplacé le livre dans l’univers numérique transmédia de la cyberculture, les productions paratextuelles à l’écran sont omniprésentes et elles sont si nombreuses que, multipliées et amplifiées par les réseaux sociaux, elles semblent même avoir gommé les frontières entre texte et paratexte si apparemment bien définies dans le secteur traditionnel de l’édition. Lorsqu’il s’agit de transférer la paratextualité à l’ère du digital, la notion de paratraduction permet différentes manières d’interpréter le sens du dialogue herméneutique qui existe toujours à l’écran entre le texte et ses paratextes. L’École de Vigo a toujours tenu compte de l’écran dans ses recherches sur la paratraduction, et ce, à tel point que le Groupe T&P décida d’organiser en 2021 le Congrès international techLING2021-UVigo-T&P[13] pour mettre à jour les implications pédagogiques de l’omniprésence de l’écran aussi bien dans la formation universitaire de futur professionnel de la traduction et de l’interprétation que dans l’enseignement des langues et leur traitement informatique (Millor Costas, Yuste Frías et Ferreiro-Vázquez, 2021).

L’expérience accumulée ces dernières années par le Groupe T&P dans le domaine de la traduction audiovisuelle et multimédia a rendu possible la création à l’Université de Vigo d’un Diplôme de spécialiste en traduction pour l’industrie du jeu vidéo (connu sous l’acronyme espagnol ETIV), comme il a déjà été mentionné dans l’introduction du présent texte. En partant du principe essentiel de toujours concevoir la localisation comme l’union nécessaire et indispensable de la traduction et de la paratraduction, le premier article de cette deuxième section intitulé Localización de videojuegos : herramientas formativas para nuevas prácticas traductivas y paratraductivas et rédigé par Ramón Méndez González, codirecteur avec Óscar Ferreiro-Vázquez, José Yuste Frías et Emmanuel Claunde Bourgoin Vergondy de l’ETIV de l’Université de Vigo, présente une analyse réelle, précise et complète de l’industrie du jeu vidéo accompagnée d’exemples tirés de la pratique professionnelle de l’auteur dans la localisation des jeux vidéo tout en proposant de très intéressants outils de formation accessibles pour un meilleur apprentissage du « spécialiste en traduction pour l’industrie du jeu vidéo » dans une coopération adéquate et efficace entre les universités, d’un côté, et les entreprises de développement de jeux vidéo, de l’autre.

Dans l’article intitulé Adaptación y ajuste en el doblaje cinematográfico desde un enfoque paratraductivo. Un estudio de caso, Xoán Montero Domínguez nous donne accès à une partie de la matière première (le texte du scénario traduit) employée dans les processus de traduction impliqués dans le doublage et offre au lecteur la possibilité de parcourir les traces de paratraduction que le principal agent de paratraduction (le directeur du doublage) a laissées dans la traduction pour le doublage galicien de certaines séquences du film Les grands esprits [O bo mestre, en galicien et El buen maestro, en espagnol], réalisé par Ayache-Vidal (2017) dans les phases les plus importantes de la traduction pour le doublage : l’adaptation et l’ajustement, surtout lorsque l’on sait qu’en Espagne la pratique de ces deux phases varie en fonction de la communauté autonome.

Paratraduire l’imaginaire : approche méthodologique du sous-titrage espagnol des films ocelotiens est l’article rédigé par Isabel Cómitre Narváez. La question du sous-titrage interlinguistique se servant des divers codes sémiotiques pour fournir au spectateur les éléments dont il a besoin pour construire du sens en s’appuyant sur le son, l’image et l’imaginaire collectif lié à chaque culture est un sujet pertinent et récurrent en traduction multimédia. Les choix méthodologique et terminologique de l’auteure en ce qui concerne la paratraduction et le traitement des sous-titres met en valeur l’originalité de la recherche présentée ici. La nouveauté qu’apporte cet article réside dans le fait que Cómitre Narváez prend en compte l’image comme un élément paratextuel à part entière dans la traduction audiovisuelle. Par conséquent, cela justifie aisément l’usage de la notion de paratraduction pour l’analyse des sous-titres espagnols dans les extraits des films de Michel Ocelot utilisés comme exemples. L’imaginaire ocelotien est construit à l’aide de péritextes iconiques et ça vaut à l’auteure la démarche paratraductive proposée dans cet article qui débute en questionnant l’universalité de l’image. La démarche paratraductive s’avère être, finalement, une intéressante approche méthodologique du traitement de l’image car elle tient compte des liens intersémiotiques qui se tissent entre les éléments visuels, sonores, verbaux et filmiques afin de construire un sens symbolique.

4.3 Paratraduire la marge et à la marge du livre

Si, comme il a été dit dans les sections précédentes, la paratextualité est présente et à l’écran et hors-texte, sa présence devient essentielle dans le domaine éditorial de la traduction littéraire car les paratextes non seulement construisent la marge du livre à traduire et traduit, mais ils contribuent énormément à transmettre les effets idéologiques, sociaux, culturels et politiques recherchés dans l´édition de la traduction finalement reçue par le lecteur de la langue et culture d’arrivée.

Les trois articles de cette section appliquent la notion de paratraduction sur le plan sociologique ou protraductif. En effet, en étudiant à la marge du livre, aux seuils du traduire, le comportement paratraductif des différents agents paratraducteurs intervenant, d’une manière ou d’une autre, dans le processus traductif, chacun des trois articles met en relief différents aspects paratraductifs qui deviennent essentiels pour la bonne réception du livre traduit dans la culture d’arrivée.

Avec un style d’écriture expositif qui fait preuve du niveau d’expertise de son auteur, l’article intitulé La responsabilidad del paratraductor en la retirada del mercado de « J’étais un homme » de Primo Levi de Xoán Manuel Garrido Vilariño[14] présente l’affaire des traductions françaises d’une oeuvre canonique de la littérature de la Mémoire de l’Holocauste : Se questo è un uomo de Primo Levi, survivant juif italien du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. L’auteur dévoile la possibilité d’envisager que la responsabilité de la prétendue « mauvaise » traduction d’une des deux traductions françaises n’appartient pas exclusivement à la traductrice elle-même, mais plutôt à un agent paratraducteur très déterminé, plus concrètement l’éditeur, qui, en réalité, s’avère être celui qui vraiment décide toujours quelle paratraduction sera finalement éditée au moment de présenter et d’introduire la traduction dans la langue et la culture cibles.

À partir des fondements théoriques de la notion de paratraduction, l’article d’Ana Luna Alonso, intitulé Escritoras gallegas paratraducidas en el espacio ibérico, propose une sérieuse étude de la réception des auteures galiciennes dans le système littéraire espagnol et suppose une avancée très importante dans le domaine de la traduction littéraire. L’auteure propose des exemples de paratextes significatifs, en vue de déterminer si le récit offert permet d’apprécier la diversité culturelle ou si, en revanche, il l’assimile. L’analyse du corpus ne regroupant que des productions paratextuelles essentiellement verbales de textes traduits, cet article représente une excellente base pour étudier les paratextes non verbaux employés dans les sites web visités pour construire ce corpus.

Les productions paratextuelles les plus étudiées en traductologie ont toujours été les préfaces des traductions littéraires. Du point de vue de la paratraduction, en plus d’être une ressource paratraductionnelle par excellence, la voix du traducteur entendue (lue) dans la préface d’un texte cible est aussi légitime que celle de l’auteur de départ. Preface translation as a feminist and inclusive language usage action a été rédigé par Érica Lima. Elle y traite de l’importance de la paratextualité des préfaces et, par conséquent, de la paratraduction. Elle s’intéresse aussi à l’utilisation de la langue inclusive par les traducteurs dans cet espace paratextuel et dans le texte. L’auteure analyse les traductions du livre Our Bodies, Ourselves (OBOS) de Ayesha Chatterjee (dir.) (2008/2020) à partir des nombreuses préfaces des traductions d’OBOS dans le monde en se concentrant principalement sur celles rédigées au Brésil. Lima et ses élèves participent à un projet de traduction collective et bénévole mis en place entre l’Université de Campinas, l’Université fédérale de Rio de Janeiro et une ONG (Coletivo Feminista Sexualidade e Saúde) afin de traduire et d’adapter en portugais brésilien ce très célèbre ouvrage.

4.4 Coda

Alexis Nouss[15] vient couronner en beauté ce numéro spécial de MƐTA sur la paratraduction. Dans Paratraduction : du seuil et du traduire, il présente ses réflexions à propos de la notion de paratraduction, et ce, sur le plan discursif, voire métatraductif.

Dans ce court et dernier texte, l’auteur nous rappelle que traduire est une pratique du seuil, traduire est une pensée du seuil. La position paratraductionnelle remet en question ce double postulat cher aux théories de la traduction qui voit cette dernière comme un passage. L’auteur insiste sur le fait que la particularité du traduire n’est pas en – traduit en japonais, traduit en français, traduit en – mais plutôt entre – entre les deux langues, les deux textes, les deux cultures, les deux historicités. Considérer le seuil comme lieu du traduire permet cet accueil bilatéral.