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Petit à petit, nous arrivons à combler le retard accumulé et pensons renouer avec notre rythme de publication d’avant la COVID-19 pour le prochain numéro. Un numéro spécial sur un sujet très peu exploré, celui des archives de traducteurs.

Le numéro s’ouvre sur une étude du site Web Toronto.ca, l’objectif étant d’effectuer une analyse du profil linguistique de la ville et des catégories d’information dans des langues autres que l’anglais. S’appuyant sur les données du recensement canadien de 2016 et les politiques de traduction de la ville de Toronto, l’auteure, du Glendon College de l’Université York, étudie les politiques de traduction de la ville de Toronto par le biais de la justice traductionnelle. Après une analyse des traductions, elle conclut que les politiques mettent en valeur des intérêts non identitaires sans pour autant négliger les intérêts identitaires, et proposent plusieurs pistes de recherche.

L’objectif du travail de la chercheure de l’Université de Vigo (Espagne) est de découvrir comment la réflexion collective des traducteurs aborde les questions d’éthique professionnelle dans les codes de déontologie des associations de traducteurs et de professionnels exerçant des métiers connexes en Espagne. Ces codes sont comparés à ceux des professionnels plus consolidés (médecins et avocats). Il en résulte des données intéressantes sur l’image que la société se fait de la traduction, ses limites de plus en plus diffuses et sa dimension économique croissante. Une nouvelle perspective sur le contenu et la portée des codes déontologiques alimente ainsi l’éthique de la profession.

De Suisse nous vient l’étude suivante qui commence par faire le survol de la littérature sur les stratégies d’interprétation simultanée pour ensuite proposer une liste de huit stratégies présentes dans diverses avenues de recherche. À partir d’un corpus bidirectionnel russe-anglais, un échantillon aléatoire de 360 fragments est extrait et analysé en corrélation avec trois variables : la direction de l’interprétation, la position du fragment dans le texte original, et la complexité phraséologique du fragment. Les résultats suggèrent que certaines stratégies sont considérablement moins fréquentes que la littérature ne le laisse supposer. Une analyse des trois catégories de codage – omission, explicitation et interprétations incorrectes – suggère que les interprètes de ce corpus s’orientent plus souvent vers une fonction performative qu’une fonction informative.

Trois chercheurs de l’Université Laval (Québec) se penchent sur l’interprétation à distance de service public en matière de soins de santé. Avec en tête l’actuelle pandémie, ils jugent que l’interprétation à distance apparaît comme la solution tout indiquée pour répondre aux inégalités en matière de santé des populations migrantes tout en réduisant les risques de propagation du virus. La recherche identifie des moyens permettant d’encadrer ce service public dans la province de Québec, examine les recommandations disponibles dans la littérature discutées avec 27 acteurs clés du domaine. Une analyse thématique du discours de ces derniers permet de confirmer l’applicabilité des recommandations existantes et d’en ajouter plusieurs autres. Fruit de cette recherche : le Guide de planification et de pratique de l’entretien interprété à distance dans les services publics, disponible en ligne. Le Guide vise à encadrer l’utilisation des technologies, à minimiser les conséquences de la présence virtuelle et à favoriser la diffusion de l’information.

La traduction du roman d’Anthony Burgess A Clockwork Orange (1962), devenu classique pour les lecteurs de fiction spéculative, pose le défi de la langue inventée par Burgess, le Nadsat. Deux chercheurs de la Coventry University au Royaume-Uni appliquent les méthodes de la linguistique de corpus afin d’analyser la création du Nadsat français dans la traduction de Belmont et Chabrier (1972) en le comparant au Nadsat anglais. Auparavant, les auteurs ne manquent pas de commenter d’autres traductions, notamment en russe, polonaise et italien. Les méthodes de la linguistique de corpus apparaissent ainsi comme un moyen novateur d’évaluer des traductions de textes présentant un haut degré de créativité linguistique ou bien la présence d’une troisième langue.

Suit un autre article portant sur les stratégies de traduction. Il s’agit d’une analyse comparée des plus méticuleuses de La nouvelle Astrée (1712), abrégé de l’oeuvre pastorale d’Honoré d’Urfé, avec sa version russe en cyrillique. L’analyse se fonde également sur une version chèque de 2017 par la méthode de lecture herméneutique. La chercheure de l’Université Masaryk de Brno démontre, avec force détails, la stratégie d’adaptation dans un but éducatif de ce petit roman en russe. L’analyse fait apparaître de nombreuses simplifications, explications et omissions, notamment des ellipses et modulations pudiques, altérations des noms des personnages et des toponymes, changements sémantiques, entre autres.

Les études sur les produits audiovisuels continuent d’alimenter les pages de Meta. Celle-ci nous vient de l’Universidad Complutense de Madrid. À partir d’une méthodologie intersectionnelle issue du domaine des études culturelles, l’auteur se penche sur la manière dont sont présentées dans les médias les identités intersectionnelles, notamment celles qui sont traversées par différents axes de pouvoir qui limitent leur visibilité et marginalisent les sujets. Il aborde plus spécifiquement l’intersection entre la sexualité et la diversité fonctionnelle dans la série Special de Netflix. L’objectif est de voir si les réécritures en espagnol pour le doublage et les sous-titres sont basées sur des représentations simplistes de l’identité, ancrées dans des stéréotypes dépassés ou si, au contraire, on y a employé des stratégies discursives multifocales capables de refléter la complexité de ces identités.

Toujours en provenance d’Espagne, de l’Universitat Jaume Iº, une autre étude en audiovisuel. Cette fois, il s’agit d’examiner l’utilisation de la technique du « Planting/payoff » [planté/récolté] dans la Cornetto Trilogy du réalisateur Edgar Wright afin de découvrir si ces éléments sont accessibles pour un public hispanophone dans les versions DVD sous-titrées et doublées. À travers l’utilisation de la liste des codes signifiants de Chaume (2004a, 2012), l’auteur cherche à isoler les images pertinentes de certains plans et à décomposer les informations verbales et non verbales codées sur chaque plan. Examinant si cette préfiguration est communiquée dans les versions sous-titrées et doublées de ces films, il explore comment les informations sont partagées entre les différentes composantes du langage du film et l’importance de prendre en compte le rôle des codes non verbaux dans la traduction audiovisuelle.

Dans un tout autre registre, cette étude examine les différentes stratégies mises en oeuvre par les traducteurs pour rendre en français l’expressivité des interjections onomatopéiques coréennes. Leur ambiguïté sémantique ne permet pas d’en interpréter aisément la valeur situationnelle, telle qu’elle est communément interprétée dans la culture d’origine. À défaut d’interjections équivalentes en langue cible, les traducteurs des interjections coréennes ont donc alternativement recours soit à de simples translittérations, soit à des reformulations plus explicites non interjectives. Après un tour d’horizon des travaux relatifs aux interjections, les auteurs empruntent à la littérature coréenne de nombreux exemples afin d’illustrer les stratégies qui permettent de traduire et transmettre en français la valeur expressive et la charge émotive de ces éléments de langage dits « primaires ».

À partir du phénomène de la « réduction des voix narratives complexes » (Chesterman 2010 : 41), deux auteures, l’une de Bar Ilan University et l’autre de l’Université Sorbonne Nouvelle étudient le paradoxe qui repose au coeur du concept d’explicitation, du fait que certaines explicitations font des ajouts ou changent certains éléments linguistiques pour clarifier le texte source, tandis que d’autres viennent renforcer l’attitude du narrateur dans ce texte source. Toutefois, une telle clarification du texte est susceptible d’en affecter le sens global, en particulier lorsque l’intention textuelle est précisément de maintenir l’ambiguïté. Sur un plan sémantique profond, ces explicitations peuvent être considérées comme des implicitations, car elles voilent l’attitude du narrateur et rendent ainsi le sens global du texte plus implicite. Après un panorama des définitions des deux phénomènes, les auteures illustrent leur réflexion à partir du roman El Misterio de la Cripta Embrujada d’Eduardo Mendoza (1979) et sa traduction en hébreu.

Voilà, pour terminer en beauté cette année du 65e anniversaire de Meta, un numéro, comme à l’habitude, très international et varié dans les thèmes abordés.

Bonne lecture !