Jean-Claude Gémar. Ce nom est bien connu. En juritraductologie, en droit comparé, en traductologie… Pour autant que je sache, il n’existe aucune discipline qui s’intéresse, exclusivement ou en partie, aux questions à la croisée du langage et du droit, dans laquelle on ignore encore ce nom. Les générations de chercheurs et de professionnels du langage du droit se succèdent, mais le nom reste. Au demeurant, qu’elles s’intéressent ou pas à la traduction juridique ou à la jurilinguistique, peu de personnes restent indifférentes vis-à-vis de la passion qui anime Jean-Claude Gémar, passion pour sa discipline, certes, mais aussi pour des sujets d’une étonnante variété. L’écouter est une expérience des plus inspirantes. Discuter avec lui l’est tout autant, sinon plus, ce que j’ai eu l’honneur de faire dans le cadre de la présente entrevue. Dans les pages qui suivent, j’espère donc vous faire découvrir l’homme qui se cache derrière le nom si souvent cité, mais aussi, par le fait même, la discipline de cet homme, la jurilinguistique, dont il reste encore, après toutes ces années et malgré la relève, le principal porte-étendard. L’entrevue n’était pas structurée, si bien que les sujets défilent comme ils se sont présentés au fil de la conversation. Trois thèmes se dégagent néanmoins de nos échanges : la pratique de la traduction, la réflexion sur la traduction et l’enseignement de la traduction. Trois thèmes qui correspondent aux trois fonctions de la traduction selon Jean-Claude Gémar (1995a : 45-112) et qui ont également marqué sa carrière de professionnel, de chercheur et d’enseignant. Belle rencontre ! J’avais aussitôt passé les examens de la Société des traducteurs du Québec (STQ) et commencé à traduire comme pigiste (les salaires d’assistant n’étaient guère élevés dans ces années-là…) du Bureau des traductions du Secrétariat d’État et avais lancé ma carrière de traducteur professionnel. Après avoir terminé mon doctorat, en 1974, j’avais passé – un peu par défi, pour me « tester » – le concours de traducteur des Nations Unies, que j’avais réussi puisque j’ai été nommé sur place comme traducteur à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), à Montréal. Là, j’ai vraiment vécu la traduction professionnelle sous toutes ses formes : administrative, technique, économique, juridique, médicale, etc., et me suis rodé à la tâche. Un an plus tard (1975), André Clas m’engageait comme professeur assistant au Département de linguistique et philologie, comme il s’appelait en ce temps-là, puisque la traduction n’était encore qu’une « section ». La carrière de professeur de traduction me paraissait alors plus intéressante – quoique moins bien payée ! – que celle de traducteur aux Nations Unies, malgré les prestations qu’on y offrait. Clas m’avait engagé pour enseigner la traduction juridique – poste libéré opportunément, qu’il fallait combler en vue de la rentrée prochaine –, mais aussi, entre autres, la traduction générale, au bac, la littéraire, en maîtrise. Mais c’est la traduction juridique qui m’a retenu et allait devenir ma spécialité. J’avais un doctorat de 3e cycle en droit (de la Coopération internationale, domaine qui ouvrait de nombreuses portes) et me suis vite senti dans mon élément. Dans les deux années qui allaient suivre, ma spécialisation en traduction juridique avait pris forme et sens. Lors du IIIe Colloque international sur la rédaction des lois (Pointe-au-Pic, 7-10 sept. 1980), auquel j’avais participé, j’ai fait la connaissance d’Alexandre Covacs, le premier jurilinguiste de l’histoire, échangé et sympathisé avec lui. Je crois que l’idée de la jurilinguistique s’est formée dans mon esprit à partir de là. Quant à moi, je ne suis que le « réceptacle » – le go-between – de ce savoir-faire et de son corpus, que j’ai …
Appendices
Bibliographie
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